Le devoir de conseil en matière de garanties

Transcription

Le devoir de conseil en matière de garanties
1
UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN
FACULTE DE DROIT, DE SCIENCES POLITIQUES ET DE GESTION
DEA DE DROIT DES AFFAIRES
Agnès DUPONT
LE DEVOIR DE CONSEIL EN MATIERE
DE GARANTIES
Sous la direction de Monsieur le professeur Nicolas
RONTCHEVSKY
-2002-
2
PRINCIPALES ABREVIATIONS
Art.
BRDA
Bull civ.
Bull Joly
CA
Civ.
Com.
D
Defrénois
GP
Infra
IR
JCP
JCP E
JCP N
JO
LPA
Obs
Op.cit.
p.
pan.
PUAM
RDBB
RJC
RJDA
RTD civ.
RTD com.
S
Som.
Supra
article
Bulletin rapide de droit des affaires
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles
Bulletin mensuel Joly
arrêt d’une Cour d’appel
arrêt d’une chambre civile de la Cour de cassation
arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation
Recueil Dalloz
Répertoire général du notariat Defrénois
Gazette du palais
ci-dessous
informations rapides
Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition générale
Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition entreprise
Jurisclasseur périodique (semaine juridique), édition notariale
Journal officiel de la République française (lois et règlements)
Petites affiches
observations
opere citato (ouvrage cité)
page
panorama d’actualité (rubrique du JCP) et de jurisprudence (GP)
Presses universitaires d’Aix-Marseille
Revue de droit bancaire et de la bourse
Revue de jurisprudence commerciale
Revue de jurisprudence de droit des affaires
Revue trimestrielle de droit civil
Revue trimestrielle de droit commercial
Recueil Sirey
Sommaires commentés (rubrique du Recueil Dalloz)
ci-dessus
3
SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE
LA FINALITE DU DEVOIR DE CONSEIL : LE CHOIX D’UNE GARANTIE
ADAPTEE
TITRE I
L’EXISTENCE D’UN DEVOIR DE CONSEIL EN MATIERE DE GARANTIES
CHAPITRE 1- L’opportunité apparente du conseil
CHAPITRE 2- Le problème du conflit de devoirs
TITRE II
UN DEVOIR D’INTENSITE VARIABLE MARQUE PAR LES CONFLITS D’INTERETS
CHAPITRE 1- L’influence de la nature de l’intervention
CHAPITRE 2- L’influence de la nature de la garantie
DEUXIEME PARTIE
CONSEQUENCE PRATIQUE : L’ATTEINTE A LA LOI DU CONTRAT DE GARANTIE
TITRE I
LES LIMITES A LA PERTINENCE DU CONSEIL DANS LE CHOIX D’UNE GARANTIE
EFFICACE
CHAPITRE 1- Un devoir dont la portée devrait être limitée
CHAPITRE 2- Le caractère inapproprié du conseil
TITRE II
UN DEVOIR SANCTIONNE UTILEMENT
CHAPITRE 1- Le développement de la responsabilité professionnelle
CHAPITRE 2- L’intérêt pratique de la responsabilité pour les clients
4
INTRODUCTION
1. De l’obligation de se renseigner à l’obligation de renseigner.—Dans le discours
préliminaire sur le projet de code civil, Portalis affirmait qu’ « un homme qui traite avec un
autre homme doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations
convenables et ne pas négliger ce qui est utile… » . Les juges français, s’inspirant de la
doctrine anglaise, ne devraient-ils pas redécouvrir cette philosophie du contrat qui fait de
chaque partie le défenseur de ses intérêts ?
Il y a une quarantaine d’années, il appartenait encore à chaque contractant de se renseigner
lui-même sur la portée de ses engagements ; aujourd’hui, les tribunaux procèdent à un
véritable « forçage du contrat »1 en y ajoutant des obligations auxquelles les parties
n’avaient pas songé. Depuis une époque récente, l’obligation d’information –mise en avant
dès 1945 dans une importante étude de doctrine2- et le devoir de conseil font partie des
obligations accessoires révélées par la jurisprudence.
L’avènement du consumérisme et la recherche d’une justice contractuelle par les tribunaux
sont à l’origine du développement de ces devoirs contractuels.
Au début de ce siècle, la Cour de cassation affirmait que « le contractant qui s’est trompé
parce qu’il a été trop crédule ou négligent dans ses vérifications ne doit s’en prendre qu’à luimême »3 ; de cette perspective individualiste, la jurisprudence est passée à une perspective
moraliste afin de se conformer à l’évolution pratique des contrats. Le temps de formation du
contrat s’est réduit, excluant la possibilité de recherches poussées, et la technicité de l’objet
de certains contrats n’est abordable que pour une seule des parties : il y a donc un risque de
domination au sein de la relation contractuelle.
2. Distinction nécessaire obligation d’information/devoir de conseil.—Conscients de
cet état de fait, le juge, et plus récemment le législateur4, ont mis l’accent sur l’information
en imposant à tous les contractants une obligation d’informer leurs partenaires pour les
éclairer sur le contrat qu’ils s’apprêtent à conclure.
Le développement de l’obligation d’information trouve sa raison d’être dans des
considérations morales : elle est due au titre du devoir de loyauté ou de bonne foi dans la
conclusion et dans l’exécution du contrat5. Il s’agit donc d’une obligation diffuse qui
permet de pallier le fait que le code civil ne protégeait le consentement que de manière
curative par le biais des vices du consentement (erreur, dol). Elle consiste à imposer à celui
qui dispose de l’information de collaborer et de coopérer en la transmettant à celui qui
l’ignore ; les informations fournies au cocontractant doivent lui être utiles mais restent
objectives : l’obligation ne porte que sur une information brute.
L’obligation d’information, que l’on nomme aussi de renseignement, ne doit pas être
confondue avec le devoir de conseil bien que la doctrine et les tribunaux emploient
fréquemment ces deux expressions comme synonymes : le conseil est en effet une charge
juridique plus forte qui oblige à orienter le choix et les décisions du bénéficiaire et à
l’inciter à adopter la solution qui paraît la meilleure au vu de ses intérêts. Néanmoins, ce
1
Ph. Malaurie et L.Aynès, Droit civil ,les obligations , CUJAS, 9è édition, 1998/1999, n°632
M. de Juglart, L’obligation de renseignements dans les contrats , RTD civ. 1945 p. 1
3
requête 7 janvier 1901, D 1901, 1 , 128
4
art. L 111-1 et s. code de la consommation notamment qui consacre l’obligation d’information du vendeur ou du
prestataire professionnel vis-à-vis du consommateur.
5
art.1134 al3 code civil qui ne vise explicitement la bonne foi que dans l’exécution du contrat.
2
5
devoir de conseil semble présenter plusieurs « degrés » quant à son contenu ; pour reprendre
la distinction de Messieurs Le Tourneau et Leroy6, il existe une obligation de conseil lato
sensu et une obligation de conseil stricto sensu. Le devoir de mise en garde, par exemple,
procède du devoir de conseil même si il n’aboutit pas à proposer de façon explicite une
solution adaptée aux besoins exprimés par le cocontractant : par la mise en garde, l’on
prévient des risques de la mesure envisagée par rapport à la situation du cocontractant, c’est
donc une information personnalisée propre à chaque cocontractant , et pas neutre, qui tend à
favoriser l’adoption d’une solution plutôt qu’une autre dès lors qu’elle présente moins de
risques.
C’est la jurisprudence qui a mis à la charge de certains contractants un devoir de conseil.
Puisque l’article 5 du code civil prohibe les arrêts de règlement et limite le rôle créateur de
droit des juges à l’interprétation, il a bien fallu fonder le devoir de conseil sur un texte de loi :
le plus souvent, les tribunaux rattachent ce devoir aux obligations que l’équité ajoute
aux contrats (art. 1135 code civil) ce qui signifie que le devoir de conseil a un caractère
contractuel. Cependant, les juges considèrent que le devoir de conseil du notaire ne naît
pas du contrat qui le lie à son client mais fait partie de ses obligations professionnelles au
même titre que l’authentification -ce qui était déjà avancé par le conseiller Réal-, parce qu’il
résulte de la loi organique du 25 ventôse an XI et des textes ultérieurs régissant le notariat7.
D’ailleurs , déjà en 1841, la Cour de Rouen jugeait que « les notaires sont les conseils que la
loi elle-même a donnés aux parties qui sont obligées de se confier à eux. »8. Plus d’un siècle
après cet arrêt, la Cour de cassation soulignait que « les notaires n’ont pas seulement pour
mission de donner un caractère d’authenticité aux actes qu’ils rédigent ; dans son esprit et
dans ses motifs mêmes, la loi qui les institue a entendu leur conférer un rôle plus digne et
plus élevé, elle les considère comme les conseils désintéressés des parties »9, ce qui signifie
que le devoir de conseil du notaire a une nature quasi-légale.
3. Multitude des débiteurs du conseil.—Ces deux exemples traduisent « les besoins
du corps social contemporain »10 de loyauté et d’équité dans les relations contractuelles,
d’autant que ces obligations pèsent toujours sur des professionnels : l’avènement, en
jurisprudence puis en doctrine, de l’obligation d’information et du devoir de conseil au
bénéfice du client participe du mouvement consumériste, véritable lame de fond de notre
droit, pour parfois même dépasser le cadre des relations de consommation.
Le devoir de conseil revêt ainsi plus le caractère d’une règle professionnelle que d’une
obligation contractuelle « implicite », caractère qui, nous venons de le voir, ne fait plus aucun
doute pour la profession notariale depuis bien longtemps11. La tendance est donc de conférer
au conseil une nature statutaire : il s’imposerait alors à l’ensemble des professionnels comme
un devoir permanent et non rattaché à tel ou tel contrat.
En effet, s’il est vrai qu’ « il y a encore place pour la diversité , tenant à l’importance, à
l’intensité, à la qualité du conseil »12, la jurisprudence a en revanche reconnu l’existence du
devoir de conseil (au sens large) dans la plupart des professions : architecte13,
médecin14,fournisseur de matériel informatique15, garagiste16 par exemple. Le devoir de
6
Ph. Le Tourneau et M.Leroy, juris-classeur civil, art. 1136 à 1145 : fasc. 40
voir notamment le décret n°71-941 du 26 septembre 1971 et l’ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945
8
Rouen 21 janvier 1841, Sirey 1841, 2, 253
9
civ. 3 août 1958 , S 1959, 1, 350
10
Ph. Malaurie et L.Aynès, op . cit. , n°632
11
Cf arrêt de la Cour de cassation de 1858 ,op . cit. note 6
12
Ph. Le Tourneau et M.Leroy, op. cit., n°4
13
civ.3è 3 février 1999 , bull. civ. III n°27
14
civ.1 29 mai 1984, 3 arrêts, bull. civ. I n°177, 178, 179
15
CA Paris 4 janvier 1980 , JCP 1982 II 19734, note Goutal
7
6
conseil touche des professions très diverses et son contenu est périlleux à systématiser car il
est fonction de l’objet du contrat envisagé.
4. Contours de l’étude.—Dans la mesure où notre étude ne portera que sur le devoir
de conseil « en matière de garanties », les professions que nous aborderons seront
délimitées par le rôle des garanties.
En effet, les garanties sont des mécanismes qui permettent aux créanciers de se protéger
contre les risques d’insolvabilité du débiteur et d’immobilisation de la créance. Comme le
précise M. Legeais17, « les principales garanties sont les sûretés mais d’autres procédés
tendent aux mêmes fins », à savoir suppléer à l’exécution régulière d’une obligation ou en
prévenir l’inexécution. C’est pourquoi l’on peut affirmer qu’il y a eu une évolution « du droit
des sûretés au droit des garanties ».
Les garanties interviennent donc dans le même type d’opérations que les sûretés, c’est-à-dire
les opérations à risques pour la situation financière des parties, et avant tout lors de la
fourniture de crédits : elles sont ainsi considérées en tant qu’ « auxiliaires essentielles du
crédit »18 mais elles sont également nécessaires au vendeur d’un bien de valeur, notamment
d’un bien immobilier.
5. Opportunité du conseil dans la matière des garanties.—Le vendeur et le prêteur
s’exposent à des risques importants que le droit de gage général sur les biens du débiteur
octroyé par l’art 2092 du code civil ne couvre pas.
L’utilité des garanties à leur égard est indiscutable. Encore faut-il que les créanciers
choisissent la garantie qui préservera leurs intérêts et leur permettra de l’emporter sur les
autres créanciers susceptibles de venir en concurrence avec eux. Or, le nombre des garanties catégorie ouverte par opposition à la catégorie des sûretés- ne cesse de s’accroître :
l’inflation des garanties provient certainement de l’essor du crédit qui est le moteur de la
vie économique. Non seulement les entreprises ont recours au crédit pour leur
fonctionnement et leur croissance, mais les ménages aussi pour s’équiper : le développement
constant du crédit multiplie le nombre et l’importance des risques qui pèsent sur les
créanciers. C’est la raison pour laquelle ils font sans cesse appel à de nouveaux mécanismes
de garanties en espérant qu’ils les protégeront mieux, comme notamment le mécanisme de
l’assurance de groupe.
Il devient alors de plus en plus difficile de connaître les avantages et les inconvénients de
chaque garantie : le créancier ne trouvera pas forcément celle qui conviendra à sa situation
puisqu’une garantie « n’est pas satisfaisante par le seul fait qu’elle est simple et peu coûteuse
à constituer »19.
Le conseil d’un professionnel du droit des garanties serait sûrement le bienvenu dans cette
hypothèse. Quant au débiteur, il ne sera jamais satisfait par le choix de telle ou telle garantie,
pour lui, « toute garantie est une contrainte »20. Un conseil en la matière lui permettrait
cependant de n’accorder que des garanties supportables qui ne le priveraient pas des biens
nécessaires à sa vie professionnelle ou privée.
Malheureusement, la fréquente complexité de ces mécanismes empêche certains débiteurs et
certains garants de prendre toute la mesure de leur engagement lorsqu’ils fournissent une
16
com. 26 février 1981, bull. civ. IV n°109
D. Legeais, Sûretés et garanties du Crédit , LGDJ, 2è édition, 1999 , n°1
18
Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil : les sûretés, la publicité foncière, précis Dalloz , 3è édition, 2000,
n°3
19
D. Legeais, op. cit. , n°5
20
D. Legeais, op. cit. , n°5
17
7
garantie au créancier. Les garants se posent d’autant moins de questions sur la portée de
leur engagement que la mise en jeu de la garantie paraît lointaine et très aléatoire.
Le conseil apparaît nécessaire pour faire porter le choix sur une garantie idoine , en rapport
avec le risque encouru et l’opération envisagée.
Si l’on admet que le principe d’un devoir de conseil en matière de garanties est justifié, il faut
ensuite se demander sur qui pèsera cette obligation. Conformément à l’évolution
jurisprudentielle, il semblerait naturel que le conseil soit délivré par les professionnels
intervenant dans les opérations dont l’exécution est garantie, c’est-à-dire par les
professionnels intervenant dans les opérations à risques.
Plus précisément , les débiteurs de ce devoir de conseil seraient donc principalement le
notaire, dans l’hypothèse d’une vente immobilière ou d’un prêt hypothécaire et le banquier,
dans l’hypothèse d’un octroi de crédit moyennant la perception d’un intérêt ou d’une
commission, puisque selon la loi du 24 janvier 1984, les opérations de crédit à titre onéreux
font partie du monopole des établissements de crédit21.
En effet, le notaire est souvent sollicité pour instrumenter les opérations présentant des
risques, d’une part parce qu’il a un monopole concernant la réception de certains de ces
actes, le code civil et des lois ultérieures imposant la forme notariée par exemple à la
constitution d’hypothèque22 ou à la vente d’immeuble à construire23. D’autre part, parce que
si l’acte est risqué, les parties feront appel au notaire en sa qualité d’officier public24 afin
qu’il confère au contrat l’authenticité, caractère attaché aux actes de l’autorité publique, et
qu’il lui donne date certaine.
En cas de prêt hypothécaire, il pourrait d’ailleurs y avoir cumul entre le conseil de
l’établissement de crédit et le conseil du notaire. Bien sûr, d’autres professionnels du droit
peuvent avoir à connaître d’une opération à haut risque car le notaire n’est pas le seul
rédacteur d’actes : par exemple, il appartiendrait alors à l’avocat rédacteur d’actes de
conseiller les contractants sur les garanties utiles à la préservation de leurs intérêts.
Néanmoins, son intervention sera moins fréquente, n’étant pas un officier public.
6. Légitimité du devoir de conseil ?—La volonté de mettre à la charge des
professionnels un devoir de conseil vis-à-vis de leurs clients en matière de garanties traduit
l’influence de l’évolution contemporaine du droit des contrats et , en conséquence, du droit
de la consommation sur le droit des garanties.
D’ailleurs, la doctrine admet que ce n’est pas tant l’existence que le contenu et la preuve du
devoir de conseil qui posent problème à l’heure actuelle. Cependant, avant de reconnaître
l’existence du devoir de conseil, il est bon de s’interroger sur sa légitimité : si l’exigence de
transparence qui fonde l’obligation d’information se justifie par l’évolution des relations
d’affaires et le fait que les contrats ont des objets toujours plus complexes et techniques, le
devoir de conseil va bien au-delà de la simple information .
L’obligation d’information a pour but d’équilibrer les rapports contractuels en
permettant à la partie non professionnelle d’obtenir des renseignements pertinents auxquels
elle n’a pas accès ; elle est la conséquence naturelle du fait que l’une des parties est plus
expérimentée que l’autre dans le domaine de l’objet du contrat et que cette partie avertie est
la plus active dans la détermination du contenu du contrat.
21
J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire , précis Dalloz, 5è édition, 1995, n° 29 et s
art. 2127 code civil
23
loi du 3 janvier 1967 , aujourd’hui art. L261-11 code de la construction et de l’habitation
24
art. 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui énonce que « les notaires sont des officiers publics établis
pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère
d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique, et pour en assurer la date, en conserver le dépôt, en
délivrer des grosses et expéditions. ».
22
8
Et si « l’histoire de l’obligation d’information est celle d’une expansion constante »25, une
telle obligation est en réalité conforme à la théorie générale du contrat. Elle va en effet dans
le sens d’un principe juridique considéré par la doctrine comme ayant eu une influence sur le
code civil de 1804 : le principe de l’autonomie de la volonté.
Selon ce principe, les parties ne s’obligent que volontairement, donc l’acte juridique est
fondé exclusivement sur leur volonté26. Mais depuis 1804, le monde a changé et les rapports
contractuels également.
Le libéralisme économique découlant de cette théorie ne permet pas d’assurer que les
contractants traitent sur un pied d’égalité. Il est remarquable que , dès 1804, le code civil ait
admis cette possible inégalité en prévoyant , dans son article 1674, la rescision de la vente
pour cause de lésion. Paradoxalement, l’autonomie de la volonté, associée à d’autres
principes tels que la liberté contractuelle et le principe du consensualisme, met au cœur du
contrat le consentement des parties et se révèle incapable de protéger ce consentement,
notamment lorsque l’un des contractants est un homme ignorant des affaires.
Dans le respect de l’article 1108 du code civil, il est indispensable de veiller à ce que la
volonté de ceux qui ont donné leur consentement soit saine : si le consentement est vicié,
la convention n’est pas valable. La loi, complétée par la jurisprudence dans les domaines
autres que le droit de la consommation, a donc cherché, au moyen de l’obligation
d’information, à protéger le consentement lors de la conclusion du contrat27 afin d’éviter son
annulation qui est contraire à la sécurité juridique.
De plus, son rôle préventif semble plus efficace que « les quelques vices du consentement
accueillis par les tribunaux »28 ; toutefois, la volonté des tribunaux de protéger certaines
catégories de contractants en raison de leur faiblesse, et notamment les clients en général, a
atteint son paroxysme avec la consécration du devoir de conseil des professionnels, qui
présente l’intérêt certain d’avoir un champ d’application et un contenu extensifs puisque
d’origine purement jurisprudentielle. Le terme « devoir » n’est d’ailleurs pas neutre et a une
forte connotation morale.
Or, si des considérations morales -nécessité d’instaurer des relations loyales- autant
qu’économiques -nécessité de corriger l’inégalité informationnelle entre les partiesmilitent en faveur de la transparence grâce à l’information, la tendance moralisatrice
du droit des contrats, qui a abouti à l’avènement du devoir de conseil, a peut-être
manqué son but.
7. Plan du mémoire.—Certes, l’existence du conseil peut sans problème se justifier
par l’asymétrie entre les contractants car, soyons réalistes, le seul fait de communiquer au
profane des informations non traitées ne le met pas toujours en mesure de comprendre ces
informations, surtout si elles sont techniques, et donc d’exprimer un consentement éclairé.
Les juges ont estimé que la protection des parties en situation d’infériorité, c’est-à-dire des
clients, passait par la délivrance de conseils ; mais la justification de ce devoir est une chose
et sa mise en œuvre en est une autre.
25
X. Thunis , L’obligation précontractuelle d’information : un terrain de choix pour la construction doctrinale ,
Mélanges Michel Cabrillac, p. 313
26
Ph. Malaurie et L. Aynès , op. cit. , n°609 qui retracent l’évolution de l’importance de ce principe.
27
Contrairement à d’autres législations : la doctrine anglaise refuse l’idée d’une obligation d’information pour
des raisons tenant à la philosophie du contrat comme un rapport d’échange ; la législation allemande protège,
quant à elle, la partie la plus faible de façon curative, cf. par exemple paragraphe 138 al 1 du BGB selon lequel
est nul tout acte juridique contraire aux bonnes mœurs et qui fonde la protection de la caution en cas de
cautionnement disproportionné.
28
Ph. Malaurie et L. Aynès , op. cit. , n°424
9
Dans l’idéal, l’exercice du conseil par le banquier ou le notaire sur le choix des garanties
aurait pour seul effet d’être bénéfique à leur client ; nous verrons en effet dans une première
partie que le devoir de conseil, en raison des personnes concernées et de son étendue, tend à
inciter le client à opter pour la sûreté efficace au vu de la nature de l’opération conclue
et du risque encouru.
Cependant, en pratique, il est possible de s’interroger sur la valeur de ce devoir qui veut
promouvoir l’équité et la morale : par un retour de balancier, l’on est en droit de se demander
s’il est vraiment équitable d’imposer au professionnel de conseiller à son client une
solution qui semble contraire à ses propres intérêts, comme c’est le cas pour le banquier
qui doit parfois déconseiller à la caution de s’engager. Le devoir de conseil, tel qu’il est
envisagé par le juge, n’est pas équitable, il est partial : finalement, le conseil risque de
rompre l’équilibre contractuel dans le sens où il peut aboutir à s’immiscer dans l’économie
générale du contrat pour ne préserver que les intérêts du client qui ne sont pas
forcément conformes à ceux du professionnel.
Il est vrai que cette question ne se pose pas de façon si aiguë pour le notaire, puisque lui n’est
pas partie à l’acte garanti et que son devoir de conseil est au service de cet acte.
Toutefois, le notaire est davantage concerné par le deuxième aspect de la critique : en effet, le
devoir de conseil est source d’un important contentieux, notamment en raison de son
extension permanente, contentieux qui nous obligera dans une deuxième partie à nous
demander s’il n’est pas détourné de sa fonction première.
En effet, les clients, appuyés par les tribunaux, voient dans le devoir de conseil un
moyen de se protéger des aléas de l’opération en obtenant une indemnisation.
Là encore, le banquier est plus vulnérable que le notaire en tant que partie au contrat car il est
difficile d’admettre que le débiteur qui l’aura sollicité pour obtenir un prêt puisse ensuite,
pour se libérer de ses engagements, lui reprocher un manquement à son devoir de conseil à
propos des garanties qu’il lui a fournies.
Cependant, le notaire est souvent en première ligne pour subir des actions en responsabilité
sur le fondement du devoir de conseil, le système de garantie professionnelle notarial étant
attrayant, comme nous pourrons le constater.
L’un des torts de ces professionnels est donc peut-être d’être toujours solvables.
Première partie : La finalité du devoir de conseil : le choix d’une garantie adaptée
Deuxième partie : Conséquence pratique : l’atteinte à la loi du contrat de garantie
10
PREMIERE PARTIE
LA FINALITE DU DEVOIR DE CONSEIL : LE CHOIX D’UNE
GARANTIE ADAPTEE
8. L’intérêt du devoir de conseil repose sur son caractère subjectif : l’obligation
d’information permet certes à son bénéficiaire d’exprimer un consentement éclairé, mais le
conseil, pour sa part, cherche à assurer une exécution satisfaisante du contrat.
La complexité et les risques particuliers des mécanismes de garantie, à l’exemple de
l’assurance de groupe ou du cautionnement, montrent qu’il est nécessaire que l’existence d’un
devoir de conseil soit reconnue dans ce domaine.
C’est bien le raisonnement de la jurisprudence lorsqu’elle consacre ce devoir, en aménageant
les autres devoirs généraux qui s’imposent aux débiteurs du conseil : dans un souci de
protection, le juge souhaite que la garantie souscrite soit la mieux adaptée à la situation des
parties à l’acte.
Mais pour déterminer si le devoir de conseil atteint son objectif, il sera nécessaire de
se pencher sur le contenu du conseil.
Nous serons alors amenés à constater qu’il ne s’agit pas d’une tâche facile : le conseil en
matière de garanties s’avère être d’intensité variable.
Plutôt que d’essayer de lister les différentes mises en garde que le notaire et le banquier
doivent prodiguer, nous essayerons de comprendre la logique qui anime le juge.
En effet, le devoir de conseil étant purement prétorien, les différentes obligations de conseil
qui ont été mises en avant jusqu’à présent sont susceptibles d’évoluer.
Les développements qui suivent seront donc divisés en deux titres :
Titre I : L’existence d’un devoir de conseil en matière de garanties
Titre II : Un devoir d’intensité variable marqué par les conflits d’intérêts
11
TITRE I
L’EXISTENCE D’UN DEVOIR DE CONSEIL EN MATIERE DE
GARANTIES
9. Avant d’entrer « dans le vif » de l’étude du devoir de conseil, c’est-à-dire d’analyser
son contenu dans le domaine des garanties, il convient de s’assurer qu’un tel devoir existe.
En effet, bien qu’il paraisse particulièrement opportun de conseiller les profanes qui
s’obligent par un contrat de garantie, le devoir de conseil semble se heurter à d’autres devoirs
généraux.
Il faut garder à l’esprit que, dans le sujet qui nous intéresse, le conseil est imposé aux
professionnels du droit ainsi qu’aux professionnels du crédit.
Or, d’une part, le notaire et le banquier sont tous deux tenus au secret professionnel, qui leur
interdirait de délivrer certaines informations, et d’autre part, le banquier se voit imposer un
principe de non ingérence en vertu duquel il n’a pas à s’immiscer dans la gestion des affaires
de son client, ce qui paraît constituer un obstacle important à son devoir de conseil.
Après avoir constaté l’opportunité apparente du conseil en matière de garanties, nous
essayerons donc de déterminer si les différents devoirs du professionnel s’excluent ou
coexistent.
Chapitre 1 : L’opportunité apparente du conseil
Chapitre 2 : Le problème du conflit de devoirs
12
CHAPITRE 1
L’OPPORTUNITE APPARENTE DU CONSEIL
10. L’existence d’un devoir de conseil à la charge du notaire et du banquier peut se
justifier par la complexité de la matière des garanties, et également par les insuffisances de
l’information qui ne permet pas nécessairement à un profane de comprendre la portée de ses
engagements dans ce domaine.
Toutefois, l’opportunité du conseil doit aussi être appréciée au vu de ses composantes.
Section 1. Intérêt de ce devoir de conseil
11. Imposer un devoir de conseil aux professionnels du droit et du crédit paraît
opportun. Les garanties sont des mécanismes, qui, certes, apportent une sécurité quant à
l’exécution de l’obligation principale, mais qui, paradoxalement, peuvent présenter des
risques importants pour le garant et le bénéficiaire de la sûreté.
La jurisprudence a donc estimé insuffisantes les obligations d’information dans cette matière.
§ 1. Intérêt par rapport aux risques liés aux garanties
12. L’étude du droit des procédures collectives notamment montre l’intérêt, pour le
créancier aussi bien que pour le garant, d’obtenir l’avis d’un professionnel afin de choisir une
garantie remplissant bien son rôle.
En effet, d’une part, les parties ne sont pas toujours conscientes des limites de ces
mécanismes, et d’autre part, il devient de plus en plus difficile pour elles d’arbitrer entre telle
ou telle garantie, en raison de leur multiplication constante.
A. L’importance d’une garantie adaptée au risque encouru
13. Dans l’hypothèse d’une opération à risque, les créanciers sont confrontés à la prise
en charge d’un risque identique, l’insolvabilité du débiteur, et partagent le même souci, à
savoir la bonne fin de l’opération.
Et bien que l’on puisse penser que l’acceptation du risque est la première qualité du banquier,
il ne va pas « négliger l’impondérable et s’abstenir de toute garantie »29 : en effet, le crédit
repose sur la confiance, et la confiance n’est suscitée que par des garanties suffisantes.
Comme tout créancier, le banquier va légitimement essayer de se prémunir contre la
défaillance du débiteur, ce qui suppose une appréciation des mécanismes à sa disposition afin
de déterminer la garantie qui se révélera adaptée au risque encouru : en effet, le droit de
recourir à l’exécution forcée sur l’ensemble du patrimoine du débiteur ,reconnu par l’article
2093 du Code civil, ne procure pas une sécurité suffisante au créancier en raison de sa
généralité.
14. IL semble aller de soi qu’une garantie efficace doive représenter réellement un
droit sur le patrimoine du garant et , chose qui n’est pas déterminante mais pas non plus
négligeable, qu’elle soit conclue et mise en œuvre à un moindre coût. Mais tous les créanciers
ne savent pas prendre la mesure du risque encouru pour trouver une garantie proportionnée.
29
P. Bouteiller, Le cautionnement : aspects généraux et pratiques bancaires , Les éditions de l’épargne , 1986,
p.8
13
Ainsi, par exemple, certains en feront trop en recourant à une hypothèque dans le cadre d’une
opération de faible montant alors que l’inscription de la sûreté et sa mise en œuvre entraînent
des frais trop élevés par rapport au risque.
A l’inverse, certains n’en feront pas assez en ignorant qu’en cas de sûreté réelle, le rang de la
sûreté et la valeur des biens grevés sont importants pour l’efficacité de la garantie. En effet,
non seulement le créancier s’expose à ce que le bien s’avère sans valeur, mais en plus, il peut
se retrouver en concours avec d’autres créanciers sur le même bien, ce qui réduit ses chances
de paiement.
15. Les garanties réelles apparaissent d’ailleurs particulièrement dangereuses au vu du
sort qui est réservé à leur titulaires en cas de procédure collective à l’encontre du débiteur. Il
est vrai que la loi du 10 juin 199430 marque un changement de perspective en améliorant le
sort des bénéficiaires de sûretés réelles, mais leurs droits ont été largement sacrifiés par la loi
du 13 juillet 1967 et plus encore par la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la
liquidation judiciaires31 dont le souci est de préserver l’emploi et l’outil économique.
16. Or, les créanciers dotés de sûretés réelles n’ont pas toujours conscience des risques
liés à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de leur débiteur, risques qui
justifieraient la recherche de garanties moins sensibles aux effets de la « faillite », c’est-à-dire
de garanties personnelles.
Cependant, il serait simpliste d’affirmer que le cautionnement ,notamment, est infaillible et
doit être systématiquement privilégié par le créancier ; en effet, à côté des sûretés modèles, le
législateur et surtout la pratique ont mis à la disposition des créanciers toute une gamme de
garanties pour apaiser leurs craintes.
Paradoxalement, ce qui apparaît comme un avantage se révèle être un cadeau empoisonné car
il est difficile pour le créancier de s’orienter dans le dédale des mécanismes existant.
B. L’inflation des garanties
17. L’affaiblissement des droits des titulaires de sûretés réelles et la sur-protection des
cautions ont amené les créanciers à rechercher des garanties de substitution dans les années
80.
Bien sûr, le développement de ces nouvelles techniques a contribué à faire du droit des
garanties une matière innovante et dynamique qui se place à la pointe de la créativité
juridique : les sûretés ont su « s’adapter aux demandes des agents économiques en créant,
d’une part, des combinaisons nouvelles qui ont permis la création de garanties « hybrides » et,
d’autre part, de sûretés sur des biens nouveaux »32.
Mais ce renouvellement est aussi « un facteur de complexité et d’incertitude »33. Les
spécialistes eux-mêmes ont ainsi du mal à donner les conseils qu’il faut aux prêteurs et aux
emprunteurs, la validité et le régime de la garantie posant souvent problème.
18. En fait, l’inflation des garanties trouve sa source dans l’essor du recours au crédit34
qui est devenu le moteur essentiel de fonctionnement des entreprises et d’équipement des
ménages :ce phénomène s’est accompagné d’une inflation du nombre des garanties souscrites
car parallèlement, la période contemporaine a été marquée par une grave crise économique, et
30
loi n° 94-475 modifiant la loi du 25 janvier 1985 codifiée aux art L 620-1 et s code de commerce
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. Cit. , n° 4
32
A. Decoux, Droit des sûretés :analyse d’un renouveau , op. cit., p.43
33
D. Legeais, op.cit. , n°15
34
D. Legeais, op.cit. , n°2
31
14
les créanciers ont donc multiplié et juxtaposé les garanties afin de se prémunir contre la
défaillance de leur débiteur. M. Simler et M. Delebecque remarquent qu’ « aujourd’hui plus
que jamais, la formule lapidaire « pas de crédit sans sûretés » exprime une réalité ».35
19. Mais les imperfections des sûretés traditionnelles en matière d’efficacité, de coût
ou de formalisme ont conduit à diversifier les garanties ; c’est cette inflation du nombre de
garanties existantes qui nous intéresse, les agents économiques élaborant des mécanismes
propres à chaque espèce, que les profanes ne sont pas en mesure d’apprécier.
La confiance sur laquelle repose le crédit n’est suscitée que par des garanties sérieuses.
Encore faut-il être en mesure d’apprécier la valeur de telle ou telle garantie dans le choix
multiple dont disposent les parties.
M. Legeais propose d’ailleurs « une refonte de notre système juridique » pour « offrir aux
créanciers des garanties en nombre plus limité mais mieux adaptées aux exigences de la
pratique »36 ; en attendant, force est de constater que les conseils d’un professionnel du droit
ou , de façon plus anecdotique, d’un professionnel qui connaît du droit des garanties pour les
besoins de son activité principale, sont nécessaires aux contractants souhaitant trouver la
garantie adaptée à leur situation dans le foisonnement des mécanismes.
20. Néanmoins, la diversification des garanties ne doit pas faire illusion ; depuis
quelques années, sous l’impulsion du juge et du législateur, les sûretés modèles ont été
réhabilitées et les praticiens37 constatent que les sûretés traditionnelles conservent toute leur
force malgré le développement d’autres garanties.
Le devoir de conseil en matière de garanties ne s’explique donc pas que par leur
multiplication et le besoin des créanciers de se munir d’une sûreté satisfaisante. Au-delà des
risques liés aux garanties elles-mêmes, ce devoir participe d’une évolution générale du droit
des obligations qui ne s’arrête pas au droit des sûretés.
En effet, le droit des garanties se conforme au droit des contrats, qui redécouvre l’article
1134 du code civil dans l’intérêt des contractants en position d’infériorité. Les garants, qui
appartiennent souvent à cette dernière catégorie, bénéficient de l’obligation de contracter et
d’exécuter le contrat de bonne foi qui pèse sur le créancier et qui lui impose d’informer son
cocontractant sur la portée de son engagement.
21. Or, la volonté de moraliser les relations d’affaires n’est pas toujours satisfaite par
la simple information ; voilà pourquoi le juge a peu à peu dégagé un devoir de conseil
incorporé à certains contrats ou à certaines professions.
§ 2. Intérêt par rapport aux obligations de renseignement
22. Dans le silence des textes, la jurisprudence a crée le concept de devoir de conseil et
précise progressivement son contenu.
Elle s’est servie du devoir de conseil pour pallier aux insuffisances de l’information dans la
protection du consentement.
A. Etendue de l’information en matière de garanties
1) De l’obligation de se renseigner…
35
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit. , n°3
D. Legeais, op.cit. , n°5
37
voir par exemple E. Frémeaux, Droit des sûretés : analyse d’un renouveau, op.cit., p.45
36
15
23. Pendant longtemps, en vertu de l’adage emptor debet esse curiosus (l’acheteur doit
être curieux), la doctrine insistait sur le devoir de chacun de se renseigner par lui-même avant
de contracter38.
Et bien que le contractant ignorant ait bénéficié assez tôt d’une obligation d’information à la
charge du sachant, le juge estimait qu’il n’était pas dispensé de se renseigner. En effet,
l’ignorance du créancier de l’information , fût-il profane, devait être légitime39.
24. Le devoir de se renseigner pose toutefois un problème d’accès matériel à
l’information : où le client peut-il rechercher l’information dont il a besoin ? En matière de
garanties, la presse juridique spécialisée, ou encore les manuels et les codes fournissent un
nombre incalculable de renseignements.
Cependant, outre le fait que ces informations soient dispersées, certaines ne se trouvent pas
facilement : il sera ainsi mal aisé à la caution de connaître la situation financière du débiteur
principal, alors que le banquier dispose de cette information somme toute banale.
Les banques sont, comme l’écrit fort justement un auteur40, « trop bien placées pour que l’on
puisse faire l’économie d’une obligation générale et permanente d’information . ». Le
caractère général de cette obligation n’est pas si certain que cela, mais il est vrai que la
banque semble en mesure de délivrer tous les renseignements nécessaires pour éclairer leur
clientèle dans le domaine des garanties.
Le devoir de se renseigner a donc été complété par l’obligation à la charge du professionnel
pour les informations que lui seul détient.
25. Désormais, le devoir de se renseigner « n’est plus que très rarement reconnu par la
jurisprudence qui a ainsi tendance à toujours placer le créancier de l’obligation d’information
en situation d’ignorance légitime »41.
Finalement, le juge ne retient plus un devoir de se renseigner qu’à la charge des
professionnels , et uniquement dans les domaines où ils interviennent42, les tribunaux
sanctionnant le professionnel qui manifeste « son inaptitude à l’accomplissement de la tâche
acceptée »43. Par conséquent, seuls les professionnels des opérations juridiques ne
profiteraient d’aucun concours extérieur , disposant de toutes les informations nécessaires
dans le domaine des garanties pour s’engager en connaissance de cause.
Cependant, d’autres professionnels dont l’activité a un rapport direct avec la matière des
garanties, tels que les professionnels des opérations financières ou immobilières, se voient
aussi imposer un devoir de se renseigner.
Et même dans cette hypothèse, il est à noter que les connaissances des clients avertis ne
dispensent pas le notaire de son devoir de conseil44, ce qui signifie qu’il se combine avec leur
devoir de se renseigner : le devoir de se renseigner mis à la charge du client professionnel
n’est pas exclusif de l’obligation d’information.
38
voir P. Jourdain, Le devoir de « se » renseigner , D 1983, chr. p.139
CA Paris 16 mai 1990, D 1990, IR p.150
40
J.-F. Clément, Le banquier vecteur d’informations, RTD com. Avril-juin 1997, p.203
41
Lamy Droit du contrat, voir La phase de conclusion : l’accord de volontés, § 105-57
42
civ. 2è 19 octobre 1994, GP 1995 , 1, pan. p.107
43
com. 28 mai 1991, bull civ. IV n°193
44
voir par exemple civ.1è 25 novembre 1997, JCP 1998, IV, 1077, qui considère que les compétences
personnelles du client, professionnel de l’immobilier, ne dispensent pas le notaire de son devoir de conseil sur la
portée de la renonciation à l’inscription du privilège du vendeur.
Plus précisèment sur le caractère absolu du devoir de conseil du notaire, voir infra : 2è partie, titre 1, chapitre 1
Un devoir dont la portée devrait être limitée.
39
16
26. Le devoir de se renseigner ne peut donc plus être qualifié d’absolu, même dans le
cas d’un cocontractant averti.
Parallèlement, l’obligation d’information à la charge du professionnel a gagné en importance,
aussi bien dans la conclusion que dans l’exécution du contrat.
2) … à l’obligation d’informer
27. Le développement de l’obligation d’information s’explique par l’augmentation des
disparités sociales inhérente à « la complexité technique croissante des produits et des
services et la spécialisation des tâches »45.
L’information a en effet pour objet de gommer ces disparités dans une volonté d’instaurer une
solidarité contractuelle.
En matière de garanties, comme dans tous les domaines où elle s’applique, l’obligation
d’information a été consacrée ponctuellement par la loi et de façon plus générale par la
jurisprudence ; les lois successives et la jurisprudence ont d’ailleurs renforcé l’obligation
d’information pesant sur le créancier, généralement un établissement de crédit, au bénéfice du
garant.
28. Alors que « la simplicité du jeu du cautionnement étant à la portée de toute
intelligence moyenne et la notion même de caution se retrouvant dans la pratique de
nombreuses sociétés humaines, fussent-elles éloignées de la nôtre dans le temps ou dans
l’espace, la caution est mal fondée à vouloir exciper de son ignorance »46, les nombreuses
dispositions légales dans le domaine du cautionnement constituent l’exemple le plus frappant
du développement de l’obligation faite au banquier de fournir certains renseignements à ses
clients.
Ainsi, afin de s’assurer que le garant a eu connaissance de la nature et de l’étendue de son
obligation avant de s’engager, le législateur a mis en place un formalisme toujours plus
rigoureux, par le biais de mentions manuscrites qui doivent figurer dans l’écrit constatant le
cautionnement : outre la mention prévue par l’article 1326 du code civil et requise ad
probationem47 à l’exception du cautionnement souscrit par un commerçant, la loi du 31
décembre 1989 dite « loi Neiertz » a imposé des mentions requises ad validitatem pour les
cautionnements de crédits immobiliers et de crédits à la consommation48.
L’information concernant la portée de l’engagement de la caution est désormais sanctionnée
dans ce cas par la nullité de l’engagement.
29. Cependant, dans la phase pré-contractuelle, la protection du garant paraissait
insuffisante car aucune disposition légale ne lui permettait d’obtenir des informations sur la
solvabilité du débiteur principal : la caution n’était pas en mesure d’évaluer les conséquences
pratiques de son engagement.
La jurisprudence, en se fondant sur l’exigence de bonne foi dans la conclusion des
conventions déduite de l’article 1134 du code civil, a alors imposé au créancier d’informer la
caution de la mauvaise situation financière du débiteur avant de s’engager, sous peine
d’annulation du cautionnement pour réticence dolosive.
45
P. Jourdain, op. cit. , D 1983, chr. p.139
CA Paris 9 avril 1992, Juris-Data 021195 ; JCP 1992, I, 3623, n°1, obs Simler et Delebecque
47
le rôle probatoire de la formalité de l’article 1326 est désormais affirmé à la fois par la première chambre
civile et par la chambre commerciale de la Cour de cassation : depuis un arrêt du 15 octobre 1991(notamment au
JCP 1992, II, 21923, note Simler), la chambre civile n’érige plus cette mention en condition de la validité du
cautionnement.
48
Articles L313-7 et L313-8 du code de la consommation
46
17
En effet, « après avoir estimé, dans un premier temps, que la caution, tenue d’une obligation
de se renseigner, ne pouvait invoquer son ignorance de la situation déficitaire du débiteur
principal pour échapper à son engagement49, la Cour de cassation a profondément modifié sa
jurisprudence »50, et ce par un arrêt du 8 novembre 198351de la chambre commerciale.
La première chambre civile est allée dans le même sens en affirmant que « manque à son
obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui,
sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise, ou à tout le moins
lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution afin
d’inciter celle-ci à s’engager. »52.
