425 DE LA DEFINITION DES SANCTIONS FISCALES
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425 DE LA DEFINITION DES SANCTIONS FISCALES
De la définition des sanctions fiscales DE LA DEFINITION DES SANCTIONS FISCALES ADMINISTRATIVES ET PENALES PAR LE JUGE ET L’ADMINISTRATION Laurence VAPAILLE Maître de conférences à l’Université d’Evry-Val d’Essonne Membre du CERAP La catégorie des sanctions fiscales n’est ni uniforme, ni univoque. D’une part le droit de sanctionner n’est pas dévolu à une seule autorité, il existe une distinction légale entre les sanctions administratives appliquées par l’administration sous le contrôle du juge et, les sanctions pénales qui sont du ressort des tribunaux correctionnels1. Ce droit de sanctionner est donc « un droit partagé »2. D’autre part, chacune des catégories – administrative et pénale – ne possède pas un objectif unique. S’agissant de la pénalité fiscale, c’est non seulement une véritable peine, mais c’est aussi une réparation pécuniaire en tant qu’« indemnité allouée au trésor, en réparation d’un préjudice financier »3. Ainsi pour Marcel WALINE, « la pénalité fiscale a un caractère mixte ; elle n’est pas une peine de droit pénal, mais elle n’a pas non plus, du moins toujours ni exclusivement, le caractère d’une réparation civile »4. En revanche les sanctions pénales fiscales ont un caractère répressif essentiel. Enfin il faut noter que ces deux catégories ne sont pas exclusives l’une de l’autre, sous réserve de l’application du principe de proportionnalité énoncé par le Conseil constitutionnel5. 1 2 3 4 5 Jacques GROSCLAUDE et Philippe MARCHESSOU, Procédures fiscales, Dalloz, Col. Cours, 3ème édition, 341 pages, p. 205. Thierry LAMBERT, Contrôle fiscal – Droit et pratique, PUF, Col. Droit fondamental, 2ème édition, 1998, 464 pages, p. 191. Thierry LAMBERT, Contrôle fiscal – Droit et pratique, op. cit., p. 191. Marcel WALINE, Nature juridique des sanctions fiscales, Revue de science et de législation financière, 1949, pp. 14-23, p. 16. « Lorsqu’une sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une de ces sanctions encourues » DC 97-395 425 De la définition des sanctions fiscales Si l’on cherche à dresser un tableau des sanctions fiscales, ces différents éléments ont pour effet de donner une perspective qui peut sembler quelque peu impressionniste. Cet effet est dû, en particulier, au fait que les sanctions fiscales sont situées au confluent de deux pouvoirs régaliens essentiels de l’Etat : celui de prélever l’impôt et celui de sanctionner. Sachant que ce dernier peut être exercé alternativement ou simultanément par deux autorités : l’administration et le juge. Ce caractère mixte de la sanction dû, à la fois, à sa nature hybride – réparation et sanction – et au partage, entre deux autorités, du pouvoir de sanctionner implique un dialogue entre ces dernières. Dialogue qui fait naître des convergences, des oppositions entre le juge et l’administration mais ces échanges entre ces deux protagonistes ont aussi un effet sur l’application des deux catégories de sanctions et implique – au-delà du tableau – d’avoir une perspective dynamique d’un domaine qui évolue nécessairement de par les interactions entre les différents acteurs participant du pouvoir de sanctionner le contribuable manquant – de manière frauduleuse ou non – à ses obligations. En particulier, qu’il s’agisse de l’une ou l’autre des catégories, le juge est présent, mais à un stade différent. Dans le cas des sanctions administratives, son rôle n’est pas obligatoire, au sens où il n’intervient pas pour chaque sanction infligée par l’administration, même si celle-ci agit sous son contrôle. En revanche, en matière de sanctions pénales, elles ne peuvent être infligées que par lui. Ainsi il pourrait sembler d’emblée que le rôle du juge soit plus prégnant dans le cadre pénal que dans le domaine des sanctions administratives ; et inversement pour l’administration. Cependant, eu égard au caractère mixte de la notion de sanction fiscale ainsi qu’au partage du pouvoir de sanction, la répartition de ce pouvoir entre administration et juge n’est pas toujours aussi simple à établir. Dans le domaine des pénalités fiscales administratives, l’assimilation progressive de ces dernières au régime des sanctions administratives, a permis au juge de l’impôt de définir et de donner au du 3à décembre 1997, note de Loïc PHILIP, Revue française de droit constitutionnel, 1998, p. 160. 426 De la définition des sanctions fiscales contribuable de nouvelles garanties ; grâce à une œuvre jurisprudentielle d’une grande densité, le juge de l’impôt a opéré une re-délimitation des sanctions fiscales administratives (I). En revanche, en matière de sanctions pénales fiscales, le travail du juge est limité – voire réduit – par la règle selon laquelle la mise en action de l’action publique est conditionnée par le dépôt de plainte de l’administration (II). I - UN ROLE ACCRU DU JUGE PAR L’ASSIMILATION DES PENALITES FISCALES AU REGIME DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES La qualification de la sanction administrative par le juge a fortement évolué pendant les trois dernières décennies. Cette évolution permet de mettre en perspective l’émergence d’un mouvement dans le sens d’une pénalisation de cette catégorie de sanctions, le caractère répressif venant s’ajouter à la réparation pécuniaire (A). Cependant cette transformation, si elle a permis au contribuable de bénéficier de garanties accrues, a généré des questionnements qui ne sont pas toujours encore résolus (B). A – L’évolution jurisprudentielle de la qualification de la sanction fiscale Si dès 1949, Marcel WALINE s’interrogeait sur la nature des sanctions fiscales et concluait sur leur nature mixte6 ; en revanche les juges, administratif7 comme judiciaire8, estimaient que les sanctions fiscales ne pouvaient être considérées que comme des accessoires à l’impôt. Cette position, critiquée par la doctrine9, a perduré jusqu’à l’arrêt du 27 avril 1979 Yacht Motors Corporation 10. Dans cette 6 7 8 9 10 Nature juridique des pénalités fiscales, op. cit. p. 14 : « Les pénalités fiscales sont des mesures ayant pour objet de sanctionner la conduite d’un contribuable ou d’un assujetti portant illégalement préjudice aux intérêts du fisc, mesures qui n’ont exclusivement ni la nature juridique d’une peine de droit pénal, ni celle d’une réparation civile, mais un caractère mixte ». CE, 10 mai 1952, JCP 1952.II.7151. Cass. Com., 25 octobre 1960, Percepteur d’Orléans-Ouest c/Caisse d’allocations familiales du Loiret, Bull. cass. IV, n° 337. Stéphane AUSTRY, Les sanctions administratives en matière fiscale, AJDA, 2001, n° spécial « Les sanctions administratives », pp. 51-59, p. 52. CE, Ass., req. n° 7309, RJF, 6/1979, n° 366. 