Lumières secrètes de la Tour Agbar
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Lumières secrètes de la Tour Agbar
Solutions LUMIÈRE Barcelone Derrière les captivantes respirations lumineuses de sa façade, la dernière réalisation de Jean Nouvel accueille des éclairages intérieurs alliant les exigences de l’ergonomie et de la qualité avec les partis pris esthétiques de l’architecte. Lumières secrètes de la Tour Agbar PHOTO DR Siège social de Aguas de Barcelone, la compagnie des eaux catalane qui a donné son nom au bâtiment, la tour accueille dans son noyau central de vastes plateaux répartis sur plusieurs dizaines de milliers de m2. Reprenant les éléments de base de la gamme chromatique utilisée pour la façade, l’ambiance générale 144,44 m de haut, 35 étages, 39 m des bureaux passe progressivede diamètre, 50 000 m2 de superficie totale, 4 400 fenêtres, 41 000 plaques ment d’une tonalité rouge très de tôle, 56 619 lames de verre. affirmée pour les étages inférieurs à des tons bleutés dans les étages les plus élevés. Les éclairages intérieurs, souligne Frédéric Colombo, de la SEAE, ont dû s’adapter en permanence, mais sans faire de concession sur le plan du confort visuel, aux partis pris esthétiques arrêtés pour les bureaux : « La qualité de l’éclairage n’a pas été sacrifiée au profit de la qualité esthétique, mais il a fallu s’adapter en permanence et vérifier que les solutions M M M Intérieur chromatique PHOTO YANN KERSALÉ L’ « OBUS », le « concombre », le « suppositoire »… : le moins que l’on puisse dire c’est que la tour Agbar, inaugurée en septembre dernier en présence du roi d’Espagne, a suscité surprise et curiosité. Surplombant du haut de ses 144 m une grande avenue de Barcelone, la dernière réalisation de l’architecte Jean Nouvel pourrait pourtant bien devenir une ponctuation architecturale et urbaine majeure de la capitale catalane. Cette tour ovoïde en béton revêtue d’une peau en plaques d’aluminium colorées, elle-même recouverte d’une robe légère tissée de quelque 60 000 lames de verre, inscrit en effet la modernité de sa « masse fluide », émergeant de terre, dans la tradition de l’architecture organique d’Antoni Gaudí. Pour elle, Yann Kersalé a créé des pulsations lumineuses qui la font vibrer en couleur. Mais elles ne doivent pas faire oublier la vocation première de cet édifice courbe dont la majeure partie des 32 étages est destinée à accueillir des espaces de bureaux. 32 LUX N° 235 NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2005 Solutions DOC. YANN KERSALÉ M M M LUMIÈRE retenues étaient correctes, ou encore que les luminances demandées étaient bien respectées, entre autres contraintes. » Ainsi, sur une vingtaine d’étages, il a fallu revoir les caissons des encastrés équipés de lampes fluorescentes T5 (4 x 14 W) pour permettre d’y adjoindre un caisson destiné à la reprise d’air et surtout de retravailler le revêtement de finition afin d’obtenir un inox brillant s’intégrant mieux à l’aspect général des faux plafonds. Initialement prévus pour des espaces de travail comportant des écrans de faible qualité (classe III, selon la norme ISO 9241-7), ces luminaires ad hoc ont donc dû passer une série de tests et de réglages pour maintenir la qualité de très basse luminance exigée par les architectes – valeurs de luminance inférieures à 200 cd/m2 sous des angles supérieurs à 55°. Au total, ce sont quelque 700 luminaires, équipés d’un système de gradation (à l’exception des zones de passage, qui sont en plein flux), qui ont été ainsi installés sur une vingtaine d’étages. Pour parfaire l’éclairement des plateaux, ce dispositif a été complété par une série de downlights équipés de lampes fluorescentes compactes (2 x 18 W) et disposés en périphérie des espaces de bureaux. Des luminaires qui ont dû, là encore, changer de peau en passant de la finition en laqué blanc à de l’inox brillant pour se couler dans l’esprit général des bureaux. Les palpitantes variations de Yann Kersalé Si la mise en lumière des espaces de travail s’est évertuée à concilier sans relâche discrétion et ergonomie, via notamment un éclairage uniforme et un bon niveau d’éclairement (aux alentours de 600 lux), il a fallu développer des solutions plus audacieuses dans d’autres parties de la tour pour respecter les options retenues par Jean Nouvel. Pour la cafétéria, par exemple, l’architecte a privilégié le dynamisme