Ces tueurs qui nous fascinent

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Ces tueurs qui nous fascinent
Ces tueurs qui nous fascinent
Le procès récent du tueur Luka Magnotta, dit « Le dépeceur de
Montréal », a remis en lumière la fascination qu’engendrent
les tueurs fous et la façon dont celle-ci est décuplée par les
nouveaux medias : la vidéo du meurtre est vite devenue virale
et il existe plusieurs pages Facebook à sa gloire. L’opinion
publique a toujours eu une passion particulière pour les
tueurs fous, ceux qui tuent en série ou sans mobile logique.
Hollywood l’a d’ailleurs bien compris et ces meurtriers sont
devenus des motifs récurents de la pop-culture ( Hannibal,
Dexter, Le Zodiac, Le Silence des Agneaux…). Le taulard de
base, le meurtrier à la petite semaine, l’escroc, le braqueur
de banque n’ont jamais pu recevoir autant de lumière que nos
chers psychopathes.
Alors pourquoi les aimons-nous autant qu’ils nous horrifient ?
Peut-être parce qu’ils nous donnent un aperçu de la folie dans
une forme très pure. On est au cœur de l’inexplicable et de
l’insondable. Nous sommes placés face à un abysse, nous
voulons ouvrir le placard de Barbe-Bleue et savoir ce qui se
cache dans l’esprit de quelqu’un qui s’est affranchi à ce
point de la morale et de la compassion. Nous voulons voir de
la folie dans ce qu’elle peut avoir de plus animale : celle de
ceux qui cèdent à une pulsion meurtrière, qui redeviennent des
prédateurs. Nous voulons voir de la folie dans ce qu’elle peut
avoir de plus abjecte : celle de ceux qui s’affranchissent
d’un des principaux commandements ; « Tu ne tueras point ». Le
rejet du meurtre « gratuit » est une des règles les mieux
partagées entre les différentes sociétés humaines dans la
mesure où il bafoue un des paramètres essentiels de la vie en
communauté qui est la compassion pour son prochain. On
s’intéresse à une forme de folie qui semble exclure le genre
humain pour basculer dans celui du monstre.
Mais dans ce cas, pourquoi ces tueurs exercent une attraction
et une passion plus grande que celle des autres malades
mentaux ? Pourquoi la folie ne semble jamais autant populaire
que quand elle s’accompagne de la violence ritualisée ? Cet
engouement pour le spectacle de la violence ne date pas de
notre société des médias. Dès l’Antiquité, on se pressait pour
voir des tragédies qui représentaient la folie meurtrière de
certains personnages mythologiques. La Poétique d’Aristote
explique ce succès par le besoin cathartique de se purger de
ses propres émotions négatives par le spectacle de la terreur
infligée aux victimes (et aux spectateurs). De nos jours, la
médiatisation autour de ces tueurs effectue le même travail.
Mais il faut aussi considérer le fait que le tueur fou arrive
souvent à amener une part de glamour et de romantisme dans sa
pathologie. Beaucoup d’entre eux exercent une forme de
charisme (pensons ici à Landru ou à Charles Manson),
s’expriment de façon cohérente et sont parfaitement intégrés à
la société avant leur arrestation. Il est tout de suite plus
facile de s’identifier et d’idéaliser ce type de personnage.
L’intelligence parfois très poussée des tueurs dans la façon
d’accomplir leurs crimes peut aussi susciter l’admiration.
Saison après saison, nous nous sommes passionnés pour les
stratagèmes méticuleux de Dexter qui n’oublie jamais ses sacs
plastiques et ses gants de chirurgien quand il accomplit ses
massacres et déploie des trésors d’imagination pour maintenir
ses deux identités. Qui n’a pas également ressenti un peu
d’admiration pour les capacités intellectuelles d’Hannibal qui
tombe toujours juste dans ses analyses psychiatriques et
cuisine sa viande humaine comme un grand chef ?
L’excellent Michael C. Hall dans le rôle de Dexter
On peut distinguer le mirage d’une vie qui aurait pu être
normale et construite mais qui se serait laissée absorber dans
un abyme de noirceur. Dans l’incroyable roman de Jean Giono,
Un roi sans divertissement, les meurtres d’un serial-killer
sont expliqués par la fameuse citation des Pensées de Pascal :
« Un roi sans divertissement est un homme plein de misères » ;
l’excitation des meurtres serait un moyen pour des esprits
supérieures d’échapper au fameux « ennui existentiel ». Est-ce
que l’on s’attacherait autant à eux car ils ont réussi à
s’affranchir de la banalité de l’existence grâce à leur
propres rites ? Ou parce qu’ils nous aident à nous détourner
de notre propre ennui ?
L’aspect romantique du tueur fou couplé à la fascination
morbide peuvent pousser certains à aller très loin dans leurs
passion pour ces criminels . Le cas de « Girl A » aussi
appelle « Nevada-Tan » ( à cause du sweat-shirt « Nevada »
qu’elle porte sur l’unique photo d’elle en circulation) en est
un exemple assez probant. Cette affaire remonte à 2004, ou une
jeune fille de 12 ans avait massacré une de ses camarades a
coup de couteaux au sein même de leur école de Sasebo au
Japon. A côté de l’énorme choc évidemment produit dans
l’opinion publique s’est développée une forme de starification
autour de la jeune tueuse : son image est devenue un « meme »
récurent sur internet, des ados lui dessinent des fan-arts ou
se prennent en photo avec leurs plus beaux cosplay de « Nevada
Tan ». L’université du Nevada a d’ailleurs connu une hausse
significative des ventes de ses sweat-shirts après l’affaire.
Exemple d’un Nevada
knowyourmeme.com
Tan
Cosplay,
sur
le
site
La folie du tueur peut nourrir d’ailleurs une autre forme de
folie, un peu plus douce : la passion obsessionnelle que
nourrissent les « fans » de tueurs en série. En effet,
beaucoup de tueurs comme Magnotta mais également Charles
Manson ou Ted Bundy racontent recevoir des centaines de
lettres d’amour. Un amour dévorant (lui aussi pathologique)
pour ces femmes qui oublient l’horreur vécue par les victimes
et leurs familles. Ces fans – quasi exclusivement féminines –
se pâment devant la « beauté » de ces tueurs, affichent leurs
photos sur leurs blogs et se réunissent sur des pages
Facebook, comme le ferait n’importe quel fan des One Direction
ou de Justin Bieber. Beaucoup de psychologues essaient
d’expliquer ce type de comportement par une envie de célébrité
et la facilité d’avoir un petit ami plus accessible qu’une
star et qui ne bougera pas de la prison. Mais il y a sans
doute aussi une grande part de fascination pour cette folie
dans un bel emballage, et la volonté de se valoriser en étant
« la seule à vouloir comprendre » celui qui s’est détaché de
son humanité, et à gagner l’affection de celui qui a poursuivi
une envie purement égoïste.
Nous sommes tous fascinés par la violence et la folie, c’est
un trait humain et quand bien même certains le voudraient,
nous ne pouvons pas y changer grand chose. Mais il nous
appartient de nous demander pourquoi des adolescents et des
jeunes femmes connaissent un tel vide au point de s’attacher à
ceux que tout le monde considère comme des monstres. Peut-on
guérir celles que Pascal et Giono appelleraient des « reines
sans divertissements » ?
Salvade Castera