La régulation des offres haut débit aux entreprises

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La régulation des offres haut débit aux entreprises
La régulation des offres haut débit aux entreprises
interdit-elle le développement de certains territoires ?
Nicolas Boulanger & Yannick Seurin
Promotion IGE 2005
Mémoire de fin d’études
encadré par Gabrielle Gauthey,
membre du Collège de l’ARCEP
et Cécile Gaubert,
chef de l’Unité Accès Haut Débit de l’ARCEP
29 juin 2005
Table des matières
Introduction ............................................................................................................................... 5
1.
Le haut débit, élément montant de l’aménagement du territoire .................................... 7
1.1.
Le contexte actuel : un fort développement qui laisse certaines zones à l’écart. 7
1.2.
Le haut débit, une ressource indispensable mais difficile à appréhender........... 8
1.2.1.
Une ressource indispensable pour les entreprises… .......................................... 8
1.2.2.
…et une notion délicate à définir ....................................................................... 9
1.3.
L’architecture d’un réseau haut débit ................................................................. 10
1.4.
Les technologies d’accès haut débit ...................................................................... 11
1.4.1.
Le DSL (Digital Subscriber Line) .................................................................... 11
1.4.2.
Le câble ............................................................................................................ 12
1.4.3.
La fibre optique ................................................................................................ 12
1.4.4.
Les technologies hertziennes............................................................................ 12
1.4.5.
Les courants porteurs en ligne.......................................................................... 13
1.5.
Etat des lieux des disparités du marché du haut débit professionnel................ 14
1.5.1.
Présentation du marché du haut débit aux entreprises ..................................... 14
1.5.2.
La partition du territoire ................................................................................... 15
1.6.
Les buts de l’aménagement numérique du territoire ......................................... 16
2. La régulation sectorielle a-t-elle les moyens de réussir l’aménagement numérique du
territoire ? ................................................................................................................................ 19
2.1.
Les acteurs du haut débit....................................................................................... 19
2.2.
La régulation actuelle............................................................................................. 20
2.3.
L’avenir du dégroupage......................................................................................... 21
2.3.1.
Le dégroupage, moyen privilégié de concurrencer l’opérateur historique....... 21
2.3.2.
Comment faire encore progresser le dégroupage ? .......................................... 23
2.3.3.
Le VDSL à la sous-boucle : opportunité ou menace pour les dégroupeurs ? .. 25
2.4.
La régulation des offres de gros livrées au niveau régional : un difficile
équilibre............................................................................................................................... 25
3. Les collectivités locales, acteurs prépondérants de l’aménagement numérique du
territoire ................................................................................................................................... 29
3.1.
Les pouvoirs publics ont-ils la légitimité pour intervenir sur le marché des
télécommunications ?......................................................................................................... 29
3.2.
L’action des collectivités locales à l’étranger : quelques exemples.................... 30
3.3.
Les atouts des collectivités locales pour intervenir dans le haut débit .............. 32
3.3.1.
La proximité et la décentralisation favorisent l’intervention des collectivités
locales ............................................................................................................... 32
3.3.2.
L’évolution du cadre juridique accroît les possibilités d’action des collectivités
locales ............................................................................................................... 32
3.3.3.
Les niveaux d’intervention des collectivités locales sont divers et adaptables 34
3.4.
Les objectifs des projets des collectivités locales ................................................. 34
3
3.5.
Les différents modèles juridiques de déploiement de réseaux de collectivité... 35
3.5.1.
Le modèle de la DSP concessive...................................................................... 35
3.5.2.
Le modèle de la DSP d’exploitation ................................................................ 36
3.6.
Quels critères de réussite pour les projets de collectivité locale ? ..................... 36
Conclusion ............................................................................................................................... 39
Annexe : L’article L. 1425-1 du CGCT .................................................................................. 41
Remerciements......................................................................................................................... 43
Bibliographie ........................................................................................................................... 45
4
Introduction
Le marché français des télécommunications, libéralisé en 1996, connaît actuellement une
triple révolution. Révolution technologique tout d’abord, avec le déploiement à grande échelle
de réseaux en fibre optique permettant des flux de données quasiment illimités et l’apparition
de multiples moyens d’accès à l’usager final, notamment l’ADSL qui a permis une forte
pénétration du haut débit en France. Cette révolution technologique a permis la révolution
sociologique que constitue la naissance de la « société de l’information » et l’élaboration
d’usages toujours plus nombreux des réseaux, qui viennent modifier en profondeur notre
mode de vie. Révolution économique enfin, tant il est aujourd’hui évident que le haut débit est
devenu un facteur d’innovation, de productivité et de compétitivité pour les entreprises.
Ces évolutions ne se produisent malheureusement pas au même rythme sur tout le territoire
français. L’éclatement de la bulle Internet a gravement amputé les capacités d’investissement
des opérateurs privés qui hésitent désormais à aller équiper les zones les moins denses et donc
les moins rentables. En conséquence, les populations les plus rurales et les zones d’activité les
plus isolées sont laissées à l’écart des progrès du haut débit, tant en termes de services
proposés (les zones les plus urbanisées ayant droit aux prestations les plus performantes)
qu’en termes de tarifs pratiqués. Pour quiconque est persuadé du caractère indispensable du
haut débit, ce constat pose un problème majeur d’aménagement du territoire. Ainsi, nous
verrons dans un premier temps comment appréhender les disparités géographiques du haut
débit et leurs conséquences sur la vie économique des territoires.
Chargée par le législateur de mettre en place l’ouverture à la concurrence sur le marché des
télécommunications, l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des
Postes (ARCEP) est au cœur des problématiques auxquelles est actuellement confronté le
marché du haut débit. Comme nous le verrons dans une seconde partie, chacune de ses
décisions est lourde de conséquences sur les stratégies des différents opérateurs et peut
influencer durablement leur politique d’investissement, donc la progression du haut débit et
l’aménagement numérique du territoire.
Malheureusement, quel que soit le discernement avec lequel l’ARCEP prenne ses décisions, il
apparaît que de nombreux territoires ne feront l’objet d’aucun engagement de la part des
acteurs privés en l’absence d’un financement public. Dans un contexte de décentralisation
croissante, les collectivités locales semblent être les protagonistes privilégiés de
l’aménagement numérique du territoire. Leurs projets d’intervention dans le secteur du haut
débit se sont multipliés ces dernières années à la faveur d’une évolution du cadre législatif
régissant leur action. Ces projets, poursuivant le but louable de permettre une meilleure
desserte de la population et des entreprises à des prix compétitifs, doivent cependant veiller à
éviter deux écueils : ils doivent être économiquement viables tout en respectant le libre jeu de
la concurrence.
5
1. Le haut débit, élément montant de l’aménagement du territoire
1.1.
Le contexte actuel : un fort développement qui laisse certaines zones
à l’écart
Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) prennent aujourd’hui une
telle place dans notre quotidien que nombre de socio-économistes avancent l’hypothèse que
nous sommes en train de vivre une troisième révolution industrielle. Le modèle économique
qui en découle repose sur un partage maximal de la connaissance et de l’information, ce qui
présuppose une interconnexion maximale entre tous les acteurs de la vie économique. Or,
force est de constater qu’aujourd’hui, malgré l’essor impressionnant (et sans précédent pour
une nouvelle technologie) que connaît le haut débit dans la société française, certaines zones
du territoire sont laissées à l’écart de ce développement.
Certes, à l’échelle nationale, la santé du haut débit en France paraît excellente. Après avoir
connu les plus forts taux de progression d’Europe en 2003 et 2004, son taux de pénétration
par habitant atteint environ 12 % avec 7 383 000 accès haut débit au 31 mars 20051 soit
environ un tiers des foyers. Surtout, les tarifs pratiqués sur le marché résidentiel sont parmi les
plus bas du monde, conséquence directe de la réussite du dégroupage. Sur le marché
professionnel, les indicateurs nationaux sont également très satisfaisants. Ainsi, en 2003, le
nombre de connexions haut débit des entreprises a doublé.
Pourtant, ces chiffres réjouissants sont loin de traduire une couverture homogène de
l’ensemble du territoire français. Ainsi, seules 33 % des entreprises de la Creuse ont accès à
une offre ADSL de France Télécom, alors que 95 % de leurs consœurs d’Ile-de-France
peuvent en bénéficier. A cette inégalité devant l’accès au haut débit vient se superposer une
inégalité devant la situation concurrentielle des territoires, certains bénéficiant des offres très
compétitives émergeant grâce au dégroupage, alors que d’autres doivent faire face au
monopole de fait de l’opérateur historique (c’était le cas de 18 départements à la fin de
l’année 2004). La raison de cette situation est on ne peut plus simple : aucune obligation de
déploiement de réseau sur l’ensemble du territoire ne s’exerce aujourd'hui sur un opérateur de
réseau haut débit. Les opérateurs privés (et il faut bien se résoudre à y inclure France
Télécom, même si dans bien des esprits, l’opérateur historique conserve inconsciemment le
statut d’opérateur public) développent donc leur réseau et leurs services dans une logique
commerciale, sans se soucier d’aménagement du territoire, qui est la préoccupation des
pouvoirs publics. Ils sont ainsi amenés à se concentrer sur les territoires les plus rentables,
c’est-à-dire les plus denses (si leurs investissements sont proportionnels à la surface couverte,
leur profit est lui proportionnel au nombre d’habitants et d’entreprises) et à délaisser les zones
moins peuplées. Or si le haut débit n’est aujourd’hui pas considéré par la loi comme un
service de première nécessité (ce qu’il sera peut-être demain2), il apparaît fondamental pour
structurer et dynamiser l’activité économique d’une région.
1
Chiffres publiés par l’ARCEP
Cf. la proposition de loi n° 1178 du 4 novembre 2003 tendant à étendre le Service Universel à l’Internet haut
débit et à la téléphonie mobile, présenté par MM. Bianco, Bacquet et consorts.
2
7
1.2.
Le haut débit, une ressource indispensable mais difficile à
appréhender
1.2.1.
Une ressource indispensable pour les entreprises…
Il y a une quinzaine d’années, en raison du prix élevé des équipements, le haut débit était
encore un luxe réservé aux grandes entreprises et aux centres de recherches dont l’activité
nécessitait par nature l’échange de gros volumes de données. Mais sa récente démocratisation
est à l’origine d’un bouleversement profond des systèmes de production et du fonctionnement
des entreprises, qui n’ont d’autre choix que de l’adopter si elles veulent rester compétitives.
Bien que nous n’ayons pas encore à notre disposition d’outils statistiques satisfaisants pour
mesurer les gains de productivité qu’apportent les nouvelles technologies, il ne fait nul doute
que ces gains sont bien réels, non seulement pour les entreprises du secteur des TIC, mais
surtout pour celles des secteurs plus traditionnels (automobile, aéronautique, etc.) ayant
largement adopté le haut débit. L’économiste Hal Varian souligne que la jeunesse des
nouvelles technologies rend délicate la mesure de leur impact sur la productivité. Néanmoins,
à partir de plusieurs milliers d’entretiens, il évalue l’impact des seules « solutions Internet » à
un gain de croissance de 0,43% par an aux Etats-Unis, jusqu’en 20103.
L’évolution des pratiques touche toutes les fonctions de l’entreprise :
• La gestion des approvisionnements, des achats et des stocks : les communications avec
les fournisseurs se font de plus en plus sous forme électronique, ce qui permet une
mise en concurrence plus efficace et une certaine automatisation du processus d’achat.
• L’amélioration de la coopération avec les sous-traitants : le haut débit permet la mise
en commun d’informations et d’outils (plans, modèles, maquettes, simulations…)
permettant une meilleure collaboration lors de la conception d’un produit. Les grands
industriels tels que Renault et Airbus imposent de façon quasi systématique à leurs
sous-traitants de disposer du haut débit.
• La gestion des ressources humaines : les applications basées sur le haut débit et
permettant l’amélioration de la coordination des activités et des relations de travail se
multiplient, ce qui est particulièrement utile pour les entreprises multisites
(visioconférence, accès à la documentation technique, etc.).
• Le marketing et le suivi du client : pour le grand public, il s’agit de la dimension la
plus visible des nouveaux usages du haut débit par l’entreprise. Les catalogues en
ligne et les sites de commerce électronique se multiplient. La maintenance et le service
après-vente se font également de plus en plus par Internet.
Même dans les très petites entreprises, l’utilisation du haut débit se développe, avec souvent
comme objectif principal de gagner du temps : courrier électronique, téléchargement de
fichiers, formalités administratives en ligne sont autant de moyens d’économiser des minutes
voire des heures précieuses pour un petit entrepreneur.
Toutes ces généralités ne doivent cependant pas cacher qu’il existe une segmentation très
forte des usages des TIC par les entreprises suivant leur secteur d’activité. Ainsi, les
entreprises du secteur des TIC (i.e. qui les utilisent pour leur offre de services) doivent se
maintenir à la pointe de la technologie en matière de haut débit pour rester concurrentielles.
Les entreprises dont l’information constituent la matière première (banques, média, édition,
3
The Net Impact Study, projection des bénéfices économiques de l’Internet aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en
Allemagne et en France, sous la direction de Hal Varian, janvier 2002, http://www.netimpactstudy.com
8
impression…) font un usage constant et très consommateur de bande passante du haut débit.
