Le cinéma africain - Geo
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Le cinéma africain - Geo
Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN LE CINÉMA AFRICAIN Le cinéma africain est à la fois peu prolixe et mal connu [Lequeret, 2003]. - Il est le fait de réalisateurs africains, il implique des acteurs africains, une approche et des thèmes africains (c’est-à-dire liés aux espaces africains du continent mais aussi de la diaspora). Ainsi, Out of Africa (Sidney Pollack, 1985), Black mic-mac (Thomas Gilou, 1986) ou Coup de torchon (Bertrand Tavernier, 1981) ne sont pas des films africains, mais des films américains ou français qui se passent en Afrique. Les problèmes de ce cinéma sont cependant révélateurs de ceux du continent et renvoient en grande partie à la place de l’Afrique dans la mondialisation entre - créativité reconnue sur des marchés spécifiques (dits "ethniques"), mais éventuellement cantonnée à eux, et - dépendance financière et technique. Financement, - ressources humaines (équipes techniques et professionnels), - diffusion à l’échelle du continent et exportation, - concurrence internationale, - reconnaissance internationale acteurs d’une spécificité africaine qui invite à l’enfermement exotique, sont autant de facteurs qui limitent l’épanouissement d’un jeune cinéma qui a du mal, même en Afrique, à trouver sa place au milieu des productions asiatiques ou américaines. Sa - difficulté à trouver un public intérieur susceptible de supporter le développement d’une industrie cinématographique, - sa dépendance par rapport à un public peu solvable sur place, 1 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN - dépendance des aides et d’ une infrastructure de production occidentales, l’instaure en contre-modèle des cinémas asiatiques d’Inde et, secondairement, de Chine. I/ Un cinéma très jeune Le cinéma africain s’est annoncé en 1955 avec Afrique sur Seine, premier long métrage tourné par un Africain, le Sénégalais Paulin Soumanou Vieyra. Une Afrique « sur Seine » parce que les autorités coloniales ont interdit au réalisateur de tourner au Sénégal. C’est à l’époque des indépendances, en effet, que commence à émerger un cinéma proprement africain, né de la revendication d’une reconnaissance culturelle jusque là exprimée uniquement par la littérature. En 1963, Borom Sarret, un film documentaire de 19 minutes, donnait à voir les premières images en noir et blanc d’une Afrique filmée par l’un de ses enfants, le réalisateur sénégalais Sembène Ousmane (décédé en 2007). Les Africains voyaient dans le cinéma un - moyen de communication reconnaissance extérieure et un précieux pour leur - moyen d’expression important pour un développement culturel endogène. Mais ce n’est qu’en 1987, lorsque Yeelen, du réalisateur malien Souleymane Cissé, obtient le prix du jury du Festival de Cannes, que le cinéma africain accède véritablement à la reconnaissance du grand public occidental. Enfin, le cinéma leur apparaît également comme un instrument de formation et de diffusion d’informations particulièrement bien adapté à une population en grande majorité analphabète. Mais le jeune cinéma africain manquait cruellement de personnel formé pour répondre à ces attentes : techniciens, acteurs et réalisateurs ne sont pas des professionnels. 2 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN C’est dans le cadre de la coopération culturelle que les cinéastes africains d’aujourd’hui ont tout d’abord été formés. Dans les années soixante et soixante-dix, ils se sont initiés à l’art cinématographique dans les écoles de cinéma européennes - IDHEC – l’Institut des Hautes Études Cinématographiques, devenu FEMIS, - l’École nationale supérieure des Métiers de l’Image et du Son – et - École du cinéma Louis lumière à Paris, - École du cinéma de Gdansk, - Institut de cinéma VGIK de Moscou. Sembène Ousmane, surnommé l’ « aîné des anciens » (il est né en 1923, décédé en 2007), a exercé comme écrivain avant de partir faire une formation de cinéma à Moscou, comme le malien Souleymane Cisse et le mauritanien Abderrahmane Sissako (Bamako, sélection Cannes 