L’établissement de crédit se voit imposer une obligation prétorienne d’information envers la
caution lorsque, lors de l’ouverture du crédit, la situation financière du débiteur principal est
compromise. Mais qu’en est-il par la suite, en cas de détérioration des capacités de
remboursement de l’emprunteur ?
30. Les établissements de crédit ont été très tôt invités par les pouvoirs publics à
prendre les mesures appropriées afin de permettre aux personnes qui se portent caution dans
une opération de prêt de pouvoir mieux apprécier à tout moment la portée de leurs
engagements53.
Néanmoins, l’analyse des modèles de contrat de cautionnement montrait que la banque
prévoyait généralement une clause selon laquelle le garant devait s’attacher personnellement
au suivi de la situation du débiteur principal.
L’article 48 de la loi du 1er mars 198454 permettait à la caution d’être renseignée annuellement
sur l’évolution de la dette garantie, mais cette obligation ne s’imposait aux établissements de
crédit que dans le cadre du cautionnement d’un crédit accordé à une entreprise.
M. Bouteiller55 remarquait justement le paradoxe des solutions légales en ces termes :« le
législateur se préoccupe d’assister une catégorie de cautions particulièrement avertie
puisqu’en l’espèce, il s’agira surtout de chefs d’entreprises. En revanche, les cautions
garantissant la bonne fin des crédits octroyés aux particuliers ne méritent aux yeux du
législateur aucune protection particulière, alors qu’elles ne possèdent aucun moyen d’accéder
aisément à l’information désirée. ».
La loi du 28 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a cependant étendu les
obligations d’information postérieures à la conclusion du cautionnement; en premier lieu,
l’article 2016 du code civil permet au garant personne physique d’obtenir une information au
moins annuelle sur « l’évolution du montant de la créance garantie et de ses accessoires », s’il
s’est porté caution purement et simplement d’une ou plusieurs dettes déterminées.
En second lieu, l’article L341-1 du code de la consommation reconnaît à toute caution
personne physique ayant garanti un créancier professionnel le droit d’être avertie « de la
défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé », même
si la caution ne répond pas à la définition du consommateur.
La loyauté préside donc désormais aux relations entre la banque et la caution, y
compris en cours d’exécution du contrat de garantie.
Cependant, comme nous le verrons, le juge a cru bon de renforcer les obligations du créancier
au profit du tiers garant.
49
com. 16 février 1982, bull civ. IV n°61 ; D 1982, som. 496, obs Vasseur
F. Boucard, Les obligations d’information et de conseil du banquier, thèse, 2002, PUAM, n°253
51
com. 8 novembre 1983, bull civ. IV n°298 ; GP 1984, I, pan. 70, note Piedelièvre
52
civ.1è 10 mai 1989, bull civ. I n°187; JCP 1989, II, 21163, note Legeais; RTD civ. 1989, 738, obs Mestre;
Defrénois 1989, 34633, n°131, note Aynès
53
Communiqué du ministère de l’économie, des finances et du budget du 24 février 1983, Banque 1983, 478
54
art 48 loi n°84-148, devenu art L313-22 code monétaire et financier
55
P. Bouteiller, op.cit., p.52
50
18
31. Le développement de l’obligation d’information à la charge du professionnel a
également été important dans l’exemple du contrat d’assurance, qui est systématiquement
exigé à titre de garantie par la banque : son caractère particulièrement technique n’a pas
échappé au législateur puisque dès 1930, il a fait preuve d’une volonté protectrice
incontestable au profit des assurés.
La loi du 13 juillet 193056 a ainsi prévu les mentions qui doivent figurer dans la police
d’assurance et les conditions de forme que doit remplir l’imprimé signé par le client :
certaines clauses doivent être rédigées en caractère très apparents afin d’attirer
immédiatement l’attention de l’assuré, ce sont bien sûr les clauses présentant pour lui un
risque particulier, c’est-à-dire les clauses relatives aux nullités, aux déchéances57, à la durée
du contrat58 et à l’indemnité pour résiliation du contrat59.
Sous l’impulsion du mouvement consumériste, des lois nouvelles sont venues renforcer
l’obligation d’information dans des contrats d’assurance déterminés : en matière d’assurance
de groupe, assurance qui nous intéresse davantage car souvent utilisée pour garantir un prêt, la
loi du 31 décembre 198960 a ajouté un article L140-4 au code des assurances, article qui
impose au souscripteur de remettre à l’adhérent une notice établie par l’assureur et qui indique
« les garanties et leurs modalités d’entrée en vigueur, ainsi que les formalités à accomplir en
cas de sinistre. ».
32. Malgré leur développement constant, il apparaît que les obligations d’information
sont peut-être insuffisantes pour protéger le consentement du client du banquier ou du notaire
dans la souscription d’une garantie.
B. Le professionnel « vecteur d’informations »
33. Le professionnel doit certes informer son client, mais il doit aussi lui expliquer
l’information, ce qui est une tâche active.
Le notaire ou le banquier sont des vecteurs d’informations dans la mesure où ils permettent,
par leurs conseils, de donner son plein effet à l’information.
1) Les insuffisances de l’information
34. Le client, bien que renseigné, peut faire face à un problème d’accès intellectuel à
l’information : l’inflation des textes législatifs et les évolutions jurisprudentielles ne
permettent pas au particulier de comprendre seul le droit.
En matière de garanties comme dans les autres domaines juridiques, le maquis des solutions
est devenu inaccessible sans l’aide d’un professionnel du droit, ou tout du moins d’un
professionnel qui maîtrise cette matière.
Or, de ce point de vue, le défaut de l’obligation d’information est d’être statique : rien ne
permet d’assurer que le destinataire de l’information en tirera les conséquences qui
s’imposent dans sa situation.
56
la loi du 13 juillet 1930, dont les dispositions ont été incluses dans le code des assurances, est le premier texte
à avoir soumis un contrat d’adhésion à des conditions de forme et des mentions obligatoires pour informer
suffisamment le souscripteur sur le contrat à intervenir : elle a exigé à cette fin que des indications précises
figurent sur la police d’assurance (cf. article L 112-4 du code des assurances).
57
article L112-4 du code des assurances
58
article L113-15
59
article L113-16
60
loi n°89-1014 du 31 décembre 1989 portant adaptation du code des assurances à l’ouverture du marché
européen ; voir sur cette loi notamment : J. Bigot, JCP 1990, I, 3437.
19
Elle ne peut atteindre son objectif en raison de sa nature même : exemple de l’information sur
l’assurance souscrite afin de garantir un prêt = ambiguïté et complexité des documents
d’assurance nécessite pour leur compréhension des compétences techniques et juridiques qui
font souvent défaut chez le futur adhérent, malgré les informations légales dont il bénéficie.
35. D’autre part, l’information est insuffisante en pratique parce que les contrats de
garantie sont de plus en plus des contrats d’adhésion. La notion d’adhésion justifie le conseil
car elle procède de deux observations : l’absence de débat préalable et la forme abstraite des
clauses du contrat. Les informations sont alors délivrées au dernier moment, lors de la
signature du prêt, et le contractant ne réalise pas la portée et les risques de son engagement.
Le contrat d’assurance fait partie de ces contrats dans la mesure où il est entièrement prérédigé par l’assureur et que l’emprunteur y adhère sans discussion préalable.
Autre exemple = les contrats de cautionnement: le professionnel dispose de formulaires qui
sont diffusés pour éviter les embûches mais ils sont souvent critiquables. Les organismes de
crédit rédigent par avance et de façon unilatérale des formules de cautionnement qui ne sont
jamais discutées par le cocontractant.
D’ailleurs, M. Bouteiller relève que « la rédaction des clauses que contiennent ce contrat
démontre à l’évidence l’ascendant économique du banquier sur la caution »61.
36. Nous devons admettre que le client n’agira à bon escient que si le notaire ou le
banquier assure un « service après-vente de l’information », pour reprendre l’expression de
M. Clément62, c’est-à-dire s’il rend utile l’information collectée en conseillant son client.
2) Nécessité d’un rôle actif
37. Contrairement à l’exécution des obligations de renseignement, il est nécessaire
dans les opérations à hauts risques de confier un rôle actif au professionnel afin de s’assurer
que son client comprend les enjeux de cette opération par rapport à sa situation.
La jurisprudence commande à ce professionnel d’apprécier l’opportunité de telle ou telle
garantie en fonction des risques encourus : il fait alors part de ses réflexions à ses clients, mais
ceux-ci restent les juges « en dernier ressort » de l’opportunité de l’engagement.
Le conseil se distingue de l’information à l’état brut par sa fonctionnalité, puisqu’il consiste à
orienter la décision de l’autre partie au mieux de ses intérêts. C’est « une opinion donnée à
quelqu’un sur ce qu’il convient qu’il fasse ou qu’il ne fasse pas. »63.
Certes, en pratique, la différence entre ces obligations n’est pas toujours aisée mais les
travaux de définition effectués par la doctrine permettent d’éviter les confusions.
38. Le déséquilibre entre contractants résulte d’une inégalité de compétences :
informer le profane ne permet pas systématiquement de combler ce déséquilibre, puisqu’il n’a
pas les connaissances nécessaires à la compréhension des informations.
En effet, les informations portent sur des sujets techniques. Par exemple, le banquier doit
fournir certaines informations à son client sur l’assurance souscrite en tant que garantie d’un
crédit : cependant, au vu de la technicité des termes employés dans les documents qui sont
remis à l’emprunteur, il est probable que le client ne sera pas en mesure de tirer les
conséquences utiles de ces informations.
61
P. Bouteiller, op.cit., p.22
J.-F. Clément, op.cit., RTD com. Avril-juin 1997, p.203
63
H. Groutel, Le devoir de conseil , in Le devoir de conseil en assurance-vie , RDBB, janvier-février 1999,
supplément ingénierie patrimoniale, p.4
62
20
Ce problème de compréhension est d’autant plus aigu que les documents sont remis à
l’emprunteur simultanément à la conclusion du prêt.
39. Il existe malgré tout un tempérament au devoir de conseil : en principe, les clients
sont obligés de collaborer avec le professionnel64.
La Cour de cassation a en effet largement affirmé que « celui qui traite avec un professionnel
n’est pas dispensé de lui fournir les renseignements qui sont en sa possession et dont
l’absence altère le consentement de son cocontractant. »65.
Les clients doivent donc faire un pas vers le notaire et le banquier afin d’obtenir des conseils
utiles sur la garantie envisagée.
40. Après avoir constaté l’intérêt du devoir de conseil dans la matière complexe des
garanties, il convient de déterminer plus précisément le domaine de ce conseil pour s’assurer
de son opportunité.
Section 2. Les composantes du devoir de conseil
41. Nous n’allons pas ici aborder la question du contenu du devoir de conseil à
proprement parler, mais il s’agira plutôt de tracer les contours généraux du devoir de conseil
imposé au professionnel, car de la détermination de l’objet du conseil dépend son utilité.
Dans cette perspective, il sera également nécessaire de préciser quels sont les créanciers du
devoir de conseil dans la matière des garanties.
§ 1. L’objet des conseils
42. Pour prendre parti et formuler des suggestions pertinentes, encore faut-il que le
notaire et le banquier connaissent la situation et les besoins du destinataire du conseil, et que
le domaine du devoir de conseil se limite strictement à leur sphère de compétence.
A. L’obligation de s’informer pour conseiller
43. Le respect du devoir de conseil impose , avant toute chose, aux professionnels de
se renseigner afin de conseiller utilement leurs clients : le devoir de conseil commande une
démarche dynamique qui impose d’analyser la situation de fait et de droit de la problématique
posée par le client.
En matière de garanties, le notaire et le banquier vont devoir se renseigner sur la situation du
débiteur, c’est-à-dire sur ses droits et sur ses capacités financières, ainsi que, le cas échéant,
sur la situation réelle du bien donné en garantie. Le notaire devra par exemple effectuer des
recherches suffisantes sur l’origine de propriété du bien gagé, et ne pourra pas invoquer un
défaut de mise à jour du cadastre pour excuser sa négligence66.
Néanmoins, le créancier du conseil peut être amené à assister son partenaire : ainsi, dans
l’hypothèse d’une assurance souscrite pour garantir le remboursement d’un prêt, l’assureur
64
Ph. Malaurie et L. Aynès, op.cit., n°634
civ.1è 24 novembre 1976, bull civ. I n°370
66
civ.1è 13 novembre 1993, Defrénois 1993, 35212, n°17, obs Aubert. Dans cette espèce, la Cour de cassation a
condamné un notaire qui avait reçu un acte de vente portant sur un terrain ayant donné lieu à une première
cession quelques années avant par les mêmes vendeurs : le défaut de mise à jour du cadastre imputable au
premier acquéreur et le comportement fautif des vendeurs ne permet pas l’exonération de la responsabilité du
professionnel qui a commis une faute professionnelle grave en n’effectuant pas des recherches suffisantes sur
l’origine de propriété du terrain vendu.
65
21
adressera au futur assuré un questionnaire grâce auquel il sera renseigné sur la situation de son
client.
44. Le banquier et le notaire ne peuvent pas se contenter des informations transmises
par leur client et doivent obtenir des informations complémentaires : mais il serait logique que
l’obligation de s’informer pour conseiller ait pour seul objet sa propre prestation.
C’est pourquoi, il nous faut nous demander si le banquier et le notaire ne doivent pas, en plus,
solliciter des informations auprès de professionnels de l’activité visée à travers l’acte.
B. Le domaine de compétence des professionnels : une limitation au conseil
45. Les conseils à fournir par les professionnels sont limités à leur sphère de
compétence : le droit positif met à la charge des vendeurs et des prestataires de service une
obligation de connaître qui se rapporte à leur prestation, en revanche, ils n’ont pas à
s’informer pour conseiller sur la prestation d’autrui.
46. Le devoir de conseil du banquier à l’égard de la caution, que nous étudierons plus
tard, porte exclusivement sur la capacité d’endettement de l’emprunteur. Il est bien de son
ressort d’apprécier la capacité financière de ses clients ; en revanche, son devoir de conseil ne
consiste pas à apprécier l’opportunité de l’opération financée67.
En effet, M. Grua insiste sur le fait que « l’obligation de renseignement ou de conseil (du
banquier) est l’accessoire d’un service, en ce sens qu’elle complète les prestations attachées à
un service donné, de manière à ce qu’il remplisse correctement son objet. (…) En revanche,
de manière négative, l’obligation de renseignement ou de conseil n’a pas pour effet d’élargir
l’objet du service lui-même. (…) Il faut veiller ici à contenir l’obligation de renseignement
ou de conseil dans le cercle du service précis qui est considéré et au-delà duquel elle n’aurait
plus de limite. »68.
47. Quant au notaire, il ne devrait éclairer les parties que sur les conséquences
juridiques de l’acte.
Dans l’hypothèse d’un crédit immobilier par exemple, il serait absurde de leur demander de
juger de l’opportunité technique de l’opération de construction.
Mais le rôle de conseil du notaire déborde parfois le cadre strictement juridique pour s’étendre
à des aspects pratiques : il ne lui suffit pas de prendre une hypothèque valable par exemple,
encore doit-il s’assurer que le gage est d’une valeur suffisante eu égard, notamment, aux
inscriptions antérieures69. En effet, le notaire doit instrumenter un acte efficace, aussi bien visà-vis des règles de droit que vis-à-vis des objectifs des parties.
Cependant, la Cour de Bordeaux a justement rappelé que la mission du notaire ne s’étend pas
au-delà de ses compétences propres70.
Dans cette affaire, la banque a recherché la responsabilité du notaire en invoquant qu’il
n’avait pas vérifié la capacité des cautions, cautions qu’une expertise a déclaré atteintes de
troubles mentaux au jour de l’expertise.
La Cour a toutefois relevé que ces troubles « n’étaient pas apparents pour une personne non
avertie qui n’avait pas de relations suivies avec les cautions », ce qui signifie qu’en l’absence
67
com. 18 novembre 1997, RDBB, n°65, obs F.Crédot et Y. Gérard
F. Grua, Contrats bancaires , tome 1, Economica, 1990, n°35
69
voir par exemple : civ.1è 5 octobre 1999, bull civ. I n°258 ; D, 1999, IR, 244 ; Defrénois 1999, 1341, obs
Aubert
70
CA Bordeaux 28 novembre 1994, JCP N 1996, n°29, note Sanséau
68
22
d’indices probants de l’incapacité des garants, le banquier ne peut reprocher au notaire de ne
pas l’avoir mis en garde contre le risque d’annulation de la convention.
En principe, le notaire n’est pas tenu d’un devoir de conseil dans les matières où il n’est un
spécialiste.
48. Mais si le domaine de compétence du professionnel délimite le domaine de son
devoir de conseil, cela ne signifie pas que le conseil soit limité au contrat où il est dû.
La jurisprudence a en effet mis en évidence une obligation générale d’information à la charge
du notaire, sur l’ensemble du contexte juridique d’une affaire71.
Ainsi a-t-il été jugé qu’un notaire avait manqué à son devoir de conseil en établissant un acte
de prêt mentionnant la jonction d’un contrat d’assurance au titre de garantie, sans attirer
l’attention de l’établissement de crédit, également responsable, sur l’absence de ce deuxième
contrat72.
Les renseignements à procurer peuvent donc porter sur un acte juridique avec lequel le contrat
en formation présente certains liens, lorsque le consentement des parties en dépend.
Toutefois, un arrêt de la première chambre civile du 13 mars 200173 a légitimement limité le
devoir d’information et de conseil du notaire en matière d’assurance. Les magistrats ont
considéré que le notaire n’était pas tenu d’attirer spécialement l’attention des parties sur les
conséquences résultant de l’absence d’assurance de dommages-ouvrage, puisque cette
absence était constaté dans l’acte de vente.
L’indulgence de la Cour de cassation envers le professionnel d’autant plus remarquable que la
matière des assurances est complexe pour un non averti.
49. Le notaire et le banquier, s’ils ont l’obligation de s’informer pour conseiller le
garant, ne sont tenus de le conseiller que dans leur sphère de compétence, ce qui est une
solution classique à propos du devoir de conseil, qu’il s’exerce ou non dans le domaine des
garanties.
Le fait que notre étude concerne les sûretés au sens large va avoir une incidence plus sensible
sur le cercle des bénéficiaires du conseil.
§ 2. Les bénéficiaires du conseil en matière de garanties
50. Normalement, le conseil délivré par le professionnel ne profite qu’à ses clients ;
cependant, dans le cadre d’une garantie personnelle, une tierce personne verra ses intérêts
impliqués dans l’opération garantie.
Les juges ont donc décidé de lui reconnaître la qualité de créancier du conseil.
A. Les clients parties à l’acte garanti
51. Le devoir de conseil ne peut en principe profiter qu’aux seuls clients du notaire et
de l’établissement de crédit, c’est-à-dire aux parties au contrat, peu important qu’il s’agisse de
clients occasionnels ou habituels : concrètement, en matière de garanties, le conseil notarié
devrait profiter au banquier et à l’emprunteur, ou au vendeur et à l’acquéreur, et le conseil
bancaire profiterait alors à l’emprunteur.
71
CA Paris 23 novembre 1948, T commerce Bordeaux 17 janvier 1949 au JCP N 1950, 5416
civ.1è 4 février 1997, D affaires 1997, p.309.
73
civ.1è 13 mars 2001, D 2001, IR, 1213
72
23
52. Il serait imprudent, voire impossible en pratique, d’étendre le bénéfice du devoir
de conseil aux tiers; M. Dagot74 considère qu’il ne peut être raisonnable d’étendre
l’information au titre du devoir de conseil au bénéfice de personnes qui, compte-tenu des
faits, ne sont pas en mesure de recevoir ce conseil, notamment parce qu’elles n’ont jamais
rencontré le professionnel ou que ce-dernier ne connaît même pas leur adresse.
53. Notre étude porte toutefois sur le devoir de conseil dans le domaine des garanties ;
il semble donc que les personnes qui fournissent leur garantie soient dans les premières
concernées par ce conseil.
Or, il est fréquent que le garant soit en réalité un tiers par rapport au contrat principal, et non
le débiteur lui-même, le créancier cherchant à diluer les risques d’impayés auxquels il
s’expose en obtenant une sûreté externe au patrimoine de son cocontractant, c’est-à-dire un
cautionnement ou une garantie à première demande.
Nous devons donc nous demander dans quelle mesure les tiers sont écartés du bénéfice du
devoir de conseil.
B. Les tiers
54. Le statut du tiers, selon qu’il est étranger à l’acte principal ou à l’ensemble de
l’opération, influe sur sa possible qualité de créancier du devoir de conseil.
1) Les cautions
55. Donner sa confiance à une seule personne peut être source de déboires en matière
financière : le cautionnement notamment permet de déjouer cet inconvénient puisque le
créancier est protégé contre une insolvabilité totale du débiteur. Le cautionnement est même
devenu pour les banques « une sûreté réflexe »75, le banquier garantissant -au moins en partieles opérations de crédit par un cautionnement.
Les cautions, qui interviennent à l’opération sans y être partie, sont-elles créancières d’un
quelconque conseil ?
a. Statut particulier de la caution
56. Par principe, le devoir de conseil ne bénéficie qu’aux parties à l’acte : aussi, la
caution, qui est un tiers par rapport au contrat principal, ne devrait être créancière d’aucun
conseil à l’égard du prêteur ou du rédacteur de l’acte.
Cependant, la caution ne peut pas être considérée comme un tiers par rapport au
banquier : elle est un tiers à l’égard de l’acte de prêt, mais d’une part son engagement est
accessoire de l’engagement du débiteur « principal », et d’autre part, elle est liée au banquier
créancier par le contrat de cautionnement. Donc elle devrait pouvoir bénéficier du conseil au
même titre que le client.
57. Le notaire quant à lui est-il tenu de conseiller la caution qui garantit l’acte qu’il
instrumente ou qu’il authentifie ?
On ne peut pas considérer la caution comme cliente du notaire, ce n’est pas elle qui le
sollicite. Cela dit, tout dépend si le notaire a eu ou non connaissance de ce cautionnement :
s’il apparaît dans l’acte, le notaire devrait également dispenser ses conseils au tiers garant,
non seulement parce que son engagement a des liens étroits avec l’obligation principale et que
74
commentaires de M. Dagot sous civ.1è 27 avril 1978, JCP N 1979, p.245, à propos de l’impossibilité d’un
devoir de conseil du notaire envers des tiers.
75
P. Bouteiller, op. Cit. , p. 9
24
la caution est indéniablement concernée par l’acte principal, mais surtout parce qu’en tant
qu’officier public, le devoir de conseil du notaire a un caractère impératif que nous étudierons
plus tard.
En revanche, la Cour de cassation a précisé qu’un conseil juridique, auquel le notaire peut être
assimilé, n’a pas à mettre en garde des associés cautions en raison du maintien de leur
engagement de garants malgré la cession de leurs parts sociales, lorsqu’il n’est pas établi que
le conseil avait eu connaissance de leur qualité de cautions76.
b. Reconnaissance d’un devoir de conseil à leur égard
58. Jusqu’à ces dernières années, la Cour de cassation refusait de reconnaître un tel
devoir à la charge de l’établissement de crédit et au profit de la caution ; dans une décision de
la première chambre civile du 13 février 199677, la Cour avait même estimé que le créancier
n’avait pas à informer la caution du caractère insolite de son engagement. L’information étant
elle-même limitée, il ne pouvait, a fortiori, y avoir de conseil.
Le banquier était seulement tenu d’une obligation d’information légale et jurisprudentielle
circonscrite vis-à-vis de la caution mais plusieurs arrêts ont montré que les juges s’orientent
vers un devoir de conseil pesant sur les établissements de crédit au profit du tiers garant.
59. Un arrêt de la Cour de Versailles, en date du 17 septembre 199878, a ainsi précisé
que « la banque est tenue par un devoir de prudence et de conseil à l’égard tant de son client
direct, la société qui s’apprête à emprunter, qu’à l’endroit de la personne physique ou morale
qui consent à se porter caution du concours bancaire sollicité. ».
M. Couret, dans ses commentaires sur cette décision, en conclut que « la qualité de créancière
du droit à l’information et au conseil est donc bien reconnue à la caution ».
Les tiers garants sont désormais assimilés aux clients dans le bénéfice du conseil, d’autant que
la chambre commerciale de la Cour de cassation a elle-même annulé un cautionnement pour
dol, en relevant un manquement de l’établissement de crédit à son devoir de conseil envers les
garants, l’opération de crédit-bail n’étant pas viable79.
Or, traditionnellement, les magistrats de la chambre commerciale sont réticents à mettre un
devoir de conseil à la charge des professionnels.
60. La reconnaissance par le juge d’un devoir de conseil de l’établissement de crédit
envers la caution n’est toutefois qu’implicite , puisque M.Legeais80 souligne qu’ « un tel
devoir peut apparaître comme étant directement contraire aux principes fondamentaux
gouvernant cette garantie. Le cautionnement est en effet un contrat unilatéral ne faisant naître
d’engagement qu’à la charge de la caution. Il incombe donc à cette dernière de s’informer. ».
61. A propos du notaire, il était probable que la jurisprudence finisse par mettre à sa
charge un devoir de conseil vis-à-vis de la caution en raison de la tendance des juges à
renforcer ses obligations.
76
civ.1è 28 janvier 1992, inédit, commentaires de Ph. Simler et Ph. Delebecque au JCP 1992, I, p.490, n°10
civ.1è 13 février 1996, D.1996 , som. 265, obs Aynès ; Droit et patrimoine 1996, 76, obs Saint-Alary
78
CA Versailles 17 septembre 1998 bull Joly 1999, p.245 note Couret. Voir aussi : CA Paris 27 septembre 1996,
JCP E 1996, pan. n°1169 condamnant la banque qui commet une faute d’imprudence en recueillant des
engagements de caution disproportionnés et sans prodiguer aux garants de conseils sur les risques encourus,
alors que la situation de la société emprunteuse était financièrement fragile.
79
com. 23 juin 1998, JCP E 1998, p.1831 note Legeais
80
D. Legeais, L’obligation de conseil de l’établissement de crédit à l’égard de l’emprunteur et de sa caution ,
Mélanges AEDBF-France II, Banque éditeur, 1999, p.257
77
25
Nous l’avons déjà dit, bien qu’elle ne soit pas partie principale à l’acte, il semble logique que
la caution soit aussi éclairée par les conseils du notaire d’autant que ce devoir est pour lui
impératif.
Si le notaire est en rapport avec la caution parce que le cautionnement est intégré à l’acte
principal, la jurisprudence admet que le tiers garant est créancier du conseil ; en effet, cette
solution était reconnue implicitement par le juge qui écartait l’application de l’article 1326 du
code civil dans l’hypothèse d’un cautionnement authentique81, estimant que le devoir de
conseil notarié rendait inutile la mention manuscrite protégeant la caution.
Depuis un arrêt remarqué de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 7
novembre 200082, les magistrats affirment que le notaire doit éclairer la caution au même titre
que les autres clients, en reprochant aux juges du fond de n’avoir pas recherché si le notaire
« avait appelé l’attention de M. et Mme B… (les cautions) sur l’importance et les risques des
engagements auxquels ils se proposaient de souscrire ».
62. La position selon laquelle le tiers garant bénéficie du conseil du professionnel
devrait d’ailleurs être transposable à l’ensemble des garanties personnelles comme la garantie
autonome, mais cela reste une supposition en l’absence de jurisprudence sur ce point ; il est
vrai que ces garanties sont encore peu utilisées en droit interne.
2) Les créanciers du client et de la caution
63. Il est nécessaire qu’il soit tenu compte des intérêts des créanciers du client et de la
caution dans l’appréciation de la garantie la mieux adaptée à l’opération.
En effet, une insuffisance de garantie peut se répercuter sur les créanciers du créancier en
alourdissant le passif de celui-ci.
Au contraire, une garantie de valeur supérieure au montant de la vente ou du prêt peut laisser
supposer une fraude aux droits des créanciers du débiteur, avec le concours du créancier
garanti.
64. Cependant, puisque les créanciers des parties à l’acte sont étrangers à cette
opération, ils ne bénéficient pas du conseil.
Indirectement, les créanciers en bénéficient quand même puisqu’ils peuvent agir sur le
fondement de l’article 1382 code civil, notamment contre le notaire qui manque à son devoir
de conseil, si le dommage qu’ils subissent est la conséquence de la faute commise à l’encontre
des parties83.
Concrètement, sont concernés : les créanciers du client créancier, si le notaire ne l’a pas mis
en garde contre l’insuffisance des garanties, ou les créanciers de la caution, si la banque ou le
notaire ne lui déconseille pas de s’engager alors que la situation du débiteur est compromise.
65. Le nombre des personnes qui bénéficient, directement ou indirectement, du conseil
est donc particulièrement important lorsque ce conseil est relatif aux garanties nécessaires
pour assurer l’exécution de l’opération envisagée.
Il est en effet nécessaire de tenir compte des nombreux intérêts en présence.
81
com. 20 mars 1990, D 1990, som. p.383, obs Aynès ; civ.1è 2 juillet 1991, bull civ. I n°225 ; civ.1è 13 février
1996, JCP 1996, I, 3983, obs Virassamy ; civ.1è 4 février 1997, bull civ. I n°42.
82
Civ.1è 7 novembre 2000, JCP 2001, I, 315, n°6, obs Simler ; JCP E 2001, p.372, obs Legeais.
83
civ. 1è 27 avril 1978, JCP 1979 II 19078
26
66. Bien que nous venions de constater que la délivrance de conseils serait la
bienvenue dans la matière des garanties, qui se révèle complexe et source de graves
préjudices, l’existence d’un devoir de conseil à la charge du notaire ou du banquier paraît se
heurter à d’autres devoirs généraux mis à leur charge.
27
CHAPITRE 2
LE PROBLEME DU CONFLIT DE DEVOIRS
67. Les réserves les plus importantes quant à l’existence d’un devoir de conseil en
matière de garanties semblent provenir des autres devoirs qui sont assumés par le notaire et le
banquier.
Ainsi, le respect du secret professionnel auquel ils sont tenus ne constitue-il pas un obstacle
au conseil ?
De même, le banquier, qui est astreint à un principe de non ingérence dans la gestion des
affaires de son client, est , au premier abord, dans l’impossibilité de remplir son devoir de
conseil.
Section 1. Le secret professionnel
68. Planiol définit le secret professionnel comme « l’obligation du secret imposé à un
grand nombre de personnes pour les choses qu’elles ont connues dans l’exercice de leur
profession ou fonction »84.
Si le notaire et le banquier sont tenus au secret professionnel, ils se trouveront parfois dans
une situation embarrassante : sont-ils obligés de faire une entorse à leur devoir de discrétion
afin de respecter leur devoir de conseil ?
§ 1. Consécration légale du secret
69. Avant d’analyser les rapports qui existent entre le devoir de conseil et le secret
professionnel, il convient de présenter le secret bancaire et le secret notarié.
A. Notaire et banquier sont soumis au devoir de secret
70. De tout temps, la morale a considéré comme coupable celui qui dévoilait les
secrets d’autrui ; le secret professionnel a d’ailleurs été consacré très tôt en tant qu’obligation
légale, le code pénal de 1810 en prévoyant la sanction.
Désormais, l’article 226-13 du nouveau code pénal, qui a repris de façon plus abstraite les
dispositions de l’ancien article 378, dispose que « la révélation d’une information à caractère
secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison
d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15
000 euros d’amende. ».
71. Il paraît naturel que le notaire et le banquier soient concernés par ce devoir au
secret car c’est la condition de la confiance que leur témoigne leurs clients.
Néanmoins, ni les uns ni les autres n’étaient expressément nommés parmi les personnes
tenues au secret professionnel qui étaient spécifiées par l’ancien article 378.
72. La loi du 25 ventôse an XI, elle aussi, restait muette quant au secret professionnel
notarial et s’il est aujourd’hui unanimement admis par la jurisprudence et les textes que le
notaire est soumis au secret, il n’en a pas toujours été ainsi : en effet, M. Bergeaud nous
84
Planiol, Traité élémentaire de droit civil , tome 2, n°828
28
rappelle qu’ « en 1830, la Cour Suprême refusait sous le motif que le principe de la liberté de
la défense le justifiait à l’égard des avocats et non des notaires. »85.
Puis, l’ordonnance de Villers-Cotterêts est venue interdire au notaire, personne publique, de
révéler le secret des parties et personne n’a plus discuté le principe du secret pour les notaires,
l’article 7 du règlement national affirmant d’ailleurs que « confident nécessaire de ses clients,
le notaire est tenu au secret professionnel dans les conditions de l’article 378 du Code pénal ».
73. « Par profession, le banquier est détenteur d’informations confidentielles sur ses
clients, voire sur des tiers. »86.
C’est pourquoi, plus qu’à un simple devoir de discrétion, M. Rives-Lange et Mme
Contamine-Raynaud notent que « tout un courant doctrinal87, certaines décisions de justice88,
la pratique bancaire » considéraient que le banquier était assujetti à un véritable secret
professionnel.
La loi bancaire du 24 janvier 1984, dans son article 5789, s’est ralliée à cette opinion car elle
stipule que « toute personne qui, à un titre quelconque, participe à la direction ou à la gestion
d’un établissement de crédit ou qui est employée par celui-ci, est tenue au secret professionnel
dans les conditions et sous les peines prévues à l’article 378 du code pénal. ».
Le banquier fait donc également partie des « confidents nécessaires » tenus au secret
professionnel que sanctionne l’article 226-13 du nouveau code pénal.
74. Si, de l’avis unanime, le banquier et le notaire, qui reçoivent de leur clientèle, et
parfois de tiers, de multiples confidences, doivent respecter un devoir de secret, encore faut-il
en déterminer l’étendue en commençant par préciser l’information objet du secret.
B. Les informations couvertes par le secret
75. Il est indispensable que le client soit assuré que son secret sera gardé pour que le
banquier ou le notaire, qui sont complètement renseignés afin de remplir leur mission, ne
puissent pas retourner ces informations contre lui.
Et au-delà de la protection des intérêts privés, le secret professionnel « concerne le respect de
la personne même du confident », dans le sens où toute atteinte au secret entame la foi du
public en la profession du confident. « A ce titre, il participe à l’ordre public. »90.
76. C’est pourquoi, tous les faits non publics que le client ,ou un tiers, a confiés au
notaire ou au banquier , tous les faits que ce-dernier a connus ou surpris dans l’exercice ou à
l’occasion de son activité professionnelle doivent rester confidentiels.
Donc seules les confidences reçues par le notaire ou le banquier en cette qualité seront
garanties par le secret professionnel.
Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 13 juillet 197391 rappelle d’ailleurs que les notaires
sont tenus au secret pour tout ce qui parvient à leur connaissance dans les attributions relevant
de leur compétence.
Inversement, si ces professionnels apprennent certaines informations indépendamment de
l’exercice de leur activité, ils ne sont pas, en principe, obligés de les garder secrètes.
85
J.-Y. Bergeaud, Le devoir de conseil du notaire , thèse, Paris 2,1979
J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, précis Dalloz, 5è édition, n°174
87
Ch. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire , Litec 4è édition, n°172
88
CA Paris, 6 février 1975, D 1975, 318
89
devenu art. L511-33 du code monétaire et financier
90
J. Dejean de La Batie, Le secret professionnel du notaire, Droit et patrimoine 1993, p.58
91
CA Paris 13 juillet 1973, D 1974, 7, note de La Marnière
86
29
77. Apparemment, les exceptions au secret professionnel sont peu nombreuses, cette
obligation renforçant la foi du public dans le système bancaire et dans l’institution notariale.
Cela sème le doute sur la possibilité d’un conseil à la charge de ces professionnels, en
particulier dans le domaine des garanties, car l’élément essentiel du devoir de conseil consiste
à transmettre au client des informations qui sont susceptibles d’être couvertes par le secret.
§ 2. Conséquences
78. L’assujettissement du banquier et du notaire , c’est-à-dire des principaux
intervenants dans le domaine des garanties, au secret professionnel peut poser problème par
rapport à leur devoir de conseil, qui est lui aussi fondé sur l’intérêt général.
A. Opposabilité du secret
79. En principe, les seules personnes admises à partager le secret sont le confident et la
personne qui se confie.
Il ne cède que dans des cas très particuliers, prévus par le législateur : certaines
administrations, comme l’administration des douanes92, certaines personnes, comme les
agents du fisc93, ou encore les autorités judiciaires94 tiennent de la loi le droit de partager le
secret bancaire ou notarial.
80. Néanmoins, en dehors des dérogations légales, le banquier ne peut pas opposer le
secret professionnel à certaines personnes et refuser de les informer, alors que le secret
notarial paraît davantage intangible.
En effet, il ressort d’un arrêt de la chambre commerciale du 11 avril 199595 qu’ « il est admis
que le secret bancaire, à la différence d’autres secrets professionnels (avocats…), est relatif,
c’est-à-dire que le client peut autoriser le banquier à révéler tel fait à telle personne ou au
public. »96. L’emprunteur peut donc, en théorie, autoriser l’établissement de crédit à révéler à
la caution sa situation financière exacte, mais l’on voit mal l’intérêt que le débiteur trouverait
à faire connaître volontairement l’état de ses finances s’il n’est pas excellent.
En revanche, la plupart des auteurs et le corps notarial dans son ensemble estiment que le
client ne peut pas délier le notaire de son obligation au secret et ce dans l’intérêt même du
client mais, surtout, en vertu du caractère d’intérêt général du secret professionnel.
81. En outre, bien que le client n’ait pas autorisé le banquier à livrer le secret, il n’est
pas totalement opposable aux personnes dont les intérêts sont étroitement liés à ceux du
client : les limites des personnes concernées sont, malgré tout, imprécises.
M. Gavalda et M. Stoufflet nous informent toutefois que, selon la pratique bancaire et la
jurisprudence97, le secret est opposable aux cautions, cette règle bénéficiant en réalité aux
92
l’article 65 du code des douanes prévoit que les agents de cette administration peuvent exiger la
communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service.
93
l’article 110 al 2 du code général des impôts édicte que les officiers publics et ministériels doivent, à toute
réquisition de l’inspecteur des impôts, représenter leurs livres, registres, pièces de recette, de dépense ou de
comptabilité à l’appui des énonciations de leurs déclarations.
94
l’article 434-1 du nouveau code pénal notamment punit le fait pour toute personne de s’être abstenue de
révéler à l’autorité un crime ou un délit portant atteinte à l’intégrité physique de la personne humaine lorsque les
suites auraient pu en être évitées.
95
com. 11 avril 1995, JCP E 1995, pan.777 ; RDBB 1995, 145, obs Crédot et Gérard
96
Ch. Gavalda et J. Stoufflet, op.cit., n°174
97
CA Paris 15 novembre 1974, Banque 1975, 1101, note Martin
30
héritiers et légataires universels98 ou encore au commissaire aux comptes de la société
cliente99 .
B. Le conseil en matière de garanties: une exception au secret ?
82. Banquier et notaire peuvent se trouver dans un conflit de devoirs : leur faut-il
privilégier le conseil ou le secret professionnel ?
Tenus à l’un et à l’autre, la question est de savoir s’ils peuvent néanmoins divulguer quelques
informations afin de remplir convenablement leur mission de conseil, puisqu’ils ne se
contentent pas d’éclairer leur client sur la portée de la garantie mais qu’ils doivent aussi
l’avertir des risques liés à la garantie, ou si le secret professionnel ne peut faire l’objet
d’aménagements.
La jurisprudence diverge sur ce point selon que le professionnel est un notaire ou un
banquier.
83. L’usage et la doctrine admettent que la banque puisse donner à des tiers,
notamment caution, des informations générales sur la situation économique et financière du
client si ces indications sont des éléments connus sur la place100.
En effet, le secret bancaire ne porte que sur des informations « confidentielles » selon les
termes du code pénal : « les renseignements confidentiels sont ceux qui présentent un
caractère précis, notamment par les chiffres qui les accompagnent : le contenu du bilan, le
montant ou le mouvement du compte, etc. »101.
Le secret bancaire est donc compatible avec le devoir de conseil vis-à-vis de la caution,
l’établissement de crédit se contentant de communiquer au tiers garant des indications d’ordre
général, et non confidentiel, sur la situation financière de l’emprunteur, comme « échéances
difficiles » ou « chèques impayés », pour remplir son devoir de conseil.
Néanmoins, la marge de manœuvre du professionnel est étroite puisque « trop prudent, le
banquier commet une faute à l’encontre de la caution, trop disert, il engage sa responsabilité
pénale. »102.
84. En revanche, la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 juin 1899103, a décidé que le
notaire ne peut violer le secret pour satisfaire à son devoir de conseil vis-à-vis des autres
clients ; une partie des auteurs104 est d’ailleurs d’avis que le principe du secret professionnel
est d’ordre public absolu.
Si le notaire dénonce la possible insolvabilité de l’emprunteur au banquier ou à la caution, le
débiteur lui ayant confié connaître des difficultés financières, il viole le secret professionnel :
cette solution lui interdit donc de mettre en garde les autres parties à l’opération de prêt contre
une insuffisance de garanties.
98
Ordonnance TGI Paris 10 juillet 1991, Banque 1991, 1088, obs Rives-Lange ; JCP E 1992, I, 154, n°14
loi 24 juillet 1966, art 229, al 5
100
Ch. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire, Litec 4è édition, n°176 ; J.-P. Bertrel, Obligation au secret
professionnel du banquier, BRDA 31 juillet 1991, p.14, n°5 ; F. Boucard, Les obligations d’information et de
conseil du banquier, op.cit., n°164
101
J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, op.cit. , n°175
102
P. Bouteiller, op.cit., p.54
103
civ. 6 juin 1899, D 1900, 1, 167. L’attendu d’un arrêt du 20 juillet 1994, bull civ. I n°20, qui décide que « le
notaire a l’obligation de leur (ses clients) fournir tous les éléments d’information en sa possession susceptibles
de les éclairer sur la nature et la portée de leurs engagements » semble donc trop général.
104
Voir par exemple :J.Yaigre et J.-F. Pillebout, Droit professionnel notarial , Litec 4è édition. Comp. : J.
Dejean de la Batie, op.cit., qui considère que le client peut délier le notaire du secret pour les affaires
patrimoniales.
99
31
Une autre jurisprudence a pu estimer , comme certains auteurs105, que le notaire était délié du
secret quand une partie voulait commettre une fraude106. Cependant, l’état actuel de la
jurisprudence semble bien résumé dans un arrêt de la Cour de Douai du 30 mars 1992107 qui
décide que le notaire qui a connu certains renseignements dans l’exercice de sa profession ne
peut pas les révéler bien qu’ils intéressent très utilement l’un de ses clients : le secret
professionnel est alors un obstacle au conseil, et il serait bon que les notaires arguent de ce
moyen plus fréquemment en cas de litige108.
Bien sûr, dans l’hypothèse où le débiteur fait l’objet d’une procédure collective ou de
surendettement, le notaire qui attire l’attention de ses clients sur la nécessité de recourir aux
sûretés ne viole aucun secret, les difficultés du premier étant connues publiquement.
85. Autre exemple dans le domaine des garanties, le notaire qui connaît l’existence
d’hypothèques grevant un immeuble vendu doit mettre en garde l’acquéreur alors que l’autre
partie souhaite cacher cet élément109, à défaut de quoi le notaire peut être condamné pour
escroquerie.
En effet, le secret ne couvre pas cette information car les hypothèques sont publiées au bureau
des hypothèques de la situation de l’immeuble, et s’il a subsisté un problème avec les
hypothèques légales dont l’inscription était facultative, la réforme de la publicité foncière en
1955 l’a résolu.
Par conséquent, la jurisprudence admet que le notaire peut révéler à ses autres clients les
informations que ceux-ci auraient pu se procurer au moyen d’actes soumis à la publicité
foncière110.
La situation hypothécaire d’un bien est accessible à tous, l’inscription étant d’ailleurs
essentielle à l’opposabilité de la sûreté aux tiers et donc à son efficacité.