Elles cherchent à augmenter leurs performances sans forcément entrer dans le débat
technique. Enfin, les secteurs plus traditionnels peuvent avoir des besoins intensifs mais
ponctuels (échange de fichiers lourds), ou au contraire modérés mais continus (coordination
de la chaîne de production). Cette segmentation des usages se traduit par une hétérogénéité
des débits nécessaires aux PME qui a été confirmée par une étude de l’Idate4.
1.2.2.
…et une notion délicate à définir
Le haut débit n’a donc pas la même signification pour chacun selon les usages qu’il en fait.
Que signifie donc le terme haut débit ? Peut-on en donner une définition absolue ? Nous
avons rencontré au fil de nos lectures plusieurs définitions. Le seul point sur lequel elles se
rejoignaient était le fait qu’une connexion haut débit doit être permanente (contrairement, par
exemple, à la connexion Internet par le réseau téléphonique commuté). Par contre, sur le débit
à proprement parler, des divergences existent.
L’ARCEP, dans ses analyses de marché, adopte la convention d’un débit supérieur ou égal à
128 kbit/s. Mais de nombreux acteurs préfèrent utiliser la limite basse de 512 kbit/s, voire 2
Mbit/s comme c’était le cas dans le document du Comité Interministériel d’Aménagement du
Territoire de juillet 2001.
Le débat « débit montant versus débit descendant » est un autre point d’achoppement de la
définition du haut débit, encore peu sensible sur le marché résidentiel car les usages des
particuliers nécessitent un débit montant modeste (ce qui pourrait être remis en cause par un
éventuel développement de nouveaux usages comme le peer-to-peer légal ou la visiophonie).
Il est par contre primordial pour le marché des professionnels qui exigent souvent des débits
symétriques.
Cette question de la définition du haut débit, loin d’être anecdotique, montre que, comme pour
toute technologie caractérisée par un rythme d’innovation soutenue, il existe deux
philosophies pour aborder la problématique du haut débit. La première consiste à se demander
quels sont les besoins de la population et des entreprises en bande passante, à définir le haut
débit sur la base des ces besoins, puis à se donner les moyens de fournir la bande passante
prédéfinie. La seconde part du principe que la technologie crée les usages et qu’il n’y a donc
aucun intérêt à se poser la question de la définition du haut débit préalablement à l’action. Ces
deux approches débouchent sur des politiques très différentes. La première cherchera à
amener dans les zones délaissées par l’innovation technologique les moyens de réaliser ce que
la société considère, en observant les zones privilégiées, comme les possibilités du haut débit.
Concomitamment, les progrès technologiques continueront à leur rythme dans les zones
denses où les opérateurs investissent spontanément, faisant naître de nouveaux usages qui
paraîtront bientôt indispensables à tous, remettant ainsi en cause les investissements
difficilement engagés pour mettre à niveau le reste du territoire. On le voit, cette approche ne
permet malheureusement pas de résorber à court terme la fracture numérique. La seconde
approche, plus volontariste, aura comme objectif de déployer des infrastructures beaucoup
plus pérennes et évolutives, qui peuvent sembler surdimensionnées sur le moment mais
permettront d’absorber l’augmentation des besoins en débit qui semble être sur une pente
exponentielle. Ce raisonnement très théorique ne doit cependant pas cacher les difficultés
économiques auxquelles se confrontera forcément toute politique du deuxième type.
4
Idate, enquête PME/TPE : besoins en télécommunications à l’heure d’Internet et des hauts débits.
9
Mais avant de continuer à explorer les buts de l‘aménagement numérique du territoire, il
convient de présenter les technologies qui le sous-tendent.
1.3.
L’architecture d’un réseau haut débit
L’architecture des réseaux est héritée du type spécifique de données qu’ils étaient destinés à
transporter :
• la voix pour le réseau téléphonique, avec la contrainte de pouvoir mettre en relation
deux interlocuteurs quelconques,
• les contenus audiovisuels pour les réseaux de diffusion hertziens, avec pour objectif de
desservir un grand nombre d’usagers depuis un point unique (« broadcast »),
• les données pour les premiers réseaux informatiques locaux.
Cependant, deux révolutions sont venues bouleverser ces schémas historiques : la
convergence numérique qui permet de faire voyager n’importe quelle information sous forme
de 0 et de 1, et le protocole IP, le langage universel d’Internet permettant à tous les réseaux de
s’interconnecter indépendamment de leur usage initial.
On peut distinguer au sein d’un réseau de télécommunications trois niveaux d’infrastructures
qui concentrent de plus en plus les flux de données, à la manière du réseau routier :
• les réseaux de desserte (les rues et chemins communaux) qui sont organisés en étoile
autour de points de concentration et qui permettent l’accès à l’usager final,
• les réseaux de collecte (routes départementales) qui effectuent une première
concentration des flux en provenance ou à destination des réseaux de desserte,
• enfin, les backbones (autoroutes) chargés de véhiculer l’information à l’échelle
nationale jusqu’aux GIX (Global Internet eXchange), nœuds d’interconnexion
internationaux des réseaux.
Initialement (à l’époque du développement du Réseau Téléphonique Commuté), les réseaux
de collecte et les backbones (le « cœur de réseau ») étaient constitués de conducteurs
électriques. Mais ceux-ci étant peu adaptés à la transmission de gros volumes de données sur
de grandes distances, ils ont rapidement été supplantés par la fibre optique, qui est
actuellement le support offrant le débit d’information le plus important (jusqu’à 10 Gbit/s
pour les systèmes opérationnels et 40 Gbit/s en laboratoire) et le restera probablement pour au
moins quelques décennies. Moyennant une régénération du signal optique toutes les quelques
dizaines à centaines de kilomètres, celui-ci peut être transporté sans dégradation sur des
distances qui n’ont elles non plus pratiquement pas de limites, et n’est confronté à aucune
perturbation climatique ou électromagnétique. On peut enfin multiplexer les longueurs
d’onde, c’est-à-dire en faire passer plusieurs dans une même fibre, démultipliant ainsi sa
capacité.
En complément de la fibre optique (lorsque la topologie du terrain ne se prête pas à son
déploiement), il est possible pour constituer un tronçon du réseau de collecte d’avoir recours à
des faisceaux hertziens ou lasers qui permettent d’atteindre des débits compris entre 150 et
200 Mbit/s. Les équipements sont faciles à installer mais par contre la transmission par laser
est très sensible aux conditions météorologiques et celle par faisceaux hertziens, du fait même
qu’elle utilise une ressource rare (les fréquences hertziennes), est limitée en termes
d’évolution des débits.
On estime que le réseau collecte de France Télécom fait environ 100 000 km, alors que ceux
des opérateurs alternatifs (principalement Neuf et Cegetel) font entre 10 000 et 20 000 km.
10
1.4.
Les technologies d’accès haut débit
Réseau de desserte ou d’accès, boucle locale, « dernier kilomètre », la multiplicité des termes
pour désigner la partie finale des réseaux de télécommunications prouve bien qu’elle est
l’enjeu majeur du haut débit. Maîtriser la boucle locale revient à maîtriser le client, et cette
maîtrise permet de réduire ses coûts et de différencier ses services.
L’éventail des technologies permettant de desservir un point en haut débit s’est
considérablement élargi ces dernières années, preuve que les opérateurs cherchent à
s’affranchir du contrôle de l’opérateur historique sur la principale boucle locale, la paire de
cuivre téléphonique, support physique du DSL, technologie qui en France domine le marché
de façon écrasante. Viennent ensuite le câble, la fibre optique, les accès hertziens fixes
(satellite, BLR) ou mobiles (Wi-Fi, WiMAX) et enfin les courants porteurs en ligne (CPL). Le
tableau 1.1 montre la répartition des accès en France au 31 décembre 20045. Etant donnée
l’importance de la boucle locale dans le débat qui nous occupe, nous détaillons maintenant les
caractéristiques de ces différentes technologies.
Nombre d’accès
haut débit
Pourcentage des accès
haut débit
Progression
En 2004
DSL
Câble
6 072 700
454 000
93 %
7%
+ 91,4 %
+ 15,3 %
Tableau 1.1 – Répartition des accès haut débit en France selon la technologie employée fin
2004 (source ARCEP). Le nombre d’accès par les autres technologies (satellite, BLR, fibre
optique…) est difficile à évaluer et doit certainement être compris entre 5 000 et 10 000.
1.4.1.
Le DSL (Digital Subscriber Line)
Cette technologie utilise comme vecteur d’accès la paire de cuivre du réseau téléphonique
commuté, dont elle utilise les fréquences hautes pour transmettre le signal (alors que la
téléphonie classique utilise les fréquences basses de cette même paire de cuivre). Elle se
décline en ADSL (Asymmetrical DSL), SDSL (Symmetrical DSL), voire HDSL (High Bit
Rate DSL), VDSL (Very High Bit Rate DSL) ou ADSL 2+. Pour être mis en œuvre, le DSL
nécessite d’équiper les NRA (Nœud de Raccordement Abonné, également appelé répartiteur),
c’est à dire le premier point de convergence des paires de cuivre, d’un DSLAM (DSL Acces
Multiplexer) qui comme son nom l’indique permet de multiplexer plusieurs flux DSL pour les
faire circuler ensuite sur les réseaux de collecte longue distance. Les débits permis par le DSL
sont fortement dépendants de l’éloignement de l’utilisateur au répartiteur, la technologie
n’étant plus utilisable au-delà d’une certaine distance. Ainsi, l’ADSL permet un débit de 8
Mbit/s descendant et 640 kbit/s montant pour une ligne de moins de 2 km mais n’est plus
utilisable au-delà de 5 km environ. Le VDSL permet d’atteindre 50 Mbit/s pour une distance
inférieure à 500 mètres. La préexistence de la boucle locale cuivre du réseau téléphonique
ordinaire explique en partie la prédominance de cette technologie sur le marché français (mais
également mondial) du haut débit.
5
Chiffres de l’Observatoire du Marché de l’Internet publiés sur le site de l’ARCEP
11
1.4.2.
Le câble
Déployé au début des années 80 lors du Plan Câble, le réseau câblé de France comporte
quelques 8,8 millions de prises commercialisables. La numérisation du réseau, qui a nécessité
de lourds investissements, a mis à niveau 6,3 millions d’entre elles pour le haut débit, ce qui
correspond à environ 25 % des foyers français. Le câble a été chronologiquement le premier
moyen d’accès haut débit commercialisé en France en 1998, alors que le lancement du DSL
n’a eu lieu qu’en 1999. Sa progression n’a cependant pas été aussi fulgurante que celle du
DSL, si bien qu’il se retrouve loin derrière celui-ci en terme de nombre de lignes haut débit.
Ce constat est très différent de celui que l’on peut faire aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni,
où le câble représente près de la moitié des accès haut débit.
La particularité de la France (qu’elle partage avec l’Allemagne) est que l’opérateur historique
occupe une place de poids dans le câble : France Télécom est ainsi second actionnaire du
premier câblo-opérateur Noos, et possède 70 % des lignes utilisées par NC Numéricâble, sans
compter son contrôle total sur France Télécom Câble. Ce relatif « échec » du câble en France
peut donc s’analyser en partie par la volonté délibérée de France Télécom de ne pas
concurrencer sa boucle locale cuivre par la boucle locale alternative que constitue le câble.
Une autre cause du faible développement du haut débit par le câble est que cette technologie
n’avait que quelques mois d’avance sur le DSL en France, alors qu’elle a été lancée plusieurs
années avant le DSL aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.
1.4.3.
La fibre optique
Comme nous l’avons vu dans le paragraphe 1.3, la fibre optique est véritablement le moyen
de transport « rêvé » pour l’information haut débit. Son utilisation comme moyen de desserte
permet d’envisager des débits allant sans peine jusqu’au Gbit/s. Cependant, son déploiement
entraîne des coûts élevés dus aux importants travaux de génie civil nécessaires. C’est
pourquoi son emploi en tant que boucle locale (appelé FTTH, Fiber To The Home, lorsque la
fibre est acheminée jusqu’au domicile, ou FTTB, Fiber To The Building, pour la version
faible où la fibre atteint le local technique d’un bâtiment collectif) reste encore marginal et
réservé aux grandes entreprises. D’autre part, son usage à l’intérieur même d’un bâtiment peut
être délicat car la fibre casse lorsqu’elle est trop courbée. Rappelons qu’elle constitue par
contre la très grande majorité des réseaux de collecte locaux, nationaux et internationaux.
1.4.4.
Les technologies hertziennes
On regroupe sous le terme de technologies hertziennes toutes les technologies sans fil utilisant
les ondes hertziennes pour propager l’information. Elles ont toutes pour point commun leur
facilité de déploiement. On distingue :
• Le satellite
La desserte par satellite possède l’avantage d’offrir une couverture totale, à de rares
exceptions près. Même si elle ne nécessite que l’installation d’une parabole, les tarifs élevés
pratiqués par les opérateurs satellite réservent cette technologie aux entreprises situées en
zone isolée. Les débits peuvent atteindre 2 Mbit/s (débit descendant) et 320 kbit/s (débit
montant) pour une liaison bidirectionnelle et 8 Mbit/s pour une liaison unidirectionnelle, le
flux montant étant alors transmis par une liaison filaire.
