La formation professionnelle: une si jeune vieille dame1

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La formation professionnelle: une si jeune vieille dame1
Dossier reissoD
Formation professionnelle suisse
La formation professionnelle:
une si jeune vieille dame1
D
D
ans son sens le plus large, la formation
professionnelle n’a pas d’âge. Si les compétences ayant permis à nos lointains
ancêtres de façonner des outils peuvent être
qualifiées de professionnelles, alors la formation professionnelle, avec des méthodes pédagogiques de transmission de savoir-faire par mimétisme (par imitation), est sans doute aussi ancienne que l’humanité.
On sait que notre système actuel d’apprentissage
prend ses racines plus près de nous, au cours du
moyen âge. Dans ce sens plus étroit, cela lui laisse
tout de même un millier d’années d’existence.
Certes, les réalités économiques et sociales dans
lesquelles il s’est successivement inscrit ont subi
de profondes transformations, mais il garde
quelques signes distinctifs de son lointain modèle: le maître d’apprentissage, l’apprenti, l’atelier
ou l’usine comme lieu principal de formation
(tout au moins en termes de durée), les examens
qui le clôturent. Aujourd’hui encore, on sait distinguer sans peine un apprentissage d’une voie
de formation scolaire2.
Mais j’avoue avoir appris que l’association des
enseignants des écoles professionnelles avait
été créée il y a fort longtemps lorsque j’ai été
invité aux festivités marquant son 125ème anniversaire. Autrement dit, cette association a été
fondée pratiquement en même temps que les
premières écoles professionnelles, à ce moment
du 19e siècle où les excès du libéralisme menacent un des fondements même de l’économie
helvétique: la qualité et la mobilité de sa
main-d’œuvre. Le néo-libéralisme que par coïncidence nous vivons aujourd’hui n’a pas encore
produit d’effets négatifs comparables à ce niveau, ce qui ne signifie pas qu’il en sera encore
longtemps ainsi, comme par exemple la raréfaction des places d’apprentissage qui menace
peut le faire penser.
Mon propos n’est cependant pas de disserter
sur l’émergence précoce du syndicalisme ou du
corporatisme dans l’enseignement professionnel, ni de faire une quelconque analyse de
Formation professionnelle suisse, ce dont je
serais d’ailleurs bien incapable. J’aimerais plus
modestement, en contraste avec l’ancienneté
de la formation professionnelle, émettre quelques considérations sur son actualité, sur sa modernité, sur quelques-unes de ses perspectives
et sur leurs effets au niveau des établissements
d’enseignement et de leur corps enseignant.
Jacques Amos
33
De l’autosatisfaction au doute
Lorsque j’ai commencé à faire de la recherche
dans le domaine de la formation professionnelle, il y a bientôt 25 ans, un des leitmotive
était que la Suisse disposait avec l’apprentissage du meilleur système de formation professionnelle au monde. Les constats parfois pessimistes que je pouvais faire en regardant la
réalité genevoise, notamment la concurrence
des études gymnasiales qui écrémaient les
meilleurs apprentis, les différences entre la
structure des places de formation offertes par
les entreprises et celle des places auxquelles les
apprentis aspiraient, les taux élevés de résiliations de contrats d’apprentissage que contribuait à expliquer parfois l’insuffisance de la
formation dispensée dans l’entreprise, parfois
le profil scolaire ou les aptitudes inadéquates
des jeunes, ces constats pessimistes étaient
minimisés, plus rarement niés, et dans tous les
cas renvoyés au «Sonderfall Genf»3.
Durant les années quatre-vingt, les réalités de
la formation que connaissait Genève ont progressivement émergé dans d’autres régions de
Suisse, et particulièrement de Suisse romande.
Les mêmes causes, par exemple la préférence
des jeunes et de leur famille pour les études,
produisaient les mêmes effets, même si c’était
souvent à une échelle statistique moindre.
D’autres problèmes surgissaient: la tertiarisation de l’économie qui limitait les places
d’apprentissage dans certaines branches d’activité industrielle, l’évolution rapide des technologies et de la gestion, qui rendaient obsolètes
les règlements d’examen, les fusions d’entreprises qui commençaient à se répandre, et j’en
passe.
3 2000
Introduction
1
Ce texte est celui
d’une conférence
prononcée lors
d’une journée
marquant le 125ème
anniversaire de
Formation
professionnelle
suisse
(FPS/BCH).