427 De la définition des sanctions fiscales décision, le Conseil d’Etat a reconnu – implicitement – l’assimilation des sanctions fiscales aux sanctions administratives11. Par cette décision, le Haute Juridiction a abandonné le concept classique selon lequel les pénalités étaient assimilées à des accessoires à l’impôt12. A partir de cette décision le juge a, progressivement, opéré une assimilation du régime applicable aux sanctions fiscales à celui valable pour les sanctions administratives. Or, tout au long de ce travail jurisprudentiel, il a été nécessaire de définir si l’ensemble des sanctions fiscales pouvait être qualifié de punitions et donc être compris comme une sanction administrative ; ou si « une distinction devait être établie au sein de ces sanctions »13. Mais la séparation entre les pénalités présentant uniquement un caractère réparateur et celles ayant un caractère répressif n’est pas aisée, les critères sur lesquels repose cette distinction ont évolué. Dans une décision du 30 décembre 198214, le Conseil constitutionnel n’a pas reconnu aux majorations de droit et aux intérêts de retard un caractère répressif. Prenant en compte cette décision15, le Conseil d’Etat, dans un arrêt rendu en assemblée plénière le 9 novembre 198816 a posé comme critère de distinction que les pénalités qui ne comportaient « aucune appréciation par l’administration fiscale du comportement du contribuable »17 n’étaient pas considérées comme des sanctions18. 11 12 13 14 15 16 17 18 Conformément aux conclusions du Commissaire du Gouvernement Bruno MARTIN-LAPARADE, RJF, 6/1979, pp. 192-195. La solution de la décision du 29 avril 1979 ne repose pas sur la qualification des pénalités comme accessoires à l’impôt, mais sur une exception législative. A contrario, si cette dérogation n’avait pas existé, les sanctions fiscales auraient été soumises au même régime que les sanctions administratives. Stéphane AUSTRY, Les sanctions administratives en matière fiscale, op. cit., p. 53. Déc. n° 82-155, Rec., p. 88. Jérôme TUROT, Pénalités fiscales : une « zone de transit » du droit administratif, RJF, 4/1992, p. 263-267. GRISONI, req. n° 68965, DF, 1989, n° 27, comm. 1360, concl. Bruno MARTIN-LAPRADE. CE Plénière, 9 novembre 1988, GRISONI, req. n° 68965, op. cit. Stéphane AUSTRY, Les sanctions administratives en matière fiscale, op. cit., p. 53. Cette décision aurait notamment inspirée le législateur lors de l’ajout d’un second alinéa à l’article L 80 D du LPF. Selon ce texte, le contribuable n’est 428 De la définition des sanctions fiscales Cependant dans une décision de 199219, le Conseil d’Etat se rangeait à l’avis du Commissaire du Gouvernement Philippe MARTIN selon lequel « le critère de distinction est donc l’objet de la pénalité : véritable punition ou simple réparation pécuniaire » 20. Cette solution permettait de revenir à une lecture objective de la distinction entre les différentes pénalités fiscales. Par la suite, le Conseil d’Etat a gardé cette même position en la réaffirmant, notamment par deux avis, l’un en date du 31 mars 199521 et, un autre du 5 avril 199622. Dans ces avis, le Conseil d’Etat énonçait que les pénalités « présentent le caractère d’une punition visant à éviter la réitération des agissements qu’elles visent et n’ont pas pour objet la seule réparation d’un préjudice pécuniaire »23, elles sont considérées comme des sanctions. La chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 29 avril 199624 a adopté la même position. Ce rappel du travail du juge en matière de qualification des sanctions pénales est révélateur de la difficulté de tracer une frontière claire et sans ambiguïtés entre les différents types de pénalités fiscales. Cette problématique est issue du caractère mixte de ces pénalités ; mais c’est aussi ce caractère hybride qui a permis au juge d’attirer dans la sphère des sanctions administratives certaines pénalités fiscales. Cette intégration n’a pas été complète et certaines pénalités sont restées dans le champ de la réparation pécuniaire. Ainsi les intérêts de retard ont fait l’objet d’une vive controverse à propos de leur qualification. 19 20 21 22 23 24 invité à faire part de ses observations que pour les seules pénalités « dont la qualification est fondée sur l’appréciation du comportement du contribuable ». CE, 17 février 1992, Epx VERMEERSCH, req. 58299, RJF 4/1992, n° 503, Chron . Jérôme TUROT ; DF, 1992, n° 45, comm. 2117, Concl. Philippe MARTIN. CE, 17 février 1992, Epx VERMEERSCH, req. 58299, op. cit. Avis CE Sect., 31 mars 1995, Ministre du Budget c/ SARL Auto-Industrie Méric, RJF 5/1995, n° 623, concl. Jacques ARRIGHI DE CASANOVA ; AJDA 1995, p. 739, note Muriel DREIFUSS Avis CE Sect, 5 avril 1996, HOUDMOND, RJF 5/1996, n° 607, Chron. Stéphane AUSTRY ; BDCF 3/1996, p. 63, concl. Jacques ARRIGHI DE CASANOVA. Avis CE Sect, 5 avril 1996, HOUDMOND, op. cit. Ferreira, RJF, 6/1996, n° 641. 