12
• La boucle locale radio (BLR) et le WiMAX
La BLR est une technologie hertzienne permettant de desservir une zone d’environ 5 à 10 km
autour d’une station de base. Deux fréquences sont utilisables, 3,5 Ghz et 26 Ghz. La BLR
fonctionne en mode point-multipoint, (chaque station dessert plusieurs abonnés à la fois), si
bien que le débit est partagé entre les utilisateurs. Son principal inconvénient est que
l’équipement de réception doit être en ligne de vue directe avec la station de base,
particulièrement pour la fréquence 26 Ghz, ce qui peut rapidement être un frein à son
déploiement. L’activité d’opérateur BLR est soumise à autorisation par l’ARCEP.
Le WiMAX est la nouvelle génération de la technologie BLR. Il est actuellement en cours de
normalisation et devrait supplanter la BLR dans la bande licenciée des 3,5 Ghz. En effet, sa
zone de couverture est plus étendue (jusqu’à 50 km) et sa qualité de service supérieure. Son
débit théorique par station de base est plus élevé que celui des technologies BLR antérieures.
Cette technologie permet une mobilité totale de l’utilisateur dans le rayon d’émission d’une
station donnée.
• Le Wi-Fi
Cette technologie est assez similaire à la BLR, la principale différence résidant dans la
puissance des stations de base, bien moindre dans le cas du Wi-Fi, si bien que sa portée est
limitée à quelques centaines de mètres. De nouveaux équipements dont la portée atteint
quelques kilomètres à vue et environ 1 kilomètre en terrain accidenté commencent à
apparaître. En contrepartie de cette couverture réduite, le Wi-Fi présente l’avantage de ne pas
exiger de licence opérateur mais simplement une déclaration d’usage à l’ARCEP.
Contrairement à la BLR qui est une technologie directionnelle (le point de réception doit
rester fixe), le Wi-Fi autorise le déplacement dans une même cellule du poste connecté si bien
qu’il est particulièrement bien adapté à la desserte de bâtiments avec des débits tout à fait
respectables (une dizaine de Mbit/s pour la fréquence de 2,4 Ghz et jusqu’à 54 Mbit/s pour la
fréquence 5,5 Ghz, à partager entre les utilisateurs). De nombreuses expérimentations ont été
menées pour desservir des zones rurales peu étendues (petit village…) et des milliers de lieux
publics fréquentés (cafés, aéroports…), les hotspots, ont été équipés.
1.4.5.
Les courants porteurs en ligne
La technologie des courants porteurs en ligne permet de faire circuler l’information le long
des lignes électriques moyenne et basse tension en superposant des signaux à haute fréquence
aux fréquences basses du courant alternatif. Cette technologie nécessite uniquement
l’installation d’un modem au niveau du transformateur ainsi qu’un équipement adéquat à
brancher à une prise électrique pour récupérer les signaux. Elle n’exige pas le déploiement
d’une nouvelle boucle locale. En amont du transformateur, les données sont collectées via des
moyens classiques (câble, fibre optique, etc.). Le CPL permet d’atteindre des débits de 4 à 45
Mbit/s. Comme pour les technologies hertziennes, ce débit est en partage de charge entre les
différents utilisateurs d’un même modem. Le CPL est déjà couramment utilisé pour partager
une connexion haut débit locale dans un bâtiment (entreprise, établissement scolaire…), par
contre son utilisation en « outdoor » est encore en phase d’expérimentation.
13
1.5.
Etat des lieux des disparités du marché du haut débit professionnel
1.5.1.
Présentation du marché du haut débit aux entreprises
Les disparités en matière de haut débit se situent à deux niveaux. Le premier concerne les
inégalités devant les infrastructures : quelles sont les technologies disponibles pour desservir
un point et combien y a-t-il d’opérateurs susceptibles de répondre à la demande ? Ces
disparités se traduisent à un second niveau, celui des services et des tarifs. Sur le marché
résidentiel, aisé à observer et à mesurer, on constate une influence très nette de l’intensité
concurrentielle sur les services et les tarifs : les prix sont sensiblement plus faibles, pour des
débits plus élevés, en zone concurrentielle, et les services proposés (comme la télévision sur
ADSL ou la voix sur IP), que ce soit par l’opérateur historique ou les opérateurs alternatifs,
sont plus innovants.
Le marché professionnel a un fonctionnement beaucoup plus complexe. Tout d’abord, les
offres sont incomparablement plus diversifiées. Là où les particuliers n’ont le choix qu’entre
deux offres ADSL par opérateur tout au plus, les entreprises se voient proposer de multiples
gammes de produits destinées à répondre à leurs besoins spécifiques. Sur le marché du DSL
en particulier, l’offre s’élargit vers les débits garantis (pour les offres grand public le débit
annoncé est toujours un débit maximal) et les débits symétriques grâce au SDSL qui permet
des débits montants et descendants jusqu’à 4 Mbit/s. Un débit montant élevé et garanti est une
nécessité pour de nombreuses activités comme la vente en ligne ou plus simplement
l’interconnexion de sites. Auparavant, les entreprises qui souhaitaient bénéficier de ce type
d’accès devaient passer par une liaison louée (souvent fournie par France Télécom), qui se
définit comme une liaison permanente (par opposition à commutée) constituée par un ou
plusieurs tronçons du réseau ouvert au public et réservée à l’usage exclusif d’un utilisateur. Le
débit d’une liaison louée est variable, de 64 kbit/s à 155 Mbit/s. Ces liaisons louées étant très
onéreuses, on assiste actuellement à une migration des accès par liaison louée vers des accès
SDSL, structurellement moins chers. Lorsque les débits offerts par le SDSL ne suffisent plus,
les entreprises situées dans les grands centres d’activités peuvent éviter d’avoir recours à une
liaison louée en utilisant une boucle locale optique. Outre France Télécom qui dispose du plus
gros réseau d’accès optique, les deux principaux acteurs alternatifs de ce marché sont Colt et
Completel, qui ont déployé des MAN (Metropolitan Area Network) près des zones à forte
concentration d’entreprises consommatrices de télécommunications.
D’après les opérateurs interrogés, une autre caractéristique distingue le marché professionnel
du marché résidentiel : la véritable différenciation entre acteurs du marché du haut débit aux
entreprises se fait sur la qualité de service et les prestations additionnelles plus que sur les
tarifs et les débits. Les opérateurs proposent ainsi des Garanties de Temps de Rétablissement
(GTR) assorties de pénalités, un pare-feu, un antivirus, un nom de domaine, un service
d’hébergement web ou d’analyse de flux, etc. Les entreprises multisites sont également très
demandeuses de l’établissement d’un VPN (Virtual Private Network). De manière générale,
lorsqu’une entreprise ne dispose pas de compétences pour gérer son réseau en interne (ce qui
est le cas de la plupart d’entre elles), elles sont très demandeuses de solutions « clé en main ».
Les services peuvent alors représenter jusqu’à 50 % de la facture du client. D’autre part,
certains contrats peuvent porter à la fois sur des fournitures d’accès haut débit, des services
réseaux divers, mais également d’autres services de télécommunication, comme des
14
abonnements de téléphonie mobile. De tels opérateurs multiservices peuvent alors plus
facilement se différencier de leurs concurrents.
La complexité inhérente au marché professionnel du haut débit accentue les clivages entre
zones concurrentielles et zones de monopole. En effet, les opérateurs souhaitant asseoir leur
crédibilité technique (l’image de marque étant primordiale pour les professionnels), ils
hésiteront à proposer des offres dans les endroits où ils ne maîtrisent pas parfaitement la
prestation. Par conséquent, les offres les plus techniquement innovantes sont souvent absentes
des zones grises. De plus, un abonnement haut débit professionnel résulte souvent d’un appel
d’offre. Les opérateurs n’ont pas de logique de péréquation tarifaire à l’échelle nationale pour
le marché entreprises, si bien qu’un opérateur étant le seul à pouvoir répondre à un appel
d’offre aura naturellement tendance à augmenter sa marge. On le voit, l’impact des inégalités
en matière de disponibilités des technologies et de présence des opérateurs sur les services et
tarifs proposés aux professionnels est considérablement amplifié par rapport au marché
résidentiel. Nous présentons maintenant ces disparités géographiques.
1.5.2.
La partition du territoire
Si l’on considère la situation des territoires vis-à-vis des trois technologies d’accès
aujourd’hui éprouvées, à savoir le DSL, le câble et la BLR, (on exclue le satellite, technologie
devant laquelle les territoires sont tous égaux), on peut distinguer trois zones :
• Les zones blanches, pour lesquelles aucun opérateur n’est susceptible de fournir un
accès haut débit. Seules certaines technologies précises, notamment le satellite,
permettent de desservir ces zones.
• Les zones grises, où seul un opérateur est présent.
• Les zones concurrentielles (ou « noires »), où au moins deux opérateurs sont présents
et se concurrencent.
Etant donnée son écrasante suprématie, le DSL dicte à de rares exceptions près la géographie
des zones blanches, noires et grises. Ainsi, on désigne souvent par :
• Zones blanches, les zones pour lesquelles le DSL n’est pas disponible, soit parce que
les NRA ne sont pas équipés en DSLAM, soit parce qu’elles sont trop éloignées du
répartiteur pour être éligibles à cette technologie (le signal DSL s’affaiblit très
rapidement avec la distance, si bien qu’en moyenne un usager doit se trouver à moins
de 4 km de son répartiteur pour pouvoir en bénéficier).
• Zones grises celles pour lesquelles seul le DSL fourni par France Télécom est
disponible.
• Zones noires celles disposant d’au moins une offre DSL fournie par un opérateur
alternatif grâce au dégroupage.
On peut également séparer des zones noires les zones d’activité hyper-concentrées comme la
Défense caractérisées par une très forte présence de fibre optique permettant de desservir les
bâtiments en très haut débit.
A l’échelle nationale, le territoire s’est élevé très rapidement dans cette hiérarchie comme le
montre le tableau 1.2 et devrait continuer à le faire. Ainsi, France Télécom s’est engagé à
équiper tous les répartiteurs en DSLAM d’ici 2007, si bien que la zone blanche résiduelle
(estimée à environ 2 % de la population) sera due à un éloignement trop important des
abonnés potentiels à leur répartiteur. Néanmoins, ce problème pourrait s’avérer sensible en ce
qui concerne les nombreuses zones d’activité isolées qui, construites à l’écart des centres-
15
villes, se retrouvent de fait trop loin du répartiteur. Nous verrons par la suite quelles sont les
solutions susceptibles de résoudre ce problème de taille.
Par contre, concernant l’extension des zones grises, il semble que l’on atteigne aujourd’hui la
branche asymptotique de la capacité d’investissement des opérateurs alternatifs. Ce point sera
détaillé dans la partie consacrée au dégroupage.
Aucune
Disponibilité
Uniquement
FT
FT et
dégroupage
Fin 2006
(estimations
ARCEP)
Fin 2002
Fin 2003
Fin 2004
Fin 2005
(estimations
ARCEP)
37,9 %
24,7 %
10 %
4%
2%
48,1 %
50,7 %
45 %
41 %
38 %
14 %
24,6 %
45 %
55 %
60 %
Tableau 1.2 – Evolution de la disponibilité du DSL (source ORTEL). Les chiffres représentent
le pourcentage de la population concernée. Le pourcentage d’entreprises couvertes par le
DSL France Télécom ou le dégroupage est en général légèrement plus élevé.
1.6.
Les buts de l’aménagement numérique du territoire
La partition du pays en zones inégales devant l’accès aux infrastructures haut débit pose
évidemment un problème d’aménagement du territoire. Pour le résoudre, on ne peut se
contenter d’affirmer qu’il est nécessaire d’apporter le haut débit partout sur le territoire pour
l’année 2007. Le haut débit n’est en effet pas une fin en soi, et il faut au contraire comprendre
ce qu’il peut apporter au développement local.
De plus en plus d’études tentent de mesurer l’impact de la situation d’un territoire vis-à-vis du
haut débit sur les décisions d’implantation des entreprises. Il est évidemment très difficile de
quantifier l’impact d’un seul critère sur la localisation géographique d’une entreprise
particulière, et a fortiori sur celle des entreprises en général. D’après une étude menée par
l’ORTEL6, plus d’un tiers des PME juge la disponibilité du haut débit comme un critère
prioritaire d’éligibilité lors d’une localisation géographique. Une autre étude menée par
l’institut Ipsos7 montre que les entreprises européennes placent les infrastructures de
télécommunications au 5ème rang des critères d’implantation, derrière la proximité des clients,
la présence d’une main-d’œuvre qualifiée, la sécurité de l’environnement politique,
économique et social, et enfin les infrastructures de transport. Corollairement, le haut débit est
de plus en plus considéré par les élus locaux comme un enjeu vital de compétitivité de leur
territoire. On peut en fait avoir deux visions (souvent complémentaires) de l’aménagement
numérique du territoire :
• Il peut s’agir, partant du constat que les zones blanches ou grises vont souffrir d’un
ralentissement de leur croissance si elles ne disposent pas rapidement d’offres haut
débit compétitives, d’agir pour faire apparaître ces offres. Sans quoi, on ne pourra
éviter que certaines entreprises préalablement implantées ne déménagent pour
6
7
ORTEL édition 2003, volet PME.
http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/images/1589/diaporama.htm
16
répondre aux nouveaux besoins que font naître les TIC ou que la zone ne perde
l’attractivité qu’elle possédait du fait de certaines caractéristiques propres (réseau
routier, proximité frontalière, main d’œuvre spécifique…).
