Le juge et le licenciement économique
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Le juge et le licenciement économique
par Laurent Beljean Associé, Fromont Briens associés échanges j u i l l e t-ao u t 2 01 2 28 DROIT ET FISCALITé À l’occasion d’un licenciement économique, il n’est pas rare que le juge judiciaire intervienne. Quel est son rôle ou devrait-il devenir ? Éléments de réponse avec Laurent Beljean. Le juge et le licenciement économique Au moment où la reconstruction de l’industrie en France a été qualifiée de « grande cause nationale par le Ministère du redressement productif », l’arrêt Viveo France du 3 mai 20121 permet de rappeler l’étendue du contrôle opéré par le juge s’agissant de la légitimité d’un licenciement collectif pour motif économique. Le rôle attribué du juge Un licenciement collectif pour motif économique, a fortiori dans une entreprise de plus de 50 salariés, fait toujours l’objet d’un examen minutieux par plusieurs acteurs extérieurs à l’entreprise. Tout d’abord, les articles L1233-46 et suivants du Code du travail attribuent à l’administration du travail la tâche de vérifier que la procédure prévue par la loi a bien été respectée par l’entreprise, et notamment que les instances représentatives du personnel ont été informées et consultées tant sur le projet de réorganisation, que sur les conséquences sociales du projet exposé, s’il est en définitive suivi par l’entreprise. Dans ce cadre, si l’administration du travail n’a pas à se pencher sur la légitimité du motif économique justifiant le projet de réorganisation, celle-ci doit néanmoins s’assurer que les conséquences sociales de la réorganisation projetée sont appréhendées avec suffisamment de loyauté par l’employeur. Cela suppose la réunion d’un ensemble de moyens humains, matériels et finan- ciers dont l’importance sera appréciée au regard des capacités financières de l’entreprise ou du groupe à laquelle elle appartient le cas échéant. Au-delà de ce contrôle administratif, le législateur a également entendu conférer au juge judiciaire un certain nombre de prérogatives destinées à apprécier également la conformité de la procédure suivie et la légitimité du motif économique invoqué par l’employeur ayant fondé les licenciements notifiés. C’est ainsi que le juge est habilité à apprécier la pertinence et le sérieux du motif économique invoqué. C’est-à-dire qu’il lui appartient de s’assurer que l’entreprise connaît effectivement des difficultés économiques ou doit initier une réorganisation afin de sauvegarder sa compétitivité. Le motif économique vérifié, il lui appartient également de s’assurer que l’employeur a rempli son obligation de tenter de reclasser les salariés impactés par la mise en œuvre du projet. La Cour de cassation a d’ailleurs admis que les conséquences pécuniaires pour un défaut de reclassement conforme devaient équivaloir à celles attribuées en cas d’absence de motif économique réel et sérieux. Pour autant, certaines défaillances de l’employeur justifient une sanction plus importante que la simple attribution de dommages et intérêts au salarié. Ainsi, l’article L1235-10 du Code du travail permet l’annulation de la procédure suivie lorsqu’il est constaté l’absence ou l’insuffisance du plan de reclassement inséré dans le plan de sauvegarde de l’emploi présenté aux représentants du personnel. On l’aura compris, le rôle attribué par la loi aux juges les cantonne dans une appréciation des conséquences sociales du projet de réorganisation, à l’exclusion de toute appréciation de la pertinence du projet de restructuration envisagé par l’entreprise. La Cour de cassation ne cesse d’ailleurs de rappeler que les juges ne doivent effectuer aucun contrôle sur la pertinence ou le choix de la réorganisation opérée entre les différentes solutions possibles, à peine de se voir reprocher une immixtion dans la gestion de l’entreprise décidée par l’employeur2. Cependant, cet état jurisprudentiel a pu créer une frustration dans l’esprit d’une certaine doctrine, qui voudrait développer les compétences et les attributions du juge. Cette doctrine a d’ailleurs pu trouver un écho favorable auprès de certains magistrats. Il appartient au juge de s’assurer que l’employeur remplit ses obligations DROIT ET FISCALITé | Expertises 29 L’arrêt viveo pose le problème de l’immixtion du juge dans l’entreprise donner lieu à une validation de principe comme l’arrêt du 12 mai 2011 a pu l’induire. En réalité, si la thèse développée par la cour d’appel de Paris6 devait trouver un écho, la seule caisse de résonance acceptable serait le Parlement. Avant que cette question ne soit portée par le législateur, certaines juridictions pourraient malgré tout suivre les traces de la cour d’appel de Paris. C’est notamment le cas du tribunal de grande instance de Créteil qui a suivi une voie similaire dans une décision du 22 mai 2012 (comité d’entreprise de l’UES Leader Price contre société Leader Price)7. Il ne fait nul doute que l’affaire Viveo, de par sa médiatisation et son dénouement, devrait encore faire quelques vagues auprès des magistrats. Reste à savoir si ces remous iront jusqu’aux bancs de l’Assemblée nationale fraîchement renouvelée. n 1. Cass. Soc. 3 mai 2012, n°11-20.741. 