429 De la définition des sanctions fiscales Depuis 1987, les intérêts de retard dus par le contribuable à l’administration étaient déterminés sur un taux fixé à 0,75 % par mois, soit 9 % l’an25. En revanche, les intérêts moratoires, dus par l’administration au contribuable, étaient calculés sur le taux de l’intérêt légal. En 1987, ce dernier était sensiblement égal à celui de l’intérêt de retard26. Mais au fur et à mesure des années, le taux de l’intérêt légal a considérablement baissé, pour atteindre 2,05 % l’an en 200527. Partant de la constatation de cette différence, certains tribunaux28 ont jugé que l’intérêt de retard devait être considéré comme une sanction, tout au moins pour le niveau supérieur à celui du taux de l’intérêt légal. Cette analyse n’était pas partagée par le Conseil d’Etat, par un avis en date du 12 avril 200229, il a affirmé que, quel que soit le taux applicable, l’intérêt de retard n’était pas une sanction, mais « visait essentiellement à réparer les préjudices de toutes natures subis par l’Etat à raison du non-respect par le contribuable de ses obligations ». Quant à l’administration, elle se ralliait à la position de la Haute Juridiction administrative30. La question a été résolue par le législateur. Par l’article 29-I de la loi de finances pour 200631, le taux de l’intérêt de retard a été ramené de 0,75 % à 0,40 % - soit 4,80 % l’an -. On peut noter que si le législateur en modifiant le taux de l’intérêt de retard, a mis fin au débat, il ne s’est pas pour autant 25 26 27 28 29 30 31 Ancien article 1727 CGI. En 1987, le taux de l’intérêt légal était de 9,5 %. Mémento pratique fiscal, Editions Francis Lefebvre, 1987. Mémento pratique fiscal. Editions Francis Lefebvre, de 1987 à 2005. TGI Paris, 6 juil. 2001, n° 99-20096 et n° 99-20097, Consorts DALLOZ FURET, DF, 2001, n° 3, comm. 33 ; RJF, 02/01, n° 257 ; TGI Nîmes 3ème ch., 15 fév. 2001, n° 99-1710, SCI Guardians Aigues-Mortes, DF, 2001, n° 18, comm. 670 ; TA Nantes 18 juil. 2001, n° 97-2530, SA MECATLANTIC, DF, 2002, n° 11, comm. 225. CE, Avis, Ass., 12 avril 2002, n° 239.693, SA Financière Labeyrie, Concl. SENERS, DF, 2002, n° 26, comm. 555 ; B. BOUTEMY et E. MEIER, DF, 2002, n° 26, comm. 555 ; L. OLLEON, Intérêts de retard et convention européenne des droits de l’Homme : peut-on noyer un serpent de mer ? RJF, 2002, n° 6, p. 447-452 ; X. PRETOT, La CEDH et le droit fiscal : le régime des intérêts de retard, RDP, 2002, n° 3, p. 619-631. Par exemple : Inst. du 24 juin 2002 de la DGI relative à l’intérêt de retard (BOI 13N-2-02), DF, 2002, n° 28, 12870. Loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005. 430 De la définition des sanctions fiscales prononcé de manière expresse sur la qualification de l’intérêt de retard. Néanmoins il paraît très probable que grâce à cette modification du taux, ainsi qu’à la possibilité accordée à l’administration de transiger sur les intérêts de retard32, le contribuable n’éprouve plus, que très rarement, la nécessité de porter le différend devant le juge33. Dès lors la qualification des intérêts de retard ne présente plus un intérêt aussi prégnant qu’il l’a été pendant cette controverse. B – De nouvelles garanties pour le contribuable et de nouvelles questions sur le rôle du juge Même s’il reste des zones moins claires que d’autres, à présent la séparation entre les différentes catégories de pénalités fiscales semble posée distinctement. L’assimilation progressive des pénalités qualifiées de sanctions fiscales au régime des sanctions administratives a eu pour conséquence un accroissement sensible des garanties accordées au contribuable. Etant assimilées aux sanctions administratives, cela impliquait que les garanties de ces dernières devaient s’appliquer aussi aux sanctions fiscales. Cet accroissement se fonde sur l’application des principes du droit répressif, par exemple celui de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère34, mais aussi l’obligation de motivation ainsi que l’exigence d’une procédure contradictoire35. Cette évolution a eu pour effet de ne pas maintenir « les pénalités fiscales dans une zone de nondroit »36. Mais multipliant les garanties pour le contribuable soumis à 32 33 34 35 36 Article 35 de la loi de finances pour 2004, n° 2003-1311 du 31 décembre 2003, codifié sous l’article L 247 du LPF. Laurence VAPAILLE, L’intérêt de retard : le prix du temps ?, « Les sanctions administratives fiscales : aspects de droit comparé » sous la direction de Thierry LAMBERT, L’Harmattan, Col. Finances publiques, 2006, 245 pages, pp. 107133. Gilles BACHELIER, Les sanctions fiscales dans la jurisprudence du CE, RFFP, 1999, n° 65, p. 17-33. Gilles BACHELIER, Les sanctions fiscales dans la jurisprudence du CE, op. cit. Jérôme TUROT, Pénalités fiscales : une « zone de transit » du droit administratif, op. cit. 431 De la définition des sanctions fiscales des sanctions37, cela multipliait d’autant les possibilités de saisir à propos de litiges relatifs aux sanctions fiscales et garanties y afférentes car soumises au régime des sanctions administratives. L’intégration de la sanction fiscale dans le domaine des sanctions administratives, outre les garanties accordées au contribuable, a permis au juge - administratif en premier lieu, mais aussi au juge constitutionnel ainsi qu’au juge judiciaire - de jouer un rôle essentiel dans la délimitation de ce concept. Rappelant cette évidence selon laquelle « le juge (…) ne peut « créer » du droit fiscal qu’à partir des litiges dont il est saisi »38, il apparaît que le juge a joué un rôle majeur dans la délimitation de la sanction alors même que son intervention n’a pas de caractère obligatoire ; mais incluant les sanctions fiscales dans le corpus de règles applicables aux sanctions administratives et ayant à se prononcer sur le respect de ces règles, il est devenu un acteur essentiel de la délimitation de la sanction fiscale administrative. C’est parce que le juge doit régler les litiges qui lui sont soumis qu’il peut faire œuvre jurisprudentielle. Il s’agit d’une démonstration d’évidence s’agissant des sanctions fiscales administratives que l’on peut intégrer dans un mouvement plus vaste au terme duquel « ce rôle va depuis quelques années en s’accroissant sous l’effet d’un net développement des litiges contentieux en matière fiscale »39. Le juge imposant des garanties issues du régime des sanctions administratives a modifié conséquemment les obligations de l’administration ; modifications qui ont procédé à une re-délimitation de la sanction. Cependant l’accroissement sensible du rôle du juge n’a pas fait perdre toute possibilité d’intervention de l’administration sur la définition de la sanction. Elle reste un acteur de premier plan au sens où le pouvoir primaire de sanctionner est de sa compétence, le 37 38 39 Yves BRARD, Motivation, droits de la défense et procédure contradictoire, « Les sanctions administratives fiscales : aspect de droit comparé », op. cit. pp. 157-169. Marie-Aimée LATOURNERIE, L’apport de la jurisprudence administrative au droit fiscal, dans « Le juge fiscal » sous la direction de Robert HERTZOG, Economica, Col. Finances publiques, 1988, 302 pages, p. 239-250. Marie-Christine ESCLASSAN, A propos de la judiciarisation du droit fiscal. Quelques éléments d’analyse, RFFP, 1993, n° 41, p. 73-84, p. 77. 