• On peut également avoir une approche plus volontariste des enjeux du haut débit et
considérer que c’est un moyen d’attirer de nouvelles activités qui n’étaient pas
traditionnellement présentes en se démarquant par un réseau et des offres de services
haut débit de haute qualité. On peut ainsi espérer voir se développer les secteurs
fondant leur activité sur ces services, comme les ASP (Application Service Provider,
entreprise organisant une application gérée de façon centrale), les hébergeurs de sites
web, la télémaintenance informatique, les centres d’appel… On peut s’attendre à ce
que le développement de ces nouvelles activités soit accompagné d’externalités
positives (création d’emplois et d’activités périphériques) qui peuvent redynamiser le
tissu économique de la zone.
Ces deux démarches se complètent et un même territoire devra souvent les mener de front
pour tirer tous les bénéfices de l’aménagement numérique de son espace.
Il est en tous cas important de veiller à répondre de façon proportionnée à la demande des
entreprises, actuellement en évolution rapide, en anticipant les futurs usages et besoins qui en
découlent en matière non seulement de débit mais également de possibilités de la technologie
d’accès (nomadisme, etc.). Bien plus que pour les particuliers, pour lesquels le haut débit peut
parfois apparaître comme un certain « luxe », la question de la disponibilité d’offres
techniquement performantes au meilleur prix est susceptible d’engager la compétitivité et à
terme la survie des entreprises. En ce sens, on ne peut éluder la question du très haut débit et
de la desserte par fibre optique, qui porte en elle le germe d’une nouvelle fracture numérique :
ne risque-t-on pas, en sous-évaluant le caractère indispensable de certains usages très
gourmands en bande passante, d’équiper certaines zones du haut débit d’aujourd’hui mais du
bas débit de demain ?
Les deux parties qui vont suivre ont pour but d’analyser comment les deux principaux acteurs
de l’aménagement numérique du territoire, la régulation sectorielle et les collectivités locales,
peuvent participer à la réalisation des objectifs que nous avons esquissés ici.
17
2. La régulation sectorielle a-t-elle les moyens de réussir
l’aménagement numérique du territoire ?
2.1.
Les acteurs du haut débit
Pour bien comprendre les enjeux de la régulation des marchés du haut débit, il est nécessaire
de préciser quels sont ses acteurs et de décrire la chaîne de création de valeur. On distingue
tout d’abord les fournisseurs d’accès Internet (FAI) des opérateurs de réseaux. Tandis que les
seconds possèdent et gèrent une infrastructure de télécommunications, les premiers se
contentent de fournir des services aux utilisateurs finals en se basant sur des offres de gros des
opérateurs de réseaux. Les FAI sur le marché professionnel du haut débit sont Claranet,
Nerim, MagicOnLine, Tiscali et Celeste. Ces acteurs ne se partagent qu’une part très faible
(de l’ordre de 1%) du marché du haut débit aux entreprises. Les opérateurs de réseaux sont au
nombre de six : France Télécom, Neuf (via sa filiale LDCom), Cegetel (via sa filiale TD),
Colt, Completel et Telecom Italia France, ce dernier ayant un réseau très peu développé.
Neuf et Cegetel ont récemment annoncé leur fusion. Nous présentons maintenant brièvement
les positions de chacun de ces opérateurs :
• France Télécom, en tant qu’opérateur historique, dispose d’une infrastructure
extrêmement dense et possède des fourreaux et des fibres optiques qui parcourent
l’ensemble du territoire. C’est le seul opérateur disposant d’un réseau de collecte dans
tous les départements hérité du réseau téléphonique commuté. Il s’est progressivement
modernisé pour répondre aux besoins du haut débit. Mais c’est surtout lui qui possède
le monopole de la boucle locale sur paire de cuivre, le dernier kilomètre stratégique du
réseau qui permet l’accès à quasiment tous les foyers de France.
• Cegetel a été le premier opérateur alternatif à déployer un réseau de collecte national
en utilisant le tracé des voies ferrées de la SNCF. D’énormes investissements ont été
consentis qui ont fortement pesé sur la santé financière de Cegetel lors de l’éclatement
de la bulle Internet en 2000.
• Neuf possède également un réseau de collecte nationale conséquent, mais a moins
souffert sous le poids des énormes dépenses engagées que Cegetel, notamment grâce à
la revente de « fibre noire » à ses clients opérateurs (Free par exemple).
• Colt et Completel sont deux acteurs atypiques dont la stratégie est plus proche de celle
d’opérateurs anglo-saxons. Contrairement aux trois autres opérateurs, ils visent
exclusivement la clientèle professionnelle. Colt possède des liens transnationaux et
base la plupart de ses offres sur le dégroupage total dans les grands centres d’affaires.
Completel ne possède aucun lien grande distance mais des réseaux de fibres optique
locaux au niveau des grandes agglomérations lui permettant d’atteindre une clientèle
plus étendue que Colt, qu’elle relie à son réseau principalement par boucle locale
optique.
Ainsi, France Télécom est le seul opérateur disposant de l’infrastructure complète permettant
de raccorder un abonné en DSL. Les autres opérateurs doivent nécessairement passer par des
offres de gros de l’opérateur historique ou passer par d’autres technologies. On peut
distinguer trois types d’offres de gros selon le niveau de capillarité nécessaire pour l’opérateur
alternatif pour pouvoir en bénéficier :
• Si le réseau de l’opérateur alternatif est suffisamment capillaire pour que la fibre
optique parvienne jusqu’au NRA, l’opérateur aura recours au dégroupage : il installe
19
•
•
ses équipements actifs (DSLAM) dans le répartiteur et en contrepartie de l’utilisation
de la paire de cuivre s’acquitte auprès de France Télécom du tarif du dégroupage
calculé par le régulateur sur la base des coûts supportés par l’opérateur historique. Il
faut distinguer le dégroupage partiel lors duquel le service téléphonique (utilisant les
fréquences basses de la paire de cuivre) reste assuré par le réseau de France Télécom
du dégroupage total dans le cas duquel l’abonné n’est plus relié qu’au réseau de
l’opérateur alternatif.
Lorsque le réseau de l’opérateur alternatif n’est pas suffisamment capillaire pour
parvenir jusqu’au répartiteur, il a recours à l’offre de gros livrée au niveau régional :
France Télécom assure alors l’accès et la collecte des flux jusqu’à un point de
présence de l’opérateur client. Cette offre se décline en bitstream ATM ou bitstream
IP selon le protocole de livraison des données. Pour le bitstream ATM, l’offre
correspondant à un usage résidentiel se nomme ADSL Connect ATM (ACA), celle
destinée à un usage professionnel est TurboDSL.
Enfin, les FAI ne possédant pas de réseau peuvent utiliser l’offre de gros livrée au
niveau national, en un point de livraison unique à Paris. Le FAI assure ensuite le
transfert des données vers le réseau Internet et la fourniture de services.
2.2.
La régulation actuelle
Le cadre juridique de la régulation des télécommunications, qui était régi jusqu’en 2004 par la
Loi de Réglementation des Télécommunications du 26 juillet 1996, vient de subir une refonte
résultant de la transposition en droit français du « paquet Télécom », soit quatre directives
européennes du 7 juillet 2002 (cadre, autorisation, accès et service universel). La loi
résultante, (Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication
audiovisuelle du 9 juillet 2004) met en place une régulation basée sur les principes et
méthodes du droit commun de la concurrence, dont l’outil principal est l’analyse de marché.
L’ARCEP est chargée de conduire les analyses à partir de 18 marchés prédéfinis par la
Commission Européenne. Sur la base de ces analyses, le régulateur désigne les opérateurs
jugés puissants et détermine les obligations imposées à ceux-ci. Le Conseil de la Concurrence
est chargé de fournir un avis consultatif sur les décisions de l’ARCEP, qui sont contrôlées par
la Commission Européenne.
Concernant le haut débit, l’ARCEP a analysé quatre marchés : le marché de détail, le marché
de gros de la boucle locale, et les marchés de gros d’accès livrés au niveau régional et
national. Conformément aux recommandations de la Commission qui préconise d’agir en
priorité sur les marchés de gros, l’ARCEP a conclut que le marché de détail du haut débit ne
nécessitait pas de régulation (il n’en avait d’ailleurs pas fait l’objet entre 2000 et 2004 dans
l’ancien cadre réglementaire). Le processus d’analyse du marché de gros des accès livrés au
niveau national n’est pas encore arrivé à terme. L’ARCEP propose de maintenir un dispositif
de régulation allégé, en levant l'actuel contrôle tarifaire a priori.
Les deux marchés restants (dégroupage et marché de gros des accès livrés au niveau régional)
étaient déjà régulés dans l’ancien cadre, de deux manières différentes. En effet, l’importance
stratégique du marché de gros de la boucle locale justifiait un cadre réglementaire particulier
mis en place par le règlement européen 2887/2000, qui reste d’ailleurs toujours en vigueur car
il n’a pas été modifié ni abrogé par le nouveau cadre communautaire des communications
électroniques. L’ARCEP peut ainsi réguler ce marché de gros ex ante, c'est-à-dire que les
évolutions des prix de location de la paire de cuivre sont fixés par le régulateur sur la base
20
d’une analyse des coûts supportés par France Télécom. Pour le marché de gros des accès
livrés au niveau régional, l’ARCEP ne disposait que d’un pouvoir d’homologation tarifaire.
Dans le nouveau cadre réglementaire ces deux marchés sont régulés d’après l’analyse de
marché menée par l’ARCEP, dont les conclusions ont été adoptées récemment8. Nous allons
voir maintenant quelles sont les conséquences de ces deux régulations sur l’extension
géographique du haut débit.
2.3.
L’avenir du dégroupage
2.3.1.
Le dégroupage, moyen privilégié de concurrencer l’opérateur
historique
La boucle locale cuivre, déployée dans les années 70 par France Télécom, dessert l’ensemble
du territoire français via trente millions de lignes. Cette infrastructure essentielle (i.e. une
infrastructure sans laquelle les concurrents de l’opérateur qui en est propriétaire ne peuvent
fournir de services aux clients finals) est non réplicable dans des conditions économiquement
raisonnables. Elle représente en effet de l’ordre de 500 000 km d’artères de génie civil, 18
millions de poteaux, et 110 millions de kilomètres de paires de câble. L’ARCEP estime son
coût de reconstruction à neuf à 28 milliards d’euros. C’est pourquoi le dégroupage, qui permet
aux opérateurs alternatifs d’accéder à la paire de cuivre, constitue la pierre angulaire de
l’action de l’ARCEP pour l’ouverture du marché du haut débit à la concurrence. Cette offre
permet à un opérateur de s’affranchir totalement de France Télécom et de maîtriser de bout en
bout sa prestation technique. Le principe fondamental de la régulation du dégroupage est que
son tarif doit refléter les coûts supportés par l’opérateur historique, tout en permettant la
rémunération du capital immobilisé dans l’infrastructure.
Après des débuts difficiles, le dégroupage a finalement décollé en 2003 comme le montre le
graphe 2.1. Cette rapide progression du nombre de répartiteurs dégroupés, accompagnée
d’une forte percée du nombre de lignes dégroupées (2 millions en avril 2005) a permis aux
opérateurs de réduire les prix qu’ils pratiquaient sur le marché de détail mais également de
proposer des offres techniquement innovantes, comme le « triple play » pour le marché
résidentiel (accès Internet, voix sur IP et télévision par ADSL sur le même accès ADSL).
L’impact du dégroupage sur les offres professionnelles est en revanche plus difficile à cerner
car les tarifs ne sont pas publics et les fournisseurs de services ont des stratégies beaucoup
plus différenciées que pour les offres aux particuliers. Cependant, une récente étude du
Journal du Net a permis de recueillir les tarifs minimaux pratiqués par les fournisseurs d’accès
(qui les communiquent plus volontiers que les opérateurs de réseaux présents sur le marché de
détail) en zone dégroupée ou, le cas échéant, non dégroupée, pour des liaisons SDSL9. Les
graphiques 2.2 et 2.3 résument les résultats de l’enquête : pour une même offre de débit, les
tarifs des FAI sont en moyenne 30 % plus faibles en zone dégroupée qu’en zone non
dégroupée.
8
9
http://www.art-telecom.fr/communiques/communiques/2005/index-c05-27.htm
http://solutions.journaldunet.com/0502/050225_panorama_sommaire.shtml#tableau
21
Figure 2.1 – Source ARCEP
1600
tarif mensuel HT
1400
Claranet D
Claranet ND
Easynet
Nerim
MagicOnLine D
MagicOnLine ND
Tiscali
Celeste
1200
1000
800
600
400
200
0
0
500
1000
1500
2000
2500
débit symétrique garanti (kbit/s)
Figure 2.2 – Tarifs des principaux FAI en zone dégroupée (vert) et non dégroupée (bleu) pour
un accès SDSL à débit garanti.
22
600
tarifs mensuels HT
500
Claranet D
Claranet ND
Easynet ND
Nerim
MagicOnLine D
MagicOnLine ND
Tiscali
Celeste
400
300
200
100
0
0
500
1000
1500
2000
2500
débits symétriques crêtes (kbit/s)
Figure 2.3 – Tarifs des principaux FAI en zone dégroupée (vert) et non dégroupée (bleu) pour
un accès SDSL à débit garanti inférieur au débit crête (ainsi, pour un débit crête de 640
kbit/s, le débit garanti est 75 kbit/s). Les services additionnels proposés dans l’offre varient
légèrement d’un FAI à l’autre, de même que les frais de mise en service.
2.3.2.
Comment faire encore progresser le dégroupage ?
