Le ballon rond - Raconter la vie
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Le ballon rond - Raconter la vie
Page 1/4 Souvenirs du stade. Je me souviens du ballon rond et des stades. S’il y a une chose pour laquelle je ne me sens pas nordiste, c’est la forme du ballon. C’est comme ça. Si j’ai toujours préféré l’ovale, c’est le rond qui me vit grandir. Au plus loin de mes souvenirs, il y a papa qui part jouer. Il était avant-centre ou inter, en clair il court, passe et marque. Je me souviens de son sac, qu’il nouait avec une ficelle et qu’il portait à l’épaule. Il jouait en « corpo » et il était bon. Son maillot était beau, peut-être noir et blanc, composé de lignes verticales. Je vous invite à revoir ces maillots de l’époque, sans publicité, coupés dans un coton épais aux formes et dessins magnifiques. Je me souviens des images dans la presse, des photos d’équipes. Alors quand on sortait, il y avait un ballon rond qui nous accompagnait. Plus tard, je me souviens de l’admiration de mes cousins quand j’aurais en cadeau un vrai ballon de cuir qu’il fallait graisser pour qu’il ne s’altère pas. Un ballon de cuir, ce n’était que pour l’herbe, c’était un ballon de grand et il sentait fort ! J’ai en tête de vieilles photographies aux couleurs passées qui me montrent, poussant le ballon alors que j’étais haut comme trois pommes. En ce temps-là, la France allait devenir sportive. Nous ne gagnions pas souvent et l’esprit cocardier ne trouvait que peu d’occasions d’exulter. Et puis la télé arriva doucement dans les foyers. Je me souviens tout de même du héros de papa : Raymond Kopa. S’il était polonais d’origine, c’était d’abord un gars du Nord, catholique comme papa. Et puis que n’ai-je pas entendu dire de la Coupe du Monde en Suède, celle de 58 où la France a tant brillé avec Just Fontaine et Raymond Kopa. Elle ne « coincera » que face au Brésil magique de l’incontestable Roi Pelé. Mon père n’était pas peiné de ça, tiers-mondiste qu’il était, car il adulait ce Roi-là. Le ballon rond fut très vite pour moi le bonheur de la fréquentation des stades le dimanche après-midi. Nous fûmes d’abord supporters de l’Olympique SaintQuentinois avant de devenir supporters de l’AS Creil, du fait d’une promotion professionnelle de mon père. Papa est désormais supporter des Merlus de Lorient, dans la famille on supporte comme on déménage. Ces trois équipes-là jouaient d’ailleurs parfois dans le même championnat en deuxième ou troisième division. Elles connaîtront, avec le temps et les crises économiques, des fortunes diverses. Alors, on jouait le dimanche. Il n’y avait pas d’abonnements et on faisait la queue Page 2/4 pour acheter sa place, « pelouse, tribune nord, sud, virage... » Il n’y avait ni grillage, ni fosse autour du terrain et pourtant la ferveur était forte chez les supporters ! J’aimais ce rendez-vous de 15 heures après le bon repas du dimanche accompagné de la tarte préparée par maman. Papa sortait un cigare qu’on avait fait passer par la frontière belge et on se rendait au stade dans l’odeur du Havane. Je crois que je préférais le stade en hiver car le froid exhalait plus fortement les parfums. D’abord, j’aimais voir respirer la foule par ses petits nuages de vapeur sortant des nez qui coulaient. La pelouse et la terre sentaient fort, comme la friture et la bière dans les tribunes. Autour de moi, on encourageait, on criait. On pouvait dire à l’arbitre ce qu’on ne disait pas à son patron, m’expliquait alors mon père qui comprenait ses voisins de stade même s’il les trouvait peu fairplay. J’ai pu ainsi enrichir mon vocabulaire d’enfant même s’il m’a fallu parfois faire appel à Papa pour la traduction. A la mi-temps, il nous offrait des cacahuètes, ça aidait le club. On frappait dans nos moufles en marchant derrière la tribune pour se réchauffer. Parfois le public chantait à l’unisson « allez les jaunes et bleus ! » La clameur du stade se faisait entendre en même temps que la tribune se levait d’un seul homme à l’occasion d’une passe de l’ailier à son avant-centre. Dans le Nord, les équipes se ressemblaient souvent par le jeu rude qu’elles pratiquaient. C’est sûrement pour ça que j’aime encore regarder à l’occasion un match du championnat anglais. Doucement je devenais spécialiste. J’aimais le jeu de relance du libéro. J’adorais voir l’ inter polonais, courir et ramasser les ballons dans les pieds des adversaires, l’ailier algérien dribbler comme personne. Le club, parfois, trouvait un boulot à un avantcentre sénégalais qui enchantait les supporters par le nombre de buts qu’il marquait, la finesse de son jeu et les points engrangés au championnat. À la télé, j’adorais les Hollandais. S’il n’y avait pas eu ces Allemands pour leur barrer la route... Les jours de derby, tout s’exacerbait et il fallait crier encore plus fort. Question d’honneur ! Et puis il y avait la coupe. On tenait une mi-temps, voire un peu plus, à rêver de faire tomber l’ogre pro. On en causait le lendemain en classe avec les copains, ça nous occupait l’esprit toute la semaine. Curieusement je n’ai pas pratiqué le foot en club mais plus avec les copains ou à l’école. Question de mentalité. Je garde pourtant de merveilleux souvenirs d’unions familiale et populaire. En grandissant, je vibrerai comme toute la France pour l’épopée des Verts de Saint-Etienne. Dominique Rocheteau était un grand joueur Page 3/4 qui partageait nos engagements pour un monde meilleur. Ce club ouvrier, comme les Sang et or de Lens, savait renverser des montagnes, ils avaient la foi en plus du jeu. Après les poteaux carrés (car il faut être malchanceux pour devenir des héros pour toujours), il y aura les matchs au Parc des Princes où je verrai les bleus de Platini nous qualifier pour de merveilleuses aventures. Plus tard, à dix-huit ans, mono en colo, je suivrai à la radio la « tragédie » de Séville. Pour moi qui ai grandi dans les quartiers populaires, je peux dire que nos pères, avec leur amour du ballon rond, ont permis d’unir notre pays fait de tant de nuances et de couleurs. Merci à eux de nous avoir conduits au stade le dimanche. Page 4/4