432 De la définition des sanctions fiscales juge venant ensuite, éventuellement, contrôler l’exercice de ce pouvoir. En particulier, la modulation reste un enjeu important de la définition. Or, d’une part, le Conseil d’Etat a refusé très clairement de procéder à cette modulation dans un avis du 8 juillet 199840, « le juge de l’impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’Administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir ou d’appliquer la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, sans pouvoir moduler celui-ci pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable ». Il faut noter ici que « pour le juge judiciaire l’assimilation des pénalités fiscales aux sanctions pénales implique pour le juge civil un véritable pouvoir de modulation du juge »41. Il s’agit là d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 29 avril 199742 selon laquelle il appartient au juge d’apprécier la proportionnalité de la sanction au comportement du contribuable. Cette controverse alimente de nombreux débats et met en jeu une question de principe quant au rôle du juge dans la définition de la sanction fiscale. Néanmoins elle ne doit pas faire oublier que l’administration dispose aussi d’un pouvoir de modulation, pouvoir d’autant plus large qu’il n’est que très peu soumis au contrôle du juge En effet l’activité gracieuse de l’administration fiscale est un « domaine (…) resté finalement très à l’écart de ce mouvement général « d’effort pour le juge » qui, après le droit administratif, marque fortement aujourd’hui le droit fiscal »43. 40 41 42 43 CE, 8e et 9e sous-sect., Avis, n° 195 664, M. FATTELL, DF, 1998, n° 40, comm. 842 ; RJF8-9/1998, n° 870, concl. J. ARRIGHI de CASANOVA, plus récemment dans le même sens : CE, 17 déc. 2003, req. n° 247 988, NGUYEN, RJF 03/2004, n° 298. Patrick PHILIP, Vers un principe général de modulation des pénalités fiscales ? LPA, 2 jan. 2006, n° 1, p. 3-7. Cass. Com., FERREIRA, op. cit., dans le même sens : Cass. Com. 30 juin 1998, BOBLET, n° 96-22059, DF, 1998, n° 45, comm. 983 ; Cass. Com., 19 déc. 2000, BECHARD, n° 98-17607, DF, 2001, n° 24, comm. 529. Marie-Christine ESCLASSAN, Juridiction gracieuse et sanctions fiscales, RFFP, 1999, n° 65, p. 109-121, p. 113. 433 De la définition des sanctions fiscales Il existe sur ce point un contraste certain entre les possibilités de modulation de l’administration qu’elle tient du législateur44 lui « permettant à sa convenance d’aménager le montant des sanctions pécuniaires dues par les contribuables »45 et, l’affirmation par le juge administratif de cette absence de pouvoir de modulation quant à sa compétence, allant à l’encontre de la position de la Cour de cassation. Selon Patrick PHILIP, ce pouvoir de modulation tendrait à se généraliser « en droit ou en fait »46. Néanmoins, en la matière, l’administration reste au premier plan car d’une part, son pouvoir de modulation est inscrit dans la loi et d’autre part, «on constate qu’elle admet souvent de transiger sur ces pénalités afin de résoudre plus rapidement les litiges fiscaux »47. Ainsi il apparaît donc que la qualification de la sanction fiscale administrative en tant que peine répressive à laquelle sont attachées certaines garanties comporte certaines limites. En particulier on peut s’interroger pour savoir si le refus de modulation par le juge administratif n’est pas le rappel implicite que même si la sanction fiscale comporte un aspect répressif, il s’agit avant tout d’une réparation pécuniaire. Dans cette perspective, la différence entre le pouvoir de modulation de l’administration et celui que le juge administratif estime ne pas être de sa compétence peut être analysée comme un effet de la sanction considérée principalement comme une réparation pécuniaire – le caractère répressif étant insuffisant pour imposer le pouvoir de modulation du juge. Le caractère mixte de la sanction est ainsi compris différemment par le juge administratif et le juge judiciaire. Pour le premier, le caractère indemnitaire est prépondérant alors que pour le second l’aspect répressif permettant la modulation de la peine par le juge reste prédominant. 44 45 46 47 Article L 247 du Livre des procédures fiscales relatif aux remises et transactions à titre gracieux. Marie-Christine ESCLASSAN, Juridiction gracieuse et sanctions fiscales, op. cit., p. 112. Patrick PHILIP, Vers un principe général de modulation des pénalités fiscales ? op. cit., p. 7, § 14. Patrick PHILIP, Vers un principe général de modulation des pénalités fiscales ? op. cit., p. 7, § 14. 434 De la définition des sanctions fiscales Par son pouvoir de modulation l’administration, non seulement, définit le quantum de la sanction mais en réglant le litige avant que celui-ci ne soit soumis au juge, elle intervient dans la relation entre le justiciable et le juge. Si cette intervention est un gain de temps pour le contribuable, on peut s’interroger pour savoir s’il représente une solution si avantageuse pour le justiciable. Dans certaines hypothèses « l’administration considère (…) qu’il est inutile d’attendre l’issue douteuse de l’instance et préfère pour des raisons évidentes de rendement une transaction (…). La justice fiscale est ici atteinte au profit du rendement fiscal »48. Il n’en reste pas moins qu’au regard du nombre de sanctions infligées par l’administration chaque année, la jurisprudence fiscale dans ce domaine est « d’une densité tout à fait exceptionnelle »49 et a permis au juge de l’impôt d’accroître son rôle en matière de définition de la sanction. En revanche le juge répressif est beaucoup moins sollicité, en effet seules 700 à 800 condamnations pas an sont prononcées50. Ce contraste dans les proportions des litiges entre les sanctions fiscales administratives et les sanctions fiscales pénales51 pose le problème de savoir quel est le rôle du juge en matière de répression de la fraude fiscale. 