d’un éclairage multicolore et au design affirmé qui a nécessité la création de luminaires spéciaux. « Jean Nouvel voulait qu’on ait des encastrés qui diffusent des tonalités différentes et qui permettent en même temps d’apercevoir les tubes fluorescents. On a donc dû concevoir des vasques équipées de films de couleur en méthacrylate satiné qui laissaient apparaître la marque de ces tubes et dissimuler tout ce qui pouvait créer des ombres, comme les systèmes de fixation ou les ballast », raconte Frédéric Colombo. La cinquantaine de luminaires encastrés dans le plafond (équipés de tubes fluorescents T5 4 x 14 W) ou disposés en saillie sur les murs (tubes T5 6 x 14 W) ponctuent ainsi l’espace de plaques de couleurs acidulées et renforcent l’impression de modernité et de convivialité de cette cafétéria. Plus haut, dans la coupole de verre et d’acier qui recouvre la tour Agbar, des espaces agencés de manière plus aléatoire regroupent les bureaux de la direction. L’ambiance « électrique » de la cafétéria cède la place à une atmosphère plus ouatée et l’éclairage se met ici au diapason d’un décor plus cosy, à l’image du bois précieux plaqué sur les murs. Pour ce faire, l’architecte a imaginé un éclairage diffusé à travers des toiles polarisantes tendues aux plafonds. Près d’un millier de réglettes fermées équipées de lampes fluorescentes T5 (dont les puissances varient en fonction des dimensions des toiles tendues) permettent d’éviter les vilaines ombres inévitables avec d’autres types d’appareils et assurent un éclairage d’une grande homogénéité. Ainsi, sans revêtir le côté spectaculaire de la mise en lumière conçue pour la façade, les systèmes retenus pour les éclairages intérieurs ont néanmoins su jongler intelligemment entre fonctionnalité, confort et innovation. Des éclairages qui reflètent la volonté des architectes « d’aller jusqu’au bout des choses et de ne rien laisser au hasard », note avec une satisfaction non dissimulée Frédéric Colombo. Car, malgré ses brillants et palpitants atours, le nouvel emblème de Barcelone n’a pas seulement I Maître d’ouvrage : Layetana pour vocation d’être bien vu de l’extérieur, mais de permettre à ses I Architectes : Atelier Jean Nouvel, Agence b720 Arquitectura différents occupants de bien y voir I Concepteur lumière : Yann Kersalé en toutes circonstances. Les intervenants HENRI CORMIER 34 LUX N° 235 I Matériel : SEAE NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2005 PHOTO YANN KERSALÉ Ambiance électrique et atmosphère ouatée Ils avaient tous les deux Gaudí en tête en songeant à la tour Agbar. Mais, tandis que Jean Nouvel, accompagné de l’architecte espagnol Fermin Vasquez, regardait les fulgurances minérales de la cathédrale Sagrada Familia, Yann Kersalé voyait défiler les nombreux jeux de mosaïques multicolores imaginés par l’architecte catalan. Le "moirage" formé par les quelque 40 000 plaques de tôles ondulées, essentiellement colorées dans des gammes de rouges et de bleus, a servi de support au travail du concepteur lumière. « Je me suis inspiré de la technique utilisée autrefois en gravure, qui consistait à rehausser à la gouache, ou à l’aide d’autres procédés, les épreuves gravées. Ma proposition a donc été de faire onduler la couleur primaire des plaques constituant le bardage de la tour en projetant avec des barrettes de LED trichromiques un éclairage ton sur ton. En jouant ainsi sur la gamme des complémentaires des couleurs de la tôle, on obtient en retour des subtilités très intéressantes. Les bleus vont tirer sur le turquoise d’un côté, sur la violine de l’autre, etc. », souligne Yann Kersalé. Dans la structure de portage des lamelles de verre, 4 500 barrettes de diodes (18 LED d’1 W par barrette), spécialement conçues par un fabricant catalan, ont été installées pour faire vibrer la nouvelle dame barcelonaise sur des scénarios différents. « C’est une respiration extrêmement faible et délicate à partir des variations des couleurs primaires de la tour. C’est récurrent dans mon travail, il faut que ça vive, que ça palpite et il y a donc un jeu de montée en puissance et de redescente perpétuelles. De façon à ce que tout le monde, qu’il soit près ou loin, perçoive les différentes subtilités de métamorphose possibles. Mais ça n’aura jamais une puissance telle qu’on puisse les voir à l’autre bout de la ville. Je ne voulais pas rééditer la tour Eiffel. »