2
Cela pourrait bien
changer à l’avenir.
Le principe de
dualité – ou
d’alternance comme
disent nos voisins
français – se répand
tellement qu’on ne
saurait exclure que
d’ici un siècle il ne
soit plus possible de
décrire
concrètement les
différences entre les
formations universitaires, des HES,
gymnasiales et par
apprentissage dual
autrement qu’en les
caractérisant par
leurs spécificités
disciplinaires et leur
articulation entre
elles.
3
Autrement dit le cas
particulier que
constitue Genève,
canton ville, tertiaire, progressiste
et marqué par
l’influence de la
France, pays
ignorant presque
totalement
l’apprentissage en
entreprise.
reissoD Dossier
Notre système de formation professionnelle
était peut-être le meilleur du monde, mais il
avait de la peine à répondre aux défis de l’évolution. Avec les années nonante, cette difficulté
devenait de plus en plus grande, renforcée
qu’elle était par la récession économique et la
montée du chômage, notamment chez les
jeunes, et même parmi les titulaires de CFC.
34
3 2000
4
En allemand,
Lehrstellenbeschlüsse. Le
premier arrêté
fédéral date de
1996, le second de
1999. Dotés
respectivement de
60 et de 100 millions
de francs suisses, ils
visent entre autres à
lutter contre la
pénurie de places
d’apprentissage.
Paradoxalement, dans le même temps où
une crise se développait de manière larvée
dans notre apprentissage dual, d’autres
Etats, et en premier lieu la France, s’intéressaient toujours davantage à la formation de
type dual, ou en alternance comme on dit
dans ce pays. Bien plus, le principe de stages
pratiques en cours de formation, si important dans les professions de la santé et du
social, s’imposait dans un nombre croissant
de formations.
Il y avait bien une crise de l’apprentissage à la
mode suisse, dont les arrêtés fédéraux sur les
places d’apprentissage4 constituent en quelque
sorte l’aveu officiel. Mais des responsables de la
formation professionnelle n’avaient pas attendu les millions de la Confédération pour réagir.
C’est à ces réactions qu’est consacrée la suite de
ce texte.
Formation professionnelle suisse
Une décennie de réformes
Du point de vue de la conception, du pilotage
et de la concrétisation de l’apprentissage dual,
le contraste entre les années quatre-vingt et les
années nonante est total. Certes, il faudrait
citer les pionniers qui, responsables dans des
administrations fédérales ou cantonales, directeurs, doyens ou enseignants d’établissements
d’enseignement professionnel, ont essayé tout
au long des années quatre-vingt, comme auparavant tout au long du siècle, d’améliorer,
d’adapter, de transformer l’apprentissage. La
plupart des projets d’innovation et des réformes évoqués dans les lignes qui suivent ont
pris tout ou partie de leurs racines avant le
début de la décennie qui s’achève. Mais c’est au
cours des années nonante qu’ils ont connu leur
plein développement.
Quand on dresse une liste même sommaire de
ces projets qui ont une envergure nationale,
soit au plan institutionnel, soit par leur signification, on ne peut être qu’impressionné par
leur nombre et par leur envergure. Il convient
tout d’abord de les citer et de commenter brièvement les plus importants ou les plus prometteurs, qui constituent la base matérielle sur laquelle je m’appuie.
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La première de ces grandes réformes, tout au
moins dans l’ordre chronologique de concrétisation, est la création de la maturité professionnelle, technique dans un premier temps, commerciale dans un deuxième, et aujourd’hui de
nouvelles orientations encore. A l’origine, la
mise sur pied d’une maturité professionnelle
était surtout motivée par la nécessité de rendre
les diplômes délivrés par nos écoles d’ingénieurs ETS euro-compatibles, notamment en
référence aux Fachhochschulen allemandes et
aux Instituts universitaires de technologie français. Mais le couple maturité professionnelle et
HES a rapidement été présenté par les autorités
suisses comme la filière de prestige de la formation professionnelle et, en lisant entre les
lignes ou parfois directement dans le texte, le
moyen privilégié par elles dans la lutte contre la
diminution des effectifs d’apprentis, pour la
revalorisation de la voie professionnelle de formation, dans la perspective de juxtaposer à la
prestigieuse filière académique maturité gymnasiale – université une non moins prestigieuse
filière maturité professionnelle – HES.
