pp. 146- (Art.2) - Société Vétérinaire Pratique de France
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C o m m u n i c a t i o n Césarienne de jument par la ligne blanche par Christian Bussy Docteur vétérinaire, Clinique vétérinaire du Grand Renaud, Saint-Saturnin ette présentation relate un exemple d’intervention de césarienne réalisée par la ligne blanche sous anesthésie générale. Ce cas montre les différentes étapes ; du vétérinaire référent, la gestion à son arrivée en clinique, le temps chirurgical, les soins post-opératoires et les complications éventuelles observées sur les quelques 70 cas réalisés à la clinique. C Moins courante qu’en pratique rurale, la césarienne chez la jument est rarement conseillée par le praticien de terrain. Cette intervention peut être réalisée au haras par le praticien sur jument debout par le flanc mais les difficultés de contention et la sensibilité du cheval aux complications post opératoires font que cette intervention est peu réalisée en pratique courante. Nous la recommandons sur des juments ayant une valeur économique faible. L’indication principale pour cette intervention est la dystocie, la correction chirurgicale est plus facile à réaliser en clinique. Historique Une jument pur Sang «Maiden» (1er poulinage), de valeur élevée, nous a été référée pour dystocie par un praticien qui exerce à près d’une heure de 146 route de la clinique ; sur place au haras, la jument avait un caractère difficile, elle était difficile à fouiller et la tranquillisation était peu efficace. Après 15 min d’essais infructueux, le vétérinaire référent nous a adressé la jument. Comment envoyer une césarienne vers une clinique ? Agir vite : faire comprendre au propriétaire qu’en cas de dystocie, la décision opératoire doit être immédiate pour avoir une chance raisonnable d’avoir un poulain vivant. Le vétérinaire traitant prend contact avec la clinique et souvent le traitement est mis en place en fonction des moyens à disposition, du caractère de l’animal, du type de dystocie et du temps de trajet jusqu’à la clinique. On rappelle la clinique lors du départ du camion des haras, puis on appelle 15 min avant l’arrivée en clinique pour que l’équipe soignante soit prête à intervenir. Le vétérinaire référent doit essayer d’obtenir un diagnostic le plus précis possible en effectuant : – un examen général, afin de déceler un éventuel état de choc (cas des torsions utérines, hémorragies…) ; B u l l . S o c . V é t . P r a t . d e F r a n c e , n o v e m b r e / d é c e m b r e 2 0 0 8 , T. 9 2 , n o 4 – un examen vaginal, suivi d’un examen par voie rectale. Une tranquillisation de la jument est parfois nécessaire, pour réaliser cet examen. Les contractions utérines sont parfois très violentes chez la jument, empêchant le praticien de faire un examen vaginal complet ; l’utilisation de l’isoxuprine (Duphaspasmin ND) IM à la dose de 20 ml pour 500 kg, ou du clenbutérol (Ventipulmin ND) IV à la dose de 13 ml pour 500 kg, permet de réduire les contractions ; – éventuellement une anesthésie épidurale mais c’est souvent un geste technique ardu voire dangereux à réaliser dans le box, sur une jument difficile. On utilise la lidocaïne à 2 %, en ne dépassant pas 8 ml/500 kg. La xylazine à 0,17 mg/kg, ou une association des 2 produits prolonge l’action jusqu’à 5 h ; – la mise en place d’une voie veineuse stable avec un cathéter 12G suturé à la peau, qui, avec un bouchon ponctionnable, permettra de renouveler facilement les traitements sur place ou pendant le transport. Obtenir un poulain vivant par césarienne est un vrai défi qui ne se réalisera que si tous les différents intervenants ont été efficaces et rapides. Arrivée en clinique, examens réalisés L’auscultation générale est suivie d’un bilan sanguin si la situation de choc est suspectée. L’examen génital dans une barre et après tranquillisation nous permet de diagnostiquer une