2006). L’influence du réalisme soviétique marque d’ailleurs indubitablement le cinéma africain de cette première époque. D’autres ont été formés exclusivement en occident, à l’instar du malien Cheikh Oumar Sissoko (formé à l’École du cinéma Louis lumière) ou du guinéo-ivoirien Henri Duparc (formé à l’IDHEC). À partir de 1975, date de la création à Ouagadougou de l’Institut Africain d’Études Cinématographiques (INAFEC), ils sont aussi formés dans des écoles africaines. Le Burkinabé Idrissa Ouedraogo appartient à la première génération de cinéastes partiellement formés en Afrique (l’INAFEC, puis écoles du cinéma à Kiev et Moscou, et enfin IDHEC à Paris au début des années quatre-vingt). Toutefois, ces cinéastes professionnels qui disposent - d’un budget limité, - de moyens techniques réduits, - de contraintes environnementales fortes pour le matériel (poussière, chaleur, source d’énergie), doivent largement former leurs collaborateurs (les techniciens comme les acteurs). C’est à la fin des années quatre-vingt qu’émergent quelques acteurs professionnels, parmi lesquels certains acquerront un renom international. 3 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN Évoquons à titre d’exemple, l’acteur de théâtre et de cinéma burkinabé Sotigui Kouyate qui a joué dans - Sia le rêve du Python (2001) et dans - Little Senegal (2000), - mais aussi dans des fictions françaises Coup de Torchon, - Black mic-mac et - Le Maître des Éléphants (1995), etc. et qui est aujourd’hui sociétaire de la Comédie Française. II / Les entraves transculturelles à la réception des films africains À ses débuts, la jeunesse du cinéma africain s’est traduite par des problèmes de construction de scénario qui ont entravé sa réception à l’extérieur comme à l’intérieur du continent, - volonté de trop en dire qui provoque la perte d’une ligne narrative directrice, - éléments touffus, - sous-entendus difficiles à comprendre pour les "non-initiés", - difficulté à maîtriser un langage cinématographique normé par la production occidentale et adapté à ses pratiques et codes sociaux, - ou à produire le sien propre. L’exemple le plus frappant est le maintien de longues et incessantes salutations qui correspondent certes à la réalité des rapports sociaux en Afrique, mais gêne la compréhension de l’intrigue y compris pour le public africain (Zan Boko, de Gaston Kaboré, 1989). Pourtant dès les années 80 des films africains obtiennent une reconnaissance internationale. - Wend kuuni de Gaston Kabore (1983) – qui raconte l’amitié entre un jeune orphelin muet et la fillette de sa famille adoptive, et dénonce la pratique du mariage forcé et du lévirat* –, - Yeelen, film initiatique de Souleymane Cisse (1987) et - Yaaba d’Idrissa Ouedraogo (1988), 4 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN ont une diffusion en salle, en France. Les deux derniers ont été primés au festival de Cannes - Yeelen, Prix du jury en 1987 et - Yaaba, Prix international de la critique au festival de 1989, catégorie hors compétition). Les difficultés de réception, liées à la maîtrise de l’écriture cinématographique, rencontrées par les pionniers constituent aujourd’hui un problème négligeable, tant elles tendent à être dépassées par la maturité d’auteurs formés en occident et en Afrique. Les difficultés sont aujourd’hui très concrètes et beaucoup plus difficiles à surmonter. Le problème le plus immédiat et presque insoluble est celui des langues, qui se pose déjà bien en amont de la diffusion des films. Compte tenu du grand nombre d’ethnies et des variantes internes dans chaque langue, se pose d’abord la question des conditions de tournage. Une fois réalisé, le film n’est directement accessible qu’à ceux qui comprennent la langue dans laquelle il a été tourné et qui sont parfois peu nombreux : - Emitaï de Sembene Ousmane est entièrement tourné en langue diola (Casamance, ne pas confondre avec le dioula, variante du Bambara), parlée par 500 000 personnes en 2000, encore moins nombreux à la sortie du film en 1971. Il doit donc être sous-titré. Mais il n’est alors accessible qu’à ceux qui maîtrisent suffisamment la lecture, - ce qui réduit considérablement son audience dans des pays à fort taux d’analphabétisme et d’illettrisme, et la limite encore fortement dans les pays européens. Certains films (Samba Traore, d’Idrissa Ouedraogo, 1992, par exemple) ont été tournés dans des langues très répandues, voire vernaculaires, comme le dioula, variante élémentaire du Bambara/Mandingue, compréhensible dans une large partie de l’Afrique de l’Ouest. Ils peuvent alors s’adresser à un public plus large : tel est le cas des films des cinéastes maliens ou du guinéo-ivoirien Henri Duparc (Bal Poussière, Moussa le taximan). 