Comme le montre la figure 2.1, le dégroupage semble avoir atteint depuis début 2005 une
limite naturelle qui s’explique par son économie dominée largement par les coûts fixes et la
répartition très inhomogène de la taille des répartiteurs. Ainsi, la France compte 12 000
répartiteurs pour environ 30 millions de ligne, mais les 5 plus gros NRA comptabilisent entre
80 000 et 100 000 lignes, alors que 6 000 d’entre eux en concentrent moins de 500. A l’heure
actuelle, seulement 900 répartiteurs environ ont été dégroupés, les derniers centralisant
quelques milliers de lignes, mais ceci permet à 50 % de la population de bénéficier d’une
offre dégroupée. Schématiquement, les coûts pour un opérateur qui dégroupe un répartiteur
sont de trois sortes :
• Les coûts fixes d’équipement du NRA en technologie DSL (DSLAM…) qui sont de
l’ordre de 50 000 euros.
• Les coûts nécessaires au rapatriement des flux du répartiteur vers le réseau du
dégroupeur ; ceci peut être fait de deux façons, soit en étendant le réseau jusqu’au
répartiteur dégroupé (les frais de raccordement en fibre atteignent alors souvent
100 000 euros), soit en utilisant une offre de France Télécom, dénommée PoP-NRA,
s’apparentant à une liaison louée, et permettant de relier le répartiteur à un point de
présence (Point of Presence, PoP) de l’opérateur.
23
•
Les coûts récurrents de location de la boucle locale qui s’élèvent actuellement à 10,50
euros par ligne et par mois ainsi que ceux d’hébergement des équipements
(colocalisation, énergie, climatisation…).
Ainsi, étant donnée l’importance des coûts fixes engendrés par le dégroupage, il existe un
nombre minimal de lignes, dépendant de la pénétration du DSL et de la part de marché
potentielle de l’opérateur alternatif, en dessous duquel le dégroupage n’est plus rentable. Ceci
explique l’actuelle stagnation du nombre de sites dégroupés, ce d’autant plus que la
progression du nombre de lignes dégroupées sur les sites actuellement déjà équipés ne semble
pas se ralentir pour l’instant (ce nombre est passé de 500 000 à 2 millions entre avril 2004 et
avril 2005 de façon quasiment linéaire), si bien que les opérateurs alternatifs sont tentés de
limiter leurs investissements le temps de dégager du cash-flow sur les plus gros répartiteurs
déjà opérationnels. Face à ce constat, l’ARCEP tente d’imaginer les stratégies qui permettront
au dégroupage d’étendre encore sa zone de couverture :
• Un premier axe de travail est celui de la diminution des coûts récurrents. Une
consultation publique vient d’être lancée par l’ARCEP pour réviser le tarif de la
location de la boucle locale, jugé excessif par de nombreux opérateurs. Il est en effet
proche du tarif de l’abonnement téléphonique de France Télécom, ce qui est
manifestement incohérent car le prix du dégroupage est basé sur le coût de revient de
la seule paire de cuivre alors que celui de l’abonnement téléphonique est basé sur le
coût de revient de la totalité du réseau de l’opérateur historique. Cependant,
l’extension du dégroupage est limitée par les coûts fixes. Le prix de location de la
paire de cuivre étant un coût variable, il est peu probable que sa diminution ait un
impact déterminant (au moins à court terme) sur l’extension du dégroupage. Il est en
revanche beaucoup plus important de travailler à la diminution des coûts
d’hébergement des équipements. Des accords sont en passe d’être trouvés avec France
Télécom sur ce point.
• Un autre paramètre intervenant dans les calculs prévisionnels de rentabilité d’un
répartiteur dégroupé est évidemment la part de marché des opérateurs alternatifs.
Indépendamment des qualités techniques et commerciales intrinsèques de ces derniers,
il apparaît qu’un facteur limitant la pénétration du dégroupage est sa qualité de service
laissant encore trop à désirer. Aujourd’hui, pour un particulier comme pour un
professionnel (mais surtout pour ce dernier si le haut débit est son outil de travail), il
est très désagréable de s’exposer en cas de passage chez un opérateur dégroupé à des
problèmes de retard de livraison de la ligne par France Télécom et autres
désagréments encore trop fréquents. Il semble aujourd’hui que ces problèmes soient à
l’origine de la difficulté à percer du dégroupage total, lors duquel la continuité du
service téléphonique est souvent aléatoire. L’ARCEP tente de mettre en place des
sanctions financières envers France Télécom en cas de défaillance, afin d’augmenter
la confiance que les consommateurs placent dans le processus du dégroupage.
• Enfin, nous avons vu que la plus grande part des coûts fixes du dégroupage était due à
l’extension du réseau de l’opérateur alternatif jusqu’au répartiteur. Un moyen pour
celui-ci de s’en dispenser est d’utiliser une offre de rapatriement des flux de données
vers un de ses points de présence par France Télécom. Mais comme le soulignent de
nombreux opérateurs dégroupeurs, ces offres PoP-NRA sont peu adaptées à leurs
besoins (le débit est souvent trop faible), si bien que de nombreux petits répartiteurs
trop peu rentables pour justifier leur raccordement par fibres optiques ne sont tout
simplement pas dégroupés. Au terme de son analyse de marché, l’ARCEP a conclut
que France Télécom était tenu de fournir des offres de raccordement qui ne limitaient
24
pas la bande passante ni les services de l’opérateur dégroupeur, mais ces offres restent
à mettre en place.
2.3.3.
Le VDSL à la sous-boucle : opportunité ou menace pour les
dégroupeurs ?
Depuis peu, un nouvel avatar du DSL dénommé VDSL (Very High Bit Rate DSL) permettant
d’atteindre des débits asymétriques conséquents (50 Mbit/s descendants et 2,5 Mbit/s
ascendants) sur de courtes distances (typiquement inférieures au kilomètre) est opérationnel.
Cette version du DSL ne peut cependant pas être mise en œuvre au niveau du NRA pour
l’ensemble de ses lignes de cuivre car celles-ci ont pour la plupart une longueur supérieure à
la limite de la technologie. Une solution envisageable serait d’équiper les sous-répartiteurs,
situés à mi-chemin entre le répartiteur et l’abonné. Cette technique nécessite donc de déployer
une infrastructure optique plus bas dans le réseau, c’est pourquoi on parle parfois de
technologie FTTC, Fiber To The Cab, the Cabinet désignant l’abri du sous-répartiteur.
Cette technique pourrait être particulièrement profitable aux zones d’activité isolées, souvent
trop éloignées de leur répartiteur pour bénéficier de l’ADSL classique. France Télécom a
récemment annoncé un vaste plan ZAE visant à équiper 2 000 zones d’activité en fibre pour
les desservir via le VDSL.
Ce plan ne va pas sans remettre en cause la stratégie des opérateurs dégroupeurs. En effet,
ceux-ci ayant des capacités d’investissement plus limitées que l’opérateur historique, deux cas
de figure risquent de se présenter. L’opérateur alternatif peut décider de ne dégrouper qu’au
niveau du NRA, au quel cas non seulement son offre est techniquement moins compétitive
que celle de France Télécom qui est en mesure de fournir du VDSL, mais en plus sa qualité de
service risque de se trouver affectée par le signal VDSL émis depuis le sous-répartiteur. Ou
alors l’opérateur alternatif peut dégrouper le sous-répartiteur, mais aura financièrement des
difficultés à investir dans la fibre optique nécessaire au rapatriement des données. Il sera par
conséquent dépendant des offres de liaison de France Télécom vers le répartiteur et pourrait
ne pas être en mesure d’exploiter toute la capacité du VDSL.
Ainsi, le déploiement du VDSL à la sous-boucle peut constituer un premier pas vers la boucle
locale optique en permettent d’attirer les opérateurs vers les zones d’activité conséquentes
sans investir immédiatement dans une infrastructure toute optique. Il convient cependant de
veiller à ce que la zone ne devienne pas captive d’une seule offre techniquement performante
fournie par l’opérateur historique. Pour cela, il convient de réguler prudemment le dégroupage
de la sous-boucle en veillant à ce que des offres de rapatriement du sous-répartiteur vers le
répartiteur techniquement adéquates soient proposées aux dégroupeurs.
2.4.
La régulation des offres de gros livrées au niveau régional : un
difficile équilibre
Comme nous l’avons vu au paragraphe précédent, le dégroupage n’est possible que pour les
opérateurs très capillaires dont le réseau optique parvient jusqu’au répartiteur. Parvenir à un
tel niveau de capillarité demande des investissements importants qui ne peuvent être consentis
que sur le long terme. Afin de permettre un bon fonctionnement du marché de détail, il faut
également permettre aux opérateurs moins capillaires d’être concurrentiels. L’ARCEP a donc
estimé suite à son analyse de marché qu’il était nécessaire de maintenir une régulation ex ante
25
sur le marché de gros de la collecte régionale, sur lequel France Télécom exerce toujours une
influence significative, malgré un début de concurrence par les opérateurs dégroupeurs (Art.1
et 2 de la décision n° 05-0278 de l’ARCEP du 6 juin 2004). Le régulateur espère ainsi qu’une
certaine concurrence pourra se développer dans les zones non dégroupées.
Dans le cas de ces offres, un opérateur (souvent France Télécom) vend à un autre opérateur
l’accès à la partie finale de la ligne, c'est à dire la boucle locale, mais également la collecte
régionale, qui représente la partie intermédiaire de la ligne. Ces offres sont destinées aux
opérateurs qui ont déployé un réseau suffisamment proche du client pour s’interconnecter
avec sa zone de collecte, mais trop peu capillaires pour dégrouper le répartiteur dont dépend
l’abonné. On trouve diverses offres de collecte régionale, comme ADSL Connect ATM ou
l’offre IP/ADSL régionale, mais l’offre permettant une qualité de service nécessaire pour
fournir des accès haut débit aux entreprises est l’offre TurboDSL.
Cette offre permet aux opérateurs de prendre livraison du flux haut débit en mode ATM.
L’opérateur alternatif peut alors proposer des débits garantis, de types symétriques ou
asymétriques à ses clients. Le TurboDSL est à l’origine une offre commerciale de France
Télécom, mais est presque exclusivement utilisé par des opérateurs alternatifs. Pour fournir un
accès haut débit par l’offre TurboDSL, un opérateur doit s’interconnecter a minima avec le
réseau de France Télécom dans une « ville cœur de plaque » appartenant à la même « région
TurboDSL » que le client. Le principe de tarification est que plus cette ville cœur de plaque
est proche du client, plus la longueur de réseau louée à France Télécom pour fournir un accès
au client est courte, ce qui réduit le coût de la location TurboDSL.
Pour être très précis, la France était subdivisée il y a quelques mois (les chiffres peuvent
changer) en 17 régions TurboDSL, 41 plaques TurboDSL et environ 120 départements
TurboDSL. Il y a en général un point d’interconnexion par département TurboDSL. Si le
point d’interconnexion entre l’opérateur et France Télécom est dans le même département
TurboDSL que l’abonné, l’opérateur paie un tarif T1 à France Télécom. Si le point
d’interconnexion est dans la même plaque TurboDSL que le client mais pas dans la même
région, le tarif est plus élevé (T2). Enfin, dans le cas où le point d’interconnexion est dans la
même région TurboDSL que le client, mais pas dans la même plaque, le tarif est le plus élevé
(T3).
A ces trois tarifs s’ajoutent 2 cas particuliers :
• Tarif T : le point d’interconnexion et le client dépendent du même commutateur ATM.
• Tarif T0 : le site d’interconnexion et le client sont dans une même zone urbaine
déterminée.
Les 2 cartes suivantes illustrent quels sont les tarifs TurboDSL auxquels ont droit les
opérateurs alternatifs, selon la capillarité de leur réseau.
La carte 2.4 donne les tarifs du TurboDSL d’un opérateur disposant d’un réseau national peu
capillaire, qui ne peut s’interconnecter avec le réseau de France Télécom que dans une ville
cœur de plaque par région TurboDSL. A l’inverse, la carte 2.5 donne les tarifs TurboDSL
pour un opérateur disposant d’un réseau national très capillaire, qui peut s’interconnecter avec
le réseau de France Télécom dans chaque ville cœur de plaque Turbo DSL.
La régulation des offres de collecte livrées au niveau régional reposent sur deux principes :
d’une part l’obligation pour France Télécom de fournir ces offres à des tarifs reflétant les
coûts, et d’autre part l’interdiction de pratiquer des tarifs d’éviction. Les tarifs d’éviction sont
un danger à deux niveaux : ils pourraient inciter les opérateurs alternatifs à ne plus dégrouper,
mais également à utiliser les offres demandant la capillarité la plus faible de préférence à
26
celles exigeant de se raccorder plus bas au réseau de France Télécom. L’idée sous-jacente est
que la solution la plus économiquement attractive pour un opérateur ayant une certaine
capacité d’investissement doit être celle d’un plus grand déploiement de son réseau, ce afin de
mettre en place sur le long terme une concurrence effective par les infrastructures. L’arbitrage
des tarifs des offres de gros livrées au niveau régional doit prendre en compte ces deux
aspects, ce qui est d’autant plus ardu que les coûts de collecte de l’opérateur historique sont
difficiles à évaluer.
Carte 2.4 – Tarifs pour un opérateur alternatif disposant d’un réseau peu capillaire sur
l’ensemble du territoire (source ARCEP).