Une deuxième grande réforme, plus récente
dans sa mise en place, mais plus ancienne dans
les réflexions qui la fondent, a été le nouvel enseignement de culture générale aux apprentis
de l’industrie et de l’artisanat, cette réforme
que l’on appelle plus modestement en français
«la refonté»5. Il s’agit ici en priorité de moderniser un enseignement qui avait perdu de l’intérêt aux yeux des apprentis et n’avait pas suivi
les développements les plus récents des théories pédagogiques et des pratiques de l’enseignement obligatoire. Il s’agit d’un projet
ambitieux, exigeant pour les établissements
d’enseignement professionnel et leur corps
enseignant, sur lequel je reviendrai un peu plus
en détail.
En troisième lieu, la décennie a été marquée
par une série de projets de réforme de professions ou de groupes de professions, voire du
système des règlements d’apprentissage luimême. L’exemple le plus abouti est sans doute
la réforme des professions dites ASM6 dans les
métiers de la mécanique industrielle avec, par
exemple, l’intégration d’une série d’apprentissages antérieurs sous la dénomination de polymécanicien. Mais Gastrofutura7 dans l’hôtellerie-restauration est aussi une belle tentative de
mieux intégrer des professions appartenant à
une même branche. Ces réformes s’inscrivent
plus ou moins directement dans la mouvance
de ce qu’on a appelé, en Suisse romande, le décloisonnement des professions, tentative de réponse à la fois à l’évolution de la technologie
et du management, et aux difficultés croissantes de l’orientation professionnelle des
Dossier reissoD
jeunes, contrainte par un choix de métiers précis alors que l’évolution va justement en sens
contraire8.
Une place à part doit être faite dans ce cadre au
projet de la CSD-FET9, la Conférence des directeurs d’écoles professionnelles industriellesartisanales et de métiers. La logique, prônée
par de nombreux experts, consistant à construire un système de formation professionnelle par
spécialisation progressive à partir d’une formation de base large y est poussée particulièrement loin. La première année d’apprentissage
serait une formation dans un domaine d’activité industrielle ou artisanale parmi une dizaine
(par exemple la mécanique machine). Les 2e
et 3e années seraient consacrées à l’acquisition
d’un métier parmi une dizaine ou plus qui
seraient définis dans chacun des domaines
d’activité industrielle. La 4e année d’apprentissage serait consacrée à l’une des spécialisations parmi celles qui existent dans le même
domaine. Cette structuration de l’univers de
l’apprentissage professionnel offre un avantage évident: une orientation progressive des
apprentis, aussi bien en termes de goûts personnels que d’aptitudes en matière théorique
et pratique. Un deuxième avantage découle de
la définition de la 4e année: une spécialisation
supplémentaire ou une spécialisation nouvelle
découlant de l’évolution technologique peut
s’acquérir en une seule année de formation ultérieure.
Cette particularité du modèle proposé par la
CSD-FET fournit une transition naturelle vers
un quatrième projet de transformation – ou
plutôt de potentiel de transformation – du système suisse de la formation professionnelle:
la formation selon le système modulaire10. Ce
projet, qui a pour l’instant concerné quelques
secteurs particuliers, a pu se dérouler ces dernières années grâce à l’engagement de l’OFFT.
L’idée en elle-même n’est pas toute récente:
cela fait plus de vingt-cinq ans que le Conseil
de l’Europe s’intéressait aux «unités capitalisables»11. L’idée de base est toute simple: remplacer une organisation fondée sur l’agencement des contenus de formation dans un
temps donné par une organisation centrée sur
l’agencement d’un ensemble donné de contenus dans une organisation temporelle correspondant aux possibilités et aux besoins de la
personne en formation. Il s’agit en somme de
permettre aux personnes qui le souhaitent
d’étaler leur formation dans le temps, tout en
pouvant valoriser les connaissances déjà acquises, notamment en évitant de devoir étudier plus d’une fois la même matière. Cet étalement dans le temps peut répondre à une
logique d’alternance entre des périodes de
35
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Formation professionnelle suisse
5
OFIAMT (1996).
6
ASM (1996). L’ASM
est une l’association
patronale
responsable, entre
autres, de la
formation
professionnelle dans
l’industrie suisse des
machines.
7
GastroFutura (1995).
Ce projet émane
conjointement de la
Société suisse des
hôteliers et de la
Fédération suisse
des cafetiers,
restaurateurs et
hôteliers.