5 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN Sia ou le rêve du Python (six distinctions à l’édition 2001 du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou) a fait date, car c’est le premier exemple d'intégration artistique "sousrégionale" utilisant largement l’unité linguistique du monde mandingue. - Le film est inspiré de l'œuvre d'un auteur mauritanien, - les acteurs essentiellement maliens auxquels s’ajoutent quelques acteurs de renom Burkinabé. - Dani Kouyaté, le réalisateur et scénariste, est burkinabé. Pour résoudre ce problème de langue, il y eut aussi des tentatives de doublage : - le film Yaaba, tourné en langue mooré (des Mossi), a ensuite été doublé en français afin paradoxalement d’en assurer une meilleure diffusion dans l’ensemble du Burkina Faso d’abord, de l’Afrique francophone ensuite. Mais un doublage coûte très cher rapporté à un public peu nombreux et l’expérience a prouvé que doubler n’allait pas de soi. Pour Yaaba (Idrissa Ouédraogo) les producteurs ont pris soin de choisir des "doubleurs" africains résidant en France où se trouvent les studios d’enregistrement, mais le public africain a eu du mal à comprendre cet accent trop français, qui lui paraissait grotesque de surcroît dans la bouche des enfants et vieillards d’un village perdu au nord du Burkina Faso. Tirant la leçon de cette expérience, Idrissa Ouedraogo a fait venir à Paris des acteurs résidant en Afrique, à l’accent moins "francisé" et donc plus compréhensible pour le public africain, et ressenti comme moins grotesque, pour doubler son film Tilaï (prix du Jury à Cannes, édition 1990). Compte tenu de leur coût, les doublages ne peuvent être qu’exceptionnels et les deux cas précédents s’expliquent sans doute par les prix que ces films ont reçus à Cannes. De fait, le problème de communication, qui constitue un frein notable à la diffusion, ne trouve pas de solution satisfaisante. Le choix de la langue, pourtant stratégique, est insoluble : il impose que l’on choisisse non seulement 6 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN - entre un public européen (rentable compte tenu du nombre et du coût des entrées) et public africain (que l’on veut atteindre mais peu rentable financièrement), mais aussi au sein même de ce public africain, tant les langues sont nombreuses et leur compréhension difficile (hors sous-titres réservés aux scolarisés avancés maîtrisant la lecture rapide) sorti de l’étroit cercle de l’ethnie concernée. Cependant, le caractère largement polyglotte (en langues africaines) d’une grande partie de la population africaine atténue les problèmes de langue. Se pose ensuite la question du scénario : - une histoire trop attachée à une culture, - qui fait référence à des codes de comportement et à des règles sociales spécifiques, est difficilement compréhensible pour un large public, en dehors de son aire culturelle restreinte. Les auteurs cherchent à créer une histoire qui se passe en Afrique, mais sans connotations culturelles spécifiques, même si elle est tournée dans une langue et une région précises. Tel a été par exemple, le pari d’Idrissa Ouédraogo dans la plupart de ses films : composer des histoires universelles, quelle que soit la langue utilisée et le lieu de tournage choisi. - - Yaaba est avant tout l’histoire de l’amitié qui naît entre deux enfants et une vieille femme rejetée par le village, et non une histoire mossi. Tilaï de même : ainsi, le père se suicide par pendaison, chez les Mossi, ce type de mort est suivi de rites