48 49 50 51 Lucien SFEZ, La nature juridique des sanctions fiscales non pécuniaires, RSLF, 1966, p. 361-396. Yohann BENARD, Principes constitutionnels et régime juridique des sanctions fiscales : deux exemples de dialogue constructif entre juge constitutionnel et juge de l’impôt, « Les sanctions administratives fiscales : aspects de droit comparé », op. cit., p. 171. Yohann BENARD, Principes constitutionnels et régime juridique des sanctions fiscales : deux exemples de dialogue constructif entre juge constitutionnel et juge de l’impôt, « Les sanctions administratives fiscales : aspects de droit comparé », op. cit., p. 171. Thierry RICARD, L’originalité de la procédure pénale en matière fiscale, DF, 2007, n° 3, comm. 57, pp. 55-58, p. 55. On peut aussi comparer ce nombre – 800 affaires fiscales environ – au regard des 420 000 délits jugés par les tribunaux correctionnels en 2005. 435 De la définition des sanctions fiscales II - UN MECANISME REDUCTEUR DU ROLE DU JUGE : LE MONOPOLE DE LA MISE EN MOUVEMENT DE L’ACTION PUBLIQUE PAR L’ADMINISTRATION Selon le premier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires52, la fraude fiscale et sociale serait estimée entre 29 et 40 milliards d’euros, dont les deux tiers seraient imputables aux impôts53. Ainsi le peu d’affaires soumis au juge répressif ne signifiant pas pour autant que les contribuables français soient d’une honnêteté exemplaire, mais plutôt qu’ils sont peu poursuivis. Le délit de fraude fiscale est constitué par la réunion d’un élément matériel, l’auteur de l’infraction doit avoir agi en connaissance de cause ; et d’un élément matériel réalisé par la soustraction ou la tentative de soustraction à l’établissement ou au paiement total, ou partiel, de l’impôt. L’article 1741 du CGI repose sur une définition claire de la fraude « même si elle est quelque peu extensive »54. Cette disposition énumère certaines modalités de réalisation de l’infraction, mais cette liste n’est pas exhaustive55. In fine, il est précisé que sont aussi sanctionnés les délits commis par « d’autres moyens frauduleux » ce qui implique de « s’en remettre à la sagesse des tribunaux afin qu’ils donnent un contenu aux autres moyens frauduleux »56. Mais pour exercer cette sagesse, encore faut-il que le juge répressif soit en mesure de se prononcer. Or dans notre système actuel, le ministère public ne peut agir que suite à une plainte déposée par l’administration57. Cette procédure est spécifique au domaine fiscal, le monopole de l’administration quant à la mise en mouvement de 52 53 54 55 56 57 Rapport rendu public le 1er mars 2007. Chiffres tirés de l’article de Claire GUELAUD, Le Monde du 21 février 2007. Brieuc de MORDANT de MASSIAC, La répression de la fraude fiscale par les juridictions correctionnelles, RFFP, 1999, n° 65, p. 35-59, p. 37. Thierry LAMBERT, La place des sanctions pénales dans le dispositif général de lutte contre la fraude fiscale, LPA, 30 avril 1999, n° 86, p. 4-12, p. 6. Thierry LAMBERT, La place des sanctions pénales dans le dispositif général de lutte contre la fraude fiscale, op. cit., p. 7. Brieuc de MORDANT de MASSIAC, La répression de la fraude fiscale par les juridictions correctionnelles, op. cit. p. 48, § 109. 436 De la définition des sanctions fiscales l’action publique a été – et est toujours – jugé sévèrement58, pour y obvier il a été instauré la commission des infractions fiscales (CIF)59, mais cet organisme est aussi l’objet de vives controverses (A). Car, au final, le choix des dossiers poursuivis pénalement reste du seul ressort de l’administration fiscale. Cette sélection est effectuée en vue d’une recherche de l’exemplarité, mais pas nécessairement d’une égalité de traitement des contribuables fraudeurs (B). A – La commission des infractions fiscales, un organisme critique pour remédier à un monopole contesté En France est appliqué le principe de l’opportunité des poursuites, classiquement opposé à celui de la légalité des poursuites tel qu’il existe, par exemple, en droit italien60. Dans le cadre du principe de la légalité des poursuites, il est exigé que l’action publique soit mise en mouvement dès lors qu’une infraction est commise. En revanche, s’agissant du principe de l’opportunité, même si l’infraction est constituée et l’action publique recevable, le Parquet peut ne pas donner suite61. Ce principe permet de réserver les poursuites aux infractions les plus graves, notamment afin de ne pas « encombrer les tribunaux d’infractions bénignes »62. En matière fiscale, ce principe de l’opportunité des poursuites reconnu au ministère public, connaît une limite d’importance : le Procureur de la République ne peut engager de poursuite sans dépôt de plainte de l’administration fiscale. Ce mécanisme – le dépôt de plainte obligatoire – est dérogatoire de la procédure pénale classique. Cette procédure spécifique trouverait son origine dans le caractère mixte des intérêts défendus par l’administration fiscale : intérêts à la fois patrimoniaux et répressifs63. 58 59 60 61 62 63 Cyrille DAVID, Olivier FOUQUET, Bernard PLAGNET et Pierre-François RACINE, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, Col. Grands arrêts, 4ème éd., 2003, 1085 pages, Thème n° 62, p. 940. Art. 1er de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977. Article 112 de la Constitution italienne. Article 40-1 du Code de procédure pénale. Thierry GARE et Catherine GINESTET, Droit pénal – Procédure pénale, 4ème éd., Dalloz, Col. Hypercours, 2006, 427 pages, p. 266, § 447. Brieuc de MORDANT de MASSIAC, La répression de la fraude fiscale par les juridictions correctionnelles, op. cit. 437 De la définition des sanctions fiscales La plainte doit émaner de l’administration fiscale, il ne peut y avoir de poursuites sans plainte de l’administration. Cette nécessité est d’ordre public64. A contrario cela signifie que le ministère public ne peut pas poursuivre de son propre chef une infraction fiscale. Par conséquent, il ne peut pas se prononcer sur les cas de fraudes fiscales pour lesquels l’administration choisit de ne pas porter plainte. Eu égard à la définition, qualifiée d’extensive, de la fraude fiscale de l’article 1741 du CGI, ce mécanisme ne permet pas à l’autorité judiciaire, par le biais du Ministère public, de développer une politique judiciaire autonome en matière de lutte contre la fraude fiscale ; celle-ci sera nécessairement dépendante des plaintes déposées par l’administration fiscale65. Cette limite au principe de l’opportunité des poursuites a donné à l’administration une très grande marge de manœuvre, à tel point que celle-ci a pu être qualifiée parfois d’arbitraire66. En particulier il avait été noté une rupture manifeste d’égalité en fonction des secteurs géographiques67. Par ailleurs, ce risque d’arbitraire avait été aussi subodoré eu égard à l’augmentation sensible du nombre de plaintes déposées par l’administration68. Pour remédier à cette situation, la loi du 29 décembre 197769 a instaurée la commission des infractions fiscales (CIF), afin de « préserver contre tout arbitraire de l’administration fiscale les contribuables qui avaient contrevenu à leurs obligations fiscales »70. 