Le secret ne s’applique pas à cette garantie, ce qui laisse le champ libre au conseil.
86. Nous venons de constater que le secret professionnel peut surtout empêcher le
notaire de dispenser des conseils au créancier ou à la caution lorsque les mises en garde se
rapportent à la situation économique du débiteur.
Le secret professionnel du banquier semble plus relatif. Cependant, un autre devoir
professionnel, qui lui est propre, paraît se heurter à son devoir de conseil: il s’agit du principe
de non ingérence dans les affaires de son client.
Section 2. Le principe de non ingérence du banquier
87. Le devoir de conseil oblige le professionnel à interroger son partenaire, à lui
demander des précisions : il doit se renseigner pour mieux conseiller111.
Mais si le notaire a pour obligation de veiller à l’efficacité des actes qu’il instrumente par
rapport au droit positif, ce qui lui impose de procéder à certaines vérifications , le banquier
105
notamment R. Chossegros, Le rôle de conseil des notaires , thèse, Lyon, 1928
civ. 5 août 1854, S 1855, II, 207 ; civ. 4 août 1936, S 1936, I, 382
107
CA Douai 30 mars 1992, Defrénois 1993, 35437
108
pour une espèce dans laquelle la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du notaire qui faisait valoir « qu’il n’a
pas à renseigner l’une des parties sur les aptitudes financières ou autres du co-contractant », sans trancher sur le
terrain du conflit de devoir entre conseil et secret puisque le notaire n’avait pas expressément invoquer le secret :
civ.3è 16 novembre 1971, bull civ. III n°559 ; JCP 1971, IV, 297 ; Defrénois 1972, 30094, n°14, note Aubert.
109
Cass. 11 mai 1891, Journal des notaires et des avocats 1891, 24865, p.396
110
Cass. 22 janvier 1890, S 1890, 1, 460 ; civ.1è 9 décembre 1974, bull civ. I n°334 et Journal des notaires et
des avocats 1976, 52991, note de Poulpiquet.
111
CA Paris, 5 mars 1985 ; D 87, somm p.104
106
32
compte au nombre de ses devoirs généraux un principe de non immixtion dans les affaires de
son client.
Comment peut-il apprécier l’opportunité de souscrire telle garantie s’il n’a pas la possibilité
de se renseigner complètement et objectivement sur la situation de son client ?
§ 1. Les contours du principe
88. L’idée qu’un banquier n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client est
souvent invoquée en doctrine et en jurisprudence pour écarter sa responsabilité ; ce principe
qui, apparemment, profite au client, ne bénéficie en réalité qu’au banquier.
Ce constat peut avoir une incidence considérable sur l’existence d’un devoir de conseil à la
charge de l’établissement de crédit : en effet, ce-dernier pourrait se retrancher derrière la non
ingérence pour être déchargé de son conseil.
A. Signification
89. Les juges ne donnent jamais de définition précise de la non ingérence ; en réalité,
si ce principe a été dégagé en jurisprudence, c’est la doctrine qui tente de le définir.
De prime abord, ce principe signifie que le banquier n’a pas à se substituer à son client dans la
conduite de ses affaires.
Le professionnel est donc dispensé de rechercher les raisons des opérations que ses clients
effectuent112.
90. Messieurs Gavalda et Stoufflet précisent en effet que, « ce qu’implique
concrètement le principe de non-ingérence, c’est que la banque n’a pas à effectuer de
recherches, à réclamer de justifications pour s’assurer que les opérations qui lui sont
demandées par un client sont régulières, non dangereuses pour le client et insusceptibles de
nuire injustement à un tiers. »113.
91. Un auteur déduit de ce principe que « l’argent apparaît comme un domaine réservé
faisant en quelque sorte partie de la vie privée du client. »114.
Cette notion ne confère cependant pas une immunité totale au banquier, le principe de non
ingérence n’excluant pas le devoir de vigilance de l’établissement de crédit.
Il ne saurait donc accepter sans réagir une opération manifestement irrégulière ou inhabituelle
dans la pratique commerciale ou dans les habitudes du client115.
Le banquier peut, par conséquent, se contenter de contrôler l’apparence des choses et n’a pas
à mener d’enquête poussée.
92. Un établissement de crédit appelé, par le biais d’un prêt, à apporter son concours à
une opération ou à l’activité de son client n’aurait donc pas à veiller à l’opportunité du choix
du client en l’incitant, par exemple, à renoncer à son projet.
B. Fondement
112
voir notamment : com. 25 avril 1967, JCP 1967, 15306, note C. Gavalda ; civ.1è 8 février 1983, bull civ. I
n°51 ; com. 30 janvier 1990, Banque 1990, 535, obs J.-L. Rives-Lange ; CA Paris 4 avril 1997, RJDA 1997,
n°1227
113
Ch. Gavalda et J. Stoufflet, op.cit., n°185
114
J.-F. Clément, op.cit, RTD com. Avril-juin 1997, p.203
115
voir notamment : com. 28 octobre 1974, bull civ. IV n°264 ; com. 4 novembre 1977, D 1978, IR, 1, obs F.
Derrida ; CA Paris 12 janvier 1996, D 1996, 507, note H. Vray ; com. 27 février 1996, RJDA 1996, n°651
33
93. Le principe de non ingérence semble protéger à la fois la banque et le client, contre
une curiosité excessive du banquier.
Toutefois, il ressort de l’analyse de son fondement que la non ingérence ne profite pas aux
clients mais au banquier.
94. En effet, M. Grua nous rappelle que, contrairement à l’idée communément admise
en doctrine, le principe de non ingérence n’est pas un prolongement du secret des affaires.
Il est vrai que si le secret des affaires est une obligation du banquier envers les clients, en
revanche, « la jurisprudence ne se sert pas du principe de non ingérence pour imposer quoi
que ce soit au banquier envers ses clients, mais, au contraire, pour le dispenser
d’investigations. ».
En définitive, « le principe de non ingérence paraît trouver son fondement le plus solide dans
le droit commun de la responsabilité. ». L’objet du principe de non immixtion est de fixer une
norme de comportement qui, si elle est respectée par le banquier, lui permet d’écarter sa
responsabilité.
Selon M. Grua, « ce principe signifie au fond qu’en raison de la multiplicité des opérations
quotidiennes à effectuer, un banquier demeure dans les normes professionnelles de la
prudence en limitant ses contrôles à l’apparence des choses. »116
95. La non ingérence impliquerait donc que le banquier n’a pas à conseiller son client ,
sauf peut-être s’il y est invité.
Cependant, le principe de non immixtion semble ne concerner que certains domaines de
l’activité bancaire, et en particulier les services de caisse117 pour lesquels la banque ne joue
qu’un rôle passif.
Il convient alors de se demander si la non ingérence concerne aussi l’octroi de crédit, où la
banque n’est plus simple exécutante, et ce afin de déterminer son influence sur le devoir de
conseil en matière de garanties.
§ 2. Implications quant au devoir de conseil
96. La non immixtion semble empêcher le banquier de dispenser des conseils à ses
clients. Cependant, lorsqu’il est sollicité pour dispenser un crédit, c’est un autre devoir qui
s’impose à l’établissement de crédit : le principe de vigilance ou de prudence.
Ce second principe vient tempérer la non ingérence et rend possible, et nécessaire, le devoir
de conseil.
A. Un obstacle apparent au conseil
97. La non ingérence semble faire obstacle non pas tant au conseil lui-même qu’aux
investigations sur la situation du client qui précèdent le conseil.
Mais l’immunité du banquier n’est pas totale: ce principe doit être tempéré par le devoir
général de prudence qui lui incombe et qui est transcrit sous l’appellation de devoir de
vigilance ou de discernement pour la fonction de distribution de crédit.
Dans ce domaine, la non ingérence cède du terrain parce que la banque doit « éviter que le
crédit ne soit source de préjudice »118.
C’est pourquoi, d’après M. Grua119, le banquier peut seulement s’en tenir à des contrôles
superficiels pour les opérations standardisées, « par opposition aux opérations sur mesure où
116
F. Grua, Contrats bancaires , tome 1, Economica 1990, n°43
J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, op.cit., n°169
118
Th. Bonneau, Droit bancaire , Montchrestien 4è édition, n°735
119
F. Grua, op.cit. , n°44
117
34
doivent être prises en considération la personnalité ou l’état des affaires du client », la
fourniture d’un prêt appartenant à ces opérations.
1) L’obligation du banquier de s’informer dans le domaine du crédit
98. Le devoir de prudence du banquier lui commande de s’informer sur les activités
qu’il finance, afin de s’assurer qu’elles ne sont pas illicites120, ou que l’entreprise qui les
exerce n’est pas en situation désespérée121, ce qui est constitutif d’un soutien abusif.
Avant d’accorder un prêt, il est donc obligatoire pour le banquier de se renseigner sur l’état
des affaires de son client.
Les informations que l’établissement de crédit doit réunir dépendent des circonstances ainsi
que les recherches à effectuer ; nous ne pouvons pas les détailler ici car chaque cas appelle
des précautions et une vigilance particulière.
99. Toutefois, d’après M. Grua122, « on peut dire que l’étendue des informations à
réunir varie entre deux limites ».
« A la limite supérieure », il est évident que, comme pour le notaire, l’obligation du banquier
de s’informer ne porte que sur des éléments qu’il est capable de recueillir, « étant précisé que
le principe de non ingérence ne paraît pas un obstacle à ses investigations ». Et de la même
façon que le notaire, le banquier n’a pas à mettre en cause la véracité de certaines
informations, ce qui lui permet de ne pas pousser plus loin ses recherches : dans un arrêt du 9
mai 1978, la chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi décidé que la certification
par le commissaire aux comptes de la régularité des comptes est une information digne de
foi123.
« A la limite inférieure », le banquier doit procéder à un certain nombre de vérifications
préalables minimales, avant de dispenser un crédit. Il doit faire preuve de la plus élémentaire
prudence, notamment en s’assurant de la sincérité et de la régularité des comptes qui sont
présentés124. En revanche, dans un arrêt de la chambre commerciale du 15 juin 1993125, il a
été jugé que la banque n’a pas à s’informer sur une éventuelle interdiction bancaire du
prétendant au crédit car cela n’interdit pas d’obtenir un prêt.
100. Le banquier est donc , normalement, au courant de la situation de son client, ce
qui lui permet notamment d’être en mesure de délivrer des conseils sur les garanties qui
semblent utiles pour assurer le remboursement du crédit. Son devoir de prudence impose en
effet au banquier de lutter contre une prise de risques trop importants par l’emprunteur,
l’octroi d’un crédit pouvant avoir des conséquences dramatiques, notamment la ruine.
Le principe de non ingérence dans les affaires du client n’est finalement qu’un obstacle
apparent aux investigations préalables au conseil en matière de garanties.
2) Le compromis entre la non ingérence et la prudence
120
com. 9 juin 1987, GP 1987, 2, pan. p.22, à propos d’effets de complaisance
CA Aix-en-Provence 8 juillet 1971, Banque 1971, p.145 ; CA Toulouse 21 décembre 1988, CGF c/ KFB,
jurisdata n°050774. Contra : CA Aix-en-provence 7 février 1984, Banque 1984, p.728, obs. Rives-Lange.
122
F. Grua, Responsabilité civile du banquier : service du crédit , Juris-classeur Banque-crédit-bourse, fasc. 151,
p.6
123
com. 9 mai 1978, D 1978, p.419, note M. Vasseur
124
com. 22 mai 1985, bull civ. IV, n°164 ; voir aussi A.Viandier, Compte-rendu des travaux comptables
effectués et responsabilité du banquier , JCP E 1984, I, 13257
125
com. 15 juin 1993, bull civ. IV, n°248 ; JCP E 1993, pan. 1077
121
35
101. Néanmoins, apparemment, en ce qui concerne la fourniture de crédit, le devoir de
prudence n’exclut pas le principe de non immixtion.
Il y aurait plutôt une combinaison entre ces deux principes, du moins si l’emprunteur est un
non professionnel126 .
Cela ressort d’un arrêt très remarqué, et controversé127, de la première chambre civile de la
Cour de cassation en date du 27 juin 1995128, qui indique que « la présentation d’une offre
préalable conforme aux exigences de l’article 5 de la loi 13 juillet 1979 ne dispense pas
l’établissement de crédit de son devoir de conseil à l’égard de l’emprunteur, en particulier
lorsqu’il apparaît à ce professionnel que les charges du prêt sont excessives par rapport à la
modicité des ressources du consommateur . ».
A contrario, il est possible de considérer que les juges estiment que l’établissement de crédit
n’est pas responsable dès lors qu’il met suffisamment en garde le consommateur sur la
disproportion entre l’endettement souscrit et ses faibles revenus. Auparavant au contraire, le
professionnel avait en quelque sorte l’obligation de ne pas contracter si la situation du client
n’était pas assez solide pour rembourser l’emprunt , sinon, le banquier voyait sa responsabilité
engagée pour « légèreté blâmable »129.
Désormais, la décision finale appartient au client, ce qui est une manifestation de la non
ingérence du banquier dans ses affaires.
102. Le banquier a donc l’obligation d’agir en procédant à des vérifications en vertu
du devoir de prudence, mais son action est ensuite limitée par le devoir de non ingérence.
La prise en compte de la non immixtion explique en effet que l’intervention ultérieure du
créancier se borne à des conseils.
Et puisque les garanties sont, rappelons-le, les auxiliaires nécessaires du crédit, l’intervention
de la banque sur ce point est aussi cantonnée au conseil.
B. Opportunité de la solution
1) Un compromis limitatif de responsabilité
103. Du point de vue du banquier, la solution est intéressante parce que plus on lui
donne un rôle actif dans le choix des garanties, plus on donne aux clients de possibilités
d’engager sa responsabilité : or, son devoir étant accompli par la délivrance de simples
conseils, la responsabilité de l’établissement de crédit ne peut être engagée comme dirigeant
de fait ou de droit de la personne morale emprunteuse ou caution en raison d’une immixtion
dans ses affaires.
En effet, il ne doit assumer la responsabilité que des actes qu’il a imposés.
126
contra pour un professionnel : com. 11 mai 1999, D 1999, IR p.155 ; RTD com. 1999, p.733 obs. M.
Cabrillac.
Arrêt qui relève que le prêt a été demandé par le débiteur et que le banquier n’a pas à s’immiscer dans la gestion
des affaires de son client, ce qui exclut l’existence ne serait-ce que d’un conseil.
127
Pour une critique de l’arrêt, voir A. Gourio, Le prêteur est-il réellement tenu d’une obligation de conseil
envers le particulier emprunteur ?, in La responsabilité civile du prêteur au titre de l’octroi d’un crédit à un
particulier, RDBF 2001, p.51. L’auteur remarque d’ailleurs que la qualification de devoir de conseil « a disparu
des arrêts rendus postérieurement par la première chambre civile.
128
civ.1è 27 juin 1995, bull civ. I n°287 ; JCP E 1996 II 772, note D. Legeais ; RTD civ. Avril-juin 1996, p.385,
obs. Mestre ; Defrénois 1995, 36210, p.1416, note Mazeaud.
Voir aussi S. Piedelièvre, La responsabilité liée à une opération de crédit , Droit et patrimoine n°89, janvier
2001, p.62.
129
Civ. 1è 8 juin 1994, bull civ. I n°206; JCP E 1995 II 652, note Legeais; RDBB 1994, p.173, obs. Crédot et
Gérard
36
2) La force retrouvée de la non ingérence
104. Du point de vue du client, le compromis semble positif parce qu’il lui permet de
ne pas être livré à lui-même et de bénéficier des conseils d’un professionnel qui, sans cela, se
serait retranché derrière le principe de non immixtion.
105. Cependant, si la prudence et la non immixtion doivent être respectées, il ne faut
pas oublier que les deux principes n’interviennent pas au même moment : le premier permet
de réaliser les investigations préliminaires alors que le second est pris en compte par le juge
essentiellement pour déterminer l’étendue du conseil donné.
La non immixtion étant reconnue dans l’intérêt du banquier, cela explique que ce principe
permette au professionnel de limiter le contenu du conseil au strict minimum lorsque son
intérêt le justifie.
Dans certains cas, la non ingérence retrouvera toute sa force : il en est par exemple tenu
compte pour limiter le conseil délivré à la caution à un conseil négatif.
C’est une nouvelle preuve que la non ingérence ne joue que dans les hypothèses où elle
profite au banquier, puisque le principe ne fait pas obstacle à un conseil très étendu à propos
de la souscription d’une assurance en tant que garantie. Si les juges restreignent le conseil à
l’égard de la caution en se fondant sur la non ingérence, cela s’explique par le fait que
l’intérêt du créancier n’est évidemment pas de fournir lui-même au garant des conseils qui lui
permettraient de se libérer de ses engagements.
106. Le secret professionnel et le principe de non ingérence ne constituent donc pas
des obstacles généraux à l’exercice d’un devoir de conseil vis-à-vis du créancier ou des
garants ; au contraire, les diverses obligations déontologiques à la charge du banquier et du
notaire s’articulent entre elles sans s’exclure.
Mais, une fois l’existence d’un devoir de conseil admise, il convient de s’intéresser au
contenu de ce conseil, afin de s’assurer qu’il permette bien aux parties d’être éclairée sur le
choix de la garantie la mieux adaptée à l’opération qu’elles envisagent.
37
TITRE II
UN DEVOIR D’INTENSITE VARIABLE MARQUE PAR LES
CONFLITS D’INTERETS
107. Une fois acquis le principe de l’existence du devoir de conseil du notaire et du
banquier, il convient d’essayer de déterminer son contenu.
Ainsi, nous pourrons savoir si le devoir de conseil atteint son but, à savoir aider les clients
dans le choix de la garantie adaptée à l’opération qu’ils concluent.
Cependant, il s’agit d’une tâche délicate, dans la mesure où le devoir de conseil est très
malléable.
Plutôt que de tenter de recenser les différents cas où la jurisprudence a reconnu que le
professionnel était débiteur d’un devoir de conseil, ce qui rendrait cette étude caduque
rapidement, notre démarche consistera à dégager les grands principes de la construction
jurisprudentielle.
Il apparaît avant tout que le devoir de conseil du notaire est très différent du devoir de
conseil du banquier. Dans l’élaboration d’un devoir de conseil en matière de garanties, le juge
est en effet sensible à la nature de l’intervention du professionnel.
Plus exactement, il semble soucieux d’éviter au professionnel de conseiller contre ses intérêts,
ce qui l’amène à tenir compte de la nature de la garantie envisagée.
Notre étude sera donc présentée en deux chapitres :
Chapitre 1 : L’influence de la nature de l’intervention
Chapitre 2 : L’influence de la nature de la garantie
38
CHAPITRE 1
L’INFLUENCE DE LA NATURE DE L’INTERVENTION
108. En matière de conseils relatifs aux garanties, la jurisprudence n’exige pas la
même chose d’un notaire que d’un banquier : le premier est plus sévèrement tenu. N’allons
pas chercher de justification dans leur domaine de compétence, le banquier dispensateur de
crédit maîtrise les mécanismes de garantie.
L’explication se trouve davantage dans la nature de l’intervention du notaire, qui est rédacteur
de l’acte garanti ou de l’acte de garantie, et peut-être aussi dans son statut professionnel.
Section 1. Intervention d’un professionnel du droit
109. Le conseil en matière de garanties est dû par le professionnel du droit lorsqu’un
client vient spécialement le consulter pour obtenir un conseil dans ce domaine, mais ce devoir
lui incombe également à l’occasion de la rédaction de tout acte, authentique ou sous
signatures privées.
§ 1. En tant que rédacteur d’actes
110. Le notaire est souvent sollicité dans les opérations qui présentent un risque
juridique en vertu de son statut d’officier public, lui permettant de conférer le caractère
authentique aux actes qu’il reçoit, et parce que le Code civil, dans son article 2127, impose la
forme notariée à la garantie réelle immobilière par excellence, à savoir l’hypothèque130, s’il
s’agit d’une hypothèque conventionnelle. Le recours à cette garantie, que l’on disait
moribonde, est d’ailleurs toujours aussi courant dans la vie des affaires.
Le notaire interviendra dans des opérations de prêt, de vente immobilière ou encore lorsque le
prêt est lié à la réalisation d’une vente immobilière.
111. Il n’est pas le seul professionnel du droit qui puisse intervenir en tant que
rédacteur d’actes et qui soit alors tenu d’un devoir de conseil : l’avocat qui rédige un acte de
prêt manque ainsi à son devoir de conseil s’il n’attire pas l’attention sur l’absence de garanties
de remboursement131 ou s’il ne vérifie pas la valeur de la garantie stipulée au profit du
prêteur132.
L’expert-comptable aussi est concerné puisque la première chambre civile de la Cour de
cassation a affirmé de manière générale que « l’intermédiaire professionnel, négociateur et
rédacteur d’un acte, est tenu de s’assurer que se trouvent réunies toutes les conditions
nécessaires à l’efficacité juridique de la convention »133.
La jurisprudence est cependant moins abondante quant à ces professionnels, les parties à un
acte garanti, donc risqué, faisant essentiellement appel au notaire parce qu’il a le pouvoir de
conférer la forme authentique aux conventions.
130
sur l’importance économique de l’hypothèque, voir Ph. Malaurie et L. Aynès , Les sûretés, la publicité
foncière, CUJAS 9è édition, 1998/1999, n°655 et s
131
civ.1è 14 janvier 1997, D affaires 1997, 309
132
civ.1è 5 février 1991, bull civ. I n°46
133
civ.1è 17 janvier 1995, bull civ. I n°29 ; GP 1997, 1, 193, note Decocq
39
A. Caractère impératif du devoir de conseil du notaire
112. Le devoir de conseil n’est pas un devoir secondaire du notaire, selon la
jurisprudence et la doctrine, il est le complément nécessaire de l’authentification.
Par principe, le notaire doit veiller à l’efficacité de l’acte qu’il instrumente134 ; or, comment
l’acte peut-il être efficace, même s’il bénéficie des vertus de l’authenticité, lorsque ses
signataires n’ont pas connaissance de tout ce qui pourrait, par la suite, en perturber une bonne
exécution ?
Par conséquent, M. Aubert considère, comme la majorité des auteurs135, que le devoir de
conseil du notaire a pour objet d’assurer « l’efficacité des stipulations de l’acte qu’il
dresse »136 : « le devoir de conseil n’est pas seulement le palliatif d’un principe d’efficacité
tenu en échec ». D’après M. Aubert, « le devoir de conseil est un autre aspect du principe
d’efficacité (…) en vertu duquel le notaire est tenu de guider son client vers la meilleure
satisfaction de ses besoins et de l’informer de l’exacte portée de l’acte finalement dressé. »137.
La Cour de cassation a par ailleurs affirmé que le notaire rédacteur d’un acte est tenu
« d’éclairer les parties sur sa portée et ses conséquences et de prendre toutes dispositions
utiles pour en assurer l’efficacité eu égard au but poursuivi par les parties. »138.
112. Le devoir de conseil, qui participe de l’efficacité de l’acte instrumenté, a donc
pris une place considérable dans le cadre de la fonction notariale.
1) Principe
113. En sa qualité d’officier public, le notaire rédacteur d’actes s’est vu reconnaître
très tôt par le juge un devoir de conseil qui est impératif139 : son devoir de conseil est
impératif parce qu’il est inhérent à la mission professionnelle du notaire, qui est de veiller à
l’efficacité des actes.
En effet, celui-ci est en réalité un magistrat de « juridiction volontaire »140 qui est requis pour
rédiger des actes susceptibles d’empêcher les « différends de naître »141.
Même s’il semble normal que pèse sur le notaire, professionnel du droit et rédacteur d’actes,
un devoir de conseil dans le domaine des garanties, ce devoir est renforcé par le fait qu’il est
134
civ.1è 25 janvier 1989, bull civ. I n°40 : « l’obligation qui pèse sur les notaires de s’assurer de la validité et
de l’efficacité des actes qu’ils dressent s’étend à tous les actes auxquels ils donnent la forme authentique » ; voir
aussi civ.1è 10 janvier 1995, Defrénois 1995, p.346, note Aubert : « le notaire est tenu (…) d’assurer l’efficacité
des actes passés ».
135
voir notamment Y. Letartre, La responsabilité du notaire : principes et illustrations, JCP N 1999, p.1798 :
« le notaire doit assurer l’efficacité de ses actes ; à ce titre, il est tenu d’une obligation de conseil ».
ainsi que F. Vignal et N. Dutour, 94è congrès des notaires de France, Le contrat, p. 356 et s : « Les éléments
constitutifs du devoir de conseil trouvent leur source dans la pratique notariale. La vocation propre du notariat
est d’établir des conventions, certes équilibrées dans leurs obligations, mais également efficaces et fiables à
l’épreuve des contestations. ».
ou encore J.-Y. Bergeaud, Le devoir de conseil du notaire, thèse, Paris 2, 1979, n°85 : « la jurisprudence
comprend deux obligations dans la définition du devoir de conseil telle qu’elle résulte de nos magistrats : le
notaire doit s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il dresse. ».
136
J.-L. Aubert, La responsabilité civile des notaires, Répertoire du notariat Defrénois, 3è édition, 1998, n°69 et
suivants
137
J.-L. Aubert, op.cit., n°81
138
civ.1è 26 janvier 1988, bull civ. I n°26
139
Voir par exemple : civ. 1è 19 novembre 1985, bull civ. I n°308 ; Defrénois 1986, 1107, obs. Aubert.
Egalement : civ.1è 30 juin 1987, bull civ. I n°214 ; civ.3è 9 décembre 1992, Defrénois 1993, 315, obs Aubert.
140
Delanney, rapport au 3è congrès de l’union internationale du notariat latin
141
discours du conseiller Réal présentant au corps législatif le projet de la loi du 25 ventôse an XI
40
délégataire d’une partie de la puissance publique de l’Etat, bien qu’il ne soit plus qualifié de
« fonctionnaire public ».
114. Néanmoins, ce serait une erreur de croire que son devoir de conseil est lié à la
rédaction d’un acte authentique : le notaire reste pleinement tenu de ce devoir quand il rédige
un acte sous seing privé. En effet, inconsciemment, les parties se sont adressées à lui en raison
de ses compétences techniques et de sa qualité de notaire officier public ; la jurisprudence
estime qu’il n’y a pas à faire de distinction pour son devoir de conseil car le notaire rédigeant
un acte sous seing privé reste un notaire aux yeux des parties142.
2) Illustrations en matière de garanties
115. Le régime des garanties prises par acte notarié témoigne du caractère impératif du
conseil de ce professionnel.
116. En matière de garanties personnelles, le devoir de conseil du notaire soustrait
l’acte qu’il reçoit aux rigueurs des formalités imposées par la loi pour protéger le
consentement des cautions.
C’est le caractère impératif du conseil notarié qui explique que la mention manuscrite de
l’article 1326 du code civil n’a pas à figurer dans l’acte lorsque le cautionnement est pris
devant notaire143. M. Dutour et M .Vignal144 considèrent d’ailleurs que « la mention
manuscrite imposée au cœur de l’acte authentique est en contradiction profonde avec la
mission confiée au notariat. ».
En effet, la mention manuscrite en question a pour finalité de protéger la caution : or,
les conseils dispensés par le notaire sont supposés la remplacer avantageusement et lui
permettre de prendre conscience de l’étendue de son engagement.
Les magistrats de la Cour de cassation ont donc décidé que la mention manuscrite informative
de l’article 1326 est sans fondement dans une convention conclue par acte authentique,
d’autant que cette mention est requise ad probationem145 : elle est aussi inutile sur ce point car
« l’acte authentique fait pleine foi de la convention qu’il renferme » selon l’article 1319 du
code civil .
117. Le législateur, quant à lui, a reconnu le caractère impératif du conseil notarié
lorsqu’il a édicté des mesures préventives d’information et de protection des cautions dans le
domaine des prêts immobiliers146, mesures qui sont communes au crédit immobilier et au
crédit à la consommation.
Il a imposé de nouvelles mentions manuscrites requises ad validitatem et qui ont pour but,
elles aussi, d’attirer l’attention de la caution sur la portée de son engagement ; cependant, le
législateur a pris soin de limiter le champ d’application de la mention à l’acte sous seing
privé, du moins pour un cautionnement simple.
Il est vrai que l’article L313-8 du code de la consommation relatif au cautionnement solidaire
n’exclut pas expressément l’application de la mention manuscrite dans un acte authentique,
M. Dutour et M. Vignal regrettant que « ce texte législatif soit resté en l’état. ».
142
requête 30 octobre 1928, GP 1928, 2, 816 ; com. 1er mars 1971, bull civ. IV n°59
com. 20 mars 1990, D 1990, som. p.383, obs Aynès ; civ.1è 13 février 1996, JCP 1996, I, 3983, obs
Virassamy.
144
Voir N. Dutour et F. Vignal , La mention manuscrite et l’acte authentique , Defrénois 1998, p.218.
145
L’omission des formalités de l’art 1326 est sans influence sur la validité du cautionnement lui-même : civ.2è
18 décembre 1978, bull civ. II n°280 .
146
loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 modifiant la loi n°79-596 du 13 juillet 1979 intégrée aux art L312-1 et s
du code de la consommation
143
41
Néanmoins, cela semble ressortir des débats parlementaires et d’un arrêt de la Cour d’appel de
Paris du 1er février 2002147 qui comprend l’article L313-8 comme instaurant implicitement un
régime similaire à celui du cautionnement simple. Cette solution est la plus cohérente,
d’autant que si le cautionnement est solidaire, les mentions se complètent : comment exiger
d’en faire figurer une lorsque l’autre n’est pas requise ?
118. Nous pouvons remarquer que cette solution n’a pas vocation à s’appliquer à
l’ensemble des mentions qui doivent figurer dans un acte de prêt ; la jurisprudence a
récemment décidé qu’ un acte notarié à finalité professionnelle doit mentionner le taux
effectif global148.
Toutefois, il est vrai que l’article L313-2 du code de la consommation impose de faire figurer
le taux effectif global dans tout écrit constatant le contrat de prêt.
119. En matière de garanties réelles, il est à noter que l’exigence de solennité qui pèse
sur le contrat d’hypothèque s’explique par « la volonté de protéger le constituant face à un
acte grave dont il ne mesure pas forcément les conséquences »149 : la nécessité d’un acte
notarié datant du Moyen Âge150, peut-être pouvons-nous en déduire que le devoir de conseil
était, d’une certaine façon, déjà associé à la profession de notaire dans l’ancienne France.
Cependant, il semble, plus simplement, que le garant était protégé du seul fait de
l’intervention de l’officier public, qui suffisait à l’informer de l’importance de l’acte.
B. Un conseil au service de l’acte
120. Le conseil fait partie des obligations accessoires au devoir d’authentification, que
le notaire doit remplir afin d’assurer l’efficacité de l’acte principal ; néanmoins, cette mission
l’oblige à assurer aussi l’efficacité des mécanismes qui garantissent l’acte instrumenté.
La jurisprudence a d’ailleurs évolué sur ce point, puisque la première chambre civile de la
Cour de cassation avait jugé que le notaire qui avait dressé un acte de prêt ne devait pas attirer
spécialement l’attention des emprunteurs sur la nécessité de souscrire une assurance-groupe
par l’intermédiaire du prêteur151. En effet, les magistrats considéraient que, la souscription de
cette assurance n’étant pas obligatoire, elle ne conditionnait pas l’efficacité du contrat de prêt.
121. Cependant, l’acte principal n’est efficace et sûr que s’il a des chances d’être
exécuté : les garanties participent de l’efficacité de l’acte principal, c’est pourquoi le notaire
doit également conseiller ses clients dans le domaine des garanties.
1) L’objet du conseil notarié
122. Le notaire professionnel du droit a naturellement l’obligation de conseiller ses
clients dans le choix d’une garantie efficace, mais efficace selon quels critères ?
Si nous observons la jurisprudence, nous pouvons remarquer que le devoir de conseil du
notaire est composé de deux obligations complémentaires : le conseil doit permettre à l’acte
dressé d’atteindre le but espéré par le client et d’être utile pour le client, c’est-à-dire valable.
147
CA Paris 1er février 2002, BRDA 2002, n°5, p.14
civ.1è 22 janvier 2002, D 2002, p.884, obs Lienhard
149
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit. , n° 298
150
l’hypothèque s’est véritablement révélée au XVI è s. sous la forme d’une technique ne grevant que des
immeubles et résultant nécessairement d’un acte notarié ou d’un jugement de condamnation.
151
Civ.1è 27 octobre 1981, bull civ. I n°312
148
42
a. L’efficacité de l’acte au regard du droit positif
123. « Le notaire à qui, dans un intérêt public de sécurité juridique, la loi a confié la
mission de donner aux parties les moyens d’atteindre le but qu’elles poursuivent, est tenu de
fournir un acte valable »152.
Il peut paraître étonnant d’obliger le notaire à rédiger un acte valable dans le cadre de son
devoir de conseil car il ne pourrait alors que mettre en garde les parties contre d’éventuelles
irrégularités, sans pour autant se substituer à elles si elles décidaient de souscrire une garantie
non conforme au droit.
Le devoir de conseil n’est qu’une obligation de moyens, contrairement à l’obligation du
notaire de dresser des actes valables qui, elle, semble être une obligation de résultat.
En réalité, le notaire n’a pas le droit d’instrumenter quand l’acte est illégal, donc il ne se
contentera pas d’attirer l’attention des parties sur les risques liés à l’illicéité, il devra refuser
d’instrumenter.
124. Cependant, le notaire se verra bien imposer un devoir de conseil, qui consistera à
faire en sorte que l’acte soit valable, dans l’hypothèse où un risque d’annulation ultérieure
pèsera sur la garantie en raison d’une controverse doctrinale ou prétorienne, ou en raison de
difficultés d’interprétation d’une loi nouvelle ; en effet, l’article 5 du règlement national
dispose que « le notaire a le devoir d’entretenir et renouveler ses connaissances et de se tenir
informé de l’évolution du droit, de l’économie et de la société ».
Mais si le notaire doit être maître d’une science juridique sans faille, la jurisprudence ne va
pas jusqu’à lui imposer de prévoir une évolution ultérieure du droit , notamment un
revirement de jurisprudence, qui pourrait avoir des conséquences sur la validité des sûretés
souscrites. Il n’a à conseiller les parties qu’au vu du droit positif.
125. En effet, la Cour de cassation , dans un arrêt du 25 novembre 1997153, a confirmé
que « les éventuels manquements du notaire à son devoir de conseil s’apprécient au regard du
droit positif existant à l’époque de son intervention. ».
Dans cette affaire, des personnes s’étaient portées cautions solidaires du remboursement d’un
prêt, en vertu d’un mandat sous seing privé donné à un clerc de notaire.
Les débiteurs principaux ayant fait l’objet d’un redressement judiciaire, la banque a mis les
cautions en demeure d’exécuter leurs obligations : celles-ci ont cependant obtenu l’annulation
de leur engagement par suite de l’annulation du mandat qui ne comportait pas les mentions
exigées par l’article 1326 du code civil.
La banque a alors recherché la responsabilité du notaire, en lui reprochant de ne pas avoir tenu
compte du revirement de jurisprudence qui a élevé cette mention au rang de règle de fond.
Néanmoins, les magistrats ont écarté la demande de la banque car ce revirement était
postérieur à l’acte et n’était raisonnablement pas prévisible.
126. En revanche, il semble logique que l’existence d’une incertitude juridique ne
dispense pas le notaire de son devoir de conseil ; bien au contraire, il lui appartient d’attirer
l’attention de ses clients sur cette incertitude154, en tant que professionnel du droit.
152
J.Yaigre et J.-F. Pillebout, Droit professionnel notarial , Litec 4è édition, n°240
civ.1è 25 novembre 1997, bull civ. I n°328 ; GP 21-22 janvier 1998, p.22 ; RTD civ. Avril-juin 1998, p.367,
obs Mestre. Déjà dans le même sens : civ.1è 31 mai 1988, JCP N 1989, II, p.285, note Simler.
154
Civ.1è 9 décembre 1997, bull civ. I n°362
153
43
127. De plus, la jurisprudence oblige depuis longtemps les notaires, en vertu de leur
devoir de conseil, à éclairer les parties sur la nécessité et l’importance des formalités à
accomplir pour assurer l’efficacité juridique de l’acte instrumenté.
En effet, le notaires n’est pas tenu de remplir ces formalités s’il n’a pas reçu un mandat exprès
ou tacite155, mais il a le devoir d’informer les parties sur la nécessité des formalités pour
préserver leurs intérêts.
L’obligation ne s’étend pas seulement aux formalités qui doivent être accomplies dans
l’immédiat : il concerne aussi celles qui s’imposent éventuellement dans l’avenir, comme le
renouvellement d’une inscription hypothécaire156, ou du privilège du vendeur157.
128. Ainsi, pour sauvegarder les intérêts de ses clients, le notaire va être amené à leur
conseiller certaines formalités. Il pourra également être amené à conseiller à ceux-ci d’obtenir
des garanties suffisantes.
b. L’efficacité de l’acte au regard des besoins des parties
129. L’analyse de la jurisprudence nous révèle que le devoir de conseil oblige aussi les
notaires à s’assurer de l’efficacité de l’acte en fonction du but à atteindre158, étant entendu que
le rédacteur d’actes doit seulement vérifier l’aptitude de l’acte à produire les effets déterminés
et précisés par les parties : aussi « il appartient aux seules parties de définir le but de
l’opération intégré dans le champ contractuel »159.
130. Néanmoins, « le notaire ne doit pas seulement garantir que l’acte instrumenté par
ses soins atteindra l’objectif poursuivi ; il doit aussi veiller à ce que cet objectif soit bien
adéquat à la satisfaction des besoins des parties. »160.
A l’occasion de l’établissement de l’acte, il lui revient donc d’éclairer les clients des
conséquences qu’il emporte et , si besoin est, de les mettre en garde contre les limites des
effets recherchés161.
131. En tant que rédacteur d’un acte de garantie, le notaire doit par exemple avertir son
client de l’étendue des charges pesant sur l’immeuble objet d’une hypothèque : en effet,
l’existence d’autres sûretés prises sur le même bien constitue une limite à l’efficacité de
l’hypothèque par rapport aux résultats que le client créancier en attend. Celui-ci souhaite se
protéger efficacement de la défaillance du débiteur et pour cela, primer les autres créanciers.
Par conséquent, le notaire commet une faute en ne révélant pas que l’immeuble se trouve déjà
grevé d’une sûreté162.
Non seulement le professionnel doit informer son client de la situation hypothécaire de
l’immeuble, mais il doit aussi le mettre en garde contre l’insuffisance de la sûreté par rapport
au montant de la créance, ce qui signifie que le notaire est responsable de l’évaluation du gage
155
TGI Seine 20 décembre 1961, GP 1962, 1, 141 ; civ.1è 19 mai 1999, bull civ. I n°165
cass. Requête 6 février 1899, D 1899, 1, 271
157
civ.1è 23 novembre 1999, bull civ. I n°319
158
en ce sens par exemple: civ. 12 mai 1958, JCP N 1958, 10752, note Espagno ; civ. 28 janvier 1975, JCP N
1975, 18161, note Dagot.
159
J. Boré, Le devoir de conseil des rédacteurs d’actes entre ciel et terre , GP 21 novembre 1996, doctrine
p.1411
160
J.-L. Aubert, La responsabilité civile des notaires , Répertoire du notariat Defrénois, 3 édition, 1998, n°82
161
pour la vente d’un immeuble grevé de treize inscriptions hypothécaires : civ.1è 21 avril 1971, D 1971, 556,
note Ghestin
162
Civ. 1è 21 avril 1971, D 1971, 565, note Ghestin ; civ. 1è 3 octobre 1973, D 1974, 737, note Aubert ; civ. 1è
11 décembre 1990, bull civ. I n°287 ; civ.1è 6 janvier 1994, bull civ. I n°7.
156
44
offert en hypothèque, évaluation pour laquelle il devra se faire communiquer si nécessaire les
actes acquisitifs. Le juge estime d’ailleurs que le notaire ne peut pas se contenter de
l’évaluation d’un professionnel163.
La valeur de l’hypothèque s’appréciant au jour de sa constitution, il n’est heureusement pas
responsable de la dépréciation ultérieure de l’immeuble, si elle n’était pas prévisible164.
132. Il est donc désormais acquis que le notaire peut être tenu pour responsable de
l’insuffisance du gage, s’il n’a pas pris la précaution de mettre en garde le créancier contre les
risques dérivant de la situation juridique de l’immeuble hypothéqué165.
Le cas échéant, il devra également mettre en garde le tiers garant166, l’insuffisance de
l’hypothèque constituant aussi une limite de l’acte à son égard, puisqu’il aura plus de chance,
ou plutôt de malchance, d’être appelé en paiement.
133. Les exemples dans lesquels le notaire est tenu d’un devoir de conseil en matière
de garanties sont trop nombreux pour être énumérés de façon exhaustive.
Cependant, nous pouvons constater qu’indépendamment des circonstances propres à chaque
affaire, une ligne directrice apparaît : le notaire voit souvent sa responsabilité recherchée pour
ne pas avoir averti ses clients de l’insuffisance des garanties obtenues pour assurer le
remboursement d’un crédit ou le paiement du prix d’une vente.
Ainsi, « manque à son devoir de conseil le notaire qui, à l’occasion de la vente d’un
immeuble, omet d’avertir ses clients vendeurs de la portée de la renonciation aux garanties
ordinaires de paiement. »167.
134. Depuis l’arrêt du 7 novembre 2000168, la Cour de cassation a toutefois
dangereusement étendu le devoir de conseil du notaire rédacteur d’un acte authentique
comportant un engagement de cautionnement.
Celui-ci doit appeler « l’attention des cautions sur l’importance et les risques des
engagements, même proportionnés à leurs facultés, auxquels ils se proposaient de souscrire. ».
Ainsi, le notaire se voit imposer un devoir de conseil particulièrement exigeant, qui doit être
rempli alors que l’engagement ne comporte aucun risque inhabituel pour les cautions169.
La formulation très générale de sa mission inquiète : doit-on en déduire, en suivant le
raisonnement de Mme Montravers, que cet arrêt innove en mettant à la charge du notaire
« l’obligation générale de prévenir ses clients contre les risques de leur engagement » ?
En principe, les notaires qui rédigent un acte de cautionnement doivent, en tant que
professionnels du droit, éclairer les garants sur la portée juridique de leur engagement, ce qui
explique que les mentions manuscrites exigées de la caution sont inutiles lorsque le prêt est
constaté dans un acte authentique.
Et puisqu’il est admis que leur devoir de conseil participe de l’efficacité de l’acte, les officiers
publics ont l’obligation d’attirer l’attention des cautions sur les événements qui risquent de
163
civ.1è 11 décembre 1990, bull civ. I n°287 ; civ.1è 4 mai 1999, Juris-data n°001911
civ. 1è 21 mai 1985, bull civ. I n°155
165
civ.1è 5 octobre 1999, bull civ. I n°258 ; D 1999, IR, 244; Defrénois 1999, 1341, obs Aubert.
166
civ.1è 11 décembre 1990, bull civ. I n°287
167
civ.1è 10 février 1972, bull civ. I n°45 ; D 1972, 709, note Aubert ; JCP 1972, 17118, note Dagot
168
civ.1è 7 novembre 2000, bull civ. I n°282, JCP E 2001, 372, note Legeais ; civ.1è 11 décembre 1990, bull
civ. I n°287
169
voir Ph. Simler , commentaire de civ.1è 7 novembre 2000, JCP 2001, I, 315, n°6, qui juge sévère la solution
car elle a pour conséquence qu’ « en présence d’un acte banal de cautionnement, le notaire engage sa
responsabilité s’il ne cherche pas à dissuader les cautions de s’engager ». Contra : M. Bandrac et P. Crocq, RTD
civ. 2001, p.627, qui estiment qu’ « il n’y a pas de cautionnement banal pour lequel il serait justifié de ne pas
attirer l’attention de la caution sur les conséquences de son engagement ».
