ANS le renouveau de la tapisserie contemporaine le nom d`Yves

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ANS le renouveau de la tapisserie contemporaine le nom d`Yves
L'épée d'académicien de
M. Yves Millecamps.
La Treille – 1998
ANS le renouveau de la tapisserie contemporaine le nom d'Yves
Millecamps brille d'un éclat particulier. Aussi, le livre qui vient d'être
consacré à cette partie de son œuvre est-il le bienvenu (1). Ce volume,
richement illustré, révèle l'intégralité de la production du peintre cartonnier,
dans son évolution et son originale beauté. Cet artiste attachant ne néglige ni la peinture,
ni la sculpture, mais à l'origine est la tapisserie.
Adolescent, à l'occasion d'un film documentaire en couleurs (chose rare en cette
époque de dernière guerre), il reçoit la révélation de l'œuvre de Jean Lurçat: c'est un
éblouissement. « Et moi aussi je créerai ce genre de beauté », se dit-il. À sa sortie de
l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, il produit son premier carton,
Fond de mer (1956). L'artiste y scrute le mystère de la profondeur : quête qui, sous
divers aspects, ne cessera de le préoccuper, car désormais son but sera de chercher ce qui
se cache derrière les apparences.
VERS UN STYLE
L'œuvre émerge au milieu d'un intense regain de la tapisserie : Coutaud, Marc SaintSaëns, Lurçat surtout. Cependant, Millecamps se dégage très vite des influences pour se
créer un style qui le distingue nettement parmi tous ses contemporains : quelque chose
qui, unissant étroitement ligne et couleur, donne un irrésistible mouvement à l'œuvre,
qu'elle soit peinture, sculpture ou carton de tapisserie. C'est cette mobilité permanente
des choses, plus que les choses elles-mêmes, qui intéresse l'artiste. Aussi, ne se soumet-il
pas à un naturalisme facile. La
nuit froide des abysses (1959)
est autre chose que la
représentation d'un monde
marin, même onirique; elle
organise cet univers en lignes
horizontales et verticales, tout
comme les mathématiques
organisent la réflexion en
abscisse et ordonnée (voir
Ordonnée, 1965); elle souligne
le mystère des profondeurs par
de subtiles nuances de bleus.
Une évolution est en marche,
dont le point d'aboutissement
se situe autour des années
soixante. Au travers de
tentatives fécondes et variées,
Yves Millecamps - © Gabrielle Andries
le monde minéral et le monde
animal dévêtent leur forme propre pour devenir ligne pure,
d'une simplicité qui rassure, comme on le voit dans 9807,
ou dans Wall Street. Oserai-je dire, sans lui déplaire, qu'il
y a quelque chose de franciscain dans la peinture de
Millecamps, dans sa simplicité et sa sérénité ?
L'ABSTRACTION GÉOMÉTRIQUE
C'est sous ce terme qu'on désigne l'œuvre de
Millecamps. Désignation à la fois très juste et sans doute
un peu restrictive. Ce qui frappe d'abord, c'est la forte
structure du tableau. Les lignes en sont vigoureusement
pensées. Pour parvenir à ce résultat, le peintre n'hésite pas
à remettre son projet cent fois sur le métier, pour ainsi dire.
La grande tapisserie qui orne la faculté des sciences de
Rennes a ainsi fait l'objet d'au moins une douzaine d'études
préparatoires. La visée primordiale est de parvenir à
l'équilibre et 1'harmonie (Dialyse, 1971 ou La Treille,
1998, tapisserie qui orne le chœur de la cathédrale NotreDialyse – 1971.
Dame-de-laTreille à Lille). À propos de cette dernière œuvre, l'artiste lui-même fournit un très beau
commentaire : « Le symbolisme des lignes verticales ascendantes exprime la montée vive de
la prière, et la couleur de l'Esprit (la chaleur de l'amour) dit, en même temps que
l'invitation à sortir de soi, l'attention portée aux hommes et au monde ». On ne cessera de
répéter quel régal pour l'œil et quel réconfort pour la pensée constituent les tons que
Millecamps associe avec une grande sûreté d'intuition : dégradés de bleus divers, jaune
cadmium, coq de roche jouent sur des fonds noirs ou des brèches blanches. La Treille, par
exemple, emploie dix-huit tons de laine, plus le noir et le blanc. Observons que les lignes se
prolongent jusqu'au bord de l'œuvre, comme pour la déborder et suggérer que celle-ci n'est
que le lieu fragmentaire d'un tout qui la prolonge, centre d'un cosmos qu'elle figure en le
cristallisant et en y adhérant étroitement. L'œuvre est représentation d'une unité et d'un ordre
du monde.
MUSIQUE
Le cheminement imposé au spectateur par l'organisation des lignes s'apparente au
cheminement d'un rythme musical. Partita, 1967 renvoie explicitement à Jean-Sébastien
Bach. Les lignes y organisent une
durée, comme le fait la musique,
mais différemment, tandis que les
tons semblent chanter Que ma
joie demeure. Très épris de
musique, Millecamps a toujours
été séduit par les interférences
possibles entre art musical et
pictural. En ce sens, on pourrait
montrer comment l'inspirent,
Partita – 1967.
d'autre part, le motet ou le
contrepoint. Ce qui passionne
l'artiste, ce sont les faisceaux de correspondances. C'est pourquoi, comme il
le dit lui-même, une même veine graphique conduit à des interprétations
différentes selon le matériau utilisé. Peinture, tapisserie, sculpture se
rejoignent dans l'expression d'une pensée commune, d'une profonde
réflexion métaphysique. Yves Millecamps a été élu membre de l'académie
des Beaux-Arts en 2001, au fauteuil de Jean Dewasne; ce n'est peut-être pas
un hasard. Et ce n'est pas un hasard non plus qui fait dire à Gérard Denizeau
que son œuvre est « une fête de la modernité artistique ».
Tapisserie d'Aubusson « Périthèce » d'après le carton
d'Yves Millecamps. Carton achevé le 22 mars 1959, un seul
exemplaire tissé par Pinton.
(1)
Gérard Denizeau, Millecamps, tapisseries 1956-1975. Préface de Serge Lemoine, Somogy Editions d'Art - 2013 - ISBN: 978-2-7572-0428-3
Yves Millecamps participe aux expositions « Les artistes de La Demeure », galerie Chevalier à Paris, 13 septembre - 31 octobre 2013 et « Decorum, tapis et tapisseries
d'artistes », musée d'Art moderne de la ville de Paris, 11 octobre 2013 - 9 février 2014.