64 65 66 67 68 69 70 Cass. Crim. 16 janv. 1964, Bull. Crim. N°16. Francis KERNALEGUEN, Le juge de la fraude fiscale, « Regards sur la fraude fiscale » études coordonnées par Loïc CADIET et Erik NEVEU, Economica, Col. Travaux et recherches, Série Faculté des sciences juridiques de Rennes, 1986, 217 pages, p. 173-183, p. 176 : « le pouvoir du ministère public est tout entier subordonné au pouvoir d’appréciation préalable des services fiscaux dont l’exercice est la seule cause de l’anémie des poursuites ». Cyrille DAVID, Olivier FOUQUET, Bernard PLAGNET et Pierre-François RACINE, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, op. cit , p. 940. Francis KERNALEGUEN, Le juge de la fraude fiscale, « Regards sur la fraude fiscale », op. cit. De 64 en 1969 à 740 en 1975. Loi n° 77-1453. Muriel TREMEUR, La Commission des infractions fiscales, LPA, 22 déc. 1995, n° 153, p. 20-27, p. 20. ; dans le même sens : Note (DGI) du 3 novembre 1981, op. cit. : l’intervention de la commission est « de nature à apporter aux 438 De la définition des sanctions fiscales Depuis l’entrée en vigueur de ce texte, l’administration doit recueillir l’avis conforme de la commission des infractions fiscales qui conditionne le dépôt de la plainte71. Néanmoins, et malgré la création de cette commission, « l’administration reste pleinement juge de l’opportunité des poursuites »72. D’ailleurs l’administration énonce qu’elle « dispose seule du pouvoir de déférer à l’autorité judiciaire, par le dépôt d’une plainte préalable, les auteurs d’infractions justiciables de l’application de sanctions pénales (…) la loi du 29 décembre 1977 n’a pas remis en cause ce monopole»73. Elle qualifie le dépôt de plainte de « monopole » au sens où elle seule peut l’effectuer. Ce monopole, effectivement n’a pas été remis en cause par la création de la commission des infractions fiscales car cette dernière ne dispose pas du pouvoir d’auto-saisine. La CIF fait l’objet de très nombreuses critiques74. Il lui est reproché une procédure qui porte atteinte au respect des droits de la défense, notamment de par l’absence de communication de l’ensemble des griefs au contribuable, l’impossibilité pour ce dernier de présenter 71 72 73 74 contribuables l’assurance qu’aucune plainte fiscale ne sera déposée à leur encontre sans qu’il ait été procédé à un examen approfondi de leur dossier par un organisme dont la composition garantit l’objectivité et l’indépendance ». Article L 228 LPF al. 1er : « Sous peine d’irrecevabilité, les plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l’administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. » Thierry LAMBERT, La place des sanctions pénales dans le dispositif général de lutte contre la fraude fiscale, op. cit. Note (DGI) du 3 novembre 1981 et circulaire (Justice-Budget) du 30 octobre 1981 de la Direction générale des impôts relatives aux infractions et aux sanctions pénales (BODGI 13 N-3-81), DF, 1982, n° 1, ID, CA et E – 7147. Dans le même sens conf. Thierry LAMBERT « L’administration fiscale reste pleinement maîtresse quant aux choix des dossiers pour lesquels elle souhaite l’engagement des poursuites pénales », op. cit., p. 4. On peut citer notamment : Brieuc de MASSIAC, La Commission des infractions fiscales ou les avatars d’une réforme en trompe-l’œil, Droit pénal, mai 1900, p. 1-2 ; Rezki AIT IHADADENE, La mise en mouvement de l’action publique en matière fiscale, Gaz. Pal., 16-17/03/1994, p. 322-326 et plus récemment Manon SIERACZEK-ABITAN, La Commission aux infractions fiscales : une garantie illusoire accordée aux contribuables, Gaz. Pal., 6-8 août 2000, p. 1360-1365. 439 De la définition des sanctions fiscales des observations orales ou encore le fait que ses avis soient dépourvus de motivation. Cependant ni la Cour de cassation75, ni la Cour européenne des Droits de l’Homme76 n’ont remis en cause cette procédure tant décriée. La CIF est un organisme consultatif destiné à donner un avis au ministre chargé des finances sur l’opportunité des poursuites et non un premier degré de juridiction77, au regard de cette qualification aucun des griefs qui lui sont reprochés n’a été accueilli. Par ailleurs, cette commission ne peut agir qu’en fonction des règles de fonctionnement qui sont les siennes, mais qu’elle n’a pas nécessairement choisie. Bien évidemment, il existe toujours une relative marge de manœuvre dans l’application des textes. Cependant on ne peut douter de l’indépendance de ses membres78, et même s’ils procédaient à une analyse plus extensive de leurs pouvoirs, il n’en reste pas moins qu’ils ne peuvent outrepasser les règles qui sont celles de cet organisme. En amont de cette commission est toujours présente l’administration fiscale qui reste détentrice du monopole quant au dépôt de plainte en matière d’infractions fiscales. Cela signifie que seule l’administration peut présenter des dossiers à cette commission. Et si effectivement, au début des années 70 l’administration a augmenté de manière sensible le nombre de plaintes déposées, depuis le nombre de plaintes est assez stable79. En fait la difficulté ne porte peut être pas tant sur les dysfonctionnements, réels et supposés, de la CIF, mais sur la compétence, sans partage, de l’administration. Il est souvent reprocher à la commission un mode de fonctionnement 75 76 77 78 79 Cass. Crim. 7 mars 2001, jurisdata n° 008996. 11 janv. 2000, Le Meignen c/ France, RJF 3/2001, n° 426. Jacques GROSCLAUDE et Philippe MARCHESSOU, Procédures fiscales, op. cit., p. 268, § 221. Thierry LAMBERT, La place des sanctions pénales dans le dispositif général de lutte contre la fraude fiscale, op. cit., p. 7. Pour les années 1995 à 1999, conf. Bulletin officiel du ministère de la Justice n° 81 (1er janvier-31 mars 2001) le nombre de dossiers présentés à la CIF oscille entre 898 et 928 dossiers et le taux de rejet se situe en moyenne aux alentours de 6%. 