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INTERVIEW EXCLUSIVE C’est le livre que le monde entier attend ! La créatrice de Harry Potter revient avec son premier roman pour adultes only, « Une place à prendre » (Grasset). Un livre passionnant. Pour en parler, elle a choisi ELLE et Michèle Fitoussi. UN TEL LUXE DE PRÉCAUTIONS ET DE SECRETS entoure l’interview de J.K. Rowling à Edimbourg pour la sortie de son premier livre pour adultes qu’on est presque étonné en rencontrant non pas une rock star mais une jeune femme blonde et discrète, plutôt sympathique et directe. Rien de sorcier dans tout ça. Elle aurait pourtant de quoi la ramener avec son parcours en forme de conte de fées. En dix-sept ans, 400 millions de volumes vendus dans 200 pays, plus les films blockbusters à Hollywood, plus les droits dérivés ont transformé cette jeune mère divorcée et chômeuse, qui a inventé Harry Potter dans un train, en un phénomène d’édition mondial. Avec une fortune évaluée à plus de 800 millions de livres, « Jo » est riche et célèbre, mais elle est aussi reconnue et honorée pour son influence sur la jeunesse et sa philanthropie. Après avoir mis un point final à la série, elle aurait pu se reposer sur son tas de royalties, mais elle revient avec « Une place à prendre », un roman choral de 700 pages. Dans la charmante bourgade de Pagford, un conseiller paroissial meurt subitement, il faut le remplacer. Un pitch qui dissimule un jeu de massacre assez scotchant de la part de la maman de Harry Potter : sexe cru, porno, adultère, viol, drogue, violence parentale, délation, cynisme, cruauté... La vraie vie selon Rowling ? Ni les adultes ni les ados ne sont épargnés par cette noire satire sociale et politique. Mais JKR est d’abord une incroyable raconteuse d’histoires, et on la suit, estomaqué, jusqu’à la fin. 120 ELLE 28 SEPTEMBRE 2012 ELLE. Comment vous sentez-vous à quelques jours de la sortie ? J.K. ROWLING. Depuis le dernier tome de « Harry Potter », paru en 2007, j’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir. Je me sens libérée, à vrai dire. Non pas parce que j’ai arrêté la série, j’ai vraiment adoré l’écrire, mais parce que je suis très privilégiée. J’aime écrire et je n’ai pas besoin de le faire pour payer mes factures. « Une place à prendre » est un livre personnel à beaucoup d’égards, qui parle de problèmes qui me tiennent à cœur. Evidemment, on a toujours un peu le trac... ELLE. Vous allez surprendre avec ce roman sombre et pessimiste. J.K.R. Sûrement ! Ce n’est pas ce que les gens s’attendent à me voir écrire. Cela pourrait même être un choc. Mais pour ceux qui m’ont écoutée et suivie ces dernières années, ce ne sera pas vraiment une surprise. J’ai toujours été préoccupée par la justice sociale. C’est un livre politique, parfois sombre, mais il est plus réaliste que pessimiste. Il y a aussi pas mal d’humour noir. Disons que j’ai écrit une tragédie comique. Je ne veux ni choquer ni agacer, et je n’ai pas ressenti le besoin de prouver quoi que ce soit. Juste écrire ce que j’aime. ELLE. Pourquoi la toute fin est-elle si tragique ? J.K.R. Ne la dévoilons pas ! Je n’ai jamais autant pleuré en écrivant. « Dévastée » ne serait pas un mot trop fort pour me décrire. ELLE. Votre description de familles pauvres et dysfonctionnelles est très réaliste. Vous avez enquêté ? J.K.R. Je n’en ai pas eu besoin. Enfant, à l’école publique, j’avais des camarades qui ressemblaient à Krystal, un de mes personnages préférés, et venaient de familles comme la sienne. Plus tard, quand j’ai enseigné dans ces écoles, j’ai observé les mêmes situations. Avant « Harry Potter », il y a eu toute une période de ma vie où j’ai été très pauvre et où j’ai côtoyé ces familles. Mon mari, qui est médecin, a travaillé dans un centre de désintoxication utilisant, entre autres, de la méthadone. Je me suis aussi servie de son expérience. ELLE. Du sexe, du porno, un viol... On est loin du chaste Harry ! J.K.R. Mon intention était de montrer ce qui existe ! J’ai écrit la scène du viol de façon crue parce que c’est comme ça que cela se passe. Souvent, au lieu de soutenir les victimes, on les blâme et on les stigmatise. Quant à la pornographie, elle permet de questionner la responsabilité des adultes envers les ados qui la regardent sur Internet. Debra Hurford Brown J.K.ROWLING DANS LA COUR DES GRANDS J.K. ROWLING ezConnaiss vous bien ling ? J.K. Row Réponses sur elle.fr 2008. Des honneurs. Harvard lui décerne le titre de doctor honoris causa. 2006. De l’amour. Neil Michael Murray est son mari depuis 2001. 7 juillet 2011. Un final. Elle assiste au lancement du dernier film de la saga « Harry Potter ». 122 ELLE 28 SEPTEMBRE 2012 ELLE. Vos trois enfants sont-ils jaloux de Harry Potter ? J.K.R. Je n’aimerais pas que ce soit le cas, je ne veux pas voir Harry comme un rival pour eux ! C’est peut-