L`idée de “risque zéro” est dangereuse Communiquer le goût d
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L`idée de “risque zéro” est dangereuse Communiquer le goût d
10e Université des CCI - vichy - septembre 2006 Nicolas Bordas, PDG de TBWA France, diplômé de l’ESSEC A u mois de février dernier, j’ai écrit un article dans “Le Monde” sur le thème de l’optimisme comme devoir civique. Je défendais la thèse selon laquelle nous devions développer un optimisme de la volonté s’opposant, à la fois, au pessimisme ambiant et à l’optimisme béat. J’étais, à ce moment, très affecté par le thème du déclin et l’avènement d’un certain marketing de la peur. Je crois que nous sommes en train de sortir de ces deux spirales et je voudrais, à ce propos, m’interroger sur la notion de risque. L’idée de “risque zéro” est dangereuse L’idée d’un “risque zéro” est dangereuse et néfaste pour une société entreprenante. Lorsque vous demandez à un Français quelle est la phrase la plus populaire associée au risque, il vous répond : “qui ne risque rien n’a rien”. Lorsque vous posez cette même question à un Américain, la réponse est : “high risk, high return” à savoir qu’un risque important amène un retour sur investissement important. Nous avons absolument besoin de réapprendre la notion de risque. Dans mon domaine, et pour les Anglo-Saxons, la création publicitaire est un investissement ; pour la plupart de mes clients français, l’investissement publicitaire est perçu comme une dépense. Communiquer le goût d’entreprendre Ces observations m’amènent à proposer deux initiatives. Tout d’abord, il est nécessaire de valoriser le succès de ceux qui ont pris des risques. Nous pourrions tout simplement, médiatiser - par exemple, chaque soir, avant ou après le journal de 20h00 sur TF1 des situations de réussite d’entrepreneurs. 74 D’autre part, nous devons agir contre ce besoin actuel, exprimé par une partie de nos concitoyens, de sécurité professionnelle absolue associée au fonctionnariat et à la protection étatique. Les associations peuvent jouer un rôle important en la matière et mener nos jeunes vers une plus grande responsabilisation. A cet égard, l’expérience écossaise du “Room thirtheen” Monde fini ou nouvelles frontières... Quel futur pour l’aventure humaine ? (salle 13) me semble digne d’intérêt. Il s’agit d’une classe de création autogérée pour des enfants de 12 à 14 ans. L’idée est de promouvoir, en dehors des heures de cours, la dimension créative de chaque élève avec la participation d’un artiste dont il faut payer le matériel. Cette initiative a été soutenue par notre agence de communication (TBWA) qui a permis l’ouverture de deux “Room thirtheen”, à Soweto. Nous avons constaté que les jeunes étaient capables de manager et gérer une association. A travers cet exemple, je remarque que nous pouvons aisément leur communiquer le goût d’entreprendre. Yseulis Costes, fondatrice et PDG de 1000Mercis, diplômée du magistère de sciences de gestion et du DEA de marketing et stratégie de l’Université Paris-Dauphine Q ue signifient l’entrepreneuriat et l’innovation ? La France est-elle suffisamment entreprenante ? A ces interrogations, difficile de répondre en peu de mots. La France cloisonnée pénalise l’échec En France l’univers de la recherche et celui de l’entreprise sont culturellement deux mondes séparés. Cet éloignement pénalise très fortement la compétitivité française. En outre, notre pays est victime de sa peur de l’échec. Nous avons également une trop grande aversion au risque, à la différence des mentalités anglo-saxonnes. L‘entreprenariat doit laisser une place plus importante au facteur humain. Dans les métiers du numérique, totalement immatériels, l’homme revient au centre de l’organisation des entreprises. Malheureusement, le carcan du droit du travail français ne favorise pas la prise d’initiative, le dépassement de soi, l’effort justement récompensé. Nous sommes loin du travail vécu comme une aventure humaine. Prendre goût à la croissance D’autres dispositifs législatifs ou réglementaires bloquent également le potentiel d’innovation. Un seul exemple permet d’illustrer ce phénomène : pour être classé comme JEI (Jeune entreprise innovante), il est nécessaire d’avoir plus de 4% de ses dépenses en R&D. Mais, en France, l’impôt est aussi compris dans les dépenses. Par conséquent, une JEI doit payer ses impôts et faire plus de 15% d’innovation. Cette situation n’est pas tenable. Enfin, nous devons prendre goût à la croissance. Le chiffre d’affaires de 1000Mercis double tous les ans. Ceci est une vraie source de satisfaction et de motivation pour l’ensemble des collaborateurs. Nous devons pouvoir transmettre à nos équipes ce même désir de réussite économique. 