440 De la définition des sanctions fiscales manquant de transparence80, mais le choix des dossiers déférés par l’administration à cette commission est tout aussi opaque. Le secret « paroxysmique »81 qui entoure les délibérations de la CIF n’a d’égal que celui qui couvre le choix des dossiers soumis à cette commission. B – Le choix des dossiers soumis à la commission des infractions fiscales : de la recherche d’exemplarité à l’absence d’égalité L’administration fiscale, dans une circulaire commune DGI/Chancellerie82 a indiqué les critères en fonction desquels elle décide de soumettre, ou non, une affaire à la commission des infractions fiscales. D’une part, elle évoque le « très fort effet dissuasif »83 des sanctions pénales et d’autre part, « l’utilisation sélective des poursuites correctionnelles »84. Les critères de cette sélection reposent sur une très forte volonté d’exemplarité85. Ainsi le choix des dossiers soumis à la CIF lie étroitement dissuasion et exemplarité, l’un étant le corollaire de l’autre. Ce souci de recherche de l’exemplarité est relativement ancien et déjà indiqué, en 1966, par Lucien SFEZ86. La problématique de la sélection des dossiers ne se pose pas seulement à propos des dossiers effectivement sélectionnés, mais aussi de ceux qui ne le sont pas. Dès lors où l’administration a opté pour une « politique d’exemplarité (…) 80 81 82 83 84 85 86 Manon SIERACZEK-ABITAN, La Commission aux infractions fiscales : une garantie illusoire accordée aux contribuables, op. cit. Thierry LAMBERT, La place des sanctions pénales dans les dispositif général de lutte contre la fraude fiscale, op. cit., p. 8. Note (DGI) du 3 novembre 1981, op. cit. Réponse de la DGI à la question n° 44 posée lors de la Journée d’études et d’information organisée à Strasbourg le 24 novembre 1987 (Service de la Communication et des Relations avec le Public du Ministère de l’économie, des finances et de la privatisation), DF, 1988, n° 40, comm. 1840. Réponse de la DGI, op. cit. Pour une analyse très complète de ces critères, cf. : Thierry LAMBERT, La place des sanctions pénales dans le dispositif général de lutte contre la fraude fiscale, op. cit ; Philippe DURAND, La sanction pénale des infractions fiscales, RA, 1999, n° 310, pp. 400-402. La nature juridique des sanctions fiscales non pécuniaires, op. cit. 441 De la définition des sanctions fiscales de préférence à des poursuites généralisées »87, la question est de savoir quels sont les critères permettant de déterminer un dossier exemplaire d’un dossier qui ne l’est pas. Il s’avère que les dossiers que l’administration défère à la CIF sont choisis avec soin, de manière à ce qu’elle ne soit pas désavouée88. Ce qu’elle semble faire avec succès, car il y a très peu de dossiers auxquels la commission ne donne pas un avis conforme. L’exemplarité des dossiers choisis se manifeste aussi à travers les décisions rendues par les juridictions répressives, en effet les poursuites engagées aboutissent le plus souvent à des condamnations pénales89. Il apparaît d’évidence que l’administration sélectionne des dossiers dans lesquels la fraude fiscale est avérée. Au regard de l’objectif recherché lors de la mise en place de la CIF, du très faible taux de rejet de la part de la commission et des condamnations prononcées par le juge répressif90, même si le risque d’arbitraire n’a probablement pas entièrement disparu, il a été néanmoins réduit autant que faire ce peut, et a priori les fraudeurs sont poursuivis à bon escient. Cependant si l’exemplarité est un objectif, connu et reconnu, qui n’est pas critiquable en soi, il n’est pas pour autant synonyme d’égalité de traitement. Le contentieux de la fraude fiscale constituerait ainsi « un véritable contentieux « pour l’exemple », sorte de moderne décimation à usage fiscal »91. Et considérant la problématique de l’arbitraire dans une perspective inverse, la question se pose de savoir si tous les contribuables coupables de fraude fiscale sont traités de manière égale. 87 88 89 90 91 Brieuc de MASSIAC, La Commission des infractions fiscales ou les avatars d’une réforme en trompe-l’œil, op. cit. Brieuc de MASSIAC, La Commission des infractions fiscales ou les avatars d’une réforme en trompe-l’œil, op. cit ; dans le même sens, cf. Dominique DAVOUST, La répression pénale de la fraude fiscale, LPA, 16 août 1995, n° 98, pp. 12-15, p. 14. Manon SIERACZEK-ABITAN, La Commission aux infractions fiscales : une garantie illusoire accordée aux contribuables, op. cit., p. 1365. Manon SIERACZEK-ABITAN, La Commission aux infractions fiscales : une garantie illusoire accordée aux contribuables, op. cit., p. 1365. Francis KERNALEGUEN, Le juge de la fraude fiscale, « Regards sur la fraude fiscale », op. cit., p. 174. 442 De la définition des sanctions fiscales En effet, cette politique d’exemplarité et de dissuasion développée par l’administration lui permet de faire un choix, celui de soumettre ou non un dossier à la CIF lui est autorisé du fait de l’absence d’obligation en ce domaine. Aucun texte législatif ou réglementaire « ne prive l’administration du droit d’apprécier si elle doit donner une suite judiciaire aux infractions (…) portées à sa connaissance et ne lui fait pas obligation d’engager des poursuites pénales pour fraude fiscale »92. Donc si un contribuable est coupable de fraude fiscale mais sans présenter un profil propre à servir d’exemple, sera-t-il poursuivi pour cette infraction ? Et s’il n’est pas poursuivi pour cette infraction, comment sera-t-il sanctionné ? Comme dans le domaine des sanctions administratives fiscales, l’article L 247 du Livres des procédures fiscales est applicable, une transaction est toujours possible tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, ce qui correspond à l’hypothèse du contribuable fraudeur ne possédant pas le profil « d’exemple ». La transaction serait ainsi un élément qui permettrait d’expliquer le peu de dossiers soumis au juge : « la faiblesse de ces chiffres s’explique par la pratique généralisée de la transaction. Le plus souvent, l’Administration préfère transiger, se réservant