Carte 2.5 – Tarifs pour un opérateur alternatif disposant d’un réseau très capillaire sur
l’ensemble du territoire (source ARCEP).
27
28
3. Les collectivités locales, acteurs prépondérants de
l’aménagement numérique du territoire
3.1.
Les pouvoirs publics ont-ils la légitimité pour intervenir sur le
marché des télécommunications ?
Même si l’ARCEP est favorable à un meilleur aménagement du territoire en haut débit, elle
n’a pas forcément de moyens d’action directs à ce niveau, et cet objectif doit être concilié
avec d’autres. Ainsi, sur son site10, l’ARCEP explique qu’elle doit prendre en compte
« l’intérêt des territoires et des utilisateurs dans l’accès aux services et aux équipements », et
que « la préoccupation de l’aménagement du territoire doit être présente dans les décisions de
l’ARCEP visant à favoriser le haut débit dans les zones peu denses ».
Or comme nous l’avons vu dans la partie précédente, le rôle principal de l’ARCEP est de
favoriser l’émergence d’un marché du haut débit pleinement concurrentiel en France. Mais,
dans un marché pleinement libéral et concurrentiel, la logique du marché et est celle d’une
desserte progressive en fonction d’un équilibre entre l’offre et la demande que vient
sanctionner la rentabilité des investissements engagés. Les opérateurs n’ont jamais intérêt à
aller dans les zones trop reculées ou trop peu denses pour être rentables. De même, dans
certains territoires où seul France Télécom dispose d’un réseau de collecte, les
investissements que doit fournir un opérateur alternatif pour venir y concurrencer France
Télécom sont alors souvent trop importants pour être effectués sans une aide publique. Il ne
peut donc pas être du seul ressort de l’ARCEP de favoriser le déploiement des réseaux des
opérateurs privés sur le territoire.
On cite souvent l’exemple de la couverture du territoire par les réseaux de téléphonie mobile
comme exemple d’un aménagement numérique du territoire réussi. Il faut cependant bien
avoir conscience que le paradigme est très différent de celui qui prévaut pour le haut débit :
• D’une part, le cadre législatif autorise l’ARCEP à subordonner l’attribution des
licences GSM ou UMTS à des engagements de couverture du territoire, ce qui n’est
pas le cas pour le haut débit (l’établissement d’un réseau n’est en effet soumis dans le
nouveau cadre réglementaire qu’à une simple déclaration à l’ARCEP).
• D’autre part la couverture optimale du territoire par son réseau est un argument
commercial fort pour un opérateur de téléphonie mobile : alors qu’un internaute
parisien se soucie peu des déboires numériques de la population de la Creuse, il est par
contre attentif à ce que son portable « passe » bien sur son lieu de villégiature favori.
Face à la difficulté d’inciter les opérateurs à investir dans les régions les moins rentables, et
alors que l’accès au haut débit apparaît comme une nécessité de plus en plus importante à
chacun, les pouvoirs publics se sont naturellement intéressés à l’opportunité d’une
intervention dans ce secteur.
Mais les modalités de l’intervention restent délicates à fixer : à quel rythme le déploiement
des réseaux haut débit doit-il se faire ? Est-il important d’accélérer le rythme adopté par les
opérateurs ? Comment investir des fonds publics sans ralentir les investissements privés ?
10
www.arcep.fr
29
L’Etat a déjà consacré des sommes plus importantes à de grands projets de service public.
Ainsi, dans l’ouvrage « Hauts Débits », rédigé sous la direction de Daniel Kaplan, la
réalisation d’un réseau de collecte sur l’ensemble du territoire est estimée entre 6 et 10
milliards d’euros. Ce chiffre est certes important, mais reste d’une ampleur limitée quand on
le compare aux 105 milliards de francs (60 milliards d’euros d’aujourd’hui) qu’avait coûté le
plan de modernisation du téléphone à son époque ou les 11 milliards d’euros
d’investissements prévus pour le seul projet du TGV Lyon-Turin.
Néanmoins, l’impact du déploiement des réseaux d’initiative publique n’est pas toujours
simple à évaluer. Seront-ils suffisamment bien conçus pour attirer les opérateurs ? Est-il
réellement nécessaire de dupliquer l’infrastructure de France Télécom dont le réseau de
collecte offre une excellente couverture du territoire ?
Aussi, à l’heure où l’Etat connaît des difficultés dans la gestion de ses finances publiques et
où le gouvernement affiche un objectif de réduction de la pression fiscale, les grosses
dépenses publiques ne sont pas toujours bien perçues par les citoyens. Dans ces conditions, il
n’est pas simple de trouver des fonds de financement pour les réseaux d’initiative publique.
Des doutes reviennent également fréquemment sur la légitimité du secteur public à intervenir
dans le secteur des télécommunications. D’une part, il faut vérifier que le secteur public
dispose des compétences nécessaires pour investir à bon escient dans les réseaux haut débit, et
d’autre part il faut s’assurer que les réseaux d’initiative publique ne viennent pas fausser la
libre concurrence.
Comme nous allons le voir, l’intervention des collectivités locales dans les réseaux haut débit
est relativement récente en France, contrairement à beaucoup d’autres pays où le cadre
législatif leur a été favorable plus tôt. C’est pourquoi nous passons d’abord en revue les
conséquences de ces actions à l’étranger.
3.2.
L’action des collectivités locales à l’étranger : quelques exemples
On peut remarquer tout d’abord que les financements publics dans le domaine des réseaux
haut débit existent dans de nombreux pays. En Europe, cela peut s’expliquer par la
règlementation européenne. Si le traité de Rome interdit les subventions nationales au secteur
privé (les fameuses aides d’Etat) pour permettre une concurrence libre et non faussée entre les
entreprises des différents Etats membres, une décision européenne récente a reconnu le statut
de Service d’Intérêt Economique Général (SIEG) au haut débit, ce qui fournit un blanc-seing
aux collectivités pour intervenir financièrement. Cependant, on observe que les subventions
publiques ont souvent été mises en place avant cette reconnaissance, donc dans l’illégalité
européenne.
On trouve également des financements publics hors de l’Union Européenne, comme aux
Etats-Unis ou en Corée du Sud. Dans tous ces pays, les financements publics sont plus faibles
que les investissements privés. L’intervention publique prend cependant des formes
différentes selon les états. Les interventions peuvent être effectuées de manière centralisée ou
décentralisée, en accord ou en opposition avec l’opérateur dominant, elles peuvent également
revêtir diverses formes juridiques.
La couverture préalable de la population en haut débit et la structure politique des
gouvernements influencent considérablement la nature des interventions. En Irlande, du fait
de la faible présence d’infrastructures sur l’ensemble du territoire, l’intervention publique
s’est souvent effectuée à l’échelle nationale. Ainsi, 200 millions d’euros ont été investis dans
un programme national visant à équiper en haut débit 67 communes de plus de 1 500
habitants réparties sur l’ensemble du territoire.
30
Au Royaume-Uni, la politique d’intervention publique est tout à fait différente. Le principe
général adopté par le gouvernement (tel qu’il est formulé par le Département du Commerce et
de l’Industrie) est que le développement du marché des télécommunications, y compris la
stimulation du déploiement des infrastructures, doit être laissé aux acteurs du marché. Aussi,
l’intervention ne peut avoir lieu dans des zones déjà équipées, et ce même en cas de
monopole. Les pouvoirs publics ne peuvent intervenir que très ponctuellement, dans des
zones qui ne sont pas encore couvertes en haut débit. Le gouvernement n’a donc agi que sur
quelques territoires par le biais des Agences de Développement Régionales (ADR).
En Espagne, les régions (ou communautés) ayant un pouvoir extrêmement important, ce sont
elles qui financent leurs réseaux (avec parfois l’appui du FEDER, comme dans la majorité des
pays européens). L’ampleur et la nature des projets d’initiative publique espagnols varient
donc fortement selon les régions.
Les projets des collectivités sont accueillis diversement par les opérateurs historiques. En
France, France Télécom est souvent opposé (mais pas toujours ouvertement) à l’intervention
publique. Historiquement, l’action judiciaire menée par l’opérateur historique en 1999 contre
la commune de Nancy, qui souhaitait utiliser son propre réseau pour desservir les entreprises
de son territoire, est à l’origine du lobbying mené par les collectivités locales pour faire
évoluer le cadre législatif réglementant leur intervention. De même, en Espagne, l’opérateur
historique Telefonica a intenté un procès suite à l’annonce d’un projet d’investissement de
200 millions d’euros par la communauté de Catalogne dans des réseaux de fibre optique.
Deutsche Telekom AG en Allemagne et les opérateurs dominants aux Etats-Unis sont
également souvent peu favorables à l’intervention publique.
En revanche, dans les pays où le secteur public n’intervient que dans les zones blanches, les
opérateurs dominants, comme British Telecom au Royaume-Uni, Eircom en Irlande ou
Telecom Italia en Italie négocient des subventions avec le gouvernement pour l’équipement
en ADSL des zones reculées.
Nous constatons par ailleurs que l’ampleur de l’intervention publique est variable selon les
pays. Elle est souvent plus limitée là où le câble concurrence fortement le DSL, comme aux
Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Ainsi, au Royaume-Uni, les trois principaux acteurs (British
Telecom, ntl et Telewest) misant chacun sur une seule des techniques d’accès, l’intervention
publique ne peut que rarement favoriser légitimement l’une des deux technologies.
Aux Etats-Unis, les principaux opérateurs sont historiquement des câblo-opérateurs qui
développent aujourd’hui rapidement le DSL comme technologie alternative. L’intervention
publique en faveur du DSL paraît alors plus légitime qu’au Royaume-Uni. Des plans de
développement d’infrastructures haut débit ont donc été mis en place dans certains Etats
comme dans le Michigan ou l’Ohio. Ces projets restent cependant assez rares et sont contestés
par les opérateurs dominants.
Enfin, nous pouvons remarquer que si dans certains pays, l’intervention publique est limitée,
cela n’empêche pas toujours la multiplication des opérateurs locaux. Ainsi, l’Allemagne
comptait en 2004 plus de 700 opérateurs de transport gérant les lignes de transmission et un
peu moins de 200 fournisseurs des services vocaux.
Certains de ces opérateurs locaux sont d’anciennes entreprises publiques, issues par exemple
de l’électricité, qui ont développé un important réseau interne pour leurs propres besoins,
avant de se lancer dans des activités d’opérateur local. Ainsi, l’Allemand 3T, bien qu’il
investisse moins de 2 millions d’euros par an, possède 90% de la fibre optique dans le Comté
d’Offenbach (460 000 habitants). Cela permet de rendre la concurrence plus dynamique dans
31
le Comté, car si l’opérateur historique possède toujours la boucle locale, il n’a pas un gros
avantage au niveau de la collecte.
3.3.
Les atouts des collectivités locales pour intervenir dans le haut débit
Presque partout dans le monde, on observe que le secteur public intervient dans les réseaux de
télécommunication par le biais des collectivités locales. Il y a plusieurs raisons à cela, que
nous détaillons ici.
3.3.1.
La proximité et la décentralisation favorisent l’intervention des
collectivités locales
Tout d’abord, les élus locaux sont sollicités par leurs administrés et les entrepreneurs de leur
circonscription qui se plaignent de l’indisponibilité du haut débit dans leur commune ou leur
département. La généralisation des usages d’Internet et les campagnes nationales de
communication des opérateurs ont fait naître un sentiment d’injustice au sein des populations
les plus défavorisées vis-à-vis de toutes ces avancées.
Ce sentiment est d’autant plus fort que beaucoup peinent à prendre à conscience du fait que ce
qui peut passer pour une simple amélioration du service téléphonique (après tout le haut débit
circule dans le cas de l’ADSL par le réseau téléphonique) n’entre pas dans la cadre du service
universel, si bien que l’opérateur historique n’est pas tenu de déployer les mêmes moyens et
de pratiquer les mêmes tarifs dans les zones rurales que dans les grandes agglomérations.
Les collectivités bénéficient d’une proximité des besoins locaux qui leur permet de cerner les
problèmes spécifiques (par exemple le cas de telle zone d’activité où l’absence
d’infrastructures haut débit risque de provoquer des délocalisations) et de mettre en œuvre les
moyens de les résoudre bien plus facilement que ne pourrait le faire une administration
centrale.
D’autre part, dans le cadre de la décentralisation, les collectivités locales disposent de moyens
bien plus importants que par le passé.
3.3.2.
L’évolution du cadre juridique accroît les possibilités d’action
des collectivités locales
Un autre facteur qui a considérablement sécurisé l’intervention des collectivités locales est
l’évolution du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) qui régit le cadre
d’intervention des collectivités locales.
Auparavant, les possibilités d’intervention des collectivités en matière d’infrastructures de
télécommunications, régies par l'article L. 1511-6 du CGCT, étaient limitées à deux types
d’actions :
• Créer et gérer un réseau de télécommunications pour satisfaire ses propres besoins ou
ceux d’autres organismes publics sous la forme d’un Groupement Fermé d’Utilisateurs
(GFU), éventuellement de combiner plusieurs GFU (multi-GFU).
• Créer une infrastructure de télécommunications dite passive, c’est-à-dire sans les
équipements actifs (routeurs, multiplexeurs…) destinés à transmettre l’information.