précis, complètement absents dans le film, parce que trop reliés à un mode de pensée n’appartenant qu’aux seuls Mossi. Ceci a d’ailleurs été reproché à Idrissa Ouédrago au Burkina : « manque de rigueur ». Ainsi, les thèmes, initialement - militants – chez Sembène Ousmane par exemple, qui dénonce dans Emitaï le travail forcé et les réquisitions de récoltes pour l’effort de guerre en 1944 – 7 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN - ou exprimant le mal-être d’une société prise entre modernité et tradition – Zan Boko de Gaston Kabore, 1989, décrit la tentative faite par un homme influent de récupérer la parcelle que son voisin, paysan autochtone d’un village "avalé" par la croissance de la capitale, a reçu en compensation de son expulsion, alors qu’autour de ce thème central se greffent la dénonciation des puissants, l’opposition rural / urbain, tradition / modernité – se sont peu à peu ouverts à d’autres sujets et d’autres styles d’écriture cinématographique constitutifs d’autres genres. - Samba Traore d’Idrissa Ouedraogo, que le réalisateur présente comme un "western africain", raconte les rocambolesques aventures d’un délinquant de la ville qui rentre au village profiter des gains d’un hold-up qui a mal tourné et qui le hante, tandis que - Sia ou le rêve du Python, une fresque épique, présente au travers d’un mythe soninké du VIIème siècle, une réflexion sur l'utilisation du mystère par le pouvoir, suivant une écriture qui rappelle la geste des griots. Mais la concurrence est rude avec les films importés qui eux ne semblent pas souffrir des problèmes de transculturalité : les salles populaires ne passent guère que - des films chinois de Hong-Kong (dits "karaté") - ou des comédies musicales indiennes. Les schémas scénaristiques sont simples et malgré une langue peu accessible et des sous-titres en anglais ou en français, le public aime le spectacle des combats asiatiques et les chants des romances indiennes. III/ Une création cinématographique dépendante En Afrique et contrairement à ce qui se passe en Inde ou en Chine, le cinéma n’est pas porté par une véritable industrie cinématographique, il dépend - des infrastructures - et des réseaux extérieurs. 8 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN Or sa dépendance économique vis-à-vis des infrastructures et des bailleurs de fonds occidentaux a une influence non négligeable sur sa production. Le faible écho, tant international que local, conduit à de faibles rentrées financières qui ne permettent pas au cinéma africain de s’autofinancer. Ce cinéma reste donc de fait largement - un cinéma « militant » d’une volonté culturelle, - destiné avant tout à un public africain - mais qui a besoin des fonds d’aide européens et reste bien loin des conceptions économiques qui animent d’autres centres. Or les producteurs européens ont tendance à financer - des scénarios qui correspondent à l’idée qu’ils se font de ce que doit être le cinéma africain, c’est-à-dire un ensemble de produits « ethniques », rencontrant l’opposition des réalisateurs africains qui tentent de briser leur cantonnement dans l’exotisme. À cet égard la polémique qui a accompagné les choix du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou 2003 est révélatrice : le film primé a été Heremakano (En attendant le bonheur), du réalisateur d’origine mauritanienne Abderrahmane Sissako. Le jury a apprécié ce film esthétique en raison de son aspect soigné, mais sans doute aussi parce qu’il correspond à l’image de ce que certains attendent d’un film africain, un film poétique mais n’abordant pas de réalités désagréables. Il a été boudé par le public du festival. En revanche d’aucuns se sont enthousiasmés pour God is African, du Sud-Africain Akin Omotoso, - véritable révélation dérangeante du festival qui utilise « l’art d’un cinéma de guérilla - qui raconte ce continent bizarre tel qu’il est et non comme aiment l’imaginer les bailleurs de fonds internationaux » rapporte un quotidien de Johannesburg. Mais inversement, les bailleurs de fonds européens ont refusé en juin 2004 toute subvention aux cinéastes ivoiriens leur reprochant de montrer une « Afrique climatisée » où l’on fait « abstraction de la misère, de la pauvreté ». 