164
45
compromettre une exécution normale du cautionnement, notamment les difficultés financières
avérées du débiteur principal.
Dans la perspective de l’efficacité juridique et pratique de l’acte, Mme Montravers
note en effet que « seuls les risques graves de l’opération envisagée semblent devoir être
relevés. ».
Or, l’arrêt ne reproche pas au notaire d’avoir omis d’avertir le garant d’un risque précis, et
pour cause, le crédit octroyé à la société n’étant pas excessif, le cautionnement n’étant pas
disproportionné aux revenus des garants et les autres garanties consenties étant suffisantes.
Il semble donc que les magistrats, faute de précision, fasse obligation au notaire « de
renseigner les parties sur tous les risques liés à leur engagement. ».
Le professionnel devra alors informer la caution « de la probabilité d’une poursuite en
paiement du créancier en raison des risques plus ou moins élevés de l’opération cautionnée. ».
Le notaire endosserait dans ce cas davantage un rôle de conseiller en gestion de patrimoine,
plutôt que de rédacteur d’un acte ; en effet, ses conseils ne porteraient plus sur les seuls
risques de l’acte mais sur les risques de l’opération, notamment ici le caractère aléatoire de
l’acquisition d’un fonds de commerce.
Il est curieux d’alourdir à ce point la charge d’information du notaire, dans la mesure
où les parties n’entendent pas nécessairement lui soumettre l’opportunité de l’opération
qu’elles envisagent lorsqu’elles le sollicitent en tant que rédacteur d’actes.
S’il intervient en cette qualité, il paraît logique que le devoir de conseil du notaire se fonde sur
son obligation de garantir l’efficacité de l’acte reçu et n’aille pas au-delà.
Néanmoins, nous pouvons voir dans la solution dégagée par cet arrêt la volonté constante des
juges de protéger au mieux la caution, son engagement étant considéré comme très dangereux.
135. Le devoir d’éclairer ses clients sur les conséquences de l’acte reçu est donc très
lourd pour l’officier public.
Toutefois, son devoir de conseil trouve une limite légitime, même si peu connue en doctrine
comme le remarque M. Boré170, dans une autre obligation déontologique qui s’impose au
notaire.
2) Un conseil au service exclusif de l’acte
136. En tant qu’officier public rédacteur d’un acte, le notaire n’est pas en charge des
intérêts économiques d’une des parties, il est chargé de veiller à la satisfaction de leur intérêt
commun, c’est-à-dire exclusivement à l’efficacité de l’acte.
a. Le devoir de neutralité du rédacteur d’actes
137. Le règlement national du notariat, approuvé par arrêté du 24 décembre 1979, a
complété la définition du rôle du notaire telle qu’elle résultait de la loi de ventôse en précisant
que ce professionnel est « l’arbitre impartial des contrats qu’il reçoit. ».
138. Son devoir de conseil trouve en effet une limitation naturelle dans le fait qu’il
s’exerce envers les parties à l’acte : or, leurs intérêts sont antagonistes, en particulier dans le
domaine des garanties.
Si l’acte instrumenté est un prêt, l’intérêt du banquier sera d’obtenir une garantie qui lui
assure le remboursement du crédit en cas de défaillance du débiteur , alors que l’intérêt de
170
J. Boré, Les limites du devoir de conseil du rédacteur d’actes, Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001,
p.139
46
celui-ci sera de ne pas grever son patrimoine de sûretés trop lourdes : comment le notaire
pourrait-il les conseiller tous deux ?
Etant un officier public, il doit respecter un principe d’égalité des usagers devant le service
public171 et ne pas se départir de sa neutralité car il est sollicité pour rédiger un acte et non
pour défendre l’un ou l’autre de ses clients.
Le notaire n’a donc pas à s’immiscer dans l’économie du contrat ou à critiquer son caractère
inéquitable : il n’a pas à empêcher le créancier de dispenser un crédit sans garanties, par
exemple.
En effet, il a été décidé qu’on ne saurait reproché à un notaire de ne pas avoir inséré une
clause protectrice des intérêts d’une partie, dès lors que celle-ci aurait « bouleversé
l’économie du contrat », et qu’il n’est pas démontré que l’autre partie y aurait acquiescé172.
M. Letartre en conclut que le notaire doit seulement « assurer des garanties objectives aux
parties dans la mesure du possible »173.
139. Si l’on prend l’exemple d’un notaire qui reçoit deux actes liés, un acte de vente
d’immeuble et un acte de prêt consenti pour financer l’achat de l’immeuble, l’officier public
doit maintenir la balance entre le vendeur et le banquier en ce qui concerne les garanties. Il
n’a pas à essayer d’améliorer la situation du banquier au motif que l’hypothèque qu’il a
obtenue est primée par le privilège du vendeur.
D’ailleurs, M.Boré174 précise qu’ « une intrusion du notaire dans l’économie même de
l’opération de banque eût été considérée comme relevant d’un abus de fonction » en plus d’un
manquement à son devoir de neutralité en tant qu’officier public.
140. Cependant, le devoir de neutralité ne dispense pas le rédacteur d’actes de mettre
en garde les parties sur les limites de l’acte envisagé : il ne peut simplement pas donner de
conseils positifs, c’est-à-dire, notamment, orienter le créancier vers telle ou telle garantie.
Un arrêt de la première chambre civile a d’ailleurs retenu que le conseil qui avait été omis par
le notaire ne contredisait pas au devoir de neutralité, et qu’il aurait donc dû le délivrer175 ; le
conseil omis consistait à ne pas avoir rappelé à un établissement de crédit que l’inscription
hypothécaire qui lui avait été consentie risquait d’être inutile.
141. Mais en dehors des mises en garde, le notaire doit respecter son devoir de
neutralité.
M. Boré illustre fort bien ce principe dans le domaine des garanties en prenant l’exemple
d’une cession de fonds de commerce : « après avoir sagement conseillé au cédant d’obtenir
une sûreté, le notaire devrait-il encore attirer l’attention du cessionnaire sur le caractère
aléatoire du bien cédé et sur la nécessité d’obtenir la garantie que les résultats de
l’exploitation ne seraient pas décevants ? ». La réponse est logiquement négative, d’autant que
dans une opération aléatoire, « chacune des deux parties supporte un risque qu’il n’appartient
pas au notaire d’apprécier. ».
171
voir J. Boré, op.cit., Etudes offertes à Jacques Ghestin, qui rappelle que « chacun des clients du notaire,
usager du service public, a le droit d’être traité de la même façon par l’officier public, dès lors qu’il est placé
dans une situation identique à celle des autres usagers » et que « tel est bien le cas de futurs contractants dont
chacun a le droit de conclure au mieux de ses intérêts. ».
172
civ.1è 17 juillet 1996, bull civ. I n°327
173
Y. Letartre, op.cit., JCP N 1999, p.1798
174
J. Boré, op.cit. , GP 21 novembre 1996
175
civ.1è 6 janvier 1998 n°29 D. Le nombre limité d’arrêts faisant référence au devoir de neutralité signifie
d’ailleurs peut-être que les notaires ne souhaitent pas invoquer ce principe pour justifier leur omission.
47
Et l’auteur d’en conclure alors que, dans ce cas, « le devoir de conseil absolu ne signifie pas
sécurité absolue. »176.
142. Le devoir de conseil du notaire ne doit pas l’amener à s’ingérer dans l’échange
contractuel car seules les parties sont juges de l’opportunité de l’acte.
Il serait donc peut-être plus adéquat de parler du devoir d’information de l’officier public et
de réserver le terme de conseil à l’intervention du notaire en qualité de prestataire de service
juridique.
b. Information ou conseil ?
143. Le devoir de neutralité du notaire ne remet pas en cause l’existence du devoir de
conseil, contrairement au secret professionnel, mais il influe obligatoirement sur l’étendue du
conseil.
M. le conseiller Aubert estime que le devoir de conseil du notaire doit être « le moyen d’une
perception aussi exacte que possible par les parties de la nature et de la portée de leurs devoirs
et obligations »177.
144. L’obligation de conseil du notaire se rapproche plus d’une obligation de mise en
garde que d’un véritable conseil puisque , nous l’avons vu, il a le devoir d’avertir les parties à
l’acte des risques particuliers entraînés par la signature du contrat.
Son devoir de conseil étant lié à son statut d’officier public, et donc à sa mission
d’authentification des actes qu’il reçoit, ce professionnel doit garder en tête que le conseil est
au service de l’efficacité des actes instrumentés. Il ne peut prendre en considération les
intérêts propres à ses clients mais seulement leur intérêt commun, à savoir conclure une
convention efficace.
Cependant, s’il est vrai que les juges ont pu décider que le notaire était tenu d’un devoir
d’informer le vendeur des risques d’un paiement échelonné sur huit mois sans autre garantie
que le privilège du vendeur178, son devoir se situe entre l’information brute et le conseil
personnalisé : « la mise en garde est un type intermédiaire. A l’instar du renseignement, elle
est susceptible d’avoir une valeur objective en ce sens qu’elle a pour objet d’attirer l’attention
sur un risque, donnée objective. Mais de par son rôle sécuritaire, cette forme d’information
tend également à mettre le destinataire à l’abri du risque signalé, ce qui implique des
recommandations indiquant la manière de l’éviter. »179.
En mettant en garde les parties sur les risques dérivant de la garantie, le notaire fait plus que
les informer. Indirectement, il incite ses clients à trouver une meilleure démarche juridique.
145. Selon M.Boré180, « le notaire ne passe de l’obligation d’information envers les
usagers au devoir de conseil envers un client que lorsque chacune des parties contractantes a
son notaire : par exemple le notaire du vendeur et le notaire de l’acquéreur. Le notaire, dans
ce cas, conseille son client et il ne saurait être tenu au même titre envers celui qui n’est pas
son client. ».
§ 2. En tant que conseil juridique
176
J. Boré, op.cit., Etudes offertes à Jacques Ghestin
J.-L. Aubert, rapport de la Cour de cassation 1994, étude sur la responsabilité notariale, p.69, n°12
178
civ.1è 21 février 1995, bull civ. I n°95 ; GP 1995, 2, pan. n°343 p.220
179
M. El Gharbi, L’obligation d’information dans les contrats , thèse, Paris-Val de Marne, 1994
180
J.Boré, op.cit. , GP 21 novembre 1996
177
48
146. Le vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant181 définit le conseil
comme « un avis sur ce qu’il convient de faire », et dans un sens différent, comme « la
personne qui donne à une autre des avis, des renseignements, des consultations, ou qui
l’assiste, soit dans la défense en justice de ses intérêts, soit dans la gestion de ses affaires ».
Le conseil dans sa deuxième acception est une activité qui connaît un large développement :
c’est la loi du 31 décembre 1971, modifiée par la loi du 7 avril 1997182 qui a reconnu à
certaines professions le droit de donner des consultations juridiques.
Désormais, de nombreux praticiens du droit sont amenés à remplir un rôle plus actif dans
l’élaboration des conventions des parties qu’en tant que rédacteurs d’actes, dans le cadre de ce
que l’on appelle aujourd’hui la gestion de patrimoine : c’est ainsi que se manifeste le besoin
de conseils des particuliers dans la matière juridique.
147. Puisque le conseil est l’objet principal du contrat, il a alors un caractère
naturellement impératif, et surtout, ce conseil est au service des intérêts économiques propres
au client : le notaire se retrouve dans la même position que l’avocat prestataire de service
juridique au profit exclusif du client, il n’est plus officier public.
M.Boré rappelle que « le notaire, dans ce cas, doit réserver un traitement privilégié au client
qui lui a accordé sa confiance » et qu’il a « le devoir déontologique de s’abstenir de conseiller
des parties ayant des intérêts opposés. ».
148. Le rôle des notaires dans le choix de la garantie adaptée peut devenir très actif
lorsqu’ils interviennent au delà de la simple rédaction d’actes.
M. Letartre en conclut qu’ils sont alors, « plus que tous autres, exposés à se voir reprocher des
manquements au devoir de conseil »183.
149. Les professionnels du droit ne sont cependant pas les seuls professionnels qui
interviennent dans les opérations risquées et donc garanties. Puisque les garanties sont les
auxiliaires essentielles du crédit, comme nous l’avons vu précédemment, la jurisprudence fait
aussi peser sur les établissements de crédit un devoir de conseil au profit du garant.
Section 2. Intervention d’un professionnel du crédit
150. En tant que dispensateur de crédit, le banquier est coutumier de la matière des
garanties. Selon messieurs Simler et Delebecque en effet, « aujourd’hui plus que jamais, la
formule lapidaire « pas de crédit sans sûretés » exprime une réalité » ; ces auteurs remarquent
que la confiance sur laquelle repose le crédit « ne peut être aveugle » et qu’elle n’est suscitée
que par « des garanties sérieuses »184.
Mais si le banquier est également tenu d’un devoir de conseil dans la matière des
garanties, la nature de son intervention exerce une influence sur le domaine et l’étendue de ce
conseil.
§ 1. Maîtrise des mécanismes de garantie
181
G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8è édition, 2000
loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, déjà modifiée par la loi n°90-1259 du 31 décembre 1990 qui a réalisé la
fusion des professions d’avocat et de conseil juridique
183
Y. Letartre, op.cit., JCP N 1999, p.1798
184
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op.cit., n°3
182
49
151. En principe, les conseils qui sont à dispenser restent dans le domaine de
compétence du professionnel ; l’établissement de crédit devrait alors délivrer des conseils
dans la matière économique et financière, et non des conseils dans la matière juridique.
Cependant, les garanties sont étroitement liées au crédit : le banquier maîtrise ces mécanismes
et il est conscient de leur portée.
Donc si un devoir de conseil a été imposée au banquier dans le domaine des garanties, c’est
en sa qualité de professionnel du crédit.
152. De plus, la jurisprudence ne lui impose pas exactement de dispenser des conseils
de nature juridique ; c’est plutôt dans le cadre des obligations d’informations que la loi met à
sa charge qu’il abordera, par exemple, la question des conséquences de l’engagement de
caution.
En revanche, les conseils qu’il délivre portent sur l’opportunité pratique de fournir sa garantie,
au vu de la situation économique du débiteur principal185.
153. Dès lors, l’étendue du devoir de conseil est circonscrite par l’objet du service qui
est demandé au banquier ; en effet, il est nécessaire qu’un lien direct existe entre l’objet du
conseil et l’objet du service envisagé186.
Lorsque le service demandé est l’octroi d’un crédit, l’objet des conseils dispensés à la caution
aura bien un lien direct avec l’objet du service bancaire : les conseils portent dans ce cas sur le
caractère excessif du prêt.
De même, le banquier doit conseiller l’emprunteur sur les possibilités offertes par un contrat
d’assurance assortissant un crédit187, parce que ces conseils portent sur les conditions du prêt.
154. Si le contenu des conseils à fournir par le banquier dispensateur de crédit subit
l’influence de la nature de son intervention, il dépend aussi du statut professionnel du
banquier.
§ 2. Limitations du conseil par le statut du professionnel
155. Certains auteurs188 voudraient voir reconnaître une obligation d’information et de
conseil de nature générale à la charge du créancier en matière de garanties, conformément à
ce qui est admis pour le devoir de conseil du notaire.
En ce qui concerne le cautionnement, Mme Montravers estime notamment que « consacrer un
devoir d’information pré-contractuel similaire à celui du notaire à l’encontre du créancier
viendrait renforcer utilement la protection du garant et effacer fort opportunément toute
distinction entre les cautions selon que leur engagement est établi ou non par un notaire.».
Rien ne semble justifier, pour cet auteur, qu’un devoir de conseil général ne soit admis que
pour les sûretés personnelles consenties par acte notarié, d’autant que « la reconnaissance
d’une obligation d’information à caractère impératif et de large portée à l’encontre du
créancier n’aurait rien de révolutionnaire. Il apparaît, en effet, que le législateur comme la
jurisprudence sont de plus en plus protecteurs vis-à-vis de la caution en imposant diverses
obligations à la charge du créancier. ».
185
sur le contenu des conseils à délivrer au tiers garant, cf. infra chap. 2 L’influence de la nature de la garantie,
section 2
186
voir sur ce point F. Grua, Contrats bancaires, op.cit., n°35
187
CA Aix-en-Provence 6 juin 1977, D 1979, IR, 137, obs Vasseur
188
B. Montravers , L’obligation d’information de la caution, JCP N 2002, p.224
50
156. Cependant, si les conseils à délivrer par l’établissement de crédit ne sont pas aussi
étendus que les conseils notariés, cela se justifie par les différences de leurs statuts
professionnels.
Tout d’abord, le banquier n’est pas un officier public : son devoir de conseil n’a donc pas de
caractère impératif.
En fait, c’est la jurisprudence qui rattache ponctuellement le devoir de conseil à certains
contrats conclus entre l’établissement de crédit et son client, par exemple le contrat de prêt et
les garanties qui y sont associées.
Et s’il est vrai que la mission de la banque est parfois apparentée à une mission générale de
service public189, en raison de son monopole dans la fourniture de crédit, le juge considère que
son devoir de conseil n’a pas à être si complet que celui du notaire, même s’il est relativement
sévère.
157. Il est effectivement nécessaire de tenir compte d’une deuxième différence entre le
notaire et le banquier, qui peut avoir des incidences considérables sur le contenu de leurs
devoirs de conseil respectifs en matière de sûretés : le banquier est partie à l’acte garanti.
Le banquier voyant ses intérêts impliqués dans l’opération, il convient de s’intéresser, dans un
deuxième chapitre, aux conséquences que cela entraîne quant à l’étendue de son conseil.
189
Ch. Gavalda et J. Stoufflet, op.cit., n°563
51
CHAPITRE 2
L’INFLUENCE DE LA NATURE DE LA GARANTIE
158. Au premier abord, le devoir de conseil du notaire, professionnel du droit,
concernant les garanties est plus naturel dans son principe que le devoir de conseil du
banquier qui lui n’est pas rédacteur d’actes.
En fait, si l’on approfondit la question de l’incidence de la nature de l’intervention sur le
devoir de conseil, l’on s’aperçoit qu’au-delà de la qualité de l’intervenant, la nature de la
garantie elle-même exerce une forte influence sur l’opportunité du devoir de conseil du
professionnel.
Section 1. Données du problème
159. Il est vrai que, peu important la nature de la garantie, la jurisprudence reconnaît
un devoir de conseil à la charge du notaire et du banquier en matière de garanties réelles aussi
bien qu’en matière de garanties personnelles: cependant, la logique qui l’anime est très
différente dans les deux cas et influe sur l’objet du conseil.
D’autre part, si elle n’a pas de conséquence quant à l’existence du conseil, la nature de la
garantie et des intérêts qu’elle met en présence devrait en avoir sur l’étendue de celui-ci.
§ 1. Une philosophie différente
160. La raison d’être du conseil diffère selon que la garantie envisagée est une garantie
réelle ou personnelle.
A. Le « conseil-choix de la garantie » en cas de garantie réelle
161. Que l’existence d’un devoir de conseil, notamment à la charge du rédacteur de
l’acte, permette aux parties d’arbitrer entre les multiples garanties qui s’offrent à elles, afin de
déterminer celle qui est la mieux adaptée au risque encouru n’appelle pas de développements
particuliers.
Plus exactement, cela n’appelle pas de développements supplémentaires, puisque nous avons
déjà apprécié l’opportunité de la reconnaissance d’un conseil dans la matière toujours plus
complexe des garanties.
162. En revanche, le raisonnement selon lequel le conseil a pour objectif d’éclairer les
clients sur la portée de telle ou telle garantie, s’il fonde le devoir de conseil dans le domaine
des garanties réelles telles que l’hypothèque, ne permet pas d’expliquer l’extension du devoir
de conseil en cas de garantie personnelle.
En effet, si le conseil bénéficie également au tiers garant, cela signifie qu’il s’étend bien audelà du simple choix de la garantie efficace au vu de l’opération envisagée par les parties.
L’étendue du devoir de conseil est alors la conséquence de la volonté des magistrats de
protéger les cautions.
52
B. Le « conseil-protection » en cas de garantie personnelle
163. Il semble peu approprié de dire que le devoir de conseil au profit de la caution
consiste, pour le professionnel, à apprécier l’opportunité de l’opération à l’égard du garant.
Il sera en effet rarement « opportun » de se porter caution.
En dehors de cas particuliers comme celui du cautionnement d’une filiale par sa société mère,
consentir sa garantie personnelle sera presque toujours d’une contrainte ; cependant, le tiers
qui propose sa garantie ne sera pas toujours conscient des obligations lourdes qu’elle
implique.
Le devoir de conseil préalable à la souscription du cautionnement apparaît donc comme un
moyen préventif de protection des cautions contre leur propre ignorance.
164. En effet, le cautionnement était connu des romains sous le nom de fidejussio et
s’inscrivait dans une logique de bienfaisance qui a été reprise par le Code civil de 1804 ; en
effet, comme le rappellent M. Simler et M. Delebecque190, « pour les rédacteurs du Code
civil, le cautionnement était essentiellement un service rendu à titre gracieux entre proches
parents ou amis. ».
Néanmoins, l’exigence quasi-systématique d’un cautionnement solidaire apparentant la
caution à un codébiteur et l’ apparition de nouvelles formes de cautionnement très éloignées
du cautionnement désintéressé ont démontré les lacunes des dispositions d’origine du Code
civil censées protéger la caution.
M. Vigneron attire d’ailleurs notre attention sur le fait que « s’agissant d’un cautionnement
familial, il faut compter avec les pressions de l’entourage » et qu’il n’est pas facile, pour le
dirigeant de société, « de refuser un engagement qui, imposé par le bailleur de fonds,
conditionne le maintien de la vie de son entreprise, donc sa situation personnelle. »191
Désormais, le cautionnement n’est plus une simple obligation morale : les cautions continuent
pourtant à s’engager presque les yeux fermés, à la grande joie des établissements de crédit.
165. Le devoir de conseil mis à la charge des professionnels du droit et du crédit qui
interviennent dans la formation du cautionnement s’explique donc par la difficulté pour le
tiers garant d’apprécier la portée de son engagement, nombreux étant ceux qui pensent ne
donner qu’un simple engagement moral destiné à faciliter le crédit, sans se douter qu’ils
seront peut-être amenés à payer.
Et M. Bouteiller192 d’insister sur le fait que ce sentiment est « accentué par l’absence
d’inscription grevant un bien particulier », puisque la caution n’engage pas un élément
particulier de son patrimoine.
166. Le juge, conscient des dangers dérivant du visage engageant offert par cette
sûreté au garant, a donc décidé de limiter l’engouement des banques pour le cautionnement en
leur imposant de déconseiller à la caution de s’engager si les risques sont trop grands pour
elle ; le créancier se retrouve pris à son propre piège.
Mais s’il est souhaitable de limiter les abus commis par les banques, le recours au devoir de
conseil pour protéger la caution semble sévère parce qu’il oblige le professionnel à aller à
l’encontre de ses propres intérêts.
190
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit. , n°23
B. Vigneron, Cautionnement du dirigeant de société : les conditions de validité et d’exécution, Droit et
patrimoine, janvier 1994, p.42
192
P. Bouteiller, op.cit., p.18
191
53
§ 2. Conflit d’intérêts entre débiteur et créancier du conseil en matière de garantie
personnelle
167. Le conflit d’intérêts le plus évident concerne le banquier et la caution :en effet,
comment peut-on imposer au créancier qui a besoin d’une garantie efficace de conseiller à la
caution de ne pas s’engager ?
Cependant, nous pouvons également constater que les intérêts du notaire, rédacteur de l’acte
garanti, et les intérêts du tiers garant sont antagonistes.
A. Conflit d’intérêts entre le notaire et la caution
168. L’ « intérêt » du notaire, s’il est permis de parler d’intérêt alors qu’il n’est pas
partie à l’opération, consiste à dresser un acte efficace, et non à défendre les intérêts
économiques d’un des contractants en particulier.
Or, nous sommes en droit de penser que mettre à sa charge un devoir de conseil au profit de la
caution ne participe pas de l’efficacité de l’acte principal, puisque, nous venons de le voir,
l’objectif affiché est alors la protection de la caution.
Au contraire, les mises en garde prodiguées par l’officier public au tiers garant pourront
même menacer l’efficacité de la convention ; en effet, si la caution renonce à s’engager, le but
poursuivi par les parties peut ne pas être atteint.
Prenons l’exemple d’un prêt par acte authentique : en l’absence de garantie, il est possible que
le banquier ne puisse pas en obtenir le remboursement, ce qui aboutit en quelque sorte à
l’échec de l’acte.
169. C’est pourquoi, la décision du 7 novembre 2000 rendue par la première chambre
civile de la Cour de cassation a pu être critiquée par ses commentateurs ; dans cette affaire,
des époux s’étaient portés cautions solidaires d’une société qui avait obtenu un crédit.
Les magistrats rappellent que « les notaires sont tenus d’éclairer les parties et d’appeler leur
attention sur les conséquences et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la
forme authentique ». Ils sanctionnent donc l’officier public, au motif qu’il aurait dû mettre en
garde les cautions du fait que l’existence d’autres garanties prises par le créancier n’atténuait
pas les risques encourus par les cautions, qui avaient renoncé au bénéfice de discussion.
M. Simler a craint que cette solution oblige le notaire « à dissuader les cautions de
s’engager » et à « les décourager dans leur projet »193 ; M. Legeais, pour sa part, estime que le
notaire est placé « dans une situation délicate ». En effet, il est chargé par les deux parties
d’établir l’acte, et l’exercice de son devoir de conseil envers la caution semble desservir les
intérêts du créancier, ce qui signifie qu’il y a immixtion dans l’économie générale du contrat.
En cas de cautionnement, M. Legeais conseille donc à chaque partie de faire intervenir son
propre notaire194.
170. Et pourtant, le devoir de conseil du notaire vis-à-vis de la caution ne semble pas
connaître de limites : il s’avère notamment être un devoir permanent d’après une décision de
la première chambre civile de la Cour de cassation195.
193
commentaires de Ph. Simler à propos de civ.1è 7 novembre 2000, JCP 2001, I, 315, n°6
commentaires de D. Legeais à propos du même arrêt, JCP E 2001, p.372 ; voir aussi commentaires de B.
Montravers au JCP N 2002, p.224, qui reprend ce raisonnement.
195
civ.1è 22 avril 1992, inédit, commenté par Ph. Simler et Ph. Delebecque au JCP 1992, I, 3623, n°10
194
54
A partir du moment où le notaire a connaissance de l’existence du cautionnement, il doit se
montrer vigilant car il assure, dans certains cas, un véritable suivi de la caution.
En effet, cette décision retient qu’un manquement au devoir de conseil peut être reproché au
notaire qui avait reçu le prêt garanti et qui, quelques années plus tard, omet d’attirer
l’attention de l’associé caution sur la survie de son engagement en dépit de la cession de ses
droits sociaux.
Le devoir de conseil du notaire vis-à-vis de la caution n’est pas toujours cantonné à la phase
pré-contractuelle : si le notaire qui a instrumenté le cautionnement est amené ultérieurement à
dresser un acte auquel le tiers garant est partie, il devra tenir compte de sa qualité de caution
pour lui délivrer les conseils adéquats.
C’est à nouveau une décision qui peut paraître sévère, non seulement au regard du conflit
d’intérêts entre le notaire et la caution, mais aussi, d’un point de vue plus pratique, parce qu’il
est difficile d’obliger le notaire à se souvenir de tous les actes qu’il dresse, surtout dans les
études d’une certaine importance.
171. Mais si le conseil du notaire au bénéfice du tiers garant sont contraire à ses
intérêts, parce qu’il ne va pas dans le sens de l’efficacité de l’acte principal instrumenté, le
conflit d’intérêts entre le créancier et la caution est encore plus flagrant.
B. Conflit d’intérêts entre le banquier et la caution
172. La doctrine s’est inquiétée des conséquences de la reconnaissance, par le juge,
d’un devoir de conseil de l’établissement de crédit vis-à-vis du tiers qui donne sa garantie
pour assurer le remboursement d’un prêt.
Il peut en effet sembler paradoxal de mettre à la charge du banquier un devoir de
conseil au profit de la caution alors que le contrat de cautionnement est un acte unilatéral
profitant au seul créancier.
173. M. Aynès considère d’ailleurs que « les cautions ont peut-être besoin qu’on leur
ouvre les yeux sur la nature et l’étendue de leur engagement. Mais il y aurait quelque chose de
paradoxal et d’illusoire à charger le créancier de cette tâche, alors qu’il ne promet rien à la
caution en échange de l’engagement de celle-ci. »196.
Dans le même sens, un autre auteur a pu constater, « sans conseiller rien qui ressemble à une
fraude ou à une tromperie », qu’ « il faut bien admettre qu’il est contre nature de demander au
créancier qui cherche une caution de tout faire pour que celle-ci refuse de s’engager. »197.
En effet, pour exemple, il serait choquant d’obliger la banque, dont l’intérêt est de bénéficier
d’une garantie efficace, à attirer l’attention des cautions sur leur faculté de mettre
unilatéralement fin à leur engagement à tout moment, en cas de cautionnement à durée
indéterminée.
174. Au contraire, certains auteurs198 estime que « l’intérêt de la caution, de tout
garant, dès lors qu’il s’engage personnellement, devrait primer celui du créancier. ». Il est vrai
que le cautionnement est un acte dont les conséquences sont graves, la caution garantissant
personnellement la dette d’autrui sur l’ensemble de son patrimoine, ce qui entraîne des risques
de surendettement ou de ruine.
196
L. Aynès, note sous civ.1è 13 février 1996, D 1996, som. p.265
L. M. Martin, L’information de la caution, Etudes M. de Juglart, LGDJ, 1986, p.157
198
B. Montravers, L’obligation d’information de la caution, JCP N 2002, p.224
197
55
Néanmoins, l’exigence de loyauté dans la conclusion et l’exécution des contrats résultant de
l’article 1134 du code civil peut être considérée comme satisfaite, dans la plupart des cas, par
les nombreuses obligations d’information légales dont elle bénéficie199.
Par ailleurs, il n’est pas souhaitable d’imposer au banquier un devoir de conseil trop lourd qui
aboutirait à laminer ses intérêts.
Même si , selon Mme Montravers, « l’on pourrait seulement craindre qu’une telle obligation
rende moins fréquents des engagements particulièrement dangereux pour la caution », et,
avant tout, les cautionnements à durée indéterminée et les cautionnements solidaires, il ne
nous semble pas excessif de penser que cela risquerait en fait de décourager le banquier
d’octroyer des prêts.
En effet, l’établissement de crédit aura bien des difficultés à reporter son choix sur d’autres
sûretés : les garanties réelles ne lui apportent pas non plus la sécurité espérée, la logique du
droit des procédures collectives étant de sauver les entreprises, au détriment des droits des
créanciers.
La jurisprudence l’a bien compris qui, comme nous allons le constater, n’oublie pas les
intérêts du banquier dans la détermination du contenu de son devoir de conseil.
175. Nous pouvons remarquer qu’en ce qui concerne la souscription d’une sûreté
réelle, comme une hypothèque, les intérêts du créancier et du débiteur sont de même opposés.
Cependant, aucune jurisprudence n’a, dans ce cas, reconnu de devoir de conseil du banquier
au profit de l’emprunteur.
Il y aura seulement un conseil du notaire le cas échéant.
Or, dans cette hypothèse, il n’y aura pas de conflit d’intérêts entre le notaire et les créanciers
du conseil ; en effet, les seuls bénéficiaires du conseil étant les parties à l’acte, leur intérêt
commun, à savoir l’efficacité de cet acte, coïncidera avec l’intérêt du débiteur du conseil.
Section 2. Conséquences
176. Il est possible de trouver dans le conflit d’intérêts entre le débiteur et le créancier
du conseil une explication à la différence de contenu du devoir de conseil que les juges ont
imposé au banquier à propos de deux garanties essentiellement : le cautionnement et
l’assurance.
Le conflit d’intérêts entre la caution et le professionnel débiteur du conseil n’a de
conséquences pratiques que vis-à-vis du banquier : la jurisprudence n’a pas tenu compte de
cette circonstance pour limiter le conseil du notaire, conseil qui - rappelons-le - a un caractère
impératif.
§ 1. Limitation au conseil du banquier au bénéfice de la caution
177. La prise en charge quasi-totale des intérêts de la caution par l’établissement de
crédit n’est qu’une illusion qui entraîne malgré tout une multiplication des actions en justice
vouées à l’échec.
A. Un devoir de conseil circonscrit
178. Le banquier doit remplir un devoir de conseil vis-à-vis de la caution lorsque le
crédit octroyé est excessif et peut-être aussi lorsque le cautionnement lui-même est excessif.
Cette apparente largesse ne doit pas faire oublier que les conditions d’existence du conseil le
limitent à des cas précis.
199
cf. supra, titre I chapitre I, L’opportunité apparente du conseil, section 1
56
1) L’hypothèse d’un crédit excessif
a. Conditions à l’existence du conseil
179. M.Piedelièvre200 remarque que « les cautions reprochent souvent au banquier de
leur avoir caché la situation irrémédiablement compromise du débiteur principal.
Pendant longtemps, ce silence était sanctionné sur le terrain de la réticence dolosive201. Mais
de plus en plus fréquemment, il semble que l’on s’oriente vers l’admission d’une obligation
de conseil pesant sur les banquiers à l’égard des cautions. ».
Nous avons d’ailleurs déjà constaté qu’implicitement, le juge admet l’existence d’un conseil
du banquier au profit de la caution.
180. La jurisprudence est passée d’une obligation d’information à un devoir de conseil
de l’établissement de crédit mais uniquement dans l’hypothèse où les chances de
remboursement du prêt par le débiteur sont nulles ; en revanche, si sa situation n’est pas
irrémédiablement compromise, le banquier devrait seulement indiquer au tiers garant les
capacités financières de l’emprunteur.
La difficulté repose donc sur la définition de ce que le juge considère comme une situation
irrémédiablement compromise : certes, il est possible de se référer au solde du compte , ou
des comptes, bancaire du souscripteur du crédit afin d’apprécier si sa situation est
« désespérée », mais aucun critère définitif ne peut être dégagé. Le montant d’un découvert
n’aura pas une signification identique selon que le débiteur sera un entrepreneur ou un
particulier, de même que la fréquence de ces découverts.
La notion de situation irrémédiablement compromise n’a pas de consistance juridique : il
s’agit d’une notion de fait qui sera appréciée souverainement par les juges du fond202.
181. En outre, nous pouvons constater un élargissement du devoir de conseil : il
ressort d’un arrêt de la Cour de Versailles du 17 septembre 1998203 que la banque est tenue
d’un devoir de conseil à l’endroit de la caution du prêt sollicité par une société y compris
lorsque « la situation financière de l’entreprise concernée est gravement compromise », et
qu’elle n’est donc pas irrémédiablement compromise.
L’arrêt fait d’ailleurs référence un peu plus loin à la « situation compromise » de
l’emprunteur ; cette jurisprudence est imprécise, et ne permet pas de savoir exactement
quelles sont les obligations supportées par le banquier.
200
S.Piedelièvre, La responsabilité liée à une opération de crédit , Droit et patrimoine, janvier 2001, n°89 p.62
voir par exemple civ.1è 10 mai 1989, JCP 1989, II, 21363, note Legeais ; civ.1è 26 novembre 1991, JCP
1992, IV, 369 ; CA Grenoble 22 octobre 1996, contrats – concurrence – consommation, juillet 1997, p.13, note
Raymond, la Cour rappelant que « la banque a une obligation de bonne foi à l’égard de la personne qui s’engage
comme caution et qu’elle commet une réticence dolosive lorsqu’elle n’indique pas à la caution quelle est la
situation financière du débiteur, et en particulier lorsqu’elle est lourdement obérée au moment où la caution a
consenti. ».
202
en ce sens mais concernant la responsabilité du banquier envers les tiers en cas d’ouverture d’une procédure
collective contre le bénéficiaire du crédit, et non un manquement à son devoir de conseil : com. 1er février 1994,
bull civ. IV n°39
203
CA Versailles 17 septembre 1998, bull Joly février 1999 , p.245, §41, note Couret
201
57
Nous savons seulement avec certitude que les juges écartent l’obligation d’information, et par
conséquent le devoir de conseil, quand le débiteur est seulement confronté à des difficultés
passagères204.
Il semble que la caution bénéficie d’un devoir de conseil extensible, comme ce fût le cas
antérieurement pour l’obligation d’information, la Cour de cassation ayant décidé par un arrêt
du 10 mai 1989205 que la banque commettait un dol par réticence si « sachant que la situation
de son débiteur est irrémédiablement compromise, ou à tout le moins lourdement obérée, elle
omet de porter cette information à la connaissance de la caution afin d’inciter celle-ci à
s’engager. ».
Mais si le conseil est dû que la situation soit désespérée ou seulement gravement compromise,
cela ne laisse plus de place à l’information sur la situation économique de l’emprunteur avant
la conclusion du cautionnement : le banquier sera systématiquement débiteur d’un devoir de
conseil.
182. Une autre question se pose alors : la caution bénéficie-t-elle d’un conseil lorsque
le crédit présente seulement un caractère disproportionné, sans que les finances du débiteur
soient obérées au moment de la souscription du prêt ?
En effet, il est nécessaire de déterminer si la jurisprudence exige que non seulement la
situation du souscripteur soit au moins lourdement compromise, mais aussi, qu’elle le soit au
moment de l’ouverture du crédit : dans ce cas, le banquier ne se verrait pas imposer de devoir
de conseil au profit de la caution si la solvabilité du débiteur était seulement incertaine pour
l’avenir, ce qui est fréquent en matière de crédit.
Il est vrai que le remboursement du prêt dépend souvent du succès de l’opération créditée ,
par exemple lorsque l’opération principale est l’achat d’un fonds de commerce.
183. Sur ce point, un arrêt de la Cour d’Agen206 du 13 septembre 2000 précise que le
caractère excessif du prêt impose au banquier de dissuader son client de souscrire le crédit,
alors même que la disproportion par rapport à la modicité de ses ressources n’est pas avérée
mais qu’elle est prévisible sur la base d’un faisceau d’indices.
Aussi, si l’on transposait cette solution au devoir de conseil à l’égard de la caution, le
banquier devrait la mettre en garde contre les risques liés à son engagement non seulement
lorsque le débiteur est proche de l’insolvabilité dès la conclusion du prêt, mais également
lorsqu’il est possible de déduire qu’il sera incapable de faire face au service de la dette dans le
futur.
En effet, bien que la situation financière de l’emprunteur soit saine, des éléments tirés de
l’évolution prévisible de ses revenus, compte-tenu de ses qualifications et activités
professionnelles, de son niveau de responsabilité, de ses chances de voir sa carrière évoluer
favorablement, et tirés de l’endettement prévisible résultant du crédit , compte-tenu de la
progression du montant des annuités, permettent au banquier de déterminer si la capacité de
remboursement du débiteur sera suffisante à l’avenir.
184. Il ne serait donc pas surprenant que la jurisprudence alourdisse les obligations du
banquier en considérant que l’ équité impose au professionnel de dispenser aussi ses conseils
204
civ.1è 22 octobre 1996, Banque et Droit mars-avril 1997, 40, obs Guillot ; com. 20 mai 1997, bull civ. IV
n°152 et Revue des procédures collectives 1998, 492, obs Kerckhove.
205
Civ.1è 10 mai 1989, bull civ. I n°187 ; JCP 1989, II, 21163, note Legeais. Cette jurisprudence a été confirmée
par la suite à de nombreuses reprises : civ.1è 2 février 1998, bull civ. I n°61 ; civ.1è 13 février 1996, bull civ. I
n°78 ; civ.1è 18 février 1997, bull civ. I n°61
206
CA Agen 13 septembre 2000, sur le site www.scp-narran.com, à la rubrique « jurisprudence »
58
à la caution lorsque, au moment de l’octroi du prêt, il sait que la situation de l’emprunteur est
compromise à terme.
D’ailleurs, les magistrats de la Haute juridiction207 en ont ainsi décidé dans le cadre du
financement d’un ensemble hôtelier par le biais d’un crédit-bail, où les dirigeants de la société
crédit-preneur s’étaient portés cautions au profit de l’établissement de crédit.
La chambre commerciale donne raison aux juges du fond d’avoir retenu un manquement du
crédit-bailleur à son devoir de conseil au profit des cautions parce qu’il les a incitées « à se
méprendre sur les risques réels de leur engagement ».
Et si les juges reconnaissent l’existence d’un devoir de conseil, c’est que le crédit-bailleur ne
pouvait ignorer que « l’opération cautionnée n’était économiquement pas viable, la société
étant dès l’origine en état de cessation des paiements » ; en effet, le remboursement de
l’investissement immobilier qui avait été nécessaire pour réaliser l’hôtel représentait 43% du
chiffre d’affaires de la société crédit-preneur d’une part, et d’autre part, les fonds propres
étant insuffisants, le versement de loyers générait un déficit chronique très important.
Le crédit-preneur n’était pas dans une situation désespérée au moment de l’octroi du crédit,
mais c’est l’ouverture du crédit qui a irrémédiablement compromis sa situation.
L’établissement de crédit doit donc agir par projection : s’il dispose de paramètres suffisants
pour apprécier la viabilité de l’opération financée, il est tenu de déconseiller aux cautions de
donner leur garantie lorsque le crédit accordé est excessif par rapport aux bénéfices
susceptibles d’être réalisés.
185. La position adoptée dans cette espèce est approuvée par une partie de la doctrine.
M. Piedelièvre notamment écrit ,dans son commentaire de l’arrêt controversé du 27 juin
1995208, que « l’évolution prévisible de la situation de l’emprunteur doit être intégrée dans le
conseil, comme dans les hypothèses d’intérêts à taux progressifs où le caractère excessif des
charges pourra être démontré pour les derniers remboursements, alors qu’il ne l’était pas pour
les premiers. De même, la modification du montant, voire la suppression, des diverses aides
fournies notamment pour l’accession à la propriété seront déterminantes pour le conseil à
donner.
A l’inverse, l’évolution imprévisible de sa situation ne peut pas donner lieu à une
responsabilité, comme en cas de modification de la situation professionnelle de l’emprunteur
ou en cas d’augmentation du taux de son endettement postérieurement à la conclusion du prêt.
Mais le plus souvent, le prévisible et l’imprévisible se mêlent et aucun d’eux n’est, à lui seul,
suffisant. Une quote-part devra être établie , avec les risques d’arbitraires qu’elle comporte,
permettant de trouver l’élément prépondérant. ».
186. Le conseil donné par le banquier de ne pas conclure le cautionnement devrait
donc, selon certains auteurs, se référer à l’évolution prévisible de la situation de l’emprunteur,
et pas uniquement à sa situation au moment de la passation de l’acte de prêt, « car cette
information n’est pas suffisamment pertinente pour permettre à la caution de prendre la
décision de s’engager ou non »209.
Nous pouvons tout de même objecter qu’il ne faudrait pas que le juge aille trop loin en
exigeant du créancier qu’il dissuade le tiers de se porter caution lorsque la solvabilité future
de son client n’est que douteuse. C’est en effet la raison d’être du cautionnement.
207
com. 23 juin 1998, JCP E 1998, p.1831, note Legeais
civ.1è 27 juin 1995, D 1995, jurispr., p.621, note Piedelièvre
209
F. Boucard , Les obligations d’information et de conseil du banquier, thèse, 2002, PUAM, n°272
208
59
187. Les hypothèses d’un devoir de conseil du banquier envers la caution tendent donc
à s’élargir, mais le contenu du conseil est malgré tout restreint par application du devoir
général de non immixtion qui pèse sur ce professionnel.
b. Le contenu du conseil
188. Le devoir de conseil consiste, pour l’établissement de crédit, à veiller à ce que la
conclusion du contrat de garantie ne soit pas trop risquée pour la caution.