32
A l’origine, un constat de carence était nécessaire pour permettre aux collectivités de déployer
de telles infrastructures, mais cette contrainte ainsi que celle de délai d’amortissement sur 8
ans furent supprimées lors du CIADT de juillet 2001. Suite à cette modification, les
collectivités avaient donc toute latitude pour établir des équipements passifs (fourreaux,
pylônes, fibre, …), mais en aucun cas elles ne pouvaient exercer l’activité d’opérateurs. Elles
devaient se contenter de louer aux opérateurs l’accès à leur infrastructure passive (location de
« fibre noire »), laissant à la charge des opérateurs la réalisation des investissements en
équipements actifs nécessaires à la mise en place de leurs services haut débit. Ce mode
d’intervention s’est révélé fort peu attractif pour les opérateurs dont les capacités
d’investissement sont fortement limitées depuis l’éclatement de la bulle Internet, d’autant plus
que ces infrastructures concernaient souvent des territoires peu denses où les probabilités
d’amortir les coûts fixes nécessaires à l’activation des fibres étaient très limitées.
Face aux nombreuses difficultés des projets menés dans le cadre de l’article L. 1511-6 (la
plupart des infrastructures étaient restées sous-utilisées), certains élus locaux se sont lancés
dans une bataille juridique qui a abouti, lors du vote, au printemps 2004, de la Loi pour
l’Economie Numérique, à l’abrogation de l’article L. 1511-6 du CGCT et à son remplacement
par l’article L. 1425-1 (reproduit en annexe) qui augmente considérablement le pouvoir
d’intervention des collectivités. En effet il leur permet d’activer elles-mêmes leur réseau de
télécommunications et de vendre de la bande passante aux opérateurs, activité désignée
d’« opérateur d’opérateurs ». Elles peuvent également fournir des services de
télécommunications aux utilisateurs finaux après avoir constaté une insuffisance d’initiatives
privées par un appel d’offre déclaré infructueux.
Cette capacité à exploiter un réseau actif et vendre de la bande passante aux opérateurs a pour
but de susciter l’appétence des opérateurs pour les zones moins denses du territoire. Par
exemple, les collectivités locales peuvent déployer leurs équipements actifs (DSLAM) dans
certains répartiteurs. Les opérateurs n’ayant pas de coûts fixes en équipements actifs, leurs
coûts de dégroupage sont alors proportionnels au nombre de lignes dégroupées. Par ailleurs, la
location de bande passante permet aux opérateurs de louer un débit plus faible et mieux
adapté sur les liens du réseau de la collectivité qui équipent les zones peu denses.
Néanmoins, ces objectifs ne sont pas toujours remplis : nous observons souvent que les
opérateurs préfèrent se concentrer sur les zones denses en louant presque exclusivement de la
fibre noire et délaisser les zones plus reculées. De plus, Neuf Télécom et Free préfèrent
installer leur propre DSLAM en plus de celui de la collectivité pour dégrouper, car le
DSLAM de la collectivité ne leur permet pas de proposer la même gamme de service que
leurs propres équipements.
Remarquons enfin que l’article régissant l’action des collectivités locales en matière de
télécommunications est passé du livre consacré aux aides aux entreprises à celui portant sur
les services publics locaux, preuve que le législateur a souhaité créer un service public de
télécommunications. Comme mous l’avons déjà évoqué, ceci a été légitimé par la
Commission Européenne qui considère l’accès au haut débit comme un Service d’Intérêt
Economique Général (SIEG), notion proche de celle du service public français.
33
3.3.3.
Les niveaux d’intervention des collectivités locales sont divers et
adaptables
Les projets des collectivités locales peuvent dépendre de communes (plus généralement de
communautés de communes), de départements ou de régions. Dans quelques cas, comme dans
les Ardennes ou en région parisienne avec le SIPPEREC, un syndicat ayant fait ses preuves
dans les réseaux électriques peut être maître d’œuvre du projet.
Les établissements publics ou les entreprises locales peuvent également participer au
financement des projets de collectivité locale. Ainsi, dans le projet des Yvelines, l’Université
de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, le Rectorat, l’INRA et l’INRIA ont contribué
financièrement au développement du réseau.
Des financements annexes peuvent également être accordés par la Délégation à
l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale (DATAR) pour des projets à budgets
limités. La Caisse des Dépôts et Consignations est le principal contributeur de l’Etat (elle
dispose de 228 millions d’euros à investir dans les projets des collectivités locales).
Enfin, le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) est la principale source de
financement européenne. Il peut représenter un soutien important sur certains projets (33%
des financements publics en Pyrénées-Atlantiques, soit plus de 15 millions d’euros).
La somme des investissements publics consentis dans les différents projets de collectivités
locales dépassent aujourd’hui le milliard d’euros.
3.4.
Les objectifs des projets des collectivités locales
Les projets de collectivité locale ont souvent les trois objectifs suivants :
• Développer une concurrence forte sur les zones grises déjà desservies en haut débit par
France Télécom. En effet, en développant un réseau de collecte dans ces territoires, la
collectivité locale augmente la pression concurrentielle sur le segment de la collecte
départementale et facilite ainsi l’accès pour les opérateurs alternatifs aux entreprises et
aux particuliers de la zone.
• La couverture des zones blanches, c’est-à-dire la fourniture d’accès haut débit aux
zones ne faisant pas pour l’instant l’objet d’une couverture par l’opérateur historique,
dans des conditions de prix les plus proches possibles de celles des zones de
population et d’activité économique les plus denses.
• Le développement des accès haut débit dans les établissements publics, par exemple
dans les hôpitaux, établissements scolaires, bibliothèques ou offices du tourisme.
Si toutes les collectivités ont ces trois objectifs, chaque collectivité possède un ou deux
objectifs prioritaires. Par exemple, dans les projets de Basse-Normandie ou de Provence,
l’objectif prioritaire est la fourniture d’accès aux établissements publics. Au contraire, dans la
Manche ou dans l’Oise, l’objectif principal est le développement d’une plus grande
concurrence dans les zones déjà équipées. Le projet de La Chaumière Haut Débit en
Dordogne privilégie quant à lui l’équipement en haut débit des zones les plus reculées.
Les objectifs de l’intervention en zone blanche sont bien différents de ceux de l’intervention
en zone grise. Ainsi, lorsqu’une collectivité intervient dans une zone grise, c'est-à-dire dans
une zone ou seul France Télécom est présent, son objectif est d’apporter les garanties
structurelles à la compétitivité du marché local des télécommunications. En effet, même si
France Télécom fournit des offres de détail satisfaisantes dans certaines zones grises, le
34
maintien d’un opérateur unique peut avoir des conséquences néfastes sur la dynamique de la
concurrence à long terme.
Au contraire, les objectifs de l’intervention dans les zones blanches sont différents. Cette
intervention vise à fournir des services là où France Télécom n’est pas présent. L’action de la
collectivité doit alors concilier son objectif d’apport de haut débit dans une zone non couverte
avec le souci de ne pas faire émerger un monopole ou duopole local dans les années suivantes.
Comme le recommande l’ARCEP11, afin de favoriser à long terme une concurrence saine et
d’être conforme au droit communautaire, « la collectivité doit alors s’assurer, par exemple en
demandant une séparation structurelle ou comptable ou une justification des dépenses
encourues, que le montant de la subvention ne constitue pas une aide d’Etat illégitime ».
3.5.
Les différents modèles juridiques de déploiement de réseaux de
collectivité
Les projets d’infrastructure de télécommunications comportent deux phases principales, la
construction proprement dite (ou l’acquisition d’infrastructures préexistantes ou de droits
d’usage), puis l’exploitation. Les montages juridiques possibles sont très divers et pourraient
bien conditionner la réussite de l’entreprise. Nous écartons les modèles, désignés comme
périlleux dès le début de la réflexion sur le sujet, que sont la passation d’un marché de
services pour une offre de gros (en effet les marchés publics ont pour objet de répondre aux
besoins propres de la collectivité, un tel marché de services pourrait donc in fine être qualifié
de subventionnement caché) et l’exploitation en régie directe du réseau, qui demande des
moyens humains et techniques conséquents. Ce dernier modèle est parfois utilisé sur les
projets de desserte d’établissements publics (projets de Basse-Normandie et Provence).
En revanche, nous présentons plus en détail les deux types de modalités privilégiées jusqu’à
présent par les collectivités, fondées toutes deux sur une Délégation de Service Public (DSP),
la DSP concessive et la DSP d’exploitation. Le principe commun à ces deux formes de contrat
est que la collectivité délègue à un tiers délégataire la charge du service public de l’accès haut
débit dont il doit à la fois réaliser les investissements et assurer l’exploitation moyennant une
rémunération perçue directement auprès des usagers. Grâce à la qualification de l’accès haut
débit comme SIEG, la collectivité peut subventionner son délégataire à condition de respecter
un certain nombre de conditions, définies par deux arrêts de la Cour de Justice des
Communautés Européennes12, visant à assurer que cela ne vient pas troubler le jeu de la libre
concurrence.
3.5.1.
Le modèle de la DSP concessive
Ce contrat confère au concessionnaire à la fois la maîtrise d’ouvrage pour la construction du
réseau et la mission d’exploitation de ce réseau. Le principal avantage de ce type de DSP est
que la collectivité bénéficie d’un apport de savoir-faire à toutes les étapes du projet. Son
principal inconvénient est sa durée généralement longue (elle est en effet calculée sur la
période d’amortissement des investissements, soit 15 à 20 ans) qui peut être un handicap dans
le domaine extrêmement évolutif des télécommunications. La collectivité doit donc veiller à
se doter des moyens de faire évoluer les obligations de son délégataire.
11
12
www.arcep.fr : « Points de repère : L’intervention des collectivités locales dans les télécommunications »
CJCE, Altmark Trans Gmbh, 24 juillet 2003, C-208/00 et CJCE, Erinisorse SpA, 27 novembre 2003, C-38/01.
35
3.5.2.
Le modèle de la DSP d’exploitation
Contrairement à la DSP concessive, ce montage dissocie la phase de construction, qui est
réalisée par la passation d’un marché de travaux (et n’est donc pas réalisée par le délégataire),
et la phase d’exploitation, qui est déléguée sous la forme d’un affermage. Il y a donc un risque
de hiatus entre les attentes du délégataire et les choix de la collectivité concernant le tracé du
réseau. De plus ce montage diminue naturellement le montant de l’investissement privé. En
contrepartie la durée du contrat peut plus facilement être calée sur le rythme d’évolution des
technologies et surtout, la collectivité, si elle mène bien le projet, peut maximiser l’utilisation
des infrastructures préexistantes, ce qu’un concessionnaire en charge de l’établissement du
réseau a rarement intérêt à faire.
Ainsi, le projet Manche Numérique, sur les 700 km que comptabilise son réseau, n’a dû
déployer que 250 kilomètres de fibre optique. Les tronçons restants ont été acquis par diverses
méthodes : 100 km de fibre passent par les lignes haute tension de RTE, des accords de
« swap » ont été conclus avec Cegetel (afin d’obtenir un IRU sur 110 km de son réseau), 100
km de fourreaux ont également été achetés à Neuf Télécom, ainsi que 125 km de fibres à
Telia et LDCâble en échange de la gratuité de leur redevance de passage sur le territoire.
Les entités répondant à ces DSP sont souvent des opérateurs ou des associations regroupant
au sein d’une SAS un opérateur et un équipementier, et dans le cas d’une concession, une
entreprise de génie civil et éventuellement des sociétés capables d’un apport en nature
facilitant le déploiement d’un réseau (RTE, RFF, TDF…). Lorsque la collectivité souhaite
affirmer son contrôle sur l’opération, elle peut le faire via une Société d’Economie Mixte
(SEM). Majoritaire dans son capital et ses organes délibérants, elle gère alors la DSP au plus
près de ses intérêts, au prix d’un moindre attrait pour les capitaux privés. Les projets réalisés
sous l’égide du L. 1511-6, qui ne concernaient que la construction d’infrastructures passives,
ont pu être remportées par des entreprises de génie civil (Eiffage dans les Yvelines, Vinci
dans l’Oise).
3.6.
Quels critères de réussite pour les projets de collectivité locale ?
Il est difficile d’évaluer la réussite ou l’échec des projets de réseaux de collectivités locales.
En effet, les investissements des collectivités portent sur le long terme, et dans la majorité des
projets, les réseaux ne sont pas encore actifs. De plus, les objectifs des projets de réseaux de
collectivités locales sont variables et difficilement mesurables. Par exemple, quand la
collectivité couvre les zones blanches, la valeur ajoutée apportée par le haut débit ne peut se
quantifier. Il est alors délicat de savoir si l’investissement effectué est bien rentable. Nous
pouvons néanmoins citer quelques difficultés que les collectivités territoriales devront
surmonter, quelques atouts qu’elles devront utiliser et enfin quelques critères qui pourront être
déterminants pour leur réussite.
Un des reproches qui est régulièrement adressé aux collectivités est qu’elles engagent des
fonds publics là où des fonds privés sont susceptibles d’être investis. Certains craignent que
ces investissements publics ne créent un effet d’éviction des capitaux privés. En effet, avant
de déployer un réseau de collecte, un opérateur peut se demander si une collectivité locale ne
projette pas d’investir, ce qui pourrait l’inciter à attendre les infrastructures publiques au lieu
de construire les siennes.
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Au contraire, dans d’autres cas, lorsqu’une collectivité désire lancer un projet, certains
opérateurs peuvent décider de déployer leur réseau avant la collectivité, rendant de ce fait
moins légitime son intervention.