9 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN Les ivoiriens dénoncent cette manifestation d’ « afropessimisme » et rétorquent que le bailleur occidental veut « toujours avoir en face de lui un cinéma africain qui ramène à la case, au clair de lune. […] L’Europe n’a pas encore compris que l’Afrique refuse de se complaire dans sa misère. Elle n’a nulle envie de voir étaler à l’écran ses problèmes quotidiens qu’elle ne renie pas. » (Source : quotidien Le Jour, édition du 26 juin 2004). Ainsi, le cinéma africain reste écartelé entre deux tendances dont l’articulation constituait le thème d’inspiration favori des premiers cinéastes : la tradition et la modernité. L’imaginé par les bailleurs étrangers contre le vécu des populations et cinéastes locaux. IV/ Le FESPACO, vitrine du cinéma africain Le Burkina Faso est en Afrique subsaharienne, le pays du Cinéma. On y trouve un ensemble d’institutions d’envergure internationale qui ont vocation à encadrer la formation, la production et la diffusion du cinéma africain : - la FEPACI (Fédération panafricaine des cinéastes) initialement créée à Carthage (Tunisie) et transplantée en 1970, - l’INAFEC (l’Institut Africain cinématographiques) créé en 1975 et le - FESPACO (Festival Ouagadougou). Panafricain des du Études Cinéma de Le FESPACO est la vitrine du cinéma d’Afrique subsaharienne comme le festival de Carthage (les Journées Cinématographiques de Carthage créées en 1966) est celle du cinéma d’Afrique du Nord. Ces institutions ont été créées sous l’impulsion de Sangoulé Lamizana (second président la Haute Volta – devenue Burkina Faso – un passionné de cinéma). Dès 1970, ce dernier avait montré un intérêt marqué pour le 7eme art en nationalisant les trois salles du pays, puis en soutenant la création du FESPACO. 10 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN Le pays compte aujourd’hui 55 salles réparties entre 45 provinces, il produit un long-métrage par an et consacre une part importante de son budget au 7eme art. Compte tenu - de l’état du marché et - de l’absence d’une industrie cinématographique, seule une volonté politique peut accompagner développement du cinéma africain. le En 1962, la création au Mali de l’OCINAM (l’Office cinématographique national du Mali) relevait d’une même préoccupation étatique. Cette intervention de l’État marque la prégnance du modèle étatique français dans les pays d’Afrique francophone (repérable ici dans la politique culturelle) et concerne, plus largement, l’ensemble de la production artistique. Né en 1979 de la "Semaine du cinéma africain" dont la première édition datait de 1969, le FESPACO rassemble chaque année impaire ce que le monde compte d’amoureux du cinéma africain. Ce festival, très populaire localement et internationalement, décerne des grands prix reconnus dans le milieu cinématographique et convie les directeurs de programme des télévisions internationales, mais il a finalement peu d’écho, tant à l’extérieur que sur le continent, une fois la fête passée. Il propose dorénavant des thèmes pour chaque session : - "Le comédien dans la création et la promotion du film africain" en 2003, - "formation et enjeux de la professionnalisation" pour la session 2005. - "Cinéma africain et diversité culturelle" en 2007 Cette thématisation traduit la volonté politique permanente qui a animé les gouvernements successifs depuis Sangoulé Lamizana, leur implication dans la structuration institutionnelle et la promotion de cet art en Afrique. 