8
Repond (1995)
9
SDK/CSD et FET
(1995)
10
En allemand,
Baukastensystem.
Cf. SRFP et OFFT
(1999)
11
Conseil de l’Europe
(1973); Chancerel
(1978)
reissoD Dossier
travail et des périodes de formation, mais
aussi à une logique de partage de son temps
sur une période donnée entre la formation et
le travail. Conçu plutôt pour la formation
continue, le système modulaire vaut la peine
d’une réflexion au niveau de l’articulation
avec la formation initiale en tout cas – par
exemple sous la forme de la reconnaissance
des acquis de cette formation – mais aussi, de
mon point de vue, sous la forme d’une réorganisation des plans d’étude ou des règlements
d’apprentissage de la formation initiale. On
déboucherait alors sur une sorte de généralisation du modèle de la CSD-FET, une espèce de
système Lego de la formation. C’est à ce titre
que ce projet me donnera quelques matières à
réflexion en ce qui concerne l’enseignement
professionnel.
3 2000
36
Les années nonante ont donc été d’une grande
richesse en matière d’innovations et de réformes dans le champ plutôt traditionaliste de
l’apprentissage, avec parfois, dans les administrations et dans les établissements de formation, un sentiment compréhensible de fatigue
face à ce que certains considèrent comme un
cumul excessif. J’aurais pu parler d’autres réformes encore, comme par exemple la création
des HES – à laquelle j’ai juste fait allusion – ou
la restructuration des professions de la santé.
Ou encore la toute récente mise en place du
projet de réforme de la formation commerciale de base. Cette vieille dame auto-satisfaite
qu’était la formation professionnelle des années septante et quatre-vingt a donc subi une
forte cure de rajeunissement au cours des années nonante.
J’aimerais maintenant examiner d’un peu
plus près quelques-unes des caractéristiques
communes que je vois dans ces projets. Je
ferai ensuite quelques considérations sur la
pertinence de ces caractéristiques par rapport à l’évolution de l’environnement économique et technologique. Je passerai ensuite
en revue quelques aspects de ces innovations
et réformes qui concernent plus spécifiquement les écoles professionnelles et le corps
enseignant. En conclusion, je m’interrogerai
sur les effets pour une partie des jeunes de la
course au «toujours davantage» dans laquelle la formation et le monde du travail sont
engagés.
Les axes principaux des innovations et réformes
12
Rey (1996), Gonon
(1996)
13
Johnston (1998)
Ces innovations et réformes ont des concepteurs, des objectifs et des réalisateurs variés.
Pourtant, elles ont certains airs de parenté, que
je vais essayer de résumer.
Formation professionnelle suisse
A l’exception de la maturité professionnelle,
toutes ces réformes sont une affirmation ou
une réaffirmation du système dual. Je m’explique en ce qui concerne la maturité professionnelle: bien sûr, elle s’inscrit dans le cadre du
système dual, mais pourtant elle est entièrement centrée sur l’acquisition d’un supplément
de culture générale.
Tous les projets de réforme qui touchent à la
structure des apprentissages proposent une
progressivité des acquis, allant de la théorie à la
pratique, du plus général au plus spécifique.
Les exemples les plus typiques sont la réforme
des professions ASM et le modèle proposé par
la CSD-FET.
Pour la plupart d’entre eux, ces projets promeuvent l’idée d’une certaine modularité des
domaines de compétences. La réforme GastroFutura et le modèle CSD-FET en sont des
exemples, situés encore à mi-chemin entre la
logique traditionnelle et un système clairement
modulaire. Le projet de formation continue
selon le système modulaire pousse cette logique évidemment plus loin.
Il me semble que tous ces projets, sans exception, mettent un accent particulier sur des compétences transversales, quelque chose comme
des qualifications-clés12. Je laisse aux pédagogues le débat portant sur l’existence même
de ces compétences transversales. Du point de
vue du sociologue que je suis, il est en soi intéressant de relever que ces notions sont utilisées
dans la plupart des projets et des réformes de
l’enseignement, aussi bien général que professionnel.
Une autre caractéristique de ces projets est de
viser une meilleure intégration des niveaux de
formation. La maturité professionnelle en est
un exemple, par sa volonté de mieux articuler
les formations de degré secondaire II et tertiaire dans le domaine professionnel. Au-delà de la
formation initiale prise pour elle-même, la plupart des projets de réforme ont comme objectif
global d’outiller les jeunes en vue d’un apprentissage tout au long de la vie13. Plus spécifiquement, le modèle préconisé prend toujours aussi
en compte l’accession aux formations de degré
tertiaire et à la formation continue.