de traduire devant les tribunaux les délinquants les plus insoumis et ayant commis les délits les plus graves. L’exemplarité suffit »93. En revanche, une fois les poursuites pénales engagées, les possibilités sont beaucoup plus restreintes. D’une part, parce que dans cette hypothèse « l’administration s’abstient de consentir des transactions portant sur des pénalités afférentes à des impositions qui ont donné lieu au dépôt d’une plainte pour fraude fiscale, ou pour lesquelles elle envisage de déposer plainte »94. D’autre part, selon l’article L 249, alinéa 1er, du livre des procédures fiscales, « après mise en mouvement par l’administration ou le ministère public d’une 92 93 94 Rezki AIT IHADADENE, La mise en mouvement de l’action publique en matière fiscale, op. cit., p. 324. Lucien SFEZ, La nature juridique des sanctions fiscales non pécuniaires, op. cit. p. 366 ; dans le même sens cf. Wilfrid JEANDIDIER, Les sanctions pénales en matière fiscale, DF, 2007, n° 3, comm. 58, pp. 58-64, p. 58. Thierry LAMBERT, La transaction fiscale : une pratique autant qu’un droit, Bulletin fiscal Francis Lefebvre, 5/1999, pp. 271-276, p. 276. 443 De la définition des sanctions fiscales action judiciaire, l’administration ne peut transiger que si l’autorité judiciaire admet le principe d’une transaction ». Quant aux remises totales ou partielles elles ne peuvent avoir lieu qu’après avis conforme du président de la juridiction95. Mais en amont de l’engagement des poursuites, la transaction vient confirmer – voire accentuer – l’inégalité entre les contribuables selon que l’administration décide de leur consentir une transaction, ou au contraire de la leur refuser et de déposer plainte contre eux96. Le mécanisme du dépôt obligatoire de plainte pour fraude fiscale associé à une politique d’exemplarité prive le juge répressif de la possibilité de mener une politique de lutte contre la fraude fiscale. Selon certains auteurs, les justifications à cette procédure dérogatoire du droit commun pénal venant limiter les pouvoirs du ministère public en matière de poursuite d’infractions de fraude fiscale sont à la fois d’ordre matériel et sociologique. Au niveau matériel, il est classiquement avancé qu’ainsi est évité l’engorgement des tribunaux97. Néanmoins, avec 700 à 800 dossiers par an, il semble qu’il existe encore une –relative – marge de manœuvre avant que l’engorgement ne soit atteint. Au plan sociologique, il est fait mention de la « réaction de rejet du corps social due à la lourdeur des peines pénales, celles-ci se superposant aux sanctions fiscales »98. Cependant eu égard au poids de la fraude99, on peut penser que le contribuable honnête pourrait considérer cette sanction comme le signe d’une lutte qui serait la bienvenue. Quant au contribuable fraudeur, le fait qu’il trouve trop lourde la sanction ne saurait surprendre … néanmoins s’agissant d’infraction, l’élément intentionnel est nécessaire ce qui induit que ce contribuable connaissait la teneur de son action. 95 96 97 98 99 Article L 249, dernier alinéa, LPF. Francis KERNALEGUEN, Le juge de la fraude fiscale, « Regards sur la fraude fiscale », op. cit., p. 176. Par exemple, cf. Dominique DAVOUST, La répression pénale de la fraude fiscale, op. cit., p. 14. Stéphane AUSTRY, Les sanctions administratives en matière fiscale, op. cit, p. 52 ; Dominique DAVOUST, La répression pénale de la fraude fiscale, op. cit. 1er rapport du Conseil des prélèvements obligatoires. 444 De la définition des sanctions fiscales Enfin l’arme de la sanction pénale est peu utilisée car pour l’administration l’arsenal des sanctions administratives « doit suffire dans la grande majorité des cas à sanctionner »100. Il s’agit implicitement – mais néanmoins clairement – de la reconnaissance par l’administration de son œuvre de sélection des dossiers, et de la répartition qu’elle opère entre ceux qu’elle estime ne mériter que des sanctions administratives, et ceux qui ont dépassé la mesure et qui doivent être soumis au juge répressif. Or la délimitation entre les dossiers susceptibles de seules sanctions administratives et ceux qui sont sanctionnés aussi pénalement est difficile – voire impossible – à tracer de par le manque de transparence de l’administration quant à ce type de décision. Cette opacité dans l’appréciation de la fraude fiscale pose problème à la fois au plan individuel pour le contribuable concerné mais plus largement ce manque de transparence a pour effet que l’administration ne fournit pas de « données fiables relatives à la fraude fiscale (…) il est impossible de juger si le dispositif mis en place permet une lutte efficace contre la fraude fiscale, et notamment la « grande fraude », conséquences d’activités illicites à grande échelle »101. Outre la question de l’inégalité de traitement entre contribuables poursuivis et ceux qui ne le sont pas en fonction de l’exemplarité souhaitée par l’administration fiscale, on peut aussi s’interroger afin de savoir si les infractions poursuivies sont exemplaires du phénomène actuel de la fraude. Ainsi Philippe DEROUIN102 se demande si tous les types de fraudes, et non seulement les plus évidents, font l’objet du même intérêt de l’administration sur le plan pénal. Selon lui, les fraudes les plus complexes n’atteignent pas nécessairement le stade du contentieux pénal. Cette question est relative à la fois à l’égalité de traitement 100 101 102 Réponse de la DGI, op. cit. Institut de l’Entreprise, Propositions pour une réforme du contrôle fiscal, par la commission Modernisation de la fiscalité, Dossier de presse du 19 mai 2006, www.institut-entreprise.fr. L’appréciation de l’opportunité des poursuites, Intervention lors du colloque « Les sanctions pénales fiscales » du 24 novembre 2006 organisé par le CERAP, à paraître aux éditions L’Harmattan, Col. Finances publiques sous la direction de Thierry LAMBERT. 445 De la définition des sanctions fiscales entre contribuables fraudeurs, mais au-delà aussi à la mise en œuvre d’une politique réellement dissuasive103 à l’égard des pratiques frauduleuses sans nécessairement distinguer la fraude simple de la fraude plus complexe, la fraude exemplaire de celle qui ne le serait pas … 103 Wilfrid JEANDIDIER, Les sanctions pénales en matière fiscale, DF, 2007, n° 3, pp. 58-64, p. 64. 446