75 10e Université des CCI - vichy - septembre 2006 Elisabeth Ducottet, linguiste et psychologue de formation, PDG de Thuasne, présidente du réseau industriel européen d’innovation du textile et de l’habillement (R2ITH), membre élue de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. L’ ancrage dans un territoire et dans une patrie est fondamental pour une entreprise. En effet, le projet entrepreneurial comme le développement de tout individu nécessite la construction d’une identité forte. L’historique de mon entreprise et son développement illustrent ce propos. Le travail, cause nationale Lorsque j’ai reçu en héritage la présidence du groupe de textile Thuasne, ce secteur industriel était sinistré. J’étais en outre une femme, littéraire de formation. La situation ne se présentait donc pas à mon avantage. Pourtant, mes collaborateurs de l’époque ont su m’accorder leur confiance et je les en remercie aujourd’hui. L’aventure humaine a ainsi été essentielle et montre que l’entreprise est au coeur de l’épanouissement des femmes et des hommes. Nous devons faire en sorte que ceci reste toujours vrai sur le terrain. Actuellement, nous ne pouvons ignorer l’existence de certaines difficultés. L’inégalité entre les individus accédant à un travail et ceux qui en sont exclus doit retenir toute notre attention. De nombreux jeunes diplômés, faute d’une adéquation suffisante entre l’enseignement qu’ils ont suivi et les réels besoins en compétence des entreprises, restent à l’écart du monde du travail et se sentent exclus de la société. La déception est d’autant plus grande que ces jeunes finissent par se rendre compte que, contrairement à ce qu’ils imaginaient, diplôme ne rime plus forcément avec emploi. Ceci est un problème majeur pour les prochaines décennies. Le travail doit devenir une cause nationale. L’Europe des entrepreneurs est en marche Pour redonner sens à l’engagement dans et pour l’entreprise, quelques nouvelles attitudes paraissent pertinentes à adopter. Il s’agit de cultiver dans nos entreprises le doute et l’étonnement, d’ouvrir au grand public la porte des entreprises pour mieux l’informer sur les réalités de l’économie et le métier d’entrepreneur, d’afficher notre volonté de vivre dans une Europe forte, porteuse d’avenir. 76 Le débat sur le traité constitutionnel peut illustrer ce propos. Certes, la France a dit “non” le 29 mai 2005. Pour autant, le désir d’Europe et d’ouverture vers l’extérieur des Français ne s’est pas tari. Pour preuve, nous venons de lancer une plate-forme technologique européenne dans le secteur du textile. Nous avons mis en route des ateliers auxquels nous avons convié des entreprises textiles de toute l’Europe. Et parmi les pays les plus représentés, la France est arrivée en tête avec 30 entreprises présentes au rendez-vous. Si l’Europe politique se fait attendre, l’Europe des entrepreneurs est en marche. Monde fini ou nouvelles frontières... Quel futur pour l’aventure humaine ? Pierre Kosciusko-Morizet, fondateur et PDG de PriceMinister, diplômé d’HEC, parrain de la promotion 2006 d’HEC entrepreneurs. P our accroître la performance et le rayonnement de la France, nous devons imaginer un modèle de croissance et de productivité français, européen, voire mondial. Cessons, comme le font de nombreux chefs d’entreprise ou certains journalistes, de faire systématiquement référence au système de réussite à l’américaine. Sur ce point, les esprits doivent évoluer. Valoriser l’entreprise et relancer l’Europe me semblent être deux points clés sur lesquels il faut s’appuyer pour inventer ce nouveau modèle de croissance. Développer la culture économique Nous créons trop peu d’entreprises en France. Je crois que cela renvoie à une des caractéristiques de notre mentalité qui, au fil du temps, privilégie l’assistance à l’audace, la protection plutôt que l’aventure, le repli davantage que l’ouverture. Changer les mentalités est un processus qui s’inscrit dans le long terme. C’est la raison pour laquelle il faut investir dans l’éducation, dans un enseignement qui forme moins d’imitateurs et davantage d’innovateurs. Nous ne faisons pas assez de pédagogie sur les entreprises dans les manuels de cours. Cette mise à l’écart de l’entreprise comme des entrepreneurs par les pédagogues et les enseignants est en grande partie à l’origine de la dichotomie entre le public et le privé, entre les fonctionnaires et les salariés d’entreprise, entre le chef d’entreprise et tous les autres. Ces clivages catégoriels sont à dépasser. Faute d’une culture économique solide, la majorité de nos concitoyens s’illusionnent sur les réalités économiques et financières de notre pays. Relancer l’Europe A court terme, nous pouvons inciter à la création et au développement d’entreprises par des aides, encore insuffisantes aujourd’hui. Plus important encore pour l’emploi, il faut favoriser la croissance de nos entreprises afin qu’elles atteignent la taille critique nécessaire pour s’attaquer aux marchés étrangers et investir dans la recherche et le développement. Les sociétés françaises grandissent moins vite que les firmes chinoises ou américaines en raison d’un marché local trop étroit. Du fait aussi de la difficulté d’accès des entreprises françaises à la Bourse et à une valorisation financière importante, celles-ci finissent pas être rachetées par des groupes étrangers, notamment américains. A cet égard, l’Europe doit être perçue comme un marché domestique, comme une base arrière facilitant la prise de risque sur d’autres continents. La construction européenne doit donc être rapidement relancée. La France a une lourde responsabilité. Après avoir été l’un des bâtisseurs de l’Europe communautaire, elle a dit non à l’Europe constitutionnelle. Il est temps, maintenant, de reprendre l’initiative, de redonner un sens à notre Europe. 77