11 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN Pourtant, dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, Stallone et Schwarzenegger, Eddie Murphy et Jackie Chan (secondairement Deneuve et Depardieu) monopolisent les écrans, tout au moins dans les pays où il en reste tant le nombre de salles diminue. Le Consortium Africain de Distribution de Films (CIDC), créé en 1979, avait pour objectif de supporter la production africaine en valorisant sa diffusion. Sa disparition, en 1984, a laissé le champ libre - à l’AFRAM (African American Films), - branche de la MPEAA (Motion Picture Export Association of America), - puissante tête de pont des studios américains, qui dans quatorze pays d’Afrique francophone se partage la distribution avec - la CFAZO, une société du groupe Pinault-Printemps-La Redoute. Sortir les films africains du ghetto des festivals et animations passe donc par reprise en main des circuits de distribution des films. V/ Revoir la distribution : la révolution des nouvelles technologies - Mal distribué, sans publicité, sous-titré, souvent mal compris, le cinéma africain reste l’apanage - de quelques festivals locaux (en Afrique ou en Europe) ou - de quelques distributeurs indépendants (MK2 – Marin Karmitz Distribution – et M3M – Médiathèque des 3 mondes distribution –, par exemple) qui tentent de le faire connaître. Il est très difficile de voir les films en salles. De plus, alors que les films du monde entier sont massivement distribués en cassettes VHS et surtout en DVD pour une consommation domestique, rares sont les films africains enregistrés sur ce support. 12 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN En France, seule M3M ose prendre ce risque, et le nombre de films ainsi distribués est restreint. Il est révélateur qu’un film, primé à Cannes, comme Yeelen n’était pas disponible en France en 35 mm et n’existait sur aucun support commercial jusqu’en décembre 2004, date à laquelle Souleymane Cisse a sorti un coffret de 4 films chez un grand distributeur (Pathé), ce qui est tout à fait exceptionnel pour un cinéaste africain. L’entretien des salles de cinéma est un vrai problème, - le matériel est vétuste et - les gestionnaires ont du mal à tenir leur budget. Fragilisées financièrement, dégradées, les salles ont tendance à disparaître sur le continent pour des raisons variées. - Dans Bye Bye Africa (1999) du tchadien Mahamat Saleh Haroun, le héros, de retour au pays après dix ans d’exil retrouve toutes les salles de cinéma fermées ou détruites... - En Côte d’Ivoire, et cela bien avant la guerre de 2002, des salles ferment, reconverties en lieux de prières pour des sectes, pour leur part florissantes. Pour palier les problèmes de distribution, le cinéma africain se tourne aujourd’hui vers les nouvelles technologies de diffusion pour répondre à l’attente de la création comme à celle de son public local. La cinématographie numérique, le support DVD sont autant d’élément vers lesquels se tourner pour faire des films à moindre coût, tout en gardant la maîtrise des scénarii et en facilitant la diffusion jusque dans les campagnes les plus reculées : - un groupe électrogène, - une toile blanche, - un lecteur DVD - des haut-parleurs et - un vidéo-projecteur suffisent. Ce dispositif - ne nécessite pas de technicien spécialement formé - ni d’entretien trop minutieux, - il tient dans une petite valise, ce qui le rend très mobile. Sur ce principe est né au Bénin, en 2001, le "Cinéma Numérique Ambulant" (CNA) qui regroupe des associations françaises et béninoises. Le CNA organise dans les villages des projections associant 13 Aires culturelles : Afrique noire Yveline DÉVÉRIN - un film de sensibilisation, par exemple Moussa le Taximan de Henri Duparc ou Le truc de Konaté de Fanta Nacro suivi d’un long métrage. Le CNA a été opérationnel dès 2002 et en 2004, il avait étendu ses activités au Mali et au Niger. Il avait touché en trois ans près d’un million de spectateurs des zones rurales. Enfin, une aide venue d’Europe est en train de se mettre en place pour soutenir la distribution africaine. Africa Cinémas, un fonds de soutien international au cinéma d’Afrique subsaharienne, a été lancé en mai 2003 à l’occasion du 56eme Festival de Cannes. - Doté de 4 millions d’euros annuels, alimenté par - l’Union Européenne, - le Ministère français des Affaires étrangères et - l’Agence Intergouvernementale pour la Francophonie, mobilisant ces nouveaux moyens, il projette d’aider toute la filière de production d’images, du tournage à la distribution, pour permettre aux réalisateurs africains de reconquérir leur public dans leur propre pays. 14