Mon objectif n’est pas ici de faire une lecture
détaillée de ces constats en référence aux documents cités. Ils montrent cependant bien à quel
point l’auto-évaluation dominante de la formation professionnelle des années septante et
quatre-vingt – le meilleur système possible –
révélait une absence totale d’anticipation des
changements et des problèmes. Un virage im-
Dossier reissoD
Formation professionnelle suisse
Avant de revenir sur quelques-uns des points
communs des réformes que je viens d’énumérer, ce dernier constat me laisse cependant un
énorme regret. Pendant des années, les responsables de la maturité gymnasiale et les concepteurs de la maturité professionnelle ont travaillé à des réformes en profondeur en s’ignorant superbement, si bien qu’il faut chercher,
après coup, à bricoler des ponts éventuels.
Mais revenons sur quelques-uns des points
communs aux innovations et réformes récentes, en cours ou futures de la formation professionnelle.
Les compétences transversales
Les compétences transversales sont au premier
plan des objectifs des plans d’étude «made in
fin du 20e siècle». Quelques citations suffisent à
s’en convaincre.
Dans le document expliquant la «Conception
(de la) réforme des apprentissages ASM», on
stipule une «Formation professionnelle globale. Les compétences pluridisciplinaires, respectivement les qualifications-clés telles que la méthodologie de travail et d’apprentissage, l’autonomie, l’aptitude de travailler en groupe, la
créativité, la souplesse, etc. sont traitées dans le
cadre de la formation de base et approfondies
durant la formation dans les différents domaines d’activité. Ceci crée les conditions possibles pour surmonter les changements permanents dans le monde du travail industriel»14. A
noter qu’il ne s’agit pas d’une citation tirée des
profondeurs du document: c’est le premier
point traité, juste après l’énumération des professions de base du modèle ASM.
–
l’acquisition de compétences de jugement
et de communication par le développement
de l’esprit critique
–
le développement de leur capacité à établir
des relations humaines dans le groupe et la
société
–
le développement de leur capacité de décision et d’action basée sur des critères sociaux et éthiques», etc.15
Dans le dépliant de GastroFutura, projet innovant dans le secteur de la restauration et de
l’hôtellerie, on s’adresse aux futurs apprentis
en décrivant comme suit la formation: «Une
formation qui privilégie la polyvalence. Vous
apprendrez à travailler en équipe, à résoudre
les conflits, à prendre des initiatives.»
Dans le programme-cadre d’enseignement
pour la préparation à la maturité professionnelle technique, les lignes directrices didactiques et pédagogiques prescrivent notamment:
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portant a été pris en quelques années seulement. Le système suisse d’apprentissage a su se
remettre en cause et se profiler comme un
secteur de formation particulièrement dynamique.
«Capacités: les candidates et candidats à la
maturité savent démontrer leur compréhension logique des faits et leur structure, défendre leurs propres raisonnements par l’argumentation, faire preuve d’un esprit ouvert
face à des situations nouvelles, exprimer leurs
intérêts et leurs sentiments, … juger et décider
en pondérant avec soin, parler et écrire correctement.
«Attitudes: il faut développer consciemment
des attitudes telles que la continuité dans le
travail, le plaisir dans l’activité professionnelle,
l’intérêt à la formation continue …»16.
Le Plan d’étude-cadre pour l’enseignement de
la culture générale aux apprentis de l’industrie
et de l’artisanat (PEC-ECG) décrit comme suit les
objectifs cognitifs et non cognitifs:
En deçà du débat théorique sur les compétences transversales, les projets de réforme
mettent donc bien en avant des objectifs qui ne
relèvent pas directement des savoirs, mais
d’une instrumentation de l’acquisition de
connaissances et d’une capacité à se situer activement et positivement dans des conditions de
travail réel, qu’il s’agisse de formation, d’activité professionnelle ou de vie sociale et quotidienne.
«– l’acquisition de compétences en matière esthétique concernant les domaines de la perception, de la création et du jugement
À suivre …
14
ASM (1996), p. 4
15
OFIAMZ (1996),
p. 5
16
Maturité
professionnelle technique,
Programme-cadre
d’enseignement pour
la préparation à la
maturité
professionnelle
technique, état au
1er juillet 1995, p. 2