Le fait que les investissements sont effectués sur le long terme peut lui aussi être considéré
comme une faiblesse. En effet, dans un secteur encore peu stabilisé comme les
télécommunications, le rythme d’évolution rapide des technologies et des besoins des
utilisateurs peut venir remettre en cause la valorisation des infrastructures déployées.
La réussite des projets de collectivité locale dépend donc des évolutions futures des réseaux
des opérateurs et des technologies du haut débit.
On observe aujourd’hui que dans de nombreuses entités locales, les personnes chargées de la
gestion des projets réseaux sont issues du milieu des télécommunications. La transmission de
leurs connaissances à l’intérieur de leur collectivité locale sera primordiale à la réussite de
leur projet. Par ailleurs, la collaboration entre les différents projets de collectivités locales,
mais également avec les différents opérateurs sera nécessaire à la réussite de l’intervention
publique dans les télécommunications. En effet, dans certaines collectivités, les projets sont
gérés par des personnes qui ne sont pas issues du milieu des télécommunications. Celles-ci
ont alors besoin d’un apport de connaissance extérieure.
Afin de faciliter ces échanges, l’ARCEP a lancé les groupes de travail du CRIP (Comité pour
les Réseaux d’Initiative Publique) en juin 2005. Ce Comité doit permettre aux différents
acteurs des projets de réseaux de collectivités territoriales d’échanger leur point de vue et
leurs expériences.
Un autre critère extrêmement important est le contrôle du délégataire par le délégant. La
collectivité devra vérifier que le délégataire ne profite pas de sa position pour constituer un
duopole local avec France Télécom. Ces risques sont particulièrement présents quand le
délégataire est une filiale d’un opérateur de télécommunications agissant sur le marché de
détail. En effet, le délégataire commercialisant les ressources de la collectivité aux différents
opérateurs, il connaît leur plan de prospection. Le délégataire peut alors transmettre ces
informations à sa maison mère, lui conférant un avantage indéniable sur ses concurrents.
Nous remarquons que pour éviter ce problème, le syndicat mixte de la Manche a décidé de
commercialiser lui-même de la fibre noire aux différents opérateurs (France Télécom, Free,
Neuf Télécom, Cegetel, Club Internet, Newtel, Completel, Colt) avant de déléguer son réseau
à LDCom.
Un dernier axe de développement pourrait être celui de la multiplication d’opérateurs locaux,
de taille plus modeste que les grands opérateurs nationaux, mais parfois plus aptes à répondre
aux besoins spécifiques des entreprises d’un territoire, qui peuvent être très précis,
particulièrement en cas d’ancrage territorial fort d’un secteur d’activité. Ce modèle est déjà
très répandu en Allemagne où il semble parvenir à intensifier localement la concurrence.
Grâce aux offres de bande passante des réseaux de collectivités, les barrières à l’entrée
disparaissent et les opérateurs locaux peuvent démarrer leur activité sans investissement
important. On commence à assister à la naissance de tels opérateurs en France, où ils dérivent
souvent de SSII connaissant bien les besoins de leurs clients et leur proposant une solution
complètement intégrée. Cependant, comme le fait remarquer le syndicat Floress (Fournisseurs
Locaux de Réseaux et de Services de Communications Electroniques), la taxe annuelle sur les
licences des plus petits opérateurs, qui est passée récemment de 4 000 à 10 000 euros (alors
qu’elle a baissé en même temps de 133 000 euros à 20 000 euros pour les opérateurs
nationaux), peut être un frein à leur émergence.
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Conclusion
La multiplication des usages des technologies numériques confère au haut débit une place de
plus en plus importante dans le fonctionnement des entreprises. Celles-ci manifestent
d’ailleurs de façon grandissante leurs besoins en haut débit aux élus locaux. L’absence
d’offres d’accès haut débit performantes, à des tarifs concurrentiels, risque de devenir de plus
en plus dommageable pour l’économie des territoires. Face à ce constat, l’Etat ressent le
besoin d’assurer le plus rapidement possible une desserte de bonne qualité sur l’ensemble de
son espace. Cependant, à l’heure du développement de la concurrence, l’Etat doit aussi
défendre les intérêts des opérateurs de télécommunications. Ce dilemme place souvent
l’autorité régulatrice dans une situation délicate.
Bénéficiant de la décentralisation opérée par les derniers gouvernements, les collectivités
locales ont décidé d’agir. Elles se heurtent à de nombreuses difficultés en entrant dans un
métier qui leur est nouveau et en s’opposant souvent aux intérêts de l’opérateur historique.
Dans ce contexte, les collectivités doivent néanmoins parvenir à fournir des services haut
débit à des tarifs acceptables à leurs entreprises, tout en assurant une concurrence dynamique
à long terme.
Pour atteindre ces objectifs, les collectivités adoptent des stratégies différentes, certaines
utilisant des délégataires pour l’exploitation seulement tandis que d’autres utilisent le modèle
de la concession. Il est délicat d’évaluer les chances de réussite de ces différents projets,
d’autant plus qu’elles dépendent de l’évolution future de la structure globale du marché du
haut débit, sur laquelle les pouvoirs publics locaux n’ont qu’une faible emprise. En effet, les
collectivités ne peuvent contrôler ni le coût de la boucle locale, ni le coût des grands liens
nationaux. Ainsi, la récente fusion entre Neuf Télécom et Cegetel restreint à deux le nombre
d’opérateurs disposant d’un réseau national bien développé en France. Cette évolution
soudaine du marché porte une menace d’augmentation des prix de la collecte nationale et
souligne la dépendance des infrastructures des collectivités au phénomène de concentration
des acteurs privés sur le marché des télécommunications.
Malgré ces quelques difficultés, l’intervention publique, lorsqu’elle est bien dirigée, est
fortement structurante pour le marché du haut débit de demain. Dans les zones blanches, dans
l’attente d’une couverture spontanée par l’opérateur historique, elle répond à une logique
d’utilité sociale que les usages qu’elle fera naître viendront certainement conforter.
Dans les zones grises, l’intervention des collectivités locales représente pour les opérateurs
alternatifs une opportunité de mutualisation des infrastructures de collecte et des équipements
actifs dont ils n’auraient pu assurer seuls le retour sur investissement. A ce titre, les projets de
collectivités sont à court terme la seule alternative au monopole naturel de l’opérateur
historique, permettant de faire naître une situation plus concurrentielle. Cependant, le danger
principal, mais aussi le plus naturel dans un marché dont l’économie est dominée par les coûts
fixes, est la formation d’un duopole organisé entre l’opérateur historique et le délégataire de la
collectivité. Tout comme dans le marché de l’eau, qui fonctionne exclusivement sur le modèle
de la délégation de service public, l’asymétrie de l’information entre la collectivité locale et le
concessionnaire donne énormément de pouvoir à ce dernier. Si l’on ajoute à cela le fait que le
rythme d’évolution du marché du haut débit est bien plus court que la durée typique d’un
contrat de DSP, on conclut que les risques de perte de contrôle de la collectivité sur son
délégataire sont élevés. Un moyen d’y remédier est de permettre la remise en question du
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duopole potentiel par les opérateurs tiers, par exemple en prévoyant des offres de fibre noire
adaptées. La réussite des projets de réseaux de collectivités est à notre avis fortement
tributaire d’un équilibre juste entre les offres de bande passante permettant d’étendre la
couverture en haut débit des zones peu denses, et les offres de fibre noire.
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Annexe : L’article L. 1425-1 du CGCT
I. - Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, deux mois au moins après la
publication de leur projet dans un journal d'annonces légales et sa transmission à l'Autorité de
régulation des communications électroniques, établir et exploiter sur leur territoire des
infrastructures et des réseaux communications électroniques au sens du 3º et du 15º de l'article
L. 32 du code des postes et télécommunications, acquérir des droits d'usage à cette fin ou
acheter des infrastructures ou réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou
réseaux à disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs de réseaux indépendants. L'intervention des
collectivités territoriales et de leurs groupements se fait en cohérence avec les réseaux
d'initiative publique, garantit l'utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en
application du présent article et respecte le principe d'égalité et de libre concurrence sur les
marchés des communications électroniques.
Dans les mêmes conditions qu'à l'alinéa précédent, les collectivités territoriales et leurs
groupements ne peuvent fournir des services de communications électroniques aux
utilisateurs finals qu'après avoir constaté une insuffisance d'initiatives privées propres à
satisfaire les besoins des utilisateurs finals et en avoir informé l'Autorité de régulation des
communications électroniques. Les interventions des collectivités s'effectuent dans des
conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées.
L'insuffisance d'initiatives privées est constatée par un appel d'offre déclaré infructueux
ayant visé à satisfaire les besoins concernés des utilisateurs finals en services de
communications électroniques.
II. - Lorsqu'ils exercent une activité d'opérateur de communications électroniques, les
collectivités territoriales et leurs groupements sont soumis à l'ensemble des droits et
obligations régissant cette activité.
Une même personne morale ne peut à la fois exercer une activité d'opérateur de
communications électroniques et être chargée de l'octroi des droits de passage destinés à
permettre l'établissement de réseaux de communications électroniques ouverts au public.
Les dépenses et les recettes afférentes à l'établissement de réseaux de communications
électroniques ouverts au public et à l'exercice d'une activité d'opérateur de communications
électroniques par les collectivités territoriales et leurs groupements sont retracées au sein
d'une comptabilité distincte.
III. - L'Autorité de régulation des communications électroniques est saisie, dans les
conditions définies à l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications, de tout
différend relatif aux conditions techniques et tarifaires d'exercice d'une activité d'opérateur de
communications électroniques ou d'établissement, de mise à disposition ou de partage des
réseaux et infrastructures de communications électroniques visés au I.
Les collectivités territoriales, leurs groupements et les opérateurs de communications
électroniques concernés lui fournissent, à sa demande, les conditions techniques et tarifaires
faisant l'objet du différend, ainsi que la comptabilité retraçant les dépenses et les recettes
afférentes aux activités exercées en application du présent article.
IV. - Quand les conditions économiques ne permettent pas la rentabilité de l'établissement
de réseaux de communications électroniques ouverts au public ou d'une activité d'opérateur de
communications électroniques, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent
mettre leurs infrastructures ou réseaux de communications électroniques à disposition des
opérateurs à un prix inférieur au coût de revient, selon des modalités transparentes et non
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discriminatoires, ou compenser des obligations de service public par des subventions
accordées dans le cadre d'une délégation de service public ou d'un marché public.
V. - Les dispositions du I relatives aux obligations de publicité et à la nécessité de constater
une insuffisance d'initiatives privées, ainsi que le deuxième alinéa du II, ne sont pas
applicables aux réseaux établis et exploités par les collectivités territoriales ou leurs
groupements pour la distribution de services de radio et de télévision si ces réseaux ont été
établis avant la date de promulgation de la loi nº 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance
dans l'économie numérique.
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Remerciements
Outre Gabrielle Gauthey et Cécile Gaubert, nous remercions les personnes suivantes de
l’ARCEP qui ont contribué à nous aider pour ce mémoire :
! Laurent LAGAGNIER, chef du service Collectivités et Régulation des Marchés Haut
Débit
! Guillaume GIBERT, de l’unité Collectivités
! Bertrand VANDEPUTTE, de l’unité Accès Haut Débit
! Benoît MELONIO, de l’unité Collectivités
Nous tenons également à remercier les personnes suivantes du temps qu’elles nous ont
accordé lors des entretiens :
! Pierre-Olivier GIFFARD (Neuf Télécom, Responsable du marketing entreprises)
! Bertrand MABILLE (Cegetel, Directeur de la stratégie, de la réglementation et des
affaires extérieurs)
! Aymeric GAVOIS (Completel, Responsable réglementation)
! Alain DUCASS (DATAR, Chef de la mission « Aménagement Numérique du
Territoire »)
! Laurent DEPOMMIER-COTTON (Cabinet Avisem)
! Roger MEZIN (1er adjoint au maire d’Amiens, Président de l’établissement public
Agence Susi)
! Eric JAMMARON (Axione, Directeur du pôle Territoires)
! Gilles CRESPIN (Conseiller au développement numérique du territoire auprès du
Conseil Général des Yvelines)
! Catherine DUMAS (SIPPEREC, Directrice de la communication)
! Olivier DUROYON (Caisse des Dépôts et Consignations, Responsable du
Département Technologies)
! Philippe LEGRAND (Directeur du syndicat mixte Manche Numérique)
! Laurent DELAHAYE (Chargé de mission TIC au Conseil Général de l’Oise)
! Ainsi que Marc GAUCHE (Directeur de la SEM e-Tera) que nous avons rencontré à
l’ARCEP.
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Bibliographie
ARCEP, L’intervention des collectivités locales dans les télécommunications : Points de
Repère, 2004.
Bruno CASSETTE (chargé de mission à la DATAR), Le développement numérique des
territoires, 2003.
Godefroy DANG NGUYEN, Entreprises et hauts débits, le rôle des collectivités territoriales,
http://www-eco.enst-bretagne.fr/Etudes_projets/HautDebit/minef.pdf
DATANOVA, Les marchés de l’informatique et de l’Internet, 2004.
Délégation aux Usages de l’Internet, Haut Débit, pour tous, partout, 2004.
Daniel KAPLAN (sous la direction de), Hauts Débits, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence, 2003.
TACTIS, Analyse territoriale de la concurrence en matière d’accès haut débit pour les PME,
2004.
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