Si le crédit accordé n’a aucune chance d’être remboursé par le débiteur principal, le créancier
doit non seulement aviser la caution de l’importance du découvert de l’emprunteur de manière
claire et précise, mais il a aussi l’obligation de lui déconseiller de s’engager en attirant son
attention sur les risques qu’elle court.
Le banquier est donc débiteur d’un devoir de conseil négatif selon lequel il invite le tiers à ne
pas se porter caution. En effet, le principe de non-ingérence de l’établissement de crédit dans
les affaires de son client semble écarter tout conseil à caractère positif, c’est-à-dire toute
incitation à agir.
L’arrêt de la Cour de Versailles de 1998210 est d’ailleurs représentatif en matière de contenu
du conseil au bénéfice de la caution. Dans cette espèce, le gérant d’une modeste SARL s’était
porté caution à hauteur de 280 000 francs en garantie des engagements de la société envers
une banque. Un an plus tard, une procédure collective était ouverte contre la SARL et le
gérant était appelé en qualité de caution : il tenta alors d’engager la responsabilité de la
banque pour soutien abusif et manquement à son devoir de conseil.
La Cour d’appel lui a donné gain de cause en relevant que « la BNP ne rapporte pas la preuve
qu’elle a mis en garde M. R…(le gérant) tant en sa qualité de gérant que de celle de future
caution, sur la disproportion de l’endettement déjà accumulé et du défaut de rentabilité
évident des nouveaux prêts, découlant de la situation de la SARL emprunteuse à l’époque de
l’octroi des crédits. La banque a ainsi manqué à son devoir de conseil et de mise en garde. ».
189. Cependant, malgré une tendance générale suivie par les juges du fond, certaines
décisions jurisprudentielles, et de nombreux auteurs211, ne reconnaissent pas l’existence d’un
devoir de conseil du banquier envers la caution lorsque la situation de l’emprunteur est
lourdement obérée. Ces décisions se contentent de sanctionner l’établissement de crédit sur le
fondement d’un manquement à son obligation d’information qui peut être constitutif d’une
réticence dolosive212.
Cette solution est peut-être la meilleure car, à partir du moment où la caution est parfaitement
informée du fait que la situation du débiteur est compromise, cela suffit à la décourager de
s’engager, sans qu’elle ait besoin que le banquier lui déconseille de donner sa garantie.
Une partie de la jurisprudence fait donc preuve de sévérité en ajoutant, à la charge de
l’établissement de crédit, un devoir qui n’est pas indispensable ; toutefois, l’obligation de
conseil n’est reconnue que dans des espèces où le cautionnement n’aurait manifestement pas
dû être demandé, avec un objectif de sanction du banquier, comme nous le constaterons dans
la suite de nos développements213.
210
CA Versailles 17 septembre 1998, op.cit.
voir F. Boucard, op.cit., n°270, qui estime que l’information est suffisante ou P. Bouteiller, op.cit., p.18, qui
affirme que les banquiers “ne sont en aucun cas tenus d’un devoir de conseil”, son ouvrage datant toutefois de
1986.
212
voir notamment civ.1è 15 février 2000, Droit et patrimoine, 29 mars 2000, n°329 p.3
213
voir infra, 2è partie, titre 1, chapitre 2 Le caractère inapproprié du conseil
211
60
190. En dehors de l’hypothèse où le crédit est excessif, il convient de se demander si le
banquier n’est pas tenu de mettre en garde le tiers garant lorsque c’est le cautionnement luimême qui est excessif, puisque, là aussi, la caution s’expose à des risques trop importants.
2) L’hypothèse d’un cautionnement excessif
191. Les juges s’orientent peut-être vers un devoir de conseil plus étendu en matière de
cautionnement.
En effet, dans l’arrêt du 17 juin 1997214, dit arrêt Macron, la Cour de cassation a posé en
principe que le montant du cautionnement doit être proportionné aux revenus et au patrimoine
du garant. Les magistrats ont, par cette jurisprudence, donné une portée générale à la règle de
l’article L313-10 du code de la consommation qui permet à la caution d’un prêt accordé à un
particulier d’être dispensée de ses obligations de paiement quand elle s’est engagée au-delà de
ses moyens.
Le banquier qui ne respecterait pas ce principe de proportionnalité verrait sa responsabilité
engagée à l’égard de la caution pour avoir demandé une garantie excessive. Le préjudice de la
caution résulte du fait d’être actionnée par le créancier dans une mesure incompatible avec ses
possibilités.
192. Il est permis de voir dans ce principe, à l’instar de M.Piedelièvre215, une
application du devoir de conseil de l’établissement de crédit puisque, dans l’exercice de ce
devoir, le banquier doit s’assurer que la souscription du cautionnement n’est pas susceptible
de causer un préjudice excessif au garant.
Ainsi, lorsque le cautionnement s’avère disproportionné, la banque aurait le choix entre
limiter le montant de la garantie ou déconseiller, là encore, les cautions de s’engager ; le
devoir de conseil négatif du banquier dans cette hypothèse reste une supposition car seul un
arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 septembre 1996216 semble l’admettre. Dans cette
affaire, une banque avait octroyé un prêt de 2,4 millions de francs à une société moyennant
cautions ; le banquier n’était pas tenu d’un devoir de conseil à leur égard en raison de la
situation de l’emprunteur, celle-ci n’étant pas irrémédiablement compromise lors de l’octroi
du prêt.
En revanche, la Cour a, apparemment, retenu que l’établissement de crédit aurait dû
prodiguer des conseils aux cautions sur les risques qu’elles encouraient en raison de la
disproportion entre leurs revenus modestes et le montant du cautionnement.
Le manque de clarté de la motivation de la décision, qui mélange les références à la situation
financière des cautions et à la situation financière fragile de la société emprunteuse, ne permet
pas d’affirmer que les conseils étaient dus uniquement parce que les garants n’étaient pas
imposables.
193. Une confirmation de la Cour de cassation serait la bienvenue, d’autant que plus
que par un simple devoir de dissuasion, le principe de proportionnalité semble se traduire par
une véritable interdiction faite au banquier d’obtenir un cautionnement excessif.
214
com. 17 juin 1997, bull civ. IV n°188 ; RDBB1997, p.221, obs Contamine-Raynaud ; LPA 27 mai 1998,
n°63, p.33 , note Piedelièvre .
Dans le même sens : CA Lyon 16 janvier 1998 et CA Paris 27 novembre 1998, JCP 1999, I, n°116, n°6, obs
Simler et Delebecque .
215
S. Piedelièvre, Le cautionnement excessif , Defrénois 1998, 36836, p.849.
216
CA Paris 27 septembre 1996, Juris-Data n°022332, ; JCP E 1996, pan. n°1169, p .399
61
L’établissement de crédit ne doit apparemment faire face à un devoir de conseil qu’en cas de
prêt excessif, et pas en cas de cautionnement excessif.
B. L’impossible collaboration en cours de contrat
194. La collaboration « franche, effective et intégrale » qui doit primer entre le
bénéficiaire du conseil et le professionnel, selon la Cour de Paris217, ne correspond pas à
l’objet de certains contrats.
M. Rontchevsky insiste sur le fait que « le solidarisme contractuel218 n’a guère sa place dans
le cautionnement et les autres garanties qui ne sont pas des contrats de coopération »219.
C’est pourquoi, le conflit d’intérêts entre le banquier et le garant devrait influer sur la
permanence du conseil.
1) Absence de généralité du conseil envers la caution
195. La jurisprudence a pu parfois admettre que le devoir de conseil se prolongeait lors
de l’exécution du contrat : en 1998, les magistrats de la Cour d’appel de Paris ont ainsi décidé
qu’une banque avait manqué à son obligation d’information et de conseil en laissant croire à
un ancien dirigeant, qui s’était porté caution de sa société, que le cautionnement souscrit par
le nouveau gérant l’avait libéré de son obligation de couverture220.
Néanmoins, en l’espèce, la Cour d’appel s’est fondée expressément sur l’article 1134 du code
civil pour retenir cette solution ; il est possible d’en déduire qu’une fois de plus, les juges ont
considéré l’information et le conseil comme synonymes, auquel cas le banquier devrait
seulement informer le garant dans cette hypothèse et non le conseiller.
La solution n’était d’ailleurs pas nouvelle, puisque la Cour de Versailles s’était déjà
prononcée dans le sens d’une obligation d’information permanente à la charge du banquier
quelques temps auparavant221. Dans cette espèce, l’ancienne gérante d’une SARL, qui avait
cautionné une obligation de cette société, a obtenu des dommages et intérêts d’un montant
égal à celui de sa dette de caution.
Or, si la Cour ne remet pas en question le fait que la cessation des fonctions de dirigeant
n’entraîne pas de plein droit la libération de la caution222, M. Delebecque remarque que
« cependant, la libération de la caution est bien la conséquence à laquelle les juges
parviennent. ».
En effet, les magistrats ont estimé que la banque avait manqué à son obligation de loyauté et
de bonne foi, imposée par l’article 1134 du code civil, en n’informant pas la caution de
l’augmentation très importante des sommes avancées au débiteur principal.
196. Il semble toutefois que la Cour de cassation ait décidé de consacrer la solution
inverse, un arrêt de la chambre commerciale du 29 janvier 2002223 précisant que la banque
n’est tenue « ni d’une obligation d’information, ni d’une obligation de conseil » sur la
217
CA Paris 1er février 1993 , JCP E 1993, II, 489 , note Couret
selon une expression de Ch. Jumin, Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Etudes offertes à Jacques
Ghestin, Le contrat au début du XXIè siècle, LGDJ 2001, p.441
219
N. Rontchevsky, commentaire de com. 29 janvier 2002, Banque et droit mars-avril 2002, p.39
220
CA Paris 23 janvier 1998, Juris-Data n°020157
221
CA Versailles 11 décembre 1997, bull Joly mars 1998, § 83, p.218, note Ph. Delebecque
222
solution qui est acquise en jurisprudence : com. 6 décembre 1988, D 1989, p.185, note L. Aynès ; CA
Versailles 22 mai 1997, D affaires 1997, p.1150
223
com. 29 janvier 2002, Banque et droit mars-avril 2002, p.39, obs N. Rontchevsky ; BRDA 2002, n°4, p.10 ; D
2002, p.716, obs A. Lienhard ; JCP E 2002, pan. n°430, p.446
218
62
persistance, faute de novation, du cautionnement du dirigeant et des actionnaires malgré la
cession de leurs actions.
« Autrement dit, une banque n’a pas à informer la caution de ce qu’elle reste liée par son
engagement, et encore moins à lui conseiller de solliciter une extinction de celui-ci. »224.
Techniquement, il appartenait aux cédants de solliciter de la banque l’extinction de leur
engagement préalablement à la cession en application de l’article 1275 du code civil, et ce de
leur propre initiative, dans la mesure où la chambre commerciale refuse d’imposer à
l’établissement de crédit une obligation permanente d’information et de conseil à l’égard de la
caution.
Cette solution est heureuse car, une fois que le contrat de cautionnement est conclu, comment
« imposer au créancier de fournir une assistance à la caution et de ne plus considérer ses
propres intérêts »? C’est oublier que « la notion même de contrat repose sur une idée
d’antagonisme d’intérêts » 225.
Nous pouvons d’ailleurs noter que les modèles de contrat de cautionnement contiennent une
clause stipulant que la modification ou la rupture des relations existant la caution et le
débiteur principal n’aura aucun effet sur la validité du cautionnement. Même si cette clause
paraît inutile dans la mesure où elle ne fait que reprendre la solution selon laquelle la cause de
l’engagement n’est pas le lien qui unit la caution au débiteur, mais la considération du crédit
accordé par le créancier226, elle permet de rappeler au dirigeant caution que s’il quitte ses
fonctions, il devra penser à résilier son cautionnement.
Le dirigeant est donc normalement informé du fait que cet événement n’affecte pas la validité
et la pérennité du contrat, et il n’est pas possible de reprocher à la banque une quelconque
malhonnêteté.
197. Au premier abord, les magistrats de la chambre commerciale de la Cour de
cassation sont donc hostiles à un devoir de conseil après la conclusion de ce contrat de
garantie ; les décisions semblent s’inscrire dans la tendance « libérale » de cette chambre à ne
pas alourdir les obligations du banquier, les juges ayant déjà écarté l’existence d’un devoir de
conseil de la banque envers les emprunteurs non consommateurs227.
La tendance suivie par la chambre commerciale semble s’opposer une fois de plus à la
position adoptée par la première chambre civile, dont la ligne directrice est la protection de la
partie la plus faible.
Apparemment, elle a d’ailleurs reconnu que la banque est tenue d’une obligation générale
d’information au bénéfice de la caution sur le fondement de la loyauté, puisque, dans un cas
où l’engagement de caution était lié à l’adhésion de l’emprunteur à un contrat d’assurance, les
juges ont estimé que la banque aurait dû informer la caution du non paiement des cotisations
par le débiteur principal, ce qui avait empêché la caution de les payer à sa place et de
maintenir l’assurance228.
La limitation du devoir de conseil de la banque au moment de l’ouverture du crédit paraît
fragile car la prochaine étape des magistrats, après avoir admis l’existence d’une obligation
d’information permanente, sera peut-être de reconnaître un devoir de conseil permanent au
bénéfice de la caution.
224
N. Rontchevsky, commentaire de com. 29 janvier 2002, Banque et droit mars-avril 2002, p.39
Ph. Delebecque, note sous CA Versailles 11 décembre 1997, op.cit.
226
com. 8 novembre 1972, D 1973, 753 (1è espèce), note Malaurie ; dans le même sens : com. 16 février 1977,
JCP 1979, II, 19154, note Simler ; com. 3 novembre 1988, D 1989, 185, note Aynès.
227
com. 24 janvier 1995, RJDA 1995, n°605
228
civ.1è 27 juin 1995, RJDA 2/96, n°254
225
63
198. Cependant, dans cette espèce, imposer au banquier un devoir de conseil n’aurait
pas été contre-nature, dans le sens où le maintien de l’assurance était profitable à tous, et pas
seulement à la caution : cela revenait en effet à maintenir une garantie supplémentaire pour le
créancier.
En revanche, la décision se serait peut-être avérée différente face à conflit d’intérêts. Par
exemple, en présence d’un cautionnement à durée indéterminée, le juge n’aurait probablement
pas demandé au banquier de conseiller à la caution de résilier son engagement au vu de
l’évolution de la solvabilité du débiteur.
En fait, nous pouvons en déduire que la position de la chambre commerciale et la position de
la chambre civile ne sont pas opposées : les décisions que nous avons analysées optent pour
des solutions inverses, non pas forcément en raison d’une divergence d’opinions, mais plutôt
parce que dans le premier cas, conseiller le dirigeant caution aurait été contraire aux intérêts
du banquier et que, dans le deuxième cas, conseiller la caution était conforme aux intérêts du
banquier.
Cela signifie que l’existence d’un devoir de conseil après la conclusion du cautionnement sera
appréciée au cas par cas, en fonction des intérêts en cause, à l’inverse de la démarche suivie
par les juridictions pour la période pré-contractuelle : il est donc possible de conclure à
l’absence d’un devoir de conseil général à la charge du banquier vis-à-vis du tiers garant.
199. Une fois passé le stade de la conclusion du contrat, seules des obligations
d’informations d’origine légale pèsent impérativement sur le créancier à l’égard du tiers
garant229.
2) Absence de généralité du conseil envers les clients
200. Le conflit d’intérêts banque/caution peut expliquer que le conseil soit limité, mais
est-ce aussi le cas lorsque la caution est par ailleurs cliente du banquier qui est alors, à
l’inverse, gardien de ses intérêts?
201. Nous pouvons nous demander si le garant ne bénéficie pas, dans ce cas, d’un
devoir général d’information et de conseil, mis à la charge du banquier à partir de son devoir
général de prudence qui lui impose de tout faire pour éviter de causer un dommage à ses
clients.
Mais la généralité des obligations d’information et de conseil au profit du client n’est pas
unanimement admise en doctrine230, alors même que la bonne foi et l’équité qui fondent ces
obligations doivent guider en permanence l’exécution des conventions.
Quant à la Cour de cassation, elle n’a jamais reconnu d’obligation générale et permanente
d’information à la charge du banquier231. Les magistrats de la Haute juridiction se sont
notamment prononcés en matière de crédit, en considérant que le banquier n’avait pas
229
cf. art. L312-22 du code monétaire et financier et art. 2016 al 2 du code civil : M. Delebecque estime
d’ailleurs que l’article L312-22 protège déjà la caution car le banquier lui rappelle régulièrement ses obligations.
« Il est permis de penser que cette disposition, harmonieusement sanctionnée, canalise suffisamment les
exigences de la bonne foi contractuelle .».( Ph. Delebecque, note sous CA Versailles 11 décembre 1997, op.cit.)
230
dans le sens d’une généralité de l’obligation d’information et de conseil : J.-F. Clément, op.cit., RTD com.
Avril-juin 1997, p.203. Contra : M. de Juglart, L’obligation de renseignement dans les contrats, RTD civ. 1945,
p.1.
231
alors que les tribunaux ont été tentés de conférer un caractère général à l’obligation d’information du
banquier, voir par exemple : CA Paris 5 février 1998, RD bancaire et de la bourse 1998, 29, obs Crédot et
Gérard, arrêt cité par F. Boucard , Les obligations d’informations et de conseil du banquier, thèse, 2002,PUAM,
n°23.
64
d’obligation de conseil envers l’emprunteur dans le cadre d’un financement agricole, puisque
les décrets qui prévoyaient cette obligation avaient été abrogés232.
Par conséquent, en dehors des obligations légales d’information, qui sont déjà d’importance
car elles permettent à la caution d’être informée sur la situation du débiteur à échéance fixe, le
créancier n’a pas à délivrer de renseignements au garant après la conclusion du contrat de
cautionnement.
Le fait que la caution soit cliente du banquier ne change rien : en raison de l’absence de
généralité des obligations du banquier, elle n’a aucune protection complémentaire basée sur le
contrat distinct qui la lie à la banque.
202. Le conseil de la banque au bénéfice de la caution demeure circonscrit à des
hypothèses particulières, où l’engagement du garant serait manifestement trop risqué, au point
de perdre son caractère aléatoire.
La déloyauté du banquier, qui recueille la garantie d’un tiers dans ces circonstances sans le
mettre en garde, doit logiquement être sanctionnée : il conviendra toutefois de s’interroger
ultérieurement sur l’opportunité de condamner le créancier sur le terrain du devoir de
conseil233.
En outre, malgré la volonté de la jurisprudence de protéger les cautions, nous pensons qu’il
n’est pas souhaitable que la tendance à l’élargissement du conseil bancaire se confirme.
Un devoir de conseil permanent et général au bénéfice du tiers garant serait, rappelons-le,
parfaitement inconciliable avec les besoins de la banque de disposer de garanties efficaces.
En revanche, lorsque les intérêts du créancier et du débiteur convergent dans la mise
en œuvre d’une garantie, l’étendue du conseil à la charge de l’établissement de crédit n’a pas
à être limitée.
§ 2. Un conseil plus étendu en l’absence de conflit d’intérêts
203. Le devoir de conseil du banquier peut vraiment être qualifié de tel dans la
conclusion et la mise en œuvre de garanties spécifiques qui, contrairement aux sûretés
classiques, ne le mettent apparemment pas en conflit avec le garant.
D’autres techniques contractuelles que les sûretés énumérées dans le code civil peuvent faire
office de garanties ; la protection croissante de la caution et l’efficacité restreinte des sûretés
réelles234 incitent d’ailleurs les créanciers à rechercher des solutions de substitution moins
contraignantes.
Or, alors qu’en matière de sûretés réelles et de sûretés personnelles, les intérêts du créancier et
les intérêts du garant sont antagonistes, ils semblent se rejoindre dans la mise en œuvre de ces
garanties de substitution ; l’étendue du devoir de conseil du banquier s’en ressent.
A. Exemple du contrat d’assurance de groupe
204. Les techniques de l’assurance sont particulièrement prisées par les établissements
de crédit : à première vue, l’assurance est étrangère au concept de sûreté parce que ce contrat
a pour objet de garantir un assuré contre un risque , et non de garantir l’exécution d’une
obligation.
Cependant, le mécanisme de l’assurance-crédit, très pratiqué dans le financement du
commerce international, couvre bien les risques engendrés par l’octroi d’un crédit : nous ne
l’aborderons pas ici faute de jurisprudence consacrant un devoir de conseil supplémentaire à
l’information du banquier dans cette hypothèse.
232
Com. 25 janvier 2000, bull civ. IV n°18, arrêt cité par F. Boucard, op.cit., n°23
cf. deuxième partie, titre I, chapitre 2, Le caractère inapproprié du conseil, section 2
234
cf. supra, L’importance d’une garantie adaptée au risque encouru
233
65
La raison en est que, dans ce cas, c’est le créancier qui est l’assuré la plupart du temps : le
débiteur restant extérieur à la garantie, aucun problème de devoir de conseil à son profit ne se
pose.
Mais d’autres assurances ayant pour cause ,et non pour objet, le remboursement d’un prêt
peuvent être qualifiées de garanties indirectes.
En effet, le remboursement d’un prêt, et surtout d’un prêt à un particulier, est subordonné en
pratique au maintien de la capacité de travail de l’emprunteur. Le remboursement est
compromis en cas de décès ou d’invalidité.
205. Avisé, le banquier impose donc de plus en plus comme condition d’obtention du
prêt une assurance décès- invalidité- incapacité de travail.
Elle prend la forme de ce que l’on appelle une assurance de groupe : l’assurance de groupe
peut être souscrite dans différents domaines, car elle ne se définit pas tant par son objet, que
par la façon dont elle est souscrite.
Il est important pour la suite de nos développements d’insister sur le fonctionnement de cette
« technique spécifique de souscription des contrats d’assurance »235, dans la mesure où elle
instaure une relation triangulaire entre un assureur, un souscripteur et un adhérent.
206. Lorsque l’assurance de groupe est souscrite en vue de garantir le remboursement
d’un crédit, les parties au contrat sont l’assureur et le banquier : le banquier souscrit une
police contre les risques de décès, d’invalidité ou encore de chômage pouvant frapper son
client.
Ultérieurement, lorsqu’il accorde son concours financier, le banquier offre à l’emprunteur, ou
exige de lui, d’adhérer à la convention.
207. Et puisque l’emprunteur n’a de relations qu’avec le banquier, c’est à l’encontre de
ce-dernier que la jurisprudence a, depuis longtemps, retenu une obligation d’information et de
conseil au bénéfice de ses clients adhérents236.
La charge de cette obligation s’est d’ailleurs alourdie avec le mouvement consumériste, qui a
pour objectif de protéger l’emprunteur futur adhérent, considéré comme profane, contre
d’éventuels abus de professionnels237.
D’après M. Groutel, « que l’assurance soit rattrapée par le consumérisme n’a rien d’étonnant,
puisqu’ aussi bien elle lui avait ouvert la voie avec la loi du 13 juillet 1930. »238.
Nous avons précédemment constaté que le dispositif établi par le législateur n’est pas
suffisant, en pratique, pour que les adhérents soient conscients de leurs droits et obligations
parce que l’assurance est un contrat complexe et qui n’a pas été négocié par l’emprunteur.
Aussi, l’obligation d’information et de conseil élaborée par la jurisprudence vient combler les
inégalités d’information sur les clauses du contrat d’assurance.
Néanmoins, l’étendue du conseil à la charge de la banque peut se justifier aussi par un
impact supposé positif sur ses intérêts: en principe, mieux le client est conseillé et mieux il
sera assuré, ce qui augmente les chances de remboursement du crédit.
235
I. Rivière, L’obligation d’information et de conseil du banquier souscripteur en assurance de groupe, LPA 22
juin 2001, p.4
236
voir notamment : civ.1è 12 juillet 1983, D 1985, IR, 189, obs C.-J. Berr et H. Groutel ; 17 février 1987, D
1987, som. 334, obs C.-J. Berr et H. Groutel ; 14 octobre 1997, Revue générale des assurances terrestres 1997,
1069, note J. Kullman ; 2 février 1994, D 1994, som. 143, obs C.-J. Berr.
237
J.-M. Rothmann, Le point de vue des consommateurs, in Les responsabilités de l’assureur, 2è colloque de
l’association des juristes d’assurance et de réassurance, GP 23 avril 1996, p.390
238
H. Groutel, Les responsabilités de l’assureur, 2è colloque de l’association des juristes d’assurance et de
réassurance, GP 23 avril 1996, p.378
66
En effet, l’assurance ne profite pas qu’au client devenu incapable ou à ses ayants droit en les
libérant de leur obligation de rembourser.
Il faut garder en mémoire que la banque est souvent désignée comme bénéficiaire de
l’assurance, et que si ce n’est pas le cas, « l’emprunteur devient un créancier virtuel de la
compagnie d’assurance et donne cette créance future en gage à son banquier. »239.
Par conséquent, si le sinistre se réalise, le capital sera affecté à due concurrence au
remboursement du crédit.
208. L’établissement de crédit a donc tout à gagner à ce que l’assurance soit la mieux
adaptée possible à la situation de l’emprunteur.
Puisque la garantie bénéficie à la fois au créancier et à son débiteur, il n’est pas contre nature
d’exiger du banquier qu’il renseigne et conseille largement son client sur les conditions de
l’assurance.
Et pourtant, « l’impressionnante masse de contentieux opposant les adhérents au banquier
souscripteur », selon les dires de Mme Rivière240, semble traduire des lacunes persistantes du
créancier dans la mise en œuvre du devoir de conseil.
B. Contenu du conseil
209. En plus d’une obligation minimale d’information qui consiste à renseigner les
clients sur les conditions de l’assurance, les tribunaux imposent au banquier souscripteur un
devoir de conseil qui apparaît à la formation du contrat, mais se prolonge au cours de son
exécution.
En effet, il a été jugé que ses obligations ne sauraient s’achever avec la seule remise de la
notice d’information prévue par la loi du 31 décembre 1989241.
1) Conseil dans la détermination de l’assurance adaptée
210. Le banquier souscripteur ne peut se contenter d’informer son client des risques et
des personnes couverts par l’assurance de groupe.
Il doit véritablement traiter cette information en indiquant à l’emprunteur quelles sont les
conséquences pratiques de l’adhésion à la convention par rapport à sa situation personnelle.
Néanmoins, il n’est pas certain qu’en cas de problème, la banque doive proposer un remède à
son client pour que la garantie soit la plus efficace possible.
Ses obligations recouvrent en principe l’information, la mise en garde et le conseil :
cela implique que l’établissement de crédit soit parfaitement au courant de la situation du
futur adhérent.
A cette fin, les formulaires de déclaration des risques, qui se présentent sous forme de
questionnaires, sont très utiles car l’article 113-2 du code des assurances impose au client de
« répondre exactement aux questions posées par l’assureur »242. Cela permet au banquier de
connaître les risques à prendre en charge de façon précise.
239
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op.cit., n°550-1
I. Rivière, L’obligation d’information et de conseil du banquier souscripteur en assurance de groupe, op.cit.
241
civ.1è 12 janvier 1999, RGDA 1999, p. 397. En sens contraire : civ.1è 1er décembre 1998, RGDA 1999, n°2,
p.427, note J. Kullman : « s’agissant d’une assurance de groupe souscrite par un établissement de crédit en vue
de garantir ses emprunteurs contre des risques déterminés dont ils ont été informés avec précision par la remise
de la notice, le souscripteur n’est pas tenu de leur conseiller de contracter une assurance complémentaire. ».
242
un arrêt du 28 mars 2000 de la première chambre civile a d’ailleurs rappelé l’obligation de répondre avec
loyauté et sincérité aux questions posées par l’assureur (civ.1è 28 mars 2000, JCP E 2000, 872), abandonnant la
jurisprudence ayant prononcé un partage de responsabilité entre le client et la banque, suite à une déclaration de
risques mensongère (civ.1è 14 otobre 1997, RGDA 1997, 1069, note J. Kullmann).
240
67
a. Détermination des personnes à assurer
211. Le banquier doit s’assurer que la police souscrite est adaptée aux besoins de
l’emprunteur.
Par suite, le banquier est tenu de conseiller son client sur les personnes à assurer.
212. Ainsi, il a été jugé que manque à son devoir de conseil, l’établissement bancaire
qui n’attire pas l’attention des époux emprunteurs, tous deux salariés, sur l’intérêt pour
chacun, et non seulement pour le mari, d’adhérer à l’assurance de groupe243.
De même, une caisse d’épargne a été condamnée pour ne pas avoir mis en garde l’emprunteur
à propos du défaut d’assurance sur la tête de sa femme décédée en cours d’emprunt244.
La Cour de cassation sanctionne le souscripteur sur le terrain de l’information alors
qu’il s’agit plus d’un conseil négatif : la banque aurait dû attirer l’attention de l’adhérent sur
cette limite que présentait l’assurance dans sa situation propre.
Concrètement, l’objectif du conseil négatif était de faire comprendre à l’emprunteur que sa
femme devait, elle aussi, adhérer à la convention.
La banque qui omet de conseiller les parties sur ce point subit elle-même les
conséquences de sa négligence.
En effet, lorsque le sinistre qui survient n’est pas assuré, cela causera un préjudice par
ricochet au créancier parce que les capacités de remboursement de l’emprunteur sont atteintes.
Nous pouvons donc nous demander pourquoi la banque ne délivre pas ces mises en garde : il
peut s’agir d’une négligence, mais son silence peut aussi être volontaire.
Les banquiers envisagent probablement tout devoir d’information et de conseil comme une
contrainte, mais s’il est vrai que cela alourdit leur mission, le devoir de conseil en matière
d’assurance de groupe va dans le sens de leurs intérêts.
b. Détermination des risques à couvrir
213. La complexité particulière des mécanismes d’assurance de groupe impose au
banquier de veiller également à ce que la couverture des risques proposée par l’assurance soit
adéquate à la situation individuelle de l’emprunteur245.
214. La Cour de Lyon a ainsi décidé que « la banque manque à son obligation
d’information vis-à-vis des emprunteurs en leur imposant d’adhérer à un contrat d’assurance
groupe dont elle est la seule à connaître les conditions, sans attirer leur attention sur le fait que
la garantie ne peut être mise en jeu que si l’invalidité totale entraîne l’assistance obligatoire
d’une tierce personne. »246.
La banque est, là aussi, condamnée pour manquement à son devoir de conseil envisagé
comme un devoir de conseil négatif, puisqu’elle aurait dû mettre en garde les adhérents sur les
risques et les limites de la garantie.
Cependant, le banquier ne semble pas devoir proposer réellement au client une
solution qui corresponde à ses besoins en matière d’assurance. La jurisprudence n’a pas,
243
Civ.1è 19 mai 1999, RCA 1999, n°280
civ.1è 17 février 1987, bull civ. I n°56
245
civ.1è 9 décembre 1997, RTD civ. 1999, p.83, obs J. Mestre, qui condamne la banque qui a fait signer une
police totalement inadaptée à la situation de l’emprunteur.
246
CA Lyon 27 avril 1989
244
68
jusqu’à présent, estimé que le banquier devait orienter le choix du client vers une formule plus
intéressante que celle de l’assurance de groupe.
215. Ce qui paraît curieux dans la mise en œuvre de l’assurance de groupe, c’est que le
chemin est parcouru en sens inverse : la souscription de la garantie intervient d’abord, et les
conseils sont dispensés ensuite.
Le banquier va en effet négocier les conditions de l’assurance que prendront les futurs
adhérents , cette négociation intervenant avant tout octroi de crédit, ce qui permet à l’assureur
de réaliser des économies d’échelle247.
Le mécanisme de l’assurance de groupe montre qu’il est difficile d’imposer au
banquier de conseiller positivement le client : il n’a pas intérêt à conseiller à l’emprunteur de
souscrire une autre garantie plus adaptée.
Le devoir de conseil du banquier consiste essentiellement à mettre en garde les futurs
adhérents pour les encourager à se garantir, parce qu’il a intérêt à ce que les emprunteurs
adhèrent à la convention.
Effectivement, le banquier perçoit une rémunération proportionnelle au montant des primes
encaissées par l’assureur248.
216. Si, de prime abord, les intérêts du banquier et du client convergent vers un but
commun, à savoir garantir le remboursement du prêt par l’assurance la plus adaptée à la
situation propre à l’emprunteur, le recours au mécanisme de l’assurance de groupe semble
donc faire naître un conflit d’intérêts.
Pourtant, l’étendue du devoir de conseil ne s’en ressent pas.
Notamment, le banquier est débiteur d’un conseil également en cours d’exécution de la
garantie.
2) Conseil dans la mise en œuvre de l’assurance
217. Le conseil du banquier souscripteur a un caractère permanent, c’est-à-dire qu’il
ne se limite pas à la phase pré-contractuelle.
En effet, le contrat de prêt qui est garanti peut s’étaler sur plusieurs années : les rapports
contractuels étant de longue durée, il n’est pas étonnant que le devoir de conseil de
l’établissement de crédit survive parfois.
Cela permet de mettre la lumière sur les risques liés aux modifications susceptibles
d’intervenir lors de la phase d’exécution du contrat.
D’ailleurs, la loi impose à l’assuré, non seulement de déclarer les risques lors de la
conclusion du contrat, mais encore les aggravations des risques qui peuvent survenir en cours
d’exécution du contrat249.
Si l’assuré est tenu de coopérer également après que le contrat ait été conclu, il est d’autant
plus normal que le conseil du banquier ne s’arrête pas à la phase pré-contractuelle.
247
F. Boucard, Les obligations d’information et de conseil du banquier, op.cit., n°61
J. Kullmann, L’actualité de l’assurance groupe des emprunteurs, contribution à la conférence sur le thème de
l’actualité des sûretés, LPA 17 juin 1998, p.46
249
article L113-2 al 3 du code des assurances qui oblige l’assuré à « déclarer, en cours de contrat, les
circonstances nouvelles qui ont pour conséquence, soit d’aggraver les risques , soit d’en créer de nouveaux et
rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l’assureur » initialement.
248
69
218. La Cour de cassation250 a par exemple censuré une décision des juges du fond qui
avaient estimé que l’emprunteur aurait dû « informer l’assureur du sinistre et lui faire parvenir
les pièces médicales justifiant de son incapacité dans le délai de six mois prévu au contrat. ».
En effet, les magistrats de la première chambre civile ont retenu que « le crédit consenti par la
société France Bail était garanti par une police d’assurance de groupe, souscrite par cette
société, à laquelle avait adhéré M. C…(l’emprunteur) par son intermédiaire ; celle-ci était dès
lors tenue envers l’adhérent à une obligation de conseil qui ne s’achevait pas avec la remise
de la notice à laquelle elle était tenue en vertu de l’article R 140-5 du code des assurances ;
ayant été avisée en temps utile du sinistre par M. C…, la société France Bail avait
l’obligation, soit d’informer aussitôt l’assureur de ce sinistre, soit d’inviter sans délai
l’adhérent à adresser sa déclaration de sinistre à l’assureur ».
La Cour d’appel avait donc violé l’article 1135 du code civil : il est vrai que l’exigence
d’équité, tout comme l’exigence de bonne foi, dans laquelle le devoir de conseil puise ses
racines ne se limite pas à la conclusion du contrat, mais se poursuit dans sa phase d’exécution.
219. L’obligation d’information et de conseil du banquier souscripteur s’étend donc à
la gestion du sinistre251.
Sur ce point, nous pouvons remarquer, à l’exemple de M. Boucard252, que l’application du
devoir de conseil « a souvent pour effet d’accorder à l’emprunteur une protection qu’il ne
mérite pas ». L’auteur écrit fort justement que « chacun sait qu’en cas de survenance d’un
sinistre, il convient de le déclarer à l’assureur pour obtenir le paiement de l’indemnité prévue
au contrat. ».
220. Le conseil en matière d’assurance est parsemé d’embûches, d’autant que l’aléa
est le critère de cette convention.
Assimiler le banquier à un courtier en assurances est donc un objectif ambitieux et risqué, qui,
même s’il s’explique par l’absence -théorique- de conflit d’intérêts, pourra se retourner contre
lui.
En effet, dans le domaine des assurances, comme à propos des autres garanties, les actions en
responsabilité dirigées contre le banquier se multiplient.
Et si la responsabilité du professionnel est censée s’estomper lorsqu’il satisfait pleinement à
ses missions et que sa fidélité à son devoir de conseil est sans faille, répondre à l’image idéale
donnée par la Cour de cassation ne semble pas possible en pratique.
Bien sûr, le notaire ou le banquier sont confrontés à des problèmes complexes et variés, mais
surtout, la Haute juridiction n’a de cesse d’alourdir leur devoir de conseil, notamment en
matière de garanties.
250
civ.1è 18 décembre 1985, bull civ. I n°357
civ.1è 19 décembre 2000, RCA 2001, n°98 : « l’obligation d’information et de conseil se poursuit dans la
déclaration de sinistre »
252
F. Boucard, Les obligations d’information et de conseil du banquier, op.cit., n°222
251
70
DEUXIEME PARTIE
CONSEQUENCE PRATIQUE : L’ATTEINTE A LA LOI DU
CONTRAT DE GARANTIE
221. L’article 1134 alinéa 1 du code civil énonce que « les conventions légalement
formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. » : entre les parties, le contrat est donc
obligatoire.
Toutefois, le principe pacta sunt sevranda ne s’applique que si le contrat est valablement
formé ; or, un manquement du contractant à son devoir de conseil a pu être constitutif d’un
dol, ou tout du moins provoquer une erreur déterminante du consentement de l’autre partie.
En dehors de l’hypothèse d’un contrat nul, la force obligatoire rencontre d’autres obstacles
liés au devoir de conseil.
En effet, cette règle ne joue que tant que les deux parties respectent leurs obligations
respectives. Un manquement du professionnel à son devoir de conseil justifie, par conséquent,
que l’autre partie soit libérée de la loi du contrat , le conseil étant considéré par la
jurisprudence comme une obligation contractuelle imposée par l’équité253.
Quant au devoir de conseil du notaire, il ne peut être considéré comme une obligation
contractuelle mais comme une obligation quasi-légale : sa méconnaissance entraîne
l’engagement de la responsabilité délictuelle du notaire et donc, l’octroi de dommages et
intérêts à la victime. Indirectement, le client victime d’un manquement du notaire à son devoir
de conseil est alors délivré pour partie de ses engagements, s’ils sont de nature pécuniaire.
222. Le nombre des décisions rendues par la Cour de cassation en matière de devoir de
conseil prouve que c’est souvent sur ce point que le garant cherche la faille qui lui permet
d’échapper à ses obligations : le juge ne fait rien pour l’en dissuader , au contraire, puisqu’il
continue d’étendre les contours du devoir de conseil .
Les étapes de notre analyse seront donc les suivantes :
Titre I : Les limites à la pertinence du conseil dans le choix d’une garantie efficace
Titre II : Un devoir sanctionné utilement
253
Article 1135 du code civil
71
TITRE I
LES LIMITES A LA PERTINENCE DU CONSEIL DANS LE CHOIX
D’UNE GARANTIE EFFICACE
223. L’une des conditions d’existence du devoir de conseil est sa pertinence, ce qui
signifie que le conseil ne doit être délivré que dans la mesure où il permet à son destinataire
de prendre une décision utile pour lui.
Or, si nous avons précédemment constaté que certaines obligations déontologiques
imposées au notaire et au banquier, ainsi que la présence de conflits d’intérêts, entraînent une
limitation à leur devoir de conseil en matière de garanties, il ne nous semble pas permis de
considérer que la jurisprudence procède à une appréciation réaliste du conseil, puisqu’elle n’a
de cesse d’élargir les contours de ce devoir, notamment à l’égard du notaire.
La tendance des juges à alourdir le contenu du devoir de conseil au profit du garant a
paradoxalement pour effet de le rendre moins utile, mais nous pourrons également nous
interroger sur la pertinence du devoir de conseil dans le choix d’une garantie adaptée en
constatant que le conseil, tel qu’il est envisagé par les tribunaux, n’est pas forcément un outil
d’aide à la décision approprié.
Le présent titre est donc consacré d’une part à l’extension du devoir de conseil, et,
d’autre part, à son caractère inapproprié.
Chapitre 1 : Un devoir dont la portée devrait être limitée
Chapitre 2 : Le caractère inapproprié du conseil
72
CHAPITRE 1
UN DEVOIR DONT LA PORTEE DEVRAIT ÊTRE LIMITEE
224. La jurisprudence confère au devoir de conseil une portée toujours plus large, au
gré de sa volonté de justice contractuelle qui l’amène à ne pas tenir compte de certaines
circonstances relatives à l’acte ou aux bénéficiaires du conseil qui limiteraient pourtant
utilement cette obligation.
D’ailleurs, le juge va jusqu’à repousser les contours mêmes du concept de conseil, lorsqu’il
considère que conseiller est synonyme de décider.
La protection de la partie la plus faible est une philosophie louable qui conduit cependant à
placer le professionnel dans une situation d’infériorité en raison de l’aggravation de ses
obligations d’information et de conseil. Nous sommes passés d’un déséquilibre à un autre.
Section 1. Absence de limites extrinsèques au conseil
225. Les conseils à fournir par le professionnel ne tiennent pas compte de certaines
circonstances propres à l’acte garanti ou au créancier du conseil, qui le rendrait peut-être plus
percutant, et en tout cas, plus pertinent dans le choix de la garantie adaptée.
§ 1. Absence de limites objectives
A. Limites relatives à l’acte
226. Le rédacteur d’actes exerce son devoir de conseil au service de la validité et de
l’efficacité de l’acte: c’est la raison pour laquelle, que l’acte soit simple ou complexe , ou que
l’acte ait été négocié par le notaire ou soit intervenu directement entre les parties, le notaire
sera toujours tenu d’un devoir de conseil.
227. Les magistrats de la première chambre civile de la Cour de cassation254 ont en
effet rappelé que le devoir de conseil du notaire subsiste en dépit d’une mission limitée à
l’authentification de conventions directement arrêtées par les parties. La difficulté tient alors à
ce que la modification de la convention conseillée par le notaire à propos des garanties
suppose l’accord de toutes les parties.
Il semble que le devoir de conseil soit toutefois moins strict lorsque le notaire ne fait
qu’authentifier la convention puisque la Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises que
« si les notaires sont professionnellement tenus d’éclairer les parties sur la portée des actes par
eux dressés et sur la valeur des garanties qui peuvent y être attachées, la mesure et la portée
du devoir de conseil doivent être appréciés selon les circonstances et notamment selon que le
notaire a participé directement aux tractations relatives aux stipulations de leur convention, ou
n’est intervenu que pour donner une forme authentique à des accords déjà conclus. »255.
Aussi, lorsque le notaire n’a pas participé à la négociation d’un prêt garanti par une
hypothèque, la doctrine256 estime qu’il n’a pas à vérifier la valeur de l’immeuble hypothéqué.
254
civ.1è 10 juin 1997, bull civ. I n°197
civ.1è 7 juillet 1964, bull civ. I n°375 ; 6 avril 1965, D 1965, 448
256
voir notamment Y. Letartre, op.cit., JCP N 1999, p.1798
255
73
Il semble que le notaire « ne serait pas tenu pour responsable de l’insuffisance de gage,
notamment lorsque le créancier est un établissement de crédit censé avoir conscience du
risque qu’il prend. ».
228. Apparemment, la seule hypothèse où il n’y a plus de place pour l’exercice du
devoir de conseil du notaire, c’est lorsque la convention est déjà parfaite au moment où il
intervient257 : dans cette affaire, le notaire avait été tenu à l’écart des négociations ayant
abouti à une cession d’actions et si l’on ne pouvait lui reprocher de ne pas avoir conseillé au
cédant de demander un cautionnement, c’est que le cessionnaire était incapable de lui fournir
sa garantie.
B. Prohibition des clauses limitatives ou exclusives de responsabilité
229. Il est logique pour le notaire qu’il ne puisse se décharger d’une obligation
constituant l’essentiel de sa mission258 ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les tribunaux
ont souhaité que l’acte par lequel les notaires se constituaient une preuve de la bonne
exécution de leur devoir de conseil ne soit plus dénommé « décharge de responsabilité ».