2. Cass.ass plen 8 décembre 2000, n°97-44.219. 3. CA Paris 12mai 2011, RJS 11/11 n° 864. 4. Lettre de l’union syndicale solidaires à l’avocat général de la Cour de cassation du 3 avril 2012 5. Jean Pélissier, « défaut de cause économique et absence de nullité », RJS 6/12 pages 427 et suivantes. 6. Suivie par la Cour d’appel de Reims, 3 janvier 2012 RJS 3/12 n°236. 7. Romain Chiss, « affaire Leader Price : premier acte de résistance à l’affaire Vivéo », JCP social n°23 5 juin 2012 pages 1 et suivantes. échanges La société Viveo France avait initié une procédure de licenciement collectif pour motif économique. Les représentants du personnel, peu convaincus par la justification économique des licenciements, ont demandé à la juridiction judiciaire d’annuler la procédure de licenciements développée, au motif qu’aucune cause économique ne justifiait son engagement. La cour d’appel de Paris dans un arrêt du 12 mai 20113, a accepté cette demande, considérant que les faits et les justifications économiques qui lui avaient été apportés au soutien de la procédure n’existaient pas. Plus prosaïquement, la cour d’appel de Paris a considéré que, dans la mesure où le motif économique avancé par l’entreprise n’avait aucune consistance, la procédure initiée n’avait aucune cause, justifiant la nullité de l’ensemble du processus. Cette décision a donné lieu à un nombre abondant de commentaires, dont la teneur a pu parfois quitter le champ de la seule technique pour rejoindre celui du plaidoyer4. Il faut cependant indiquer que cet arrêt doit être critiqué puisque contraire aux principes en vigueur en droit du travail. En effet, la législation du travail n’envisage la nullité d’une procédure ou d’un licenciement que dans deux hypothèses très particulières : - Lorsque la nullité est expressément prévue par un texte de loi, comme la sanction à l’outre passement d’une obligation légale ; - lorsque l’entreprise a violé une liberté fondamentale des salariés. Dans son arrêt Viveo France, la Cour de cassation le 3 mais 2 012 a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris, rappelant dans un attendu général les principes exposés plus avant. Pour autant, il ne peut être ignoré que cette affaire pose à nouveau le problème de l’immixtion du juge dans la gestion de l’entreprise, non pas sous l’angle de la légitimité ou de la pertinence de la réorganisation à intervenir, mais sur l’appréciation du motif économique lui-même. Autrement dit, le contrôle serait opéré à deux niveaux distincts : - Le premier niveau consisterait à déterminer s‘il existe un motif économique inexact. Dès lors, une entreprise qui ferait des profits ou ne serait pas dans une situation de faiblesse concurrentielle avérée, risquerait la nullité des licenciements notifiés ; - à supposer que le motif économique soit exact, sa réalité et son sérieux seraient alors appréciés, une carence à ce stade ne conduisant qu’à l’octroi de dommages et intérêts au profit des salariés victimes de la réorganisation. Il n’est pas certain qu’une telle démarche soit à développer. En effet, adhérer à cette mécanique de réflexion particulière conduirait sans doute à laisser trop de pouvoir au juge sans que la Cour de cassation puisse opérer un contrôle sur la réalité de la cause économique, laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. Surtout, comme a pu le relever un auteur, la démarche de la cour d’appel de Paris aboutirait à permettre au juge d’interdire purement et simplement des licenciements pour motif économique s’il venait à estimer que celui-ci fait défaut. Or, le législateur n’a jamais entendu subordonner la possibilité de procéder à des licenciements à une autorisation préalable de l’autorité judiciaire5. Donner du crédit à cette thèse reviendrait à revenir sur le droit reconnu à chaque cocontractant à la relation contractuelle de rompre le contrat de travail. En l’état actuel du droit, sauf situations très particulières encadrées par la législation, le droit de rompre les contrats de travail peut se traduire par l’octroi de dommages et intérêts s’il n’a pas été utilisé légitimement, mais ne saurait j u i l l e t-ao u t 2 01 2 L’arrêt Viveo, symptomatique de certaines volontés