dystocie de taille : petit bassin, le poulain est mort et coincé aux épaules. Les contractions sont importantes et les essais d’anesthésies épidurales ne seront pas efficaces. L’œdème de la vulve est déjà très important. Options thérapeutiques Le poulinage sur l’animal vigile avec tranquillisation (jument difficile) est déconseillé, le vétérinaire référent ayant essayé, il y a peu de chance de faire mieux ! Le poulinage forcé sous anesthésie générale, dans le box d’induction, est déjà une option plus raisonnable, l’embryotomie peut aussi y être associée. Dans notre cas, le propriétaire a refusé cette alternative, ayant déjà perdu une jument de péritonite après une embryotomie délabrante. Enfin en cas d’échec, la césarienne peut s’envisager à la suite dans le bloc chirurgical. Anesthésie générale Elle est réalisée de façon standard : – Induction à la romifidine suivi d’un bolus valium/kétamine. – Après intubation, l’anesthésie générale est assuré par un respirateur avec un mélange halothane + oxygène. Dans le cas d’un poulain vivant, on utilise une anesthésie «Triple drip» : GGE (guaiacol glycéryl ether)/kétamine/romifidine, jusqu’au retrait du poulain, ce qui est moins délétère pour le poulain, puis le relais gazeux est mis en place. Le poulinage forcé Une fois anesthésiée, la jument est positionnée en décubitus latéral, le membre postérieur supérieur de la jument est soulevé. Si les efforts de traction réalisés sont infructueux, on positionne la jument sur le dos et on effectue encore les manœuvres. Dans le cas présent, il était impossible d’extraire le poulain par les voies naturelles et le propriétaire a refusé l’utilisation de l’embryotome, sur cette jument de valeur. La décision de mettre la jument sur la table de chirurgie a été aussitôt prise pour réaliser la césarienne. Césarienne au bloc On place la jument en décubitus dorsal, comme pour une chirurgie de colique, mais avec un angle de 10° par rapport à la verticale, ce qui permet au poulain de moins comprimer l’aorte et la veine cave de la jument. La zone chirurgicale est ensuite préparée : tonte, lavage, désinfection et drapé. Laparotomie médiane Le chirurgien : 147 – réalise une incision cutanée sur 35 à 45 cm en utilisant la coagulation pour les vaisseaux souscutanés puis l’incision de la ligne blanche ; – repère la corne gravide et l’extériorise. Un surjet simple entre les bords de l’incision et l’utérus permet de limiter la contamination de la cavité par les liquides fœtaux, ce temps est important à réaliser si les manipulations ont été contaminantes et que le poulain est mort. Dans le cas d’un poulain vivant, ce surjet ne sera pas réalisé pour réduire le temps d’extraction du poulain ; – incise largement l’utérus pour éviter de le déchirer lors de l’extraction. La membrane allantoïde est rompue, des lacs stériles sont posés sur les paturons postérieurs du poulain et l’extraction du poulain est réalisée à l’aide du palan électrique. Lorsque le poulain est vivant, une deuxième équipe va s’occuper alors uniquement des soins à lui prodiguer (intubation, administration d’oxygène, ventilation, monitoring des gaz sanguins…) ; – retire la suture temporaire entre l’incision cutanée et l’utérus. L’utérus est maintenu par l’aide opératoire et le placenta est détaché des bords de l’incision sur quelques centimètres seulement. Un surjet simple hémostatique doit faire tout le tour de l’incision utérine ; – effectue le lavage de l‘utérus à l’aide de sérum physiologique stérile puis provoque la contraction de l’utérus en administrant une dose de 40 UI/500 kg d’ocytocine par voie intraveineuse. Fermetures des parois Le chirurgien : – réalise un ou deux surjets enfouissants sur l’utérus avec du monofil résorbable n° 1 ; – effectue un lavage abondant de la cavité abdominale, avec du sérum physiologique stérile ; – vérifie la bonne position anatomique des viscères et l’absence d’anomalie (hématome, écrasement, déchirure…) ; – réalise la fermeture de la ligne blanche par un surjet simple avec une boucle de vicryl n° 2, puis un surjet sous-cutané avec un vicryl n° 0, puis la pose d’agrafes sur le tissu cutané, enfin un pansement roulé suturé à la peau. Réveil assisté 148 Une sonde orotrachéale est laissée en place pour le réveil. Une longe à la tête et une longe à la queue vont permettre un relevé confortable, souvent indispensable sur des juments qui sont très proches de la myosite. Soins post-opératoires Ils comportent les soins classiques après une laparotomie : SAT, AINS 2 à 6 jours, antibiothérapie 4 à 8 jours. Il faut rajouter les soins de l’utérus : lavage matin et soir avec administration de 20 UI d’ocytocine, IM, jusqu’à la délivrance. Les agrafes cutanées sont retirées à 20 jours, et l’exercice sera limité pendant les 3 premiers mois. D’une manière générale, les soins post-opératoires sont plus simples que ceux des coliques. Pronostics Pour la jument, le pronostic vital est très bon, en général 80 à 90 % de survie. Le pronostic pour la reproduction est très bon aussi. Dans les cas où l’embryotomie a été utilisée, il n’est pas rare d’observer des lacérations du col utérin. Pour le poulain, les publications anglo-saxonnes indiquent un bon pronostic (60 à 70 %), nos observations sont beaucoup plus modestes car 80 % des juments arrivent avec un poulain mort. Les publications américaines relatent un taux de succès important pour la survie du poulain, quand le temps entre la perte des eaux et l’arrivée en clinique ne dépasse pas une heure. Même sur les poulinières proches de la clinique, nous n’avons jamais reçu de juments aussi rapidement. Les complications Pendant le temps chirurgical, le collapsus cardiovasculaire est observé dans de rares cas lors de l’extraction du poulain. Pour en limiter le risque, la position du décubitus dorsal est gardée à 170° jusqu’à l’extraction. Les écrasements ou des lacérations sont observables sur l’utérus ou le colon flottant, surtout si les manipulations au haras ont été particulièrement musclées. Enfin les cas d’hémorragies utérines souvent fatales sont observées lors des cas de torsions utérines sévères ou de perforations. la douleur post-opératoire est parfois importante, l’emploi massif des AINS, ou les perfusions continues de lidocaïne sur 48 h permettent en général de lever l’iléus. Au réveil, les juments peuvent présenter des états d’épuisement ou des myosites généralisées, l’emploi des longes permet de limiter ces quelques cas de réveils catastrophiques qui peuvent finir en fractures ou en éventrations. Conclusion Lors de la période post-opératoire, il peut exister quelques rares cas de péritonites, qui conduisent ensuite à la fourbure. L’iléus post-opératoire est beaucoup moins fréquent que lors des chirurgies de coliques, mais La chirurgie de césarienne reste peu pratiquée en France, elle mérite d’être valorisée car le pronostic vital pour la jument est très bon. Si la décision chirurgicale était prise plus rapidement le taux de survie des poulains serait bien supérieur, à ce que l’on observe en France. 쮿 Références bibliographiques – Addams, Fessler. - Atlas of equine Surgery. Philadelphia : Ed Saunders, 2000. – Ardouin Saint Amand A. - Conduite à tenir pour l’anesthésie de la jument gestante. Nouveau Praticien Vétérinaire équine, 2005, 3, 25-30. – Auer J. - Equine Surgery. Philadelphia : Ed Saunders 1992, 12, 757-760. – Brock K.A., Koterbra A.M., Drummond W.H., Kosch P.C. Anesthesia of the mare. Eq. Clin. Neonatalogy, Ed Lea & Febiger, 1990, 7, 87-105. – Bussy C. - Gestion diagnostique et thérapeutique des coliques génitales et digestives pendant la gestation chez la jument. Nouveau Praticien Vétérinaire équine, 2005, 3, 35-41. – Bussy C. - Geste chirurgical : la correction chirurgicale des torsions utérines chez la jument. 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