230. En outre, M. Boucard remarque qu’ « en droit bancaire, l’ordre public est très
étendu. On sait que la responsabilité délictuelle est d’ordre public, en sorte que toutes les
obligations d’information pré-contractuelles sont, elles aussi, d’ordre public. Cette catégorie
très vaste concerne notamment (…) le devoir de conseil mis à la charge du banquier
dispensateur de crédit par la jurisprudence.».
Quant aux conseils que le banquier doit délivrer au cours de l’exécution du crédit, et qui
concernent l’assurance de groupe garantissant son remboursement, cet auteur pense que les
tribunaux devraient se prononcer « en faveur de leur appartenance à l’ordre public ». Il faut
éviter que soient trop facilement insérées dans l’acte de prêt des clauses dispensant le
banquier de son devoir de conseil259.
En conséquence du caractère d’ordre public du conseil, il est interdit au garant de renoncer à
son bénéfice260 et, consécutivement, de renoncer à tout recours contre la banque fondé sur un
manquement à son devoir de conseil.
C’est pourquoi, le banquier, lui aussi, doit faire face à l’interdiction des clauses atténuant sa
responsabilité dans le cadre du devoir de conseil vis-à-vis du garant.
231. Le devoir de conseil étant donc d’ordre public quel que soit le stade de
développement du contrat garanti, les contractants ne peuvent y déroger par des conventions
particulières en application de l’article 6 a contrario du code civil261.
Par conséquent, seules peuvent être prises en considération les clauses qui démontrent que le
conseil a bien été donné.
257
Civ.1è 28 novembre 1995, bull civ. I n°437.
Civ.1è 19 novembre 1985, bull civ. I n°308 ; RTD civ. 1986, p.771, obs J. Huet qui exclut l’exonération de
responsabilité du notaire.
259
F. Boucard, op.cit., n°609
260
cependant, M. Boucard nous rappelle que ce principe est assorti d’une limite importante : « le bénéficiaire de
la protection peut renoncer aux effets acquis de règles appartenant pourtant à l’ordre public. (…) Par exemple, la
caution, au moment de s’engager, peut valablement déclarer connaître la situation du débiteur principal dont elle
se porte garant. En effet, dès lors qu’elle connaît l’information, la caution n’a pas besoin de la protection que lui
offre la loi ou les tribunaux (…). ». op.cit., n°615
261
Dans ce sens voir également : Ph. Malaurie et L. Aynès, op.cit., n°636 et civ.1è 22 novembre 1978, bull civ. I
n°358, D 1979, IR, 350, note Larroumet.
258
74
232. Le devoir de conseil du notaire ou du banquier ne semble pas trouver davantage
de limites dans le comportement ou les connaissances de leurs clients.
§ 2. Absence de limites subjectives
233. Nous pouvons nous interroger sur la valeur d’un devoir de conseil qui tend à
devenir absolu, c’est-à-dire à profiter indifféremment à l’ensemble des clients de
l’établissement de crédit et du notaire.
Certes, la jurisprudence souhaite protéger les parties à l’acte, dans la mesure où les garanties
sont des engagements qui peuvent avoir des conséquence pécuniaires graves.
Cependant, il est paradoxal de vouloir standardiser le devoir de conseil, alors qu’il n’est utile
que s’il s’adapte à la situation propre de son bénéficiaire.
A. Relatives à la personne du client
234. Le conseil doit être utile, c’est pourquoi il n’est délivré, en principe, qu’à des
« non sachant». Mais le cercle des personnes considérées comme tels ne cesse de s’élargir.
1) Solutions dégagées par la jurisprudence
235. La question du caractère relatif ou absolu du devoir de conseil du notaire a fait
couler beaucoup d’encre depuis que les tribunaux ont décidé de s’orienter vers la deuxième
solution.
Depuis longtemps, la jurisprudence considérait fort logiquement que le contenu de son devoir
de conseil dépendait de la personnalité ou des compétences des clients262 ; cette idée a été
reprise dans un arrêt précisant que « il n’a en particulier pas à informer le client de ce qu’il
sait ou doit savoir. »263.
Mais , à partir d’un arrêt de 1995, la première chambre civile a considéré que les compétences
personnelles du client ne déchargent pas le professionnel rédacteur d’actes de son devoir de
conseil 264. Il est seulement possible de considérer que le client a commis une faute pour
fonder un partage de responsabilité : la compétence professionnelle du client, de même que sa
connaissance particulière d’une situation donnée, allège donc la responsabilité du notaire265.
Aussi a-t-il été jugé que le client, qui était pourtant un professionnel de l’immobilier, aurait dû
être mis en garde par le notaire contre les risques résultant de la renonciation à l’inscription du
privilège du vendeur et d’un état hypothécaire positif266.
236. Pour le professionnel du crédit, le devoir de conseil est encore relatif même si les
personnes considérées comme averties sont de moins en moins nombreuses , ce qui ressort
notamment du cas des cautions dirigeantes.
La juridiction suprême a renforcé l’étendue du conseil du créancier parce que, dans un arrêt
du 12 novembre 1997, la chambre commerciale avait énoncé que « sauf circonstances
exceptionnelles, un gérant de SARL ne pouvait mettre en jeu la responsabilité d’une banque
pour soutien abusif de crédit. »267.
262
civ.1è 21 octobre 1981, bull civ. I n°312 ; 19 novembre 1985, bull civ. I n°308
civ.1è 30 mars 1994, Droit et patrimoine 1994, n°17, p.95, obs Rouzet
264
civ.1è 28 novembre 1995, Defrénois 1996, 361, obs Aubert . Voir dans le même sens : civ. 1è 9 juin 1998 ,
RJDA novembre 1998, n°1183 s’agissant d’un notaire ; civ. 1è 7 juillet 1998 , RJDA janvier 1999, n°8
s’agissant d’un avocat rédacteur d’actes.
265
voir G. Rouzet, Le conseil notarié, JCP N 1995, pratique p.1567, n°48
266
civ.1è 25 novembre 1997, JCP 1998, IV, 1077
267
Com. 12 novembre 1997, JCP E 1998, p.182, note Legeais ; bull Joly 1998, 105, obs Delebecque
263
75
M. Legeais en conclut que « la Cour de cassation semblait ainsi refuser au dirigeant le droit de
se prévaloir d’un manquement à l’obligation de conseil de la banque à son égard. »268. Les
dirigeants étaient présumés connaître la situation de leur entreprise.
Cependant, la Cour de cassation a assoupli sa jurisprudence dans un sens favorable aux
cautions, et donc défavorable aux établissements de crédit : en effet, les magistrats procèdent
à une appréciation souple des circonstances exceptionnelles.
Ainsi, dans l’arrêt du 23 juin 1998269 dont nous avons déjà exposé les faits, la responsabilité
du crédit-bailleur a été retenue pour manquement à son devoir de conseil en sollicitant le
cautionnement des dirigeants de la société crédit-preneuse. Le fait qu’ils « n’étaient pas
spécialistes de la finance ni de l’hôtellerie » a donc été considéré comme une circonstance
exceptionnelle justifiant que la banque devait les mettre en garde.
Chaque fois qu’il se trouve face à un dirigeant inexpérimenté qui donne sa garantie au profit
de son entreprise, le banquier sera tenu du même devoir de conseil qu’envers un garant non
professionnel si l’opération garantie est trop risquée.
237. La chambre commerciale de la Cour de cassation a d’ailleurs poursuivi dans cette
voie dans l’hypothèse où la responsabilité de la banque était recherchée, non plus par une
caution dirigeante, mais par le dirigeant lui-même, agissant au nom de la société bénéficiaire
du crédit270.
Selon Mme Piniot , avocat général auprès de la Cour de cassation dans l’affaire du 11 mai
1999, la Cour de cassation opère désormais une classification des cautions en deux souscatégories271.
La première serait celle des cautions « externes » , au sens d’extérieures à la gestion de
l’entreprise. La seconde serait celle des cautions « internes », qui seraient en fait des
dirigeants cautions de l’emprunt souscrit par leur entreprise.
Dans le premier cas, la banque doit mettre en garde la caution si la situation de l’entreprise est
obérée lors de l’ouverture du crédit, ou si le crédit souscrit est disproportionné au vu des
facultés de remboursement du débiteur.
Dans le second cas, en principe, la banque n’a pas à délivrer de conseils en raison de la double
qualité du garant, qui est à la fois caution et dirigeant. La Cour de cassation estime
logiquement que la caution est mal fondée à reprocher à la banque un manquement à son
devoir de conseil, puisque ses fonctions au sein de l’entreprise implique qu’elle connaisse
parfaitement ses difficultés financières.
Il semble donc que ce soit seulement dans des cas exceptionnels que le dirigeant puisse se
prévaloir d’un devoir de conseil de l’établissement de crédit à son profit.
238. Reconnaître un devoir de conseil du banquier au bénéfice de la caution ne paraît
légitime qu’envers les cautions profanes.
En effet, en particulier dans le cadre d’un crédit accordé à un particulier, si une protection
légale a été instaurée pour informer les tiers garants des risques liés à leurs obligations, cela
ne fait pas d’eux des personnes averties : aucune mesure légale ne leur permet en effet d’avoir
des renseignements sur la situation financière du débiteur.
268
D. Legeais, L’obligation de conseil de l’établissement de crédit à l’égard de l’emprunteur et de sa caution,
Mélanges AEDBF-France II, Banque éditeur, 1999, p.257
269
com. 23 juin 1998, bull civ. IV n°208 ; JCP E 1998, 1831, note Legeais ; JCP E 1999, 763, obs Gavalda et
Stoufflet.
270
com. 11 mai 1999, bull civ. IV n°95 ; JCP E 1999, 1730, note Legeais; RDBB 1999, 184, note Crédot et
Gérard. Cette solution est dangereuse selon M. Boucard car « tout dirigeant incompétent peut rechercher la
responsabilité du dispensateur de crédit si le projet financé échoue » : F. Boucard, op.cit., n°83.
271
Conclusions de M.-C. Piniot sur com.11 mai 1999, RJDA 1999, 495
76
Cependant, s’il est vrai que seul le garant averti est en mesure de comprendre les
conséquences de son engagement, la Cour de cassation se dirige vers une conception très
large de la caution profane.
Les créanciers d’un devoir de conseil en matière de garanties deviennent donc légion.
2) Valeur de ces solutions
239. Le juge est passé de la distinction entre consommateurs et professionnels à la
distinction entre profanes et avertis ; actuellement, il n’y a plus de présomptions de
connaissances pesant sur les professionnels, chaque cas est un cas d’espèce.
240. Comme le précise M.Legeais, « il n’y a aucune raison d’informer sur ce que
chacun peut savoir facilement. ». Et pourtant, au vu de l’évolution jurisprudentielle
concernant les dirigeants cautions, « force est de constater que ces limites concevables (au
devoir de conseil) ont été dépassées. ».
Cependant, Messieurs Simler et Delebecque font très justement remarquer que la catégorie
des dirigeants et, encore davantage, la catégorie des associés présentent une importante
diversité, ce qui désavoue une assimilation globale aux professionnels : « leur intérêt dans
l’opération principale inciterait à les assimiler aux professionnels, mais leur qualité de
personnes physiques et les risques auxquels ils s’exposent militent en sens contraire »272.
La Cour de cassation aurait raison de considérer des dirigeants néophytes comme des cautions
profanes.
Le raisonnement de ces auteurs est d’ailleurs conforme à certaines décisions du fond, puisque
la Cour d’appel de Nancy, dans un arrêt du 1er octobre 1997273, nous autorise à penser que
« l’obligation de renseignement et de conseil de la banque à l’égard des cautions dirigeantes
doit s’apprécier concrètement, notamment en fonction des responsabilités des cautions au sein
de la société et de leur expérience. ».
241. Finalement, si l’extension du conseil du banquier à des cautions dirigeantes peut
susciter des critiques, elle peut toujours se justifier, à partir du moment où les tribunaux
tiennent compte des possibilités effectives de la caution d’avoir connaissance de la situation
de l’emprunteur.
La position du notaire paraît beaucoup plus choquante car il devrait dispenser un conseil
identique à l’ensemble de ses clients sans considération pour leurs compétences personnelles,
alors que l’essence même d’un devoir de conseil est au contraire d’être personnalisé et de
fluctuer dans son contenu selon les aptitudes du client.
242. Toutefois, la solution dégagée vis-à-vis de l’établissement de crédit peut entraîner
des dérives dangereuses.
Dans l’arrêt du 17 septembre 1998274, la solution dégagée par la Cour de Versailles a
d’ailleurs confirmé qu’il est possible d’hésiter sur le bien-fondé de la construction
jurisprudentielle qui aboutit à apprécier in concreto les connaissances du dirigeant caution.
En effet, les magistrats ont retenu la responsabilité d’une banque pour n’avoir pas mis en
garde le dirigeant d’une entreprise, qui s’était porté caution de ses obligations, « sur la
disproportion de l’endettement déjà accumulé et le défaut de rentabilité évident des nouveaux
prêts, découlant de la situation de la SARL emprunteuse à l’époque de l’octroi des crédits. ».
Et pourtant, le chef d’entreprise était apparemment expérimenté.
272
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op.cit., n°24-3
CA Nancy 1er octobre 1997, Juris-Data n°048491
274
CA Versailles 17 septembre 1998, bull Joly 1999, § 41, p.245, note A. Couret
273
77
La Cour « surmonte l’objection », comme l’écrit M. Couret, « en reprenant une argumentation
qui tend à devenir classique », puisqu’elle affirme que « si la présomption de compétence
pesant sur le chef d’entreprise est absolue, en ce qui concerne les activités qu’il développe à
titre principal, (…), le dispensateur de crédit doit , dans le cadre de son obligation générale de
discernement et de loyauté, s’assurer que celui qui engage la société cliente tout en concédant
sa garantie personnelle a conscience de la portée et des risques financiers qui pourraient
résulter de l’octroi de concours, au vu de l’état de sa société au moment où la demande est
formulée. ».
Le dirigeant caution bénéficie donc d’un devoir de conseil imposé au banquier, devoir qui
consiste à l’éclairer sur les risques liés à son engagement. En effet, le juge considère que le
chef d’entreprise redevient un consommateur dès qu’il intervient dans une opération étrangère
à son cœur de métier.
Le commentateur ne s’avère pas convaincu par ce raisonnement qui « revient à dire que la
seule compétence requise pour un chef d’entreprise est d’ordre technique, les compétences
dans le domaine du management étant manifestement superfétatoires. Un tel arrêt donne à sa
manière raison à tous les défenseurs de l’idée d’un « brevet de gestion » obligatoire pour
assumer certaines fonctions de direction. ».
243. De la même façon, nous ne pouvons que regretter que le devoir de conseil du
banquier tende, lui aussi, à devenir absolu.
Ne pas tenir compte de l’expérience des cautions aboutit à alourdir inutilement les obligations
du professionnel, et à permettre à certains garants de se libérer aisément des leurs.
B. Relatives au comportement du client
244. La présence auprès du client d’un conseiller personnel ne dispense pas le notaire
de son devoir de conseil, mais peut toutefois fonder un partage de responsabilité, de même
qu’un comportement fautif du créancier du conseil.
1) L’assistance du client par un tiers
245. Les tribunaux ont pu considérer que le devoir de conseil pèse sur la personne
choisie par les clients afin de les assister et qu’il ne pouvait donc être reproché au notaire de
n’avoir pas dispensé de conseils sur la réglementation de la construction à une banque qui
était assistée de son architecte275.
246. Pourtant, certains auteurs276 estimaient que la présence d’un autre conseil ne
modifie qu’exceptionnellement l’étendue du devoir de conseil du notaire.
L’évolution jurisprudentielle leur a donné raison puisque, par un arrêt du 10 juillet 1995, la
première chambre civile a nettement affirmé que la présence d’un conseiller personnel auprès
du client ne dispense pas le notaire de son devoir de conseil277.
L’assistance du client par un tiers va seulement et éventuellement provoquer un partage de
responsabilité, parce qu’on estime que celui qui a recours à un conseil autre que celui prévu
par la jurisprudence ne doit pas pour autant être privé de la sauvegarde minimum imposée par
le juge.
275
TGI Strasbourg, 3è chambre civ., 1983 : JCP N 1985, II, p.145 note Dagot
J.-L. Aubert, obs sur civ.3è 4 février 1976, Defrénois 1976, 31181-21
277
civ. 1è 10 juillet 1995, bull. I n°312 ; JCP N 1995, II, p.1822. Dans le même sens : civ.1è 13 novembre 1997,
Defrénois 1998, 36753-27, note Aubert.
276
78
247. Cependant, si le client est assisté par un professionnel compétent dans la matière
juridique, cette solution conduit à une redondance entre les conseils qu’il donne et les conseils
du notaire.
2) La faute du client
248. Une faute de négligence ou une faute dolosive du client écartent partiellement ou
en tout la responsabilité du professionnel pour manquement à son devoir de conseil : le juge
tiendra compte de la gravité de la faute afin de partager les responsabilités.
249. Par exemple, si le client est un professionnel, il se rend coupable d’une faute de
négligence s’il ne se renseigne pas puisqu’il s’agit d’une obligation mise à sa charge par la
jurisprudence.
Un jugement du tribunal de Versailles, du 29 mars 1966, a ainsi énoncé que « les clients ne
peuvent demander au notaire garantie de leurs propres omissions et négligences »278.
250. Le devoir de conseil est aussi limité dans ses effets dans l’hypothèse d’un dol
commis par le client : cette solution ne suscite pas d’interrogations particulières vis-à-vis du
banquier débiteur du conseil, mais ce n’est pas si clair pour le notaire.
En effet, celui-ci a l’obligation d’assurer la sécurité des conventions qu’il reçoit et doit , pour
cela, procéder à un certain nombre de vérifications, notamment les droits et les affirmations
de ses clients. Peut-il alors limiter sa responsabilité en invoquant une déclaration mensongère
de son client ? Le juge fait preuve de bon sens dans cette hypothèse et reconnaît que le notaire
n’est pas tenu de suspecter les déclarations d’une partie qu’il n’a aucun moyen de vérifier279.
251. Conformément à la sévérité qui la caractérise à l’égard du notaire, la
jurisprudence n’admet toutefois que rarement que le notaire ne pouvait pas vérifier les
affirmations de sa clientèle.
Il doit ainsi s’assurer que le client qui consent une garantie sur un bien en est le
propriétaire par des recherches en sa propre étude, chez des confrères, au cadastre, dans les
bureaux d’enregistrement ou les conservations des hypothèques, et ce pour que le juge ne
puisse lui reprocher aucune faute280.
Le mensonge du client sur sa qualité de propriétaire n’exonèrera donc que difficilement le
notaire de sa responsabilité.
252. De plus, le conseil du rédacteur d’actes se limite à assurer l’efficacité de l’acte au
vu des attentes des parties telles qu’elles les ont précisées et définies : le professionnel n’a pas
à découvrir le véritable mobile des parties et c’est heureux car de nombreux contrats sont des
« accords entre arrière-pensées ».
Section 2. Une limite intrinsèque au conseil peu significative
253. Par nature, le conseil ne peut consister qu’en une obligation de moyens car
conseiller n’est pas décider. Cependant, dans son mouvement d’extension du devoir de
278
Voir aussi civ.1è 8 mars 1977, Defrénois 1977, 31561-104, p.1519 obs Aubert
civ.1è 27 juin 1995, JCP N 1996, II, p.1213 note Sanséau
280
voir civ.1è 13 novembre 1991, bull civ. I n°310 : la responsabilité du notaire a été retenue pour n’avoir pas
effectuer de recherches suffisantes sur l’origine du terrain vendu. Il s’était en effet fié au seul cadastre, mais
celui-ci était erroné en raison d’une négligence du premier acquéreur.
279
79
conseil notamment notarié, la jurisprudence va jusqu’à ignorer l’essence même du conseil
pour protéger les clients contre leurs propres décisions.
§ 1.Obligation de moyens ou de résultat ?
254. La question de la qualification du devoir de conseil en obligation de moyens ou
de résultat se pose dans les mêmes termes, qu’il s’agisse d’un conseil objet principal du
contrat ou d’un conseil accessoire281.
A. Une obligation de résultat…
255. Le devoir de conseil apparaît être de résultat quant à la fourniture matérielle du
conseil, puisque, nous le verrons dans la suite de nos développements, il appartient au
débiteur du conseil de prouver qu’il l’a dispensé282.
Toutefois, le devoir de conseil ne serait qu’une obligation de moyens s’agissant de sa
portée.
B. … et de moyens
256. M. le conseiller Aubert écrit que « le devoir de conseil ne relève pas de la
catégorie des obligations que la responsabilité contractuelle dit de résultat. Ce qui est exigé du
notaire, c’est qu’il fournisse à son client des informations sur les meilleurs moyens de
satisfaire les besoins qui sont les siens et qu’il l’éclaire sur les conséquences et la portée de
l’opération à réaliser. Mais ces éléments d’information demeurent des conseils : c’est au client
seul qu’il incombe de décider. »283.
La Cour de Rennes, dans un arrêt du 27 octobre 1995, a d’ailleurs rappelé que « si un notaire
est en principe garant de l’efficacité, notamment juridique, de ses actes, il n’est cependant
tenu que d’une obligation de moyens. »284.
257. Cette réserve s’applique aussi au devoir de conseil du banquier.
Le devoir de conseil consiste en une obligation de moyens en ce qui concerne sa pertinence et
son étendue.
Il ne peut s’agir que d’une obligation de diligence et de prudence, d’une part parce que tout
conseil est aléatoire , puisque l’état du droit ou la situation du client peuvent évoluer. Or,
l’aléa est le critère en référence duquel on reconnaît une obligation de moyens.
D’autre part, le conseil ne peut pas s’analyser en une obligation de résultat, dans la mesure où
« l’efficacité du conseil échappe à celui qui le donne, pour passer à celui qui prend librement
la décision de le suivre ou non »285.
Nous pouvons constater ici une manifestation du principe de l’autonomie de la volonté car le
professionnel n’a pas à se substituer au client pour décider de contracter ou non .
281
R. Savatier, Les contrats de conseil professionnel en droit privé, D 1972, chronique p.137
voir pour un notaire : civ.1è 25 juin 1991, bull civ. I n°212, décidant que le notaire doit prouver qu’il a mis
en garde son client. Cette solution semble désormais prévaloir pour tous les professionnels tenus d’un devoir de
conseil, depuis un arrêt de la première chambre civile du 25 février 1997 (bull civ. I n°975).
Plus précisément sur les questions de preuve, voir infra chapitre 2, Le développement de la responsabilité
professionnelle, section 1.
283
J.-L. Aubert, La responsabilité civile des notaires, op.cit., n°100, p.136
284
CA Rennes 27 octobre 1995, JCP 1996, IV, 1906
285
R. Savatier, Les contrats de conseil professionnel en droit privé, op.cit.
282
80
258. Le débiteur de l’obligation de renseignement et de conseil , une fois celle-ci
correctement remplie, n’encourt donc aucune responsabilité du fait de la décision finalement
suivie par son client.
L’exécution du devoir de conseil permet en effet au garant d’apprécier et d’accepter les
risques de son engagement en connaissance de cause : le professionnel n’est pas responsable
des dommages causés par la décision finalement prise par le client de donner sa garantie.
259. Une décision isolée de la première chambre civile de la Cour de cassation suscite
sur ce point des interrogations.
Elle aboutit en effet à ne pas tenir compte de la limite dérivant de la nature même du conseil
et qui en fait une obligation de moyens.
Peut-être les magistrats considèrent-ils que les conseils dispensés par le professionnel ne sont
pas suffisants pour sauvegarder les intérêts de ses clients.
§ 2. La volonté de protéger les individus contre eux-mêmes
260. Alors que le banquier peut refuser d’octroyer le crédit, le notaire ne peut pas
refuser d’instrumenter s’il en est requis, sous réserve de l’illicéité de l’acte.
Lorsque l’acte en question présente un vrai déséquilibre au détriment des intérêts d’une partie
ou qu’il est certain qu’il n’atteindra pas son but, notaire doit instrumenter malgré tout et
toujours sans s’immiscer dans l’économie générale du contrat.
En effet, il appartient au client de faire un choix entre les différentes solutions possibles, « à
telle enseigne qu’un notaire pourrait se voir reprocher d’avoir imposé à son client une solution
qui se révélerait finalement mauvaise. »286.
261. Néanmoins, nous pouvons constater une volonté jurisprudentielle de protéger les
individus contre eux-mêmes : dans une espèce jugée par la première chambre civile de la
Cour de cassation le 9 mai 1996287, alors qu’il était impossible de reprocher au notaire d’avoir
accepté d’instrumenter et qu’il avait rempli son devoir de conseil, le client (qui en plus était
un professionnel de l’immobilier) a obtenu gain de cause sur le fondement d’un manquement
du rédacteur à son devoir de conseil.
Jusque là, le juge montrait seulement une tendance à considérer les clients comme des
incapables, notamment avec l’extension à tous les clients du bénéfice du conseil, mais cet
arrêt va beaucoup plus loin et impose au notaire de retirer aux parties la maîtrise de leurs
droits pour les protéger quand le fait de signer l’acte est contraire à leur intérêt.
262. Donc, d’un côté, l’ordonnance de 1945 oblige les notaires à instrumenter
lorsqu’ils en sont requis, à la seule exception d’une illégalité certaine de l’acte, et de l’autre
côté, la jurisprudence l’oblige à refuser d’instrumenter à partir du moment où les risques pris
par les parties sont trop grands.
Le choix du notaire en faveur de l’une ou l’autre des positions est pour le moins cornélien ;en
fait, permettre au notaire de refuser d’instrumenter serait peut-être plus protecteur de ses
intérêts en plus des intérêts du client, dans la mesure où le client qui donne suite à son projet
malgré l’avis contraire du professionnel peut venir prétendre ultérieurement ne pas avoir été
informé.
286
J.-L. Aubert, op.cit., n°100, qui cite pour exemple CA Paris 24 novembre 1976, GP 1977, 1, 213, note
Raymond (espèce où l’officier public avait fait effectuer à son client un versement fiscal qui ne s’imposait pas).
287
civ. 1è 9 mai 1996, arrêt n°838 D cité par J. Boré, Le devoir de conseil des rédacteurs d’actes entre ciel et
terre, GP 1996, doctrine, p.1411
81
Si le notaire avait la capacité de se substituer au client dans la décision finale, cela couperait
court à de nombreux litiges pour manquement au devoir de conseil.
Cependant, l’on voit tout de suite la faille de ce raisonnement : l’aspect public de sa fonction
lui interdit de choisir les actes qu’il rédige.
263. Si cet arrêt suscite des interrogations et des inquiétudes, sa portée doit de toute
façon être limitée, puisqu’il s’agit d’une décision qui a seulement été diffusée, sans recevoir
les faveurs d’une publication.
En outre, il est possible de considérer qu’il s’agit d’un arrêt d’espèce, car il n’a pas
heureusement pas été confirmé depuis sa diffusion.
264. Il n’en reste pas moins que le juge semble considérer le devoir de conseil de plus
en plus comme une obligation de moyens renforcée, au vu de la sévérité dont il fait preuve
dans la mise en œuvre de cette obligation.
Et l’alourdissement constant du devoir de conseil, qui se traduit notamment par une inflation
du nombre de ses bénéficiaires, n’est pas la seule critique que l’on peut apporter à l’utilité du
conseil dans le choix d’une garantie efficace.
Il apparaît également que le recours au conseil est inapproprié à certaines hypothèses où la
jurisprudence le consacre.
82
CHAPITRE 2
LE CARACTERE INAPPROPRIE DU CONSEIL
265. Il est possible de trouver dans le caractère parfois inapproprié du devoir de
conseil, une autre limite à sa pertinence dans la détermination d’une garantie efficace.
En effet, l’étude du devoir de conseil fait d’abord apparaître que le professionnel qui doit
assister le garant n’est parfois pas le plus compétent pour accomplir cette mission.
De plus, nous constaterons que le conseil lui-même semble inapproprié, non seulement à la
vie des affaires en général, mais aussi, plus précisément, à l’hypothèse où la banque en est
débitrice envers la caution.
Section 1. Le débiteur du conseil est inapproprié
266. Nous pouvons remarquer que, parfois, le professionnel qui vient à conseiller le
garant n’est pas celui que l’on attendait.
D’une part, imposer au banquier de conseiller l’emprunteur futur adhérent à une assurance de
groupe sur les risques à couvrir et , finalement, toutes les questions qu’il peut se poser, revient
à lui confier une tâche vaste et pour laquelle il ne dispose peut-être pas des compétences
nécessaires.
D’autre part, lorsque le prêt est constaté par acte authentique, il semble inutile de devoir
cumuler le conseil du notaire et le conseil du banquier.
§ 1. En matière d’assurance de groupe
267. C’est le banquier qui est chargé, par la jurisprudence, de conseiller son client en
ce qui concerne l’adhésion à une assurance de groupe.
Dans cette hypothèse, M. Boucard note qu’il a « le rôle d’un intermédiaire rémunéré, entre
l’assureur et l’assuré »288. Selon cet auteur, les différentes interventions du banquier sont alors
celles d’un courtier en assurances telles que définies par M. Devesa289 : « le courtier est un
médiateur au sein d’une opération de courtage où il sert d’intermédiaire entre un donneur
d’ordres et un tiers en vue de la conclusion d’un contrat entre ces derniers, cette entremise
présentant certaines caractéristiques. ».
268. Même si la jurisprudence n’assimile pas explicitement le banquier au courtier290,
puisque cette assimilation n’est pas conforme au code des assurances, elle impose au
créancier des obligations similaires à celles d’un intermédiaire en assurances.
Concrètement, elle demande au professionnel du crédit de conseiller l’emprunteur, et ce, dans
un domaine qui est en dehors de sa sphère de compétence.
Il est vrai que le banquier maîtrise les mécanismes des garanties, mais l’assurance est un
domaine particulièrement complexe.
Les associations de consommateurs exigent d’ailleurs que le conseil pèse sur l’assureur, en
reprenant le raisonnement selon lequel le métier du banquier est de vendre du crédit.
288
F. Boucard, Les obligations d’information et de conseil du banquier, op.cit., n°61
M. Devesa, L’opération de courtage, Litec, Tome 30, n°59, p.40, ouvrage cité par F. Boucard
290
la jurisprudence a en effet consacré la thèse de la stipulation pour autrui : civ.1è 5 décembre 1978, D 1979, p.
401, note C.-J. Berr et H. Groutel
289
83
269. Malgré le fait qu’il ne soit pas le plus compétent pour délivrer des conseils, le
banquier demeure le seul débiteur d’un devoir de conseil en matière d’assurance de groupe.
Pourtant, nous avons pu constater que ce devoir est très malléable ; notamment, dans le
domaine des assurances, il peut atteindre indifféremment un intermédiaire, aussi bien que
l’assureur.
Pourquoi ne pas consacrer alors un partage de responsabilité entre le souscripteur et
l’assureur ?
270. En revanche, lorsque l’acte garanti fait intervenir un notaire et un banquier, si le
risque d’un conseil inutile se manifeste, ce n’est pas en raison d’un manque de compétences,
mais, au contraire, d’un cumul de compétences.
§ 2. Les interférences entre le conseil du notaire et le conseil du banquier
271. Dans l’hypothèse d’un prêt sous forme notariée, il convient de s’interroger sur
l’opportunité d’imposer au créancier un devoir de conseil à l’égard du garant, sachant que les
mises en garde qu’il délivrera risquent de se cumuler avec les conseils du notaire.
En effet, le garant est à la fois client du notaire et client du banquier, ou en tout cas, est
considéré comme tel si le garant est un tiers qui s’est porté caution.
272. La banque ne peut pas se décharger de son devoir professionnel de conseil au
motif que le notaire est un officier public : nous avons en effet constaté que le conseil
bancaire est d’ordre public. L’intervention du notaire permet seulement de procéder à un
partage des responsabilités envers le garant291.
273. Néanmoins, la critique d’un cumul de conseils doit être nuancée.
Nous avons constaté que, par l’arrêt du 7 novembre 2000292, la Haute juridiction a mis à la
charge du notaire un devoir de conseil de portée générale en matière de cautionnement. Le
notaire a l’obligation de renseigner le tiers garant sur l’ensemble des risques liés à ses
engagements, aussi bien les risques juridiques, financiers que pratiques, puisque, dans cette
espèce, il aurait dû relever le caractère aléatoire important de l’opération envisagée, s’agissant
de l’acquisition d’un fonds de commerce.
Au contraire, le conseil du banquier envers la caution ne l’oblige qu’à apprécier la situation
du débiteur principal sur le plan financier, ce qui relève sans aucun doute de sa compétence.
En revanche, il est admis que le banquier n’a pas à apprécier la situation de l’emprunteur sur
le plan de la gestion293, en application de son principe de non ingérence.
Par conséquent, il n’a pas à fournir de conseils sur ce point au tiers garant.
274. Donc, peu important que le garant soit un tiers ou le débiteur lui-même, les
conseils du banquier ne consistent pas, en principe294, à avertir ses cocontractants que le crédit
ne permettra pas d’atteindre le but dans lequel il est demandé.
291
voir par exemple : civ.1è 29 février 2000, D 2000, IR, p.83 ; bull Joly 2000, §107, p.503, note A. Couret,
pour un partage de responsabilité entre le banquier et le notaire dans le cas d’un prêt accordé à l’associé d’une
société foncière devant notaire, prêt garanti par le cautionnement hypothécaire de la société, sans que les
professionnels n’aient vérifié que l’emprunteur avait la capacité pour consentir cette sûreté.
292
civ.1è 7 novembre 2000, JCP N 2002, 1105, p.224, commenté par B. Montravers
293
F. Boucard, Les obligations d’information et de conseil du banquier, op.cit., n°390
294
il est en effet possible de réserver le cas où les capacités de remboursement du débiteur dépendent
exclusivement du succès de l’opération financée. Le banquier devra alors contrôler la rentabilité du projet, et,
84
A l’inverse du notaire, que la jurisprudence tend à considérer comme un conseiller en gestion
de patrimoine lorsqu’il n’est sollicité que pour rédiger un acte, le banquier n’est pas juge de
l’opportunité de l’opération pour laquelle le crédit est octroyé295.
C’est pourquoi, leurs conseils se complètent plus qu’ils n’interfèrent.
275. S’il est possible de douter de la pertinence du conseil dans le choix d’une garantie
efficace en s’interrogeant sur la qualité du débiteur du conseil, c’est davantage le concept
même de conseil que ses modalités qui paraît inapproprié.
Section 2. Le concept même de conseil est inapproprié
276. Tel qu’il est consacré par la jurisprudence, le devoir de conseil du notaire est en
inadéquation avec la pratique des relations d’affaires, puisque trop général et trop absolu.
En fait, le devoir de conseil mis en avant par le juge ressemble à un idéal impossible à
atteindre.
Cependant, c’est essentiellement vis-à-vis du banquier que le devoir de conseil est
inapproprié, indépendamment des conflits d’intérêts qu’il suscite et que nous avons déjà
étudiés.
Il est en effet remarquable que la jurisprudence demande au créancier de dissuader la caution
de s’engager pour garantir le remboursement d’un crédit dans des hypothèses où son devoir
de discernement lui interdit d’accorder ce prêt.
§ 1. Le « conseil » sanction du banquier envers la caution
277. Nous avons tenté de justifier le caractère restreint du conseil à l’égard de la
caution par un conflit d’intérêts entre celle-ci et le créancier.
En réalité, l’existence de ce devoir limité doit s’apprécier à l’aune de l’obligation classique du
banquier d’accorder un crédit adapté aux ressources de l’emprunteur.
A. L’obligation du banquier de ne pas accorder le prêt
278. Nous avons constaté dans la première partie, à propos d’un arrêt de la première
chambre civile de la Cour de cassation du 27 juin 1995296, que le juge limite désormais
l’intervention du banquier dans le domaine du crédit à la délivrance de conseils, en retenant
un compromis entre son devoir de non ingérence dans les affaires du client et son devoir
général de prudence : il n’a pas à se faire juge de l’opportunité du crédit consenti.
Cependant, il ne faut pas oublier que le banquier peut choisir son cocontractant, le prêt étant
un contrat conclu intuitus personae et le banquier n’étant pas un officier public tenu
d’intervenir quand il est sollicité : le principe de non ingérence ne signifie pas que le banquier
ne peut pas refuser d’accorder un crédit.
D’ailleurs, le compromis entre les deux principes devrait céder dans certains cas. En effet, le
respect du devoir de prudence lui impose de ne consentir que des crédits proportionnés aux
ressources de l’emprunteur ; il serait donc normal que le banquier ait l’obligation de s’abstenir
de contracter quand les charges du prêt semblent insupportables pour le client.
comme nous l’avons vu, il devra déconseiller à la caution de s’engager s’il est apparent que la situation du
débiteur est compromise à terme.
295
voir en ce sens : com. 18 novembre 1997, RDBB 1998, 12, obs F. Crédot et Y. Gérard , qui décide que le
banquier n’avait pas à conseiller ses clients sur les conséquences fiscales de leurs projets, puisqu’il n’était
intervenu qu’en tant que « prêteur de deniers ». Dans le même sens : com. 9 décembre 1997, JCP E 1998, 198.
296
Cf supra Le principe de non ingérence du banquier
85
279. En réalité, si l’on recherche la faute de la banque qui a accordé un emprunt
disproportionné dans un manquement à son devoir de conseil, cette motivation est, selon M.
Grua297, insuffisante, « car le problème n’est pas de savoir si l’établissement de crédit doit
attirer l’attention de son client (et de la caution le cas échéant) sur les charges du prêt. Il est
de savoir si cet établissement peut accepter de contracter avec une personne dont il sait qu’elle
ne parviendra pas à remplir ses obligations. ».
Il serait peut-être plus convaincant de rechercher la faute dans la « légèreté blâmable » du
banquier, qui contribue au non remboursement du prêt298 , ou d’admettre, à l’instar de la
doctrine299, que l’établissement de crédit a une véritable obligation de ne pas contracter dans
ce cas : sa responsabilité repose alors sur un manquement à son devoir de prudence.
Au-delà de ces problèmes de responsabilité du créancier, M. Grua s’interroge même sur le fait
de « savoir si le contrat conserve sa force obligatoire quand l’une des parties savait en le
concluant que l’autre serait incapable d’accomplir ses obligations. ».
280. Le professionnel doit avant tout faire preuve de prudence, et le principe de non
immixtion ne devrait être pris en compte qu’une fois que l’établissement de crédit a vérifié
l’adéquation de l’importance du prêt et des capacités financières du souscripteur.
B. Les incohérences de la jurisprudence
281. C’est pourquoi, le cas où le conseil est dû par le banquier à la caution est
incohérent, ce devoir de conseil n’existant que si la situation de l’emprunteur est compromise
lors de l’ouverture de crédit, voire peut-être même à terme :avant tout, le bon sens commande
de remarquer que le banquier n’a aucun intérêt à prêter à un débiteur dont la situation est
obérée.
Cependant, il est vrai que certains professionnels fourniront malgré tout le crédit si
l’emprunteur présente des garanties intéressantes, bien que M.Gourio300 souligne qu’ « il n’est
pas dans la pratique professionnelle des établissements de crédit de prêter en tenant compte
prioritairement de la valeur du bien donné en garantie ».
En effet, « les incidents de paiement se traduisent généralement par une perte pour
l’établissement de crédit, malgré les garanties dont il a pu s’entourer ».
282. Le banquier ne s’intéresserait donc pas non plus en priorité à la solvabilité de la
caution ; il faut néanmoins préciser que, si un dirigeant propose à la banque de se porter
caution afin d’obtenir un crédit pour sauver son entreprise qui périclite, le créancier prendra sa
décision en se fondant uniquement sur le contenu du patrimoine du garant.
283. Mais si le banquier ne s’intéresse qu’à la sécurité apportée par les garanties , le
devoir de prudence semble alors lui interdire de contracter, d’autant que le droit positif
moderne révèle une tendance à retenir la responsabilité de la banque qui consent un crédit
excédant les capacités de remboursement de l’emprunteur ; M. Grua relève qu’ « en pratique,
ces décisions concernent l’octroi de prêts immobiliers à des particuliers. ».
297
F. Grua, Responsabilité civile du banquier : service du crédit , Juris-classeur Banque-crédit-bourse, fasc.
151, p.4
298
civ. 1è 8 juin 1994, bull civ. I n°206, JCP E 1995, IV , 652, note Legeais ; CA Montpellier, 11 mars 1992,
JCP G 1993, IV, 570
299
E. Scholastique, Les devoirs du banquier dispensateur de crédit au consommateur , Defrénois 1996, 36349,
p.689
300
A. Gourio, Le prêteur est-il réellement tenu d’une obligation de conseil envers le particulier emprunteur ?, in
La responsabilité civile du prêteur au titre de l’octroi d’un crédit à un particulier , RDBB, janvier-février 2001,
p.51
86
Mettre à la charge du banquier un devoir de conseil à l’égard de la caution dans cette
hypothèse revient à nier l’existence du devoir de prudence de la banque.
En réalité, les hésitations jurisprudentielles ont amené à consacrer à la fois l’existence d’un
devoir de conseil envers la caution et l’existence d’un devoir de vigilance à la charge du
banquier : si ces obligations s’ajoutent , le conseil est alors privé de toute sa consistance par
les conséquences de la vigilance qui conduit au refus du crédit.
284. N’est-il pas illogique de faire peser un devoir de conseil sur le banquier qui prête
à un emprunteur dont la situation financière est compromise de façon certaine, alors que
certains auteurs estiment qu’il s’agit d’une hypothèse où le contrat de prêt n’est pas
valable301 ?
En droit, cela semble paradoxal, mais en fait, le conseil répond à une volonté punitive : en
effet, si le concept de devoir de conseil n’est pas adéquat parce que la raison d’être de
l’obligation n’est pas d’éclairer la volonté du cocontractant, le juge, en s’y référant,
sanctionne indirectement le banquier qui a accordé un crédit à un insolvable en comptant sur
le cautionnement pour être remboursé puisqu’il rajoute une obligation à sa charge et que le
contenu du conseil va dans le sens inverse de ses intérêts.
Et concrètement, ce moyen de défense supplémentaire est protecteur de la caution car il lui
permet, sauf faute de sa part, de se libérer intégralement de ses engagements alors que les
tribunaux n’ont pas encore admis que le prêt accordé à un souscripteur incapable de le
rembourser est nul : pour l’instant, le juge retient la responsabilité de la banque pour légèreté
blâmable , ce qui conduit seulement à réduire sa créance et, corrélativement, le montant du
cautionnement302.
285. Cette logique de sanction explique l’existence du « conseil » malgré le conflit
d’intérêts et explique aussi pourquoi le conseil est circonscrit à la situation où le débiteur est
insolvable dès la conclusion du crédit.
D’ailleurs, il ne faut pas oublier que la loi et la jurisprudence reconnaissent à la caution un
droit à l’information sur la situation du débiteur au moment de la conclusion et en cours
d’exécution du contrat sur le fondement de la bonne foi : le devoir de conseil qui a été affirmé
par le juge n’était donc pas nécessaire , la caution avait déjà en mains tous les éléments pour
s’engager en connaissance de cause. C’est la raison pour laquelle certains auteurs nient
l’existence d’un devoir de conseil à la charge du créancier car « le seul fait d’indiquer à la
caution que le débiteur dont elle envisage de garantir les engagements est en situation
irrémédiablement compromise permet d’éclairer la caution (…) sans qu’il soit nécessaire que
le banquier lui déconseille de donner sa garantie. »303.
Ce constat vient renforcer la théorie d’un devoir de conseil sanction du banquier imprudent
dans l’octroi de crédit.
286. Donc, bien que le concept de conseil soit inapproprié parce qu’il devrait s’incliner
devant le devoir de prudence de l’établissement de crédit, il est possible de justifier sa
reconnaissance par une meilleure indemnisation de la caution.
Cependant, la jurisprudence devrait cesser de faire référence au conseil et admettre que le prêt
disproportionné n’est pas valable, ce qui serait plus protecteur des intérêts de tous les
intervenants, et pas uniquement du tiers garant : du banquier, qui n’aurait pas à rapporter la
301
voir en ce sens Ch. Atias, Le crédit dénaturé , D 1996, chron. p.328
dans un arrêt du 4 juillet 1995, RDBB 1996, p.52, obs F.-J. Crédot et Y. Gérard, la première chambre civile a
condamné la banque à « garder à sa charge » la moitié de sa créance contre l’emprunteur.
303
F. Boucard, op.cit., n°270
302
87
preuve du conseil donné, du débiteur et de la caution qui seraient plus rapidement libérés de
leurs engagements. La sécurité juridique serait néanmoins atteinte.
Le devoir de conseil du notaire, quant à lui, essuie des critiques sur un autre terrain.
§ 2. Un concept inapproprié à la vie des affaires
287. En élargissant les contours du devoir de conseil du notaire, la jurisprudence a
élaboré une obligation qui ne correspond pas à la réalité des relations d’affaires, de part les
personnes qui sont supposées en bénéficier, et de part son caractère général, voire inflexible.
A. Les professionnels bénéficiaires du conseil
288. D’après M. Boré, « le professionnel qui contracte pour les besoins de sa
profession n’entend pas perdre la maîtrise de ses droits et être traité comme un mineur en
tutelle »304.
Et l’auteur de poursuivre en se demandant sur quel fondement l’on pourrait obliger deux
professionnels de l’immobilier à soumettre l’économie de leur contrat à un notaire alors que
deux industriels par exemple pourraient « négocier librement une opération qu’ils estiment
tous deux conformes à leurs intérêts ».
289. Il est absurde d’imposer au banquier ou au notaire d’expliquer les risques d’une
opération à un professionnel de cette opération : cela représente une perte de temps, alors que
la rapidité est devenue essentielle dans les relations d’affaires.
La jurisprudence devrait témoigner davantage d’un souci de mesure.
B. Un devoir général irréaliste
290. Mettre un devoir de conseil général à la charge du notaire est irréaliste : en fait,
son conseil ne peut porter que sur certaines clauses sensibles, en raison de la complexité des
affaires à traiter et des différents degrés d’intervention dans l’acte.
291. En effet, le rédacteur d’actes qui n’a pas participé à l’élaboration d’une opération
complexe peut-il apprécier sérieusement les risques de cette opération au niveau des
garanties ? Le professionnel client est le plus à même de connaître sa situation et de calculer
ses risques.
La jurisprudence devrait davantage tenir compte du rôle que les parties ont voulu confier au
notaire.
Nous avons constaté que le juge est censé atténuer le devoir de conseil du notaire lorsque son
intervention est limitée à l’authentification ; cette solution pose problème aux notaires dans la
mesure où les limites de l’atténuation ne sont pas clairement définies.
292. Certes, l’officier public ne peut se trouver exonéré de son devoir de conseil, mais
les tribunaux prennent de moins en moins en considération la complexité des opérations et
l’intervention limitée du notaire pour déterminer l’étendue de son conseil.
Il ne faut pas perdre de vue que, dans ce cas, son devoir de conseil ne peut porter que sur les
clauses et les déclarations essentielles, parmi lesquelles le juge a classé celle de s’assurer de
l’état des inscriptions hypothécaires sur l’immeuble avant d’en recevoir la vente305 .
304
305
J. Boré, Le devoir de conseil des rédacteurs d’actes entre ciel et terre, GP 21 novembre 1996, doctrine p.1411
Civ.1è 4 janvier 1966
88
293. Pendant longtemps, la jurisprudence s’est d’ailleurs montrée bienveillante à
l’égard du notaire simple authentificateur lorsque la Cour d’appel de Paris affirmait le 7
décembre 1892 que « les énonciations contenues dans l’acte démontrent que le notaire n’a été
que le rédacteur des conventions des parties, que comme tel, en présence d’un créancier
représenté par son mandataire, il n’avait pas à se substituer à lui et à rechercher si la situation
pécuniaire de l’emprunteur garantissait suffisamment le prêt consenti. ».
De même, la Cour de Nancy délivrait le notaire des obligations dont il aurait été tenu s’il avait
été l’instigateur ou le négociateur du prêt en décidant qu’ « il ne s’agit pas dans la cause d’un
prêt hypothécaire contracté en l’étude et sous les auspices d’un notaire qui serait responsable
des garanties offertes par le débiteur, que les relations de G…(prêteur) et de C… (emprunteur)
sont bien antérieures à l’obligation, qu’il (le notaire) est resté en dehors des pourparlers qui
ont précédé la convention des parties , qu’il n’a fait que rédiger cette convention sur un
modèle qui lui avait été fourni par M…, avoué et conseil habituel de l’appelant, qu’il n’avait
dès lors à vérifier ni la valeur de l’hypothèque consentie, ni la sincérité des déclarations de
C… »306.
Cette jurisprudence doit être maintenue car le notaire qui n’a pas participé à l’élaboration de
l’acte n’en maîtrise pas tous les risques ; il a seulement à s’assurer que la convention ne
comporte aucun vice apparent et n’a pas à procéder à des investigations particulières.
Par exemple, le notaire est obligé de veiller à ce que le bien gagé soit bien la propriété de
l’emprunteuse en levant un état hypothécaire mais, s’il n’a pas négocié le prêt, « il ne peut
(lui) être reproché de n’avoir pas vérifié la consistance et la valeur du bien donné en
gage. »307.
294. L’extension des hypothèses dans lesquelles un conseil est dû, malgré le caractère
parfois inapproprié de ce devoir, implique de se demander si le conseil a pour seul but de
permettre aux parties de déterminer quelle garantie est la plus adaptée à l’opération qu’elles
envisagent.
En effet, grâce aux règles de la responsabilité civile, il semble que le devoir de conseil
consiste aussi en un moyen, pour les garants et les créanciers, de faire face à un aléa qui
survient en cours d’exécution du contrat garanti.
306
cités par J.-Y. Bergeaud, Le devoir de conseil du notaire, thèse, Paris 2, 1979, p.69 :
CA Paris 7 décembre 1892, J.Not. 1893, p.377 et CA Nancy 27 novembre 1895, D 1896, 2, 96
307
CA Aix-en-Provence 11 octobre 1955, cité par J.-Y. Bergeaud, op.cit. , p.71
89
TITRE II
UN DEVOIR SANCTIONNE UTILEMENT
295. Il est impossible d’étudier une obligation sans étudier sa sanction, la sanction
participant de l’utilité de l’obligation.
Cependant, il semble qu’en matière de devoir de conseil , en particulier dans le domaine des
garanties, l’intérêt de la sanction ait pris le pas sur l’intérêt du conseil lui-même (chapitre 1).
Selon Mme de Poulpiquet308, « la référence au devoir de conseil est devenue pour les
tribunaux une démarche pragmatique et simple. ». Il semblerait que la responsabilité
professionnelle constitue pour eux un axe de réflexion et de motivation pour garantir la
sécurité contractuelle.
Néanmoins, les avantages d’une telle référence n’ont pas non plus échappé aux clients des
notaires et des banques (chapitre 2).
Chapitre 1 : Le développement de la responsabilité professionnelle
Chapitre 2 : L’intérêt pratique de la responsabilité pour les clients
308
J. de Poulpiquet, Répertoire civil Dalloz, voir Notaire, n°237
90
CHAPITRE 1
LE DEVELOPPEMENT DE LA RESPONSABILITE
PROFESSIONNELLE
296. Il n’est pas nécessaire de consacrer de longs développements à cette question qui
ne concerne pas spécifiquement le conseil en matière de garanties et qui porte sur des sujets
techniques ; néanmoins, il est instructif de constater comment le juge renforce le devoir de
conseil par le droit de la responsabilité.
Nous ne pouvons pas passer sous silence l’application pratique de ce devoir car elle permet de
comprendre les véritables motivations des tribunaux qui l’ont consacré.
Section 1. La difficile preuve du conseil donné
297. Le plus souvent, les conseils prodigués par le notaire ou le banquier le seront
oralement, ce qui pose bien entendu un problème de preuve. La jurisprudence a pourtant
récemment renforcé sa position à l’égard des professionnels sur le terrain de la charge de la
preuve, suivant sa logique de protection de la partie au contrat la plus faible.
§ 1. Sévérité prétorienne à propos de la charge de la preuve
A. Méconnaissance d’un principe d’équité classique
298. Exiger du demandeur à l’action en justice qu’il prouve ce qu’il avance semble
être un grand principe de notre droit : notamment, il était généralement admis en
jurisprudence qu’il appartenait au client de rapporter la preuve que le conseil n’avait pas été
délivré par le professionnel.
Le devoir de conseil était donc présumé avoir été correctement rempli, mais cette position
était vivement critiquée par la doctrine309 car elle mettait la victime dans la situation délicate
de devoir prouver un fait négatif.
299. La jurisprudence a donc opté , après hésitations, en faveur de l’application de l’art
1315 al 2 code civil qui dispose que « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou
le fait qui a produit l’extinction de son obligation. ».
Ce qui a eu pour effet de renverser la charge de la preuve: comme pour l’information, la
charge de prouver que le conseil a été donné pèse sur le débiteur du conseil.
Le revirement a été opéré à propos d’un médecin par un arrêt de la première chambre civile en
date du 25 février 1997310 et il s’est répandu à l’ensemble des débiteurs d’une obligation
particulière d’information et de conseil, notamment aux avocats311.
309
voir R. Savatier, D 1952, p.53 ; H. et L. Mazeaud, RTD civ. 1951, p.508
civ. 1è 25 février 1997, bull civ. I n°975 ; JCP 1997, I, 4025, obs Viney. Mais voir antérieurement, déjà dans
le même sens: civ. 3è 4 mai1976, bull civ. III n°184.
311
civ.1è 29 avril 1997 , JCP 1997, II, 22948, note Martin.
310
91
300. Cependant, le revirement a eu une portée limitée en ce qui concerne la preuve du
conseil en matière de garanties : en effet, avant l’arrêt du 25 février 1997, la jurisprudence
avait déjà imposé le fardeau de la preuve de la fourniture du conseil au notaire depuis un arrêt
de la première chambre civile en date du 25 juin 1991312.
301.Le renversement de la charge de la preuve équivaut à l’avènement du régime de
l’obligation de moyens renforcée en ce qui concerne le devoir de conseil.
B. Quelques tempéraments
302. En premier lieu, il faut insister sur le fait que malgré tout, la charge de la preuve
de l’existence même de l’obligation d’information et de conseil repose sur le créancier de
l’obligation : cette solution ressort de l’article 1315 alinéa 1er du code civil qui attribue à celui
qui réclame l’exécution d’une obligation la charge de la prouver.
Cela ne suscite aucune difficulté en pratique car le juge lui-même impose aux professionnels
un devoir de conseil.
303. De plus, s’il appartient à celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une
obligation particulière d’information de rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation,
la jurisprudence313 retient qu’en ce qui concerne le devoir de conseil de l’avocat en matière
de consultation, il appartient préalablement au client de l’avocat de rapporter la preuve de
l’étendue de la mission confiée à son conseil : sa mission détermine logiquement les contours
de son devoir de conseil et donc les contours de sa responsabilité.
C’est une solution qui semble transposable au banquier : son devoir de conseil en matière de
garanties s’exerce dans sa mission de fourniture d’un crédit , donc les conseils qu’il délivre
sont en relation avec l’opportunité du crédit. Il ne va pas devoir déconseiller à la caution de
s’engager en se fondant sur l’opportunité de l’opération principale pour laquelle on souscrit le
prêt.
La transposition au notaire rédacteur d’actes est moins sûre : le devoir de conseil du notaire
est une règle professionnelle dont le caractère est permanent et général. Nous avons déjà vu
que le contenu de la demande du client importe peu : non seulement son devoir de conseil
porte aussi sur des sujets périphériques, mais il existe même indépendamment de la volonté
des parties à l’acte.
304. Enfin, il appartient également au créancier de prouver que le conseil donné n’était
pas conforme à ce qu’il aurait dû être : le professionnel doit seulement établir la preuve qu’il a
matériellement conseillé le client. Il n’a pas à prouver que le conseil était complet ou
approprié314.
§ 2. Liberté des modes de preuve
305. La sévérité des magistrats de la Cour de cassation à propos de la charge de la
preuve est tempérée par le fait qu’ils considèrent que les professionnels peuvent rapporter la
preuve par tous moyens.
312
civ.1è 25 juin 1991, RTD civ. 1992, p.752, obs J. Mestre ; civ.1è 26 novembre 1996, GP 5-9 septembre 1997,
panor. p.13
313
TGI Paris 8 juin 2000 ,LPA 14 décembre 2000, n°249, p.21
314
sur ces tempéraments voir P. Mistretta, L’obligation d’information dans la théorie contractuelle :
applications et implications d’une jurisprudence évolutive , LPA 5 juin 1998, p.4
92
A. Fondement
306. Le devoir de conseil étant purement jurisprudentiel, ce sont les magistrats qui
décident des modalités de preuve de ce devoir, de sorte qu’elles varient au gré des décisions
judiciaires et des professionnels concernés .
307. Déterminer le moyen permettant de prouver la délivrance du conseil est
d’importance car ces conseils sont donnés verbalement ; en effet, l’établissement de l’acte par
le notaire et l’octroi du crédit par le banquier seront toujours précédés de rendez-vous plus ou
moins nombreux à l’occasion desquels le conseil sera dispensé.
308. Les règles concernant les modes de preuve ont été dégagées, là encore, à propos
du devoir de conseil du médecin.
Par un arrêt du 14 octobre 1997, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé
que la preuve de l’exécution de son devoir de conseil par le médecin peut être faite par tous
moyens, et notamment par présomptions315.
Cette solution a ensuite été transposée à l’ensemble des professionnels débiteurs d’une
obligation d’information ou de conseil, et notamment au notaire.
En effet, la Haute juridiction a précisé que la preuve de l’exécution de son devoir de conseil
par le notaire peut résulter « de toute circonstance ou document »316.
309. Mais si la jurisprudence admet que la preuve de l’accomplissement du devoir de
conseil est libre, en pratique, les professionnels préfèrent recourir à un écrit.
B. Des professionnels « précautionneux »
310. Malgré l’indulgence de la jurisprudence qui a consacré le principe de la liberté
des modes de preuve, les professionnels préfèrent consigner les conseils donnés par écrit.
Cependant, pour que cet écrit constitue un mode de preuve efficace, encore faut-il qu’il
présente certaines caractéristiques.
1) Consignation écrite du conseil délivré
311. Nous venons de voir que la preuve de l’exécution du devoir de conseil par le
notaire et le banquier peut résulter de toute circonstance ou document , mais « mieux vaut
prévenir que guérir ».
Une longue pratique des procès en responsabilité a notamment conduit les notaires à
consigner par écrit, au fur et à mesure, les conseils fournis dans un document signé par le
client et qui porte maintenant le nom de « reconnaissance d’avis donné » (décharge de
responsabilité étant impropre) : il s’agit donc d’un acte par lequel le client reconnaît avoir été
suffisamment éclairé .
Et tant pis pour le dilemme moral qu’engendre le fait de demander à tout propos au client un
donner acte du conseil délivré, les relations entre le banquier ou le notaire et leur client ne
sont plus des relations de confiance.
315
316
civ. 1è 14 octobre 1997, bull civ. I n°278 ; RTD civ. 1998, 100, obs J. Mestre
civ. 1è 3 février 1998, bull civ. I n°44 ; Defrénois 1998, 743, obs Aubert ; RTD civ. 1998, 381, obs Jourdain
93
2) Caractéristiques de cet écrit
312. Il est essentiel que ces reconnaissances de conseils donnés soient pleinement
circonstanciées, car M. Yaigre et M. Pillebout317 attirent notre attention sur le fait que « la
jurisprudence a tendance à considérer comme clauses de style et dépourvues d’efficacité
juridique certaines déclarations insérées - peut-être pourrait-on dire glissées – dans leurs actes
par les notaires. »318.
Par les notaires, ou par les banquiers puisqu’une décision de la Cour de Lyon319 retient que
« la signature d’une clause de style dans un contrat de prêt dactylographié à l’avance, par
laquelle l’emprunteur déclare connaître les clauses et conditions de l’assurance collective à
laquelle la banque prêteuse a adhéré, ne saurait démontrer qu’il a été donné connaissance à
l’emprunteur d’une restriction importante apportée à l’assurance invalidité totale et définitive
qu’il contracte. ».
313. Le document écrit qui constate que le conseil a été donné doit tout d’abord être
distinct de l’acte, d’une part parce que le conseil précède acte et que l’écrit doit être antérieur
à l’acte, sous réserve du cas où l’acte déjà négocié et rédigé est transmis au notaire pour
simple authentification.
D’autre part parce que la constatation du conseil donné par le notaire ne fait pas partie des
clauses de la convention entre parties.
Un arrêt du 10 juin 1996 de la première chambre civile de la Cour de cassation320 a ainsi
affirmé que, en matière de prêt, la preuve de l’exécution de son devoir de conseil par le
notaire peut résulter « d’un acte rédigé séparément de l’acte authentique, approuvé et signé
par le prêteur, se disant informé de la teneur des garanties et s’estimant suffisamment garanti
par ces sûretés. ».
Ensuite, ce document doit être compréhensible pour le client, c’est-à-dire qu’il ne doit pas
constituer pour le professionnel un moyen détourné de se libérer de sa responsabilité : il faut
qu’il résulte de l’écrit que le client a bien été mis en garde contre les risques encourus , et que
c’est en toute connaissance de cause qu’il a décidé de contracter.
Section 2. Mise en jeu de la responsabilité du professionnel
314. Bien que la solution dégagée par les juges à propos de la charge de la preuve lui
soit favorable, l’action en responsabilité civile pour manquement au devoir de conseil ne peut
prospérer que si le demandeur établit que la faute du professionnel lui a causé un préjudice
direct.
§ 1. Indifférence de la nature de la responsabilité
315. La nature délictuelle ou contractuelle de la responsabilité engendrée par un
manquement au devoir de conseil dépend de la nature du devoir de conseil.
A. Responsabilité délictuelle ou contractuelle ?
317
J. Yaigre et J.-F. Pillebout, Droit professionnel notarial, Litec 4è édition, n°301
voir par exemple civ. 9 février 1972, Journal des notaires et des avocats 20 février 1974, art 51596
319
CA Lyon 27 avril 1989, D 1989, IR 156 ; RTD civ. Juillet-septembre 1990 , p.465, n°3, obs J. Mestre
320
civ.1è 10 juin 1996, GP 14-15 janvier 1998, pan. p.24
318
94
316. Selon la jurisprudence, l’obligation de conseil du notaire rédacteur d’actes résulte
de la loi organique de la profession.
Les tribunaux rattachent en effet cette obligation, non pas à un éventuel contrat entre le
notaire et son client, mais à son statut d’officier public, comme le prouve notamment une
décision de la troisième chambre civile de la Cour de cassation affirmant qu’ « en vertu de
leur statut, les notaires, tenus professionnellement d’éclairer les parties sur les conséquences
de leurs actes, ne peuvent décliner le principe de leur responsabilité en se bornant à donner la
forme authentique aux déclarations reçues. »321.
Or, lorsque le notaire méconnaît ses obligations statutaires explicites ou implicites, sa
responsabilité est délictuelle ou quasi-délictuelle puisqu’il y a manquement à une obligation
légale ou dérivant de la loi : la responsabilité du notaire en cas de manquement à son conseil
est donc fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil.
L’extension du devoir de conseil à l’ensemble des activités notariales laisse d’ailleurs peu de
place à la responsabilité contractuelle du notaire.
Néanmoins, le juge n’a guère pris partie sur la question, faisant jouer parfois dans une même
affaire la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle du notaire.
317. Pour les autres professionnels titulaires d’un devoir de conseil en matière de
garanties, nous pouvons constater un débat en doctrine sur la nature de l’obligation
d’information, et donc du devoir de conseil, dans la phase pré-contractuelle322.
Par exemple, le devoir de conseil du banquier au profit de la caution, notamment, n’existe que
précédemment à la conclusion du contrat, il serait donc logiquement de nature délictuelle.
La jurisprudence a toutefois adopté la position inverse puisque les magistrats de la Cour de
Versailles323 ont retenu expressément la responsabilité contractuelle du banquier pour
manquement à son devoir de conseil envers le tiers garant.
Le juge fondant le devoir de conseil du banquier, comme de la majorité des autres
professionnels, sur les articles 1134 alinéa 3 et 1135 du code civil, il estime que le devoir de
conseil est une obligation rattachée au contrat par l’équité, et ce, quel que soit le moment où le
conseil est donné.
B. Les quelques incidences de la distinction
318. La différence a peu d’incidence quant à la mise en œuvre de la responsabilité mais
permet de rappeler que le devoir de conseil est une règle professionnelle du notaire, ce qui
explique que la jurisprudence soit plus exigeante à son égard.
A part cela, l’intérêt de la distinction est assez mince : « la responsabilité fondée sur la
notion de délit laisse au demandeur le choix du tribunal (soit celui du défendeur, soit celui du
lieu du délit), elle introduit la solidarité en cas de pluralité de responsables et ne nécessite pas
de mise en demeure pour faire courir des intérêts »324, à l’inverse de la responsabilité
contractuelle.
§ 2. Importance du lien de causalité entre la faute et le préjudice
321
civ.3è 10 juillet 1970, bull civ. III n°484
voir notamment G. Durry, RTD civ. 1981, p.158, qui considère qu’ « il est totalement artificiel de prétendre
isoler le devoir de conseil du reste du contrat pour y voir une faute pré-contractuelle donc délictuelle…Le conseil
est intégré aux relations contractuelles et une faute dans le conseil ne peut être elle-même que contractuelle. ».
323
CA Versailles 17 septembre 1998, bull Joly, février 1999, p.245 § 41, note Couret
324
J. Yaigre et J.-F. Pillebout, op.cit., n°294
322
95
319. Une condamnation sur le fondement du devoir de conseil suppose, dans tous les
cas, que la responsabilité soit contractuelle ou délictuelle, l’établissement d’une faute, d’un
préjudice et surtout d’un lien de causalité reliant les deux, ce qui résulte du texte des articles
1382 à 1386 du code civil en ce qui concerne la responsabilité délictuelle.
M. le conseiller Aubert estime d’ailleurs que la soumission de la responsabilité des notaires au
droit commun de la responsabilité constitue « un gage de sécurité pour les victimes, bien sûr,
mais aussi pour les officiers publics eux-mêmes, qui trouvent souvent dans les exigences du
régime de la responsabilité du fait personnel une sauvegarde contre une conception
exagérément extensive des garanties liées à leur intervention. »325.
320. Le lien de causalité essentiellement apparaît comme le dernier rempart de
protection du professionnel contre un engagement systématique de sa responsabilité
En effet, l’absence de lien de causalité entre la faute et le préjudice subi empêche la mise en
œuvre de la responsabilité du professionnel, et de nombreux exemples jurisprudentiels
montrent que la Haute juridiction est particulièrement exigeante sur ce point pour engager la
responsabilité du notaire326.
Aussi, dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 11 février 1992327, il a été décidé que,
si le notaire avait commis une faute en ne vérifiant pas l’état hypothécaire de l’immeuble à la
date de la vente, cette faute était sans lien de causalité avec le préjudice subi par le créancier.
Ce préjudice prenait en effet sa source dans la propre carence du créancier, ce-dernier n’ayant
pas pris en temps voulu d’inscription définitive d’hypothèque sur l’immeuble vendu.
Le trait d’union nécessaire et indispensable entre le préjudice et la préjudice n’apparaît donc
pas si le client a commis une faute grave qui est seule à avoir entraîné le dommage.
321. En réalité, la responsabilité pour manquement au devoir de conseil par rapport
aux garanties ne devrait être que subsidiaire parce que le préjudice n’existe, par exemple, que
si le créancier ne peut obtenir le règlement de sa créance ou si la caution ne peut être
remboursée par le débiteur principal.
Mais là encore, alors que la Cour de cassation exige que la faute du banquier ait causé un
préjudice à la caution pour retenir la responsabilité de l’établissement de crédit328, la
jurisprudence a pu faire preuve de sévérité à l’égard du professionnel du droit.
Par un arrêt du 28 janvier 1992, la Haute juridiction a estimé que la mise en jeu de la
responsabilité du conseil rédacteur d’actes n’est pas subordonnée à la défaillance de
l’emprunteur329.
Dans ce cas, le juge n’a pas débouté pas le créancier alors que le préjudice n’était ni certain,
ni actuel.
Peut-être pouvons-nous en déduire que, lorsque le débiteur défaille, il sera d’autant plus facile
d’engager la responsabilité du notaire car le préjudice est « davantage » certain, même s’il ne
l’est pas tout à fait.
Mais l’apparente facilité des juges à admettre que le créancier a subi un dommage, n’est
heureusement pas une règle absolue.
En effet, dans un arrêt du 2 avril 1997, la Cour de cassation a subordonné la responsabilité du
notaire, qui avait fait perdre à un créancier une garantie, à la preuve que l’exercice des autres
garanties existantes ne lui permettait pas de recouvrer sa créance330.
325
J.-L. Aubert, étude précitée, p.73 n°31
civ.1è 11 février 1992, JCP N 1992, n°41 ; civ.1è 20 juillet 1994, JCP N 1995, n°12
327
civ.1è 11 février 1992, bull civ. I n°46. Dans le même sens: civ.1è 17 mars 1993, Defrénois 1993, 1379, obs
Aubert.
328
com. 24 octobre 1995, Quotidien juridique 1995, n°97, p.2
329
civ.1è 28 janvier 1992, bull civ. I n°31
326
96
Le créancier devra se préoccuper de savoir s’il lui est possible d’obtenir le paiement en
poursuivant son débiteur sur d’autres biens ou par d’autres voies comme un cautionnement,
avant d’agir en responsabilité contre le notaire.
322. Enfin, si le lien de causalité est établi et en vertu des principes de la responsabilité
civile, la réparation accordée au garant ou au créancier devrait être fonction du préjudice subi
en raison du manquement du professionnel à son devoir de conseil.
Généralement, la réparation est donc inférieure par exemple au montant du prêt : le prêteur,
notamment, n’obtiendra pas l’équivalent du remboursement du crédit s’il agit contre le notaire
qui n’a pas attiré son attention sur l’insuffisance de gage.
Mais en pratique, vis-à-vis des cautions, « les tribunaux sont parfois généreux et accordent
une réparation d’un montant égal à celui de la dette de la caution331… Le but poursuivi par
celle-ci est naturellement d’obtenir la « compensation » avec sa dette à l’égard du
créancier. »332.
323. Cette indulgence des juges à l’égard de la caution, que nous constatons une fois
de plus, se justifie en réalité par une véritable volonté de mieux protéger les tiers garants par
le biais de l’action en responsabilité, sur le fondement d’un manquement du créancier ou du
notaire à son devoir de conseil.
En effet, M. Grua remarque que si la responsabilité fonctionne comme une cause d’extinction
du cautionnement, c’est pour « suppléer aux insuffisances de la protection des cautions par les
exceptions légales. »333.
Toutefois, l’action en responsabilité présente un intérêt pratique vis-à-vis de l’ensemble des
garants, ou plus exactement de l’ensemble des clients du débiteur du conseil, ce qui aboutit à
fausser les mécanismes de la responsabilité professionnelle.
330
civ.1è 2 avril 1997, RTD civ.1997, 665 et RTD civ. Janvier-mars 2000, p.121, n°3, obs P. Jourdain
com. 22 avril 1980, D 1981, IR, p.22, obs Vasseur ; com. 2 mai 1989, Banque et droit 1990, p.70
332
Lamy Droit du financement, édition 2002, n°3322
333
F. Grua, Contrats bancaires, tome 1, Economica, 1990, n°298
331
97
CHAPITRE 2
L’INTERET PRATIQUE DE LA RESPONSABILITE POUR LES
CLIENTS
324. Il est permis de craindre une dérive « à l’américaine », c’est-à-dire la
systématisation des actions en justice contre les professionnels parce que la jurisprudence
accueille facilement les demandes de leurs clients sur le terrain d’un manquement au devoir
de conseil, que ce soit ou non en matière de garanties, même s’il ne faut pas oublier que, dans
ce domaine, les personnes qui ont un intérêt à agir contre le professionnel sont plus
nombreuses.
Nous devons tout de même admettre que l’action sur le fondement du devoir de conseil est
plus protectrice des intérêts de la caution que les moyens mis à sa disposition par la loi
lorsqu’elle a consenti sa garantie sans en réaliser les conséquences.
Section 1. Pallier les insuffisances de la protection légale de la caution :
intérêt de l’existence de ce cas de responsabilité
325. La reconnaissance du devoir de conseil de la banque au bénéfice de la caution
ajoute un cas de responsabilité : cela semble permettre avant tout de combler les lacunes des
moyens de protection de la caution envers le créancier qui obtient son engagement alors que
la situation du débiteur montre des signes d’insolvabilité.
Ici en effet, le conseil ne sert pas à choisir la garantie efficace, et l’analyse du contenu du
devoir de conseil dont caution bénéficie à l’égard du notaire et du banquier nous a déjà
confirmé que ce conseil a un seul objectif : protéger les intérêts du tiers garant.
§ 1. Sur le terrain de la validité du cautionnement
326. Le cautionnement, au même titre que tous les autres contrats, entre dans le champ
d’application des règles relatives à la validité des conventions, notamment du consentement et
de la cause.
Cette garantie peut donc se trouver annulée si le banquier ou le notaire n’ont pas
suffisamment éclairé la caution sur la portée de son engagement, mais la protection du garant
sur le terrain de la validité du contrat est tempérée par la volonté d’assurer la sécurité des
conventions.
A. Les exigences des vices du consentement
327. Par application de l’article 1109 du code civil, le contrat de cautionnement peut se
voir annulé pour défaut de consentement valable en raison d’une erreur ou d’un dol, si le
banquier omet d’informer le garant des difficultés financières importantes que connaît le
débiteur principal.
1) Le dol
328. M. Simler et M. Delebecque notent que « surprises par les poursuites du
créancier, les cautions se plaignent fréquemment d’avoir été victimes d’un dol, alors que leur
98
situation n’est imputable qu’à leur imprévoyance. Il se peut, cependant, qu’elles aient été
réellement trompées. »334.
Il ressort de l’article 1116 du code civil que le dol est caractérisé par des manœuvres
commises dans l’intention de provoquer chez son cocontractant une erreur qui sera
déterminante de son consentement.
Ainsi, trois conditions doivent être remplies pour qu’il soit retenu : il faut que le dol soit
malhonnête, déterminant et qu’il provienne du cocontractant.
Les conditions de mise en œuvre du dol sont donc exigeantes. En effet, le juge estime que la
sécurité des transactions ne doit être compromise que dans les cas de ruses caractérisées.
Cependant, pour assurer la loyauté des transactions, le dol devrait être largement compris.
329. D’ailleurs, s’il est vrai que de nombreuses décisions ont, par le passé, donné
satisfaction aux créanciers en refusant de prononcer la nullité du cautionnement, au motif que
la banque n’avait pas à renseigner la caution comme elle le devait pour ses clients, surtout
lorsque la caution s’était offerte spontanément pour un débiteur avec lequel elle entretenait
des liens étroits335, la jurisprudence a depuis consacré l’existence d’une obligation
d’information, avant de s’orienter vers un devoir de conseil, imposant au banquier de
renseigner la caution sur la situation du débiteur avant la souscription de la garantie : les
décisions sur le fondement de la réticence dolosive se sont alors multipliées336.
330. En effet, il est remarquable que dans la plupart des cas, le dol du créancier sera un
dol négatif, les manœuvres ayant consisté à taire un ou plusieurs éléments d’appréciation
importants pour permettre à la caution d’évaluer la portée de son engagement337.
Selon M. Bouteiller, « on imagine mal un banquier maquiller des documents afin de tromper
la caution. Le silence est pour lui beaucoup plus sûr, tant au niveau de l’effet recherché, qu’à
celui des éventuelles sanctions, les tribunaux n’hésitant pas à condamner le banquier, lequel
sous couvert de discrétion, communique des informations inexactes à son cocontractant. »338.
Le banquier qui cache à la caution que la situation économique de l’emprunteur ne lui
permettra pas de rembourser le crédit se rend coupable de réticence dolosive, car en manquant
à son obligation d’information, il a pour dessein d’amener le tiers à fournir sa garantie en le
trompant sur les risques auxquels il s’expose339.
Le cautionnement sera annulé puisque, si la banque avait communiqué l’information, le
garant ne se serait pas engagé ou, en tout cas, à des conditions différentes.
331. Mais pour que le banquier soit tenu d’une obligation de renseignement, encore
faut-il que l’emprunteur soit insolvable dès l’origine et que la caution ne soit pas supposée
connaître les problèmes financiers du débiteur340.
En d’autres termes, il faut que l’ignorance de la caution soit excusable, ce qui est apprécié en
fonction de la qualité de professionnel ou de profane de la caution341, et en fonction de ses
liens avec le débiteur principal342.
334
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op.cit., n°58
com. 24 juin 1969, JCP 1970, II, 16221, note Prieur ; CA Paris 21 janvier 1966, Banque 1966, 302 ; civ.1è
19 mars 1966, bull civ. I n°98
336
voir par exemple : com. 21 janvier 1981, bull civ. I n°25 , D 1983 IR 503 ; com. 8 novembre 1983, bull civ.
IV n°298 ; T commerce Paris 18 mai 1979, JCP 1981, I, 3048, n°80, obs Ch. Gavalda et J. Stoufflet
337
voir cependant pour un exemple où la banque a rassuré la caution par des affirmations mensongères : com. 7
février 1983, bull civ. IV n°50
338
P. Bouteiller, op.cit., p.69
339
voir par exemple : civ.1è 10 mai 1989, JCP E 1989, I, 18763
340
com. 16 février 1982, bull civ. IV n°61 ; D 1982, IR, 496, obs M.. Vasseur
341
com. 17 janvier 1968, Banque 1968, 269, obs Marin
335
99
En revanche, comme nous l’avons constaté précédemment, l’action sur le fondement du
devoir de conseil est moins sensible à la qualité de la caution.
332. En outre, le dol n’étant une cause de nullité que s’il émane du cocontractant, le
cautionnement ne semble pas pouvoir être annulé lorsque, dans le cadre d’une vente par
exemple, le notaire a délibérément gardé le silence sur une information déterminante pour le
garant, telle que l’insuffisance des autres sûretés consenties au créancier.
De même, le dol n’émane pas non plus du cocontractant lorsque c’est le débiteur principal qui
a sollicité et obtenu l’engagement de la caution, le banquier n’ayant eu aucun contact avec
elle et s’étant borné à recueillir sa signature343.
333. C’est pourquoi, l’action de la caution aux fins d’obtenir l’annulation de son
engagement pour dol présente un certain nombre d’inconvénients.
Tout d’abord, un manquement du banquier à son obligation d’information ne sera alors
sanctionné que s’il s’avère malhonnête, et pas s’il s’agit d’une simple négligence.
De plus, la qualité de la caution est prise en compte du fait que le silence gardé par le
créancier doit avoir entraîné une erreur excusable, qui a déterminé le consentement du garant.
Si la caution a la qualité de dirigeant, elle ne pourra pas se prévaloir d’une réticence dolosive
car il arrive que les magistrats refusent la nullité pour dol en considérant que le banquier n’a
pas mis de malice à taire une situation que la caution ne devait pas ignorer.
La protection de la caution qui a consenti sa garantie sans être éclairée sur la portée de
cet engagement paraît insuffisante, ou, en tout cas, pour le moins exigeante.
Toutefois, de même qu’en matière de conseil, la caution lésée n’a pas à faire la preuve de la
mauvaise foi du banquier, puisque, s’agissant de faits négatifs, la jurisprudence estime qu’il
appartient au professionnel de démontrer qu’il a fourni les informations en question.
334. Le tiers garant peut également agir sur le fondement d’une erreur qui aurait vicié
son consentement, lorsque le banquier ne l’a pas averti des risques dérivant de ses obligations.
2) L’erreur
335. La distinction établie selon que le dol émane ou non du créancier pour admettre
un vice du consentement est écartée lorsque l’on étudie l’évocation de l’erreur par la caution
pour parvenir à l’annulation du contrat : peu importe donc que l’erreur ait été provoquée par
une négligence du banquier ou du notaire.
L’article 1110 du code civil précise toutefois que l’erreur doit porter sur les qualités
essentielles de ce qui fait l’objet de la convention afin d’entraîner la nullité de celle-ci.
336. En matière de défaut de consentement suite à une erreur, nous pouvons nous
référer à un arrêt de la Cour de cassation344 qui a reconnu que la nullité du contrat s’imposait
dans une espèce où des agriculteurs « positivement illettrés » s’étaient portés cautions ,
persuadés qu’ils étaient de ne donner qu’un gage de moralité en faveur de l’emprunteur.
En conséquence, il y avait eu erreur sur l’objet de la convention, ce dont il est possible de
déduire que la banque aurait dû informer les garants sur la portée de leur engagement.
342
pour des relations d’affaires : com. 26 mai 1956, bull civ. IV n°154 , RTD com. 1957, 151, obs Becqué et
Cabrillac ; civ. 10 juin 1987, Defrénois 1987, 1483, obs L. Aynès.
Pour des liens familiaux : civ.1è 19 mars 1985, bull civ. I n°98.
343
com. 22 juillet 1986, bull civ. IV n°163, D 1987, 445, obs L. Aynès
344
civ. 25 mai 1964, D 1964, 626
100
La caution est donc en mesure de se libérer de ses engagements sur le fondement de
l’erreur lorsque l’établissement de crédit n’a pas communiqué certaines informations sur la
nature du contrat, sans pour autant avoir usé de manœuvres dolosives.
337. La caution peut aussi se méprendre sur les qualités substantielles de son
engagement si elle s’engage sans connaître la situation financière de l’emprunteur, le banquier
ne l’ayant pas renseignée sur ce point.
Néanmoins, il faut éviter que la caution obtienne trop aisément l’annulation de son
engagement en invoquant une erreur, car il n’est pas interdit de penser que le garant s’est
engagé en toute conscience pour apporter une aide à un débiteur dans une passe délicate.
L’erreur sur la solvabilité ne peut donc porter que sur la solvabilité de l’emprunteur au
moment de la souscription du cautionnement, et non sur sa solvabilité future345, qui ne
constitue pas un élément substantiel de l’engagement du garant d’après la Cour de
cassation346. Elle semble pourtant inclure dans le conseil du banquier la solvabilité future de
l’emprunteur, lorsque le professionnel sait qu’elle est compromise à terme.
En outre, la jurisprudence exige, et c’est bien là la difficulté de l’action sur le fondement de
l’erreur, que le garant ait fait de la solvabilité du débiteur principal la condition de son
engagement et qu’il en apporte lui-même la preuve347.
M. Puygauthier précise qu’ « en pratique, le cautionnement ne sera annulé que si l’acte
de cautionnement indique que la solvabilité des débiteurs a constitué la condition de
l’engagement de la caution. Mais les créanciers n’acceptent jamais que de telles clauses
figurent dans le contrat de cautionnement. »348.
338. Dans d’autres hypothèses, la caution invoque une erreur sur l’étendue des sûretés
réelles préalablement souscrites au profit du créancier, par exemple parce que le banquier ou
le notaire ne l’ont pas avertie du rang d’une hypothèque349. La caution doit alors également
prouver que cette erreur a déterminé son consentement350.
La Cour de cassation a d’ailleurs fait remarquer qu’en l’absence de garanties, les cautions
s’engagent en connaissance et ne peuvent évoquer l’espoir qu’elle avait mis dans une
inscription ultérieure351.
Elles ne peuvent pas prétendre que leur consentement a été surpris, alors que si l’acte garanti a
été dressé par un notaire, la caution est mieux protégée : ce-dernier devra en effet la mettre en
garde contre l’insuffisance de garanties avant la conclusion du cautionnement.
Son devoir de conseil permet au garant de tout à fait mesurer l’ampleur de son engagement
avant de signer.
339. L’erreur, comme le dol, est sensible à la qualité du garant, et elle oblige la caution
qui l’invoque à prouver qu’elle avait fait de la circonstance sur laquelle elle s’est méprise la
condition de son engagement.
Au contraire, l’action pour manquement au devoir de conseil tend à devenir indifférente aux
fonctions exercées par la caution et il est désormais admis en jurisprudence qu’il appartient au
débiteur du conseil de prouver qu’il a rempli ses obligations.
345
civ.1è 1er mars 1972, bull civ. I n°70 ; D 1973, jurispr. 733, note Ph. Malaurie; Defrénois 1973, 30378, n°35,
note J.-L. Aubert
346
civ.1è 13 novembre 1990, bull civ. I n°242 ; D 1991, som. p.385, obs L. Aynès
347
voir notamment : civ.1è 19 mars 1985, JCP 1986, II, 20659, note Bouteiller ; civ.1è 11 décembre 1990, bull
civ. I n°22 ; com. 11 janvier 1994, bull civ. IV n°15, RTD civ. 1994, 899, obs Bandrac
348
J.-L. Puygauthier, La libération de la caution d’un débiteur insolvable, JCP N 1997, doctrine p.1003
349
civ.1è 1er juillet 1997, bull civ. I n°219 ; JCP 1998, I, 103, n°2, obs Simler
350
civ. 25 octobre 1977, JCP 1977, IV, 306
351
civ. 27 mars 1974, JCP 1975, II, 18070
101
Les vices du consentement ne constituent cependant pas le seul moyen pour la caution
de parvenir à l’annulation de la garantie.
B. La question de la cause
340. L’engagement de la caution doit être causé au jour du contrat de cautionnement.
En conséquence, une jurisprudence bien établie352 décide que le dirigeant de société qui a
donné caution à la société et qui se retrouve par la suite évincé de ladite société demeure
obligé, sauf à invoquer un manquement du notaire à son devoir de conseil s’il a instrumenté le
cautionnement et la cession d’actions353.
De toute façon, si la Cour de Versailles a pu considérer que la cause du cautionnement réside
dans les rapports entre la caution et le débiteur354, il est généralement admis que
« l’engagement de caution a pour cause l’existence de la dette garantie »355.
341. Une telle « objectivisation de la cause »356 interdit aux cautions de se prévaloir
d’une absence de cause pour obtenir l’annulation de leurs obligations.
Non seulement elles ne peuvent invoquer la rupture de leurs relations avec le débiteur, mais
en plus, elles ne peuvent pas avancer que leur engagement n’était pas causé au moment de sa
conclusion en raison de l’insolvabilité du débiteur principal.
La cause de cette garantie ne repose pas sur son caractère subsidiaire.
342. Mais la position de la jurisprudence n’est peut-être pas définitive.
La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 décembre 1992357, a en
effet rejeté le moyen tiré de l’absence de cause en se fondant sur des considérations de fait. Il
résultait de ces considérations qu’à la date de l’engagement, la situation du débiteur n’était
pas encore irrémédiablement compromise, de sorte que le cautionnement conservait un
caractère aléatoire.
A contrario, il est possible de déduire de cette solution que l’insolvabilité du débiteur
principal à la date de l’engagement de la caution prive le cautionnement de cause.
Toutefois, aucune décision n’est venue le confirmer, et M. Vigneron remarque que le
maniement de cette conception de la cause « peut cependant être délicat de la part du
dirigeant », puisqu’il est considéré comme le mieux placé pour connaître la situation de
l’entreprise emprunteuse358.
L’action sur le fondement d’une absence de cause n’est donc certainement pas la plus
protectrice de la caution.
343. La nullité du contrat profite à la caution dans la mesure où le cautionnement est
un contrat unilatéral : elle n’a donc rien à restituer.
352
com. 8 novembre 1972, GP 1973, 1, 143, note Martin ; com. 17 juillet 1978, bull civ. IV p.169 ; com. 14
novembre 1980, JCP 1981, IV, 39
353
voir civ.1è 22 avril 1992, JCP 1992, I, p.490, n°10 obs Simler et Delebecque
354
CA Versailles, 1er avril 1993, GP 1994, somm. 430 considérant que l’espoir pour la caution d’obtenir le
maintien de facilités financières est un motif de son engagement mais non une cause.
355
com. 23 juin 1992, RJC 1993, 294, note Monserié confirmant com. 8 novembre 1972, précité note 225
356
Monserié, op.cit.
357
com. 15 décembre 1992, bull civ. IV n°408 ; LPA 1993, n°57, note Vidal
358
B. Vigneron, Cautionnement du dirigeant de société : les conditions de validité et d’exécution, Droit et
patrimoine 1994, p.42
102
Mais l’action en nullité n’est pas sûre car les vices du consentement et l’absence de cause sont
rarement retenus, et à des conditions exigeantes.
Pour les tribunaux, le souci de sécurité et de stabilité des contrats milite dans le sens de
considérer les vices du consentement comme des exceptions au droit commun qu’il convient
d’interpréter restrictivement.
344. La validité de l’engagement, ou plus exactement l’impossibilité d’établir sa
nullité, ne met toutefois pas le banquier à l’abri de toute condamnation, d’autres voies légales
permettant en effet d’assurer la protection de la caution avec plus ou moins de succès.
§ 2. Sur le terrain de la responsabilité
345. Le cautionnement étant un contrat unilatéral, il ne comporte pas, en principe, à la
charge du banquier garanti d’obligation dont l’inexécution engagerait sa responsabilité envers
la caution.
346. Toutefois, il est possible de faire profiter la caution de l’action ouverte aux
créanciers d’une entreprise emprunteuse en cas d’octroi abusif de crédit.
L’hypothèse doit être circonscrite. Le banquier doit cesser tout crédit lorsque l’entreprise
débitrice est en cessation des paiements, ou du moins dans une situation sans issue.
Si le banquier accorde un crédit qui prolonge artificiellement la poursuite d’une activité
déficitaire, il commet une faute de nature à engager sa responsabilité en vertu de l’article
L313-12 du code monétaire et financier359.
En effet, un soutien abusif donne à l’emprunteur une solvabilité apparente et « incite ses
partenaires à continuer de lui faire confiance »360.
Si la jurisprudence a parfois dénié à la caution la qualité nécessaire pour agir sur le
fondement361, elle prône désormais une politique de sanction systématique envers les banques
en cas de création d’une apparence de solvabilité.
Par conséquent, les juges font preuve de davantage de souplesse dans l’appréciation de
l’intérêt à agir : la caution profite des mêmes cas de responsabilité bancaire que les créanciers,
lorsque l’entreprise à laquelle le crédit a été consenti fait l’objet d’une procédure collective362.
Il ne faut cependant pas oublier que, là encore, « la faute de la banque doit être
prouvée par le demandeur, car le banquier ne contracte pas une obligation de résultat. »363. Le
garant devra alors se référer à certains indices tels que le montant inhabituel du prêt, les
conditions du prêt ou les conditions anormales de fonctionnement du compte de l’emprunteur,
qui permettent de présumer que le banquier a commis une faute en accordant le crédit.
347. De plus, il existe une deuxième limite plus importante à l’intérêt de l’action pour
octroi de crédit abusif.
359
ancien art. 60 de la loi n°84-46 du 24 janvier 1984
Y. Guyon, Droit des affaires, tome 2, 5è édition, 1995, n°1074. Voir par exemple : com. 18 janvier 1994, bull
Joly 1994, 323 ; com. 18 juin 1996, bull civ. IV n°174, D affaires 1996 1059, JCP E 1996 II 896 note D.
Legeais.
361
com. 7 mai 1975, Banque 1976, 328
362
com. 26 juin 1978, bull civ. IV n°178 ; D 1979, IR, p.142 obs M. Vasseur. Civ.1è 9 otobre 1979, JCP 1980,
II, 19279. CA Paris 4 février 1982, RTD com. 1983, p.279, obs Cabrillac et Teyssié. Com. 26 octobre 1999,
bull civ. IV n°182, JCP 1999, II, 10262, note D. Legeais. Civ.1è 4 octobre 2000, bull civ. I n°233, Banque et
droit mars-avril 2001, 45, obs F. Jacob.
363
Y. Guyon, op.cit., n°1074, qui cite en exemple CA Aix 7 février 1984, Banque 1984, 728
360
103
En effet, la caution est privée du droit d’engager la responsabilité de la banque pour soutien
abusif lorsque, en qualité de dirigeant de la société emprunteuse, le garant avait une parfaite
connaissance de sa situation364.
La Cour de cassation a d’ailleurs précisé que c’est seulement en cas de circonstances
exceptionnelles que le dirigeant est fondé à invoquer la responsabilité de la banque pour
soutien abusif365.
348. Il est vrai que la jurisprudence a assoupli sa position puisqu’elle estime désormais
que constitue une circonstance exceptionnelle le fait d’être un dirigeant inexpérimenté366,
voire simplement inconscient des risques financiers qui pourraient résulter de l’octroi des
concours bancaires367.
Dans les deux affaires précitées, les juges considèrent qu’il y a bien eu soutien abusif, les
entreprises étant quasiment en cessation des paiements lors de l’octroi du crédit. En outre, ils
admettent que les cautions peuvent s’en prévaloir car , malgré leur qualité de dirigeantes, elles
n’étaient pas en mesure de connaître la situation de l’entreprise.
Et pourtant, nous avons déjà constaté que les banques ont été sanctionnées, non pas
directement pour soutien abusif, mais pour manquement à leur devoir de conseil à l’égard des
garants.
Nous pensons que si la jurisprudence a glissé du soutien abusif au conseil, c’est afin de mieux
protéger la caution ; en effet, elle condamne l’inexécution d’une obligation du banquier
envers le garant, et non l’inexécution d’une obligation du banquier envers le débiteur, c’est-àdire la fourniture d’un crédit proportionné.
La philosophie des magistrats est d’assurer aux cautions une protection plus efficace que la
protection légale, en reconnaissant à la charge du créancier un devoir qui ne profite qu’à elles,
et qui les protège de manière préventive, puisqu’il doit être exécuté avant la conclusion du
contrat de garantie.
349. Si le garant décide d’agir en responsabilité contre la banque, son cautionnement
est certes maintenu, mais la protection est équivalente à la protection résultant de la nullité de
la garantie : en effet, il recevra une indemnisation égale au montant du cautionnement, et sera
donc libéré.
D’ailleurs, les actions pour soutien abusif, ou pour légèreté blâmable dans le cas d’un
crédit accordé à un consommateur, autorisent l’octroi de dommages et intérêts ouvrant le droit
à une compensation au profit de la caution.
Cependant, désormais, lorsque la situation de l’emprunteur est obérée dès l’ouverture du
crédit et que le banquier ne met pas en garde le garant sur les risques de son engagement,
l’action pour manquement du créancier à son devoir de conseil remplace avantageusement les
moyens de protection légaux qui existaient auparavant.
350. Le devoir de conseil permet donc de mieux protéger les cautions qui consentent
leur garantie sans être conscientes de la portée de leurs obligations, pouvant pourtant les
conduire à la ruine.
364
Com. 15 février 1994, bull civ. IV n°60, RDBB 1994, 236, obs Crédot et Gérard
com. 12 novembre 1997, bull civ. IV n°284 ; JCP E 1998, p.182, note D. Legeais. Voir aussi pour une action
du dirigeant non garant pour soutien abusif :com. 11 mai 1999, D affaires 1999, p.990, obs J. F. qui estime que la
Cour d’appel aurait dû rechercher si, par la suite de circonstances exceptionnelles, le chef d’entreprise ignorait
lui-même la situation irrémédiablement compromise de son entreprise.
366
com. 23 juin 1998, bull civ. IV n°208, ; JCP E 1998, 1831, note D. Legeais
367
CA Versailles 17 septembre 1998, bull Joly 1999, § 41, p.245, note A. Couret
365
104
Toutefois, le devoir de conseil présente aussi un intérêt pratique à l’égard des clients qui n’ont
pas besoin d’être protégés, ayant reçu les conseils nécessaires, mais qui souhaitent échapper à
leurs obligations.
Section 2. Pallier les aléas de l’opération garantie : intérêt de l’exercice de
ce cas de responsabilité
351. Nous sommes ici dans une hypothèse où le banquier et le rédacteur d’actes ont
respecté leur devoir de conseil.
Les clients et la caution se sont donc engagés en connaissance de cause, et se trouvent par la
suite confrontés à un risque, comme l’insolvabilité du débiteur, contre lequel ils avaient été
mis en garde.
Bien qu’ils aient choisi de concrétiser leur projet malgré un avis contraire du professionnel, il
n’est pas rare que les clients prétendent ultérieurement ne pas avoir été conseillés, et ce afin
de pallier aux insuffisances de leurs engagements.
Certes, les tribunaux ne semblent pas les décourager à rechercher la responsabilité des
professionnels, mais cette démarche a des conséquences néfastes sur les relations d’affaires.
§ 1. Attraits de la garantie professionnelle
352. Les progrès des assurances professionnelles expliquent pour une large part le
développement de la responsabilité professionnelle, avec des sommes en jeu dont le montant
est toujours plus élevé.
Les clients qui agissent de mauvaise foi sur la base d’un manquement au devoir de conseil
sont avant tout attirés par le système de garantie professionnelle.
Or, le système notarial est très élaboré368.
A. Présentation du système de garantie notarial
353. Si les notaires sont tenus de souscrire une assurance à l’instar de nombreux autres
professionnels libéraux, l’originalité de leur système d’indemnisation tient à la
complémentarité de deux institutions car les fautes (intentionnelles notamment) qui ne sont
pas couvertes par l’assurance le sont par ce que l’on appelle la garantie collective369.
La garantie collective est mise en jeu lorsque le patrimoine personnel du notaire ne permet pas
de désintéresser les victimes de ses agissements ; dans ce cas, la réparation du dommage
devient l’affaire de tous les notaires, c’est à la profession de supporter les conséquences des
fautes commises par l’un des siens.
Par conséquent, la caisse régionale, puis la Caisse centrale de garantie si besoin est, payeront
les indemnités dues aux victimes.
Le fait que le notaire soit si complètement garanti lorsque sa responsabilité est engagée
a entraîné une augmentation des instances dirigées contre lui.
En effet, si ses clients n’ont pas forcément connaissance de ce système, leurs avocats, eux, le
connaissent certainement mieux.
368
voir Roulois , ouvrage de droit pratique publié par les éditions du Juris-classeur sous l’égide du Conseil
supérieur du notariat, chapitre sur la responsabilité et l’assurance professionnelle ; voir aussi entretien avec
A.Roth, Droit et patrimoine n°89, janvier 2001, p.80, dossier spécial, La responsabilité notariale.
369
Instaurée par la loi du 25 janvier 1934 remplacée par les dispositions du décret-loi du 20 mai 1955, qui ont
elles-mêmes été profondément modifiées par un décret du 20 décembre 1971.
105
B. Une démarche pragmatique
1) Incidence de l’assurance et de la jurisprudence
354. Selon M. Aubert370, « l’intervention du notaire ne saurait avoir les vertus d’une
assurance tous risques ».
Cependant, en pratique, les parties à un acte qui a été rédigé par un notaire n’hésitent pas à
agir contre lui en responsabilité pour pallier les aléas de l’acte en question.
En effet, si l’opération conclue était une opération risquée, il arrive que les signataires de
l’acte se retrouvent dans une situation pour le moins inconfortable : le créancier est confronté
à l’insolvabilité du débiteur et n’a aucune garantie, la caution est aussi confrontée à
l’insolvabilité du débiteur parce qu’elle est actionnée par le créancier, ou qu’elle a été
actionnée et qu’elle ne peut pas se retourner contre le débiteur pour être remboursée, le
débiteur se retrouve sans ressources, ayant donné en garantie la totalité de ses biens.
355. D’une part, il est indéniable que la garantie professionnelle du notaire est
attrayante parce que le notaire semble être toujours solvable.
D’ailleurs, il est une attitude répandue qui consiste pour le client à « choisir sa victime »371 en
fonction de sa solvabilité puisque la présence d’un tiers à ses côtés , même s’il s’agit d’un
conseiller juridique, ne dispense pas le professionnel de son devoir de conseil et que la mise
en jeu de la responsabilité de l’officier public n’est pas subordonnée à une poursuite préalable
contre d’autres débiteurs372.
356. D’autre part, les actions au motif d’un manquement au devoir de conseil du
notaire sont bien accueillies par les tribunaux, ce qui incite les clients à agir sur ce fondement
alors même que le professionnel a respecté ses obligations mais qu’ils font face à un aléa qui
n’était pas prévisible.
En effet, nous pouvons nous demander, comme nous l’avons déjà fait à propos du conseil
dans le domaine des garanties, et en suivant l’exemple de M. Yaigre et M. Pillebout373, « si la
jurisprudence n’arrive pas en cette matière de responsabilité notariale à substituer à
l’obligation de moyens, l’obligation de résultat. Le notaire doit ainsi, non seulement fournir à
son client un acte efficace, mais il serait responsable si le but poursuivi n’est pas atteint. ».
D’ailleurs, les actions fondées sur un manquement au devoir de conseil sont rares de la part de
la caution d’un crédit octroyé à un particulier : c’est une preuve que le conseil est détourné de
sa vocation originale pour devenir un moyen de défense. En effet, les cautions personnes
physiques d’un prêt accordé à un particulier bénéficient de l’article L313-10 du code de la
consommation qui organise à leur profit une responsabilité de la banque fondée sur le principe
de proportionnalité : ce texte les protège suffisamment et leur permet de ne pas recourir au
devoir de conseil pour être libérées de leurs engagements.
Donc la plupart des actions qui se basent sur le devoir de conseil proviennent de personnes
qui se sont portées cautions dans le cadre du financement d’une entreprise, et qui sont , par
conséquent, exclues du champ d’application de l’article L313-10.
370
étude publiée au rapport de la Cour de cassation de 1994 sur la responsabilité notariale,p.69
J.-P. Kuhn, op. cit.,
372
civ.1è 13 décembre 1988, Defrénois 1989, 34554, n°56, obs Aubert
373
J. Yaigre et J.-F. Pillebout, op.cit., n°292
371
106
357. Comme toute « victime », les clients confrontés à un aléa qui ne pouvait être
prévu essayent de trouver un responsable.
D’ailleurs, la responsabilité du notaire est souvent recherchée pour ne pas avoir mis en garde
le créancier contre un risque de dépréciation ultérieure de la valeur de l’immeuble
hypothéqué.
Il est faux de dire qu’en tout état de cause, le notaire répond de l’insuffisance du bien donné
en garantie ; en effet, le notaire n’est jamais responsable lorsque l’insuffisance du gage,
n’apparaissant que postérieurement à l’acte, n’était pas prévisible.
M. Bergeaud374 nous rappelle que Mérimé, dans son commentaire du décret-loi du 20 mai
1955, écrivait que « la jurisprudence paraît admettre que la responsabilité du notaire ne se
trouve pas engagée par une dépréciation générale des immeubles, conséquences d’une crise
économique survenue postérieurement à l’époque du prêt et alors imprévisible. »375.
La jurisprudence a d’ailleurs confirmé cette solution par un arrêt du 2 février 1970 qui
considère qu’ « il ne pouvait être imputé au notaire de ne pas avoir informé le prêteur d’une
insuffisance prétendue de la valeur du gage que rien ne permettait de déceler, dès lors que
l’état et la consistance de l’immeuble hypothéqué assurait une garantie suffisante conforme à
une saine pratique notariale. »376.
Cependant, la jurisprudence est sévère à l’égard du notaire quand elle lui impose
d’évaluer la valeur de l’immeuble hypothéqué puisque « les programmes d’examen ne
préparent guère le notaire à ce rôle forcé d’expert immobilier »377.
Le prêteur ou la caution pourront invoquer que l’insuffisance de la garantie était prévisible
mais que le notaire n’a pas procédé à toutes les investigations auxquelles il était tenu.
En effet, le juge est particulièrement exigeant : le notaire ne peut pas se fonder uniquement
sur le prix d’acquisition du bien378, ou sur les conclusions d’un expert agrée379, pour apprécier
la valeur de l’hypothèque, il doit aussi rechercher, par exemple, le revenu normal de
l’immeuble380 ou le montant de l’assurance incendie381.
La responsabilité du notaire pour manquement à son devoir de conseil permet bien au
créancier ou aux garants d’être prémunis lorsque survient un aléa.
358. En fait, leurs clients trouvent dans le notaire ou le banquier un responsable
solvable, ce-dernier étant aussi garanti par une assurance professionnelle mais moins
sophistiquée ; en plus, nous avons pu constater précédemment qu’il est relativement aisé
d’engager leur responsabilité sur le terrain du devoir de conseil, en raison des règles de preuve
et de la faiblesse des causes exonératoires.
2) Limite au succès de l’action
374
J.-Y. Bergeaud, op.cit., n°206
Mérimé, commentaires sur le décret-loi du 20 mai 1955, JCP 1955, 1250, n°52. Des notaires ont d’ailleurs
ainsi pu être exonérés lorsque la dépréciation du gage était survenue à la suite d’une crise agricole (Montpellier 4
décembre 1905, Journal des notaires et des avocats 1906, 101) ou d’une crise viticole (Cour d’Orléans 9
décembre 1892, D 1894, 2, 452).
376
Civ.1è 2 février 1970, bull civ. I n°43, D 1970, som.71. Dans le même sens: civ.1è 21 mai 1985, bull civ. I
n°155.
377
J.-Y. Bergeaud, op.cit., n°200, qui cite les jurisprudences des notes 291 à 294.
378
CA Lyon 22 juillet 1936, S 1937, 2, 40
379
civ.1è 6 décembre 1949, JCP N 1950, 5245
380
CA Paris 14 mars 1939, R.G. not. 1939, 25545
381
T commerce Bayonne 12 juin 1934, R.G. not. 1934, 23930
375
107
359. Il faut apporter un « bémol » important au succès de l’action en responsabilité à
l’encontre du notaire car les insuffisances de gage ne sont couvertes ni par l’assurance, ni par
la garantie collective: or, ce sera un dommage fréquemment subi par le client créancier en cas
de manquement du notaire à son devoir de conseil dans le domaine des garanties.
D’une part, les polices d’assurances ne couvrent pas les insuffisances de gage, que la
jurisprudence distingue subtilement de l’absence d’efficacité juridique de la garantie qui, elle,
est couverte382 : l’assurance ne joue donc pas, par exemple, en cas de mauvaise évaluation,
par le notaire, de la valeur de l’hypothèque alors qu’elle couvre la faute du notaire qui omet
d’inscrire cette garantie à la conservation des hypothèques.
D’autre part, l’article 12 du décret-loi du 20 mai 1955 dispose que la garantie collective « ne
couvre pas les pertes subies à raison de l’insuffisance des gages. ».
360. Le système de garantie professionnelle perd une grande part de son intérêt
pratique si le client qui invoque l’inexécution par le notaire de son devoir de conseil ne peut
pas être indemnisé alors qu’il agit justement en raison d’une insuffisance de gage.
Toutefois, dans les cas les plus graves où le gage est pratiquement inexistant, les tribunaux ne
retiennent que la nature de la faute du notaire, c’est-à-dire un manquement à son devoir de
conseil, et non la nature du dommage causé à son client : sa faute peut ainsi être couverte par
l’assurance responsabilité ou par la garantie collective383.
Il peut sembler paradoxal que le notaire retrouve le bénéfice de ses garanties professionnelles
lorsque sa faute présente un caractère particulièrement grave, mais là encore, la jurisprudence
a pour objectif de permettre l’indemnisation du client du notaire, qui se trouve dans une
situation très délicate.
§ 2. Une démarche déloyale à l’égard du professionnel ?
361. Le notaire et le banquier ne peuvent être responsables d’un dommage qu’ils
n’avaient pas les moyens d’éviter : cependant, il existe une tendance dans la jurisprudence qui
consiste à obtenir à tout prix l’indemnisation de la victime d’un dommage.
Cette philosophie de protection de la partie supposée la plus faible est explicable, mais la
démarche initiale du client peut sembler choquante.
362. En effet, même quand il existe un doute sur le fait que le professionnel a bien
rempli son devoir de conseil, l’action sur le terrain de la responsabilité civile présente un
caractère que l’on peut qualifier de pragmatique, sans aller jusqu’à dire qu’elle est déloyale.
Si le client délaisse en général l’action en nullité, qui peut pourtant aboutir en cas de
manquement au devoir de conseil antérieurement à la conclusion de la garantie, c’est parce
que la nullité d’un prêt par exemple ne dispense pas l’emprunteur de restituer le capital.
En revanche, la responsabilité de la banque ou du notaire lui permet d’obtenir des dommages
et intérêts qui se compensent avec les sommes dont il est débiteur.
M. Boucard précise d’ailleurs que « l’allocation de dommages et intérêts est la sanction la
plus prisée en droit bancaire »384 car la nullité n’aura d’intérêt, en tant que sanction du devoir
de conseil, que dans le cadre d’un contrat unilatéral, c’est-à-dire d’un cautionnement ou d’une
garantie à première demande.
363. Or, les relations entre le notaire ou l’établissement de crédit et leurs clients sont
censées être des relations de confiance donc essayer d’engager la responsabilité du
382
civ.1è 7 juillet 1976, Defrénois 1977, 31522-82, obs Aubert
J. Yaigre et J.-F. Pillebout , op.cit., n°318
384
F. Boucard, op.cit., n°544
383
108
professionnel de n’importe quelle façon, concrètement pour ne pas avoir à payer, peut paraître
surprenant.
Cela l’est d’autant plus de la part de l’emprunteur qui se retourne contre son banquier après
avoir demandé un crédit avec insistance.
M. Vasseur estime que l’existence « de relations continues, anciennes entre banquier et client,
leur caractère de relations de confiance »385 impose au professionnel de maintenir son client
dans des conditions d’informations suffisantes. Cela impose peut-être aussi au client de ne pas
agir systématiquement contre lui en responsabilité.
364. Que l’action en responsabilité pour manquement au devoir de conseil vienne en
aide aux cautions, qui ne trouvent pas dans les exceptions dont elles disposent une protection
suffisante lorsqu’elles se sont engagées sans être éclairées sur la portée de leurs obligations,
peut déjà être critiqué, car la responsabilité civile est détournée pour fonctionner comme une
cause d’extinction du cautionnement.
Mais il est encore plus grave que les tribunaux retiennent de plus en plus la responsabilité du
notaire ou du banquier chaque fois qu’un client subit un préjudice en considérant que ce
dommage aurait été évité si le professionnel avait pris l’initiative de le conseiller.
Les mécanismes de la responsabilité étant faussés par le juge lui-même, on peut se demander
si les considérations morales qui fondent le devoir de conseil ne jouent pas à sens unique.
385
M. Vasseur, Des responsabilités encourues par le banquier à raison des informations, avis et conseils
dispensés à ses clients, Banque 1983, p.947
109
CONCLUSION
365. Au cours de cette étude, il nous est apparu que le droit contemporain des
obligations est marqué par une tendance jurisprudentielle à accorder aussi bien à l’obligation
d’information qu’au devoir de conseil un rôle considérable au nom de la justice contractuelle:
ils donnent lieu tous les deux à une jurisprudence fort abondante qui place en général le
professionnel dans une situation d’infériorité par rapport à son client.
Or, il serait plus juste que la jurisprudence essaye au contraire de trouve un point d’équilibre
entre la protection de la partie la plus faible et les nécessités du libéralisme économique.
En effet, les actions engagées sur le fondement d’un manquement au devoir de conseil par les
emprunteurs ou les cautions ne sauraient être admises sans réserve.
M. Legeais 386 attire notre attention sur le fait que « la responsabilité de l’établissement de
crédit ne peut être retenue que dans un minimum de cas si l’on veut que des crédits continuent
à être consentis à de jeunes entreprises. Un juste équilibre doit donc être trouvé entre la
nécessaire protection de certains emprunteurs (et de certains garants) et la préservation de
l’activité bancaire. ».
366. C’est pourquoi, en ce qui concerne le devoir de conseil en général, et pas
seulement dans le domaine des garanties, une consécration légale serait peut-être la bienvenue
pour déterminer qui en sont exactement les débiteurs et les créanciers et surtout quel en est le
contenu exact.
La difficulté tient au fait que le conseil est personnalisé donc son étendue dépend de la
situation propre de chaque client ; toutefois, pour le notaire par exemple, une reconnaissance
législative permettrait d’enrayer l’inflation des cas de responsabilité et ne poserait pas trop de
problèmes pratiques, dans la mesure où ce conseil est impératif et absolu, c’est-à-dire
quasiment détaché de la personnalité du client.
Bien sûr, la situation actuelle est plus conforme au souhait des juges qui font varier l’intensité
du devoir de conseil en fonction des professionnels concernés et des contrats concernés, en se
fondant sur une volonté plus ou moins forte de justice sociale ; néanmoins, cela ne contribue
pas à faire des relations entre les professionnels et leurs clients des relations de confiance où
les obligations de chacun sont fixées dés le départ.
367. En droit des garanties, nous avons constaté que le devoir de conseil est utile, mais
l’application qu’en fait la jurisprudence peut avoir des conséquences fâcheuses sur l’évolution
de ce droit.
Dans les années 80 a eu lieu une crise des sûretés modèles et notamment du cautionnement :
la désaffection des créanciers pour cette sûreté venait de « l’excès de bienveillance »387 des
juges à l’égard des cautions, juges qui leur reconnaissaient de nombreux moyens de défense.
On a pu penser que cette crise avait été salutaire parce qu’elle était due à excès de protection
du garant qui ne se justifiait pas.
Elle a d’ailleurs été suivie d’un retour en force du cautionnement avec l’essor de nouvelles
variétés telles que le cautionnement mutuel388: la protection des cautions étant devenue plus
386
D.Legeais, op.cit., Mélanges AEDBF-France 1999 p.257
D. Legeais, op.cit. , n°13
388
Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit. , n°4
387
110
sélective et ne bénéficiant plus qu’aux cautions profanes, le cautionnement a pu être
réhabilité.
Actuellement, les tribunaux semblent à nouveau convaincu que cette garantie est trop risquée,
et ils font en sorte de dissuader le créancier d’y recourir en alourdissant ses obligations à
l’égard de la caution , comme nous l’a démontré l’exemple du conseil du banquier.
Nous pensons pouvoir en déduire une volonté prétorienne de promouvoir des sûretés moins
dangereuses, comme le cautionnement réel qui est un bon compromis entre la protection des
intérêts du créancier et la protection des intérêts du tiers garant.
Il est donc possible que cette garantie connaisse une nouvelle crise en raison des exigences du
devoir de conseil au profit des garants: ainsi, vis-à-vis des dirigeants, le cautionnement va
peut-être perdre une partie de son efficacité.
Ce revirement de conception entraîne une régression de notre droit : selon M. Legeais, « il est
en effet difficile de considérer que la faveur actuelle pour le droit de rétention ou le droit de
propriété soit un progrès du droit »389.
368. L’étude du devoir de conseil en matière de sûretés peut donc s’inscrire dans une
question plus large : celle du bilan du droit des garanties et de son avenir.
Il est inquiétant que la jurisprudence aille dans le sens d’une mise en œuvre de plus en plus
contraignante des garanties personnelles en estimant qu’elles sont dangereuses pour celui qui
s’engage, alors que le droit des procédures collectives restreint, quant à lui, l’efficacité des
garanties réelles.
En effet, si une procédure collective est ouverte à l’encontre du débiteur, même une garantie
de premier rang peut être réduite à néant par la règle de la nullité des sûretés inscrites en
période suspecte.
Et si la garantie n’est pas annulée, son efficacité est paralysée par l’article L 621-40 du code
de commerce qui veut assurer une égalité entre les créanciers en suspendant ou en arrêtant les
poursuites individuelles en paiement. De cette manière, le redressement de l’entreprise ne sera
pas compromis.
En réalité, seuls les créanciers titulaires d’un droit de rétention n’ont pas à se soumettre à la
procédure : l’article L 621-24 du code de commerce permet au juge-commissaire de les payer
lorsque le bien qu’ils détiennent est nécessaire à la poursuite de l’activité. Il semble donc que
le bénéficiaire d’une garantie réelle avec dépossession , telle qu’un gage, soit dans une
situation moins grave que le bénéficiaire d’une garantie réelle avec classement, telle qu’une
hypothèque. Ces-derniers devront faire des concessions en cas de continuation de l’entreprise
dans la mesure où le tribunal leur imposera des délais de paiement ou les incitera à
« contribuer à l’allègement du passif de l’entreprise »390 en leur laissant le choix entre
accepter le délai judiciaire ou recevoir un paiement plus rapide mais assorti d’une réduction
de la créance.
369. En conséquence, il convient de se demander s’il existe encore des garanties utiles.
L’avenir de toutes les sûretés dépend de leur efficacité, à savoir de la simplicité de leur mise
en œuvre et de leur capacité à assurer un paiement rapide.
Cependant, le développement des procédures d’insolvabilité porte atteinte à l’efficacité des
sûretés réelles et l’accroissement de la protection des tiers garants ,que nous avons constaté à
travers l’étude du devoir de conseil dont ils bénéficient, n’incite pas le créancier à recourir au
cautionnement.
389
D. Legeais, op.cit. , n°24
Ph. Delebecque, Droit des sûretés : analyse d’un renouveau , dossier spécial, Droit et patrimoine n°106,
juillet-août 2002 , p. 49
390
111
Cela explique la concurrence faite aux sûretés traditionnelles par les garanties dites
« indirectes », telles que les assurances-garanties : elles ne mettent pas en danger les intérêts
de tiers contrairement aux garanties personnelles et elles présentent les avantages des
garanties réelles sans leurs inconvénients. En effet, d’une part, elles ne sont pas sensibles au
droit des procédures collectives, et d’autre part, comme pour toutes les sûretés réelles, même
si leur conclusion fait peser un devoir de conseil sur le créancier professionnel, c’est un
conseil qui va dans le sens de ses intérêts.
Le recours à cette variété de garanties devrait donc logiquement continuer son expansion.
112
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114
IV.
Notes et observations
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-observations sur civ.1è 28 novembre 1995, Defrénois 1996, 36272, n°22
-observations sur civ.1è 21 mai 1985, Defrénois 1985, 33636, n°114
-observations sur civ.1è 5 octobre 1999, Defrénois 1999, 37079, n°105
-observations sur civ.1è 3 février 1998 et civ.1è 10 juin 1997, Defrénois 1998, 36815, n°71
-observations sur civ.1è 7 février 1990, Defrénois 1990, 34837, n°97
-observations sur civ.1è 10 juillet 1995, Defrénois 1995, 36210, n°147
BANDRAC (M.) et CROCQ (P.) :
-Cautionnement proportionné et devoir de conseil du notaire, RTD civ. 2001, p.627, n°1
CHOISEZ (S.) :
-note sous civ.1è 1er décembre 1998, D 2000, p.404
COURET (A.) :
-note sous CA Versailles 17 septembre 1998, bull Joly 1999, p.245, §41
DELEBECQUE (Ph.) :
-note sous CA Versailles 11 décembre 1997, bull Joly 1998, p.218, §83
LEGEAIS (D.) :
-note sous com. 23 juin 1998, JCP E 1998, p.1831
-note sous civ.1è 10 mai 1989, JCP 1989, II, 21363
LIENHARD (A.) :
-observations sur com. 29 janvier 2002, D 2002, p.716
MESTRE (J.) :
-Actualité de l’obligation d’information et du devoir de conseil, RTD civ. 1999, p.83, n°4
-Obligation d’information : des notaires précautionneux, RTD civ. 2000, p.323, n°3
-Le professionnel du droit n’est pas tenu d’un devoir de divination, RTD civ. 1998, p.367, n°4
PINIOT (M.-C.) :
-conclusions sur com. 11 mai 1999, 3 arrêts, RJDA 1999, p.495
RAYMOND (G.) :
-note sous CA Grenoble 22 octobre 1996, Contrats- concurrence- consommation juillet 1997,
p.13
RONTCHEVSKY (N.) :
-observations sur com. 29 janvier 2002, Banque et droit mars-avril 2002, p.39
SIMLER (Ph.) :
-observations sur civ.1è 28 janvier 1992 et civ.1è 22 avril 1992, JCP, I, 3623, n°10
115
TABLE DES MATIERES
ABREVIATIONS………………………………………………………………………………….. .2
SOMMAIRE…………………………………………………………………………………………3
INTRODUCTION…………………………………………………………………………………...4
De l’obligation de se renseigner à l’obligation de renseigner.—…………………………………..4
Distinction nécessaire obligation d’information/devoir de conseil.—…………………………….. 4
Multitude des débiteurs du conseil.—……………………………………………………………….5
Contours de l’étude.—………………………………………………………………………………6
Opportunité du conseil dans la matière des garanties.—………………………………………….. 6
Légitimité du devoir de conseil ?—………………………………………………………………….7
Plan du mémoire.—………………………………………………………………………………... 8
PREMIERE PARTIE
LA FINALITE DU DEVOIR DE CONSEIL : LE CHOIX D’UNE GARANTIE
ADAPTEE…………………………………………………………………………………………10
TITRE I
L’EXISTENCE D’UN DEVOIR DE CONSEIL EN MATIERE DE GARANTIES………….11
CHAPITRE 1
L’OPPORTUNITE APPARENTE DU CONSEIL………………………….12
Section 1. Intérêt de ce devoir de conseil…………………………………………………………12
§ 1. Intérêt par rapport aux risques liés aux garanties…………………………………………..12
A. L’importance d’une garantie adaptée au risque encouru……………………………….12
B. L’inflation des garanties………………………………………………………………..13
§ 2. Intérêt par rapport aux obligations de renseignement…………………………………….. 14
A. Etendue de l’information en matière de garanties……………………………………..14
1) De l’obligation de se renseigner………………………………………………..14
2) … à l’obligation d’informer……………………………………………………16
B. Le professionnel « vecteur d’informations »……………………………………………18
1) Les insuffisances de l’information……………………………………………..18
2) Nécessité d’un rôle actif………………………………………………………..19
Section 2. Les composantes du devoir de conseil………………………………………………….20
§ 1. L’objet des conseils…………………………………………………………………………….20
A. L’obligation de s’informer pour informer et conseiller………………………………..20
B. Le domaine de compétence des professionnels : une limitation au conseil……………21
§ 2. Les bénéficiaires du conseil en matière de garanties………………………………………...22
A. Les clients parties à l’acte garanti………………………………………………………22
116
B. Les tiers…………………………………………………………………………………23
1) Les cautions……………………………………………………………………...23
a. Statut particulier de la caution………………………………………23
b. Reconnaissance d’un devoir de conseil à leur égard………………..24
2) Les créanciers du client et de la caution…………………………………………25
CHAPITRE 2
LE PROBLEME DU CONFLIT DE DEVOIRS……………………………..26
Section 1. Le secret professionnel………………………………………………………………….26
§ 1. Consécration légale du secret…………………………………………………………………26
A. Notaire et banquier sont soumis au devoir de secret……………………………………26
B. Les informations couvertes par le secret………………………………………………..27
§ 2. Conséquences…………………………………………………………………………………..28
A. Opposabilité du secret…………………………………………………………………..28
B. Le conseil en matière de garanties: une exception au secret ?………………………….29
Section 2. Le principe de non ingérence du banquier…………………………………………….30
§ 1. Les contours du principe………………………………………………………………………31
A. Signification…………………………………………………………………………….31
B. Fondement………………………………………………………………………………31
§ 2. Implications quant au devoir de conseil……………………………………………………...32
A. Un obstacle apparent au conseil…………………………………………………………32
1) L’obligation du banquier de s’informer dans le domaine du crédit……………33
2) Le compromis entre la non ingérence et la prudence…………………………..33
B. Opportunité de la solution……………………………………………………………….34
1) Un compromis limitatif de responsabilité…………………………………….. 34
2) La force retrouvée de la non ingérence……………………………………….. 35
TITRE II
UN DEVOIR D’INTENSITE VARIABLE MARQUE PAR LES CONFLITS
D’INTERETS……………………………………………………………………………………….36
CHAPITRE 1 L’INFLUENCE DE LA NATURE DE L’INTERVENTION…………………37
Section 1. Intervention d’un professionnel du droit……………………………………………...37
§ 1. En tant que rédacteur d’actes…………………………………………………………………37
A. Caractère impératif du devoir de conseil du notaire……………………………………..37
1) Principe……………………………………………………………………….. 38
2) Illustrations en matière de garanties……………………………………………39
B. Un conseil au service de l’acte………………………………………………………….. 40
1) L’objet du conseil notarié………………………………………………………40
a. L’efficacité de l’acte au regard du droit positif……………………..40
b. L’efficacité de l’acte au regard des besoins des parties……………..42
2) Un conseil au service exclusif de l’acte………………………………………...44
a. Le devoir de neutralité du rédacteur d’actes………………………...44
b. Information ou conseil ?…………………………………………….46
117
§ 2. En tant que conseil juridique………………………………………………………………….46
Section 2. Intervention d’un professionnel du crédit……………………………………………..47
§ 1. Maîtrise des mécanismes de garantie…………………………………………………………47
§ 2. Limitations du conseil par le statut du professionnel………………………………………..48
CHAPITRE 2 L’INFLUENCE DE LA NATURE DE LA GARANTIE……………………...50
Section 1. Données du problème…………………………………………………………………...50
§ 1. Une philosophie différente…………………………………………………………………….50
A. Le « conseil-choix de la garantie » en cas de garantie réelle…………………………...50
B. Le « conseil-protection » en cas de garantie personnelle……………………………….51
§ 2. Conflit d’intérêts entre débiteur et créancier du conseil en matière de garantie
personnelle…………………………………………………………………………………………..52
A. Conflit d’intérêt entre le notaire et la caution…………………………………………..52
B. Conflit d’intérêt entre le banquier et la caution………………………………………...53
Section 2. Conséquences……………………………………………………………………………54
§ 1. Limitation au conseil du banquier au bénéfice de la caution……………………………….54
A. Un devoir de conseil circonscrit………………………………………………………..54
1) L’hypothèse d’un crédit excessif……………………………………………….. 55
a. Condition à l’existence du conseil…………………………………..55
b. Le contenu du conseil……………………………………………….57
2) L’hypothèse d’un cautionnement excessif………………………………………58
B. L’impossible collaboration en cours de contrat……………………………………….. 59
1) Absence de généralité du conseil envers la caution……………………………60
2) Absence de généralité du conseil envers les clients……………………………62
§ 2. Un conseil plus étendu en l’absence de conflit d’intérêts……………………………………63
A. Exemple du contrat d’assurance de groupe……………………………………………. 63
B. Contenu du conseil……………………………………………………………………. 65
1) Conseil dans la détermination de l’assurance adaptée…………………………. 65
a. Détermination des personnes à assurer……………………………….. 65
b. Détermination des risques à couvrir………………………………….. 66
2) Conseil dans la mise en œuvre de l’assurance…………………………………67
118
DEUXIEME PARTIE
CONSEQUENCE PRATIQUE : L’ATTEINTE A LA LOI DU CONTRAT DE
GARANTIE……………………………………………………………………………………. 69
TITRE I
LES LIMITES A LA PERTINENCE DU CONSEIL DANS LE CHOIX D’UNE GARANTIE
EFFICACE………………………………………………………………………………………….70
CHAPITRE 1
UN DEVOIR DONT LA PORTEE DEVRAIT ÊTRE LIMITEE………….. 71
Section 1. Absence de limites extrinsèques au conseil…………………………………………….71
§ 1. Absence de limites objectives………………………………………………………………….71
A. Limites relatives à l’acte………………………………………………………………..71
B. Prohibition des clauses limitatives ou exclusives de responsabilité……………………72
§ 2. Absence de limites subjectives………………………………………………………………...73
A. Relatives à la personne du client………………………………………………………..73
1) Solutions dégagées par la jurisprudence……………………………………….73
2) Valeur de ces solutions…………………………………………………………75
B. Relatives au comportement du client…………………………………………………...76
1) L’assistance du client par un tiers…………………………………………….. 76
2) La faute du client……………………………………………………………….77
Section 2. Une limite intrinsèque au conseil peu significative……………………………………77
§ 1.Obligation de moyens ou de résultat ?………………………………………………………...78
A. Une obligation de résultat………………………………………………………………78
B. … et de moyens………………………………………………………………………...78
§ 2. La volonté de protéger les individus contre eux-mêmes…………………………………….79
CHAPITRE 2
LE CARACTERE INAPPROPRIE DU CONSEIL…………………………. 81
Section 1. Le débiteur du conseil est inapproprié………………………………………………...81
§ 1. En matière d’assurance de groupe…………………………………………………………81
§ 2. Les interférences entre le conseil du notaire et le conseil du banquier…………………..82
Section 2. Le concept même de conseil est inapproprié…………………………………………..83
§ 1. Le « conseil » sanction du banquier envers la caution……………………………………83
A. L’obligation du banquier de ne pas accorder le prêt……………………….. 83
B. Les incohérences de la jurisprudence………………………………………..84
§ 2. Un concept inapproprié à la vie des affaires……………………………………………….86
A. Les professionnels bénéficiaires du conseil………………………………….86
B. Un devoir général irréaliste…………………………………………………..86
119
TITRE II
UN DEVOIR SANCTIONNE UTILEMENT…………………………………………………….88
CHAPITRE 1 LE DEVELOPPEMENT DE LA RESPONSABILITE
PROFESSIONNELLE……………………………………………………………………………..89
Section 1. La difficile preuve du conseil donné…………………………………………………...89
§ 1. Sévérité prétorienne à propos de la charge de la preuve………………………………….89
A. Méconnaissance d’un principe d’équité classique……………………………………89
B. Quelques tempéraments………………………………………………………………90
§ 2. Liberté des modes de preuve………………………………………………………………..90
A. Fondement…………………………………………………………………………….91
B. Des professionnels « précautionneux »……………………………………………….91
1) Consignation écrite du conseil délivré………………………………………..91
2) Caractéristiques de cet écrit…………………………………………………..91
Section 2. Mise en jeu de la responsabilité du professionnel……………………………………..92
§ 1. Indifférence de la nature de la responsabilité……………………………………………..92
A. Responsabilité délictuelle ou contractuelle ?…………………………………………….92
B. Les quelques incidences de la distinction………………………………………………..93
§ 2. Importance du lien de causalité entre la faute et le préjudice……………………………93
CHAPITRE 2 L’INTERET PRATIQUE DE LA RESPONSABILITE POUR LES
CLIENTS……………………………………………………………………………………………96
Section 1. Pallier les insuffisances de la protection légale de la caution : intérêt de l’existence de
ce cas de responsabilité……………………………………………………………………………..96
§ 1. Sur le terrain de la validité du cautionnement…………………………………………..96
A. Les exigences des vices du consentement………………………………………………96
1) Le dol…………………………………………………………………………...96
2) L’erreur…………………………………………………………………………98
B. La question de la cause………………………………………………………………….100
§ 2. Sur le terrain de la responsabilité…………………………………………………………101
Section 2. Pallier les aléas de l’opération garantie : intérêt de l’exercice de ce cas de
responsabilité……………………………………………………………………………………….103
§ 1. Attraits de la garantie professionnelle………………………………………………………103
A. Présentation du système de garantie notarial……………………………………….…103
B. Une démarche pragmatique……………………………………………………………104
1) Incidence de l’assurance et de la jurisprudence………………………………104
2) Limite au succès de l’action………………………………………………….105
§ 2. Une démarche déloyale à l’égard du professionnel ?………………………………………106
120
CONCLUSION ……………………………………………………………………………………108
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………………109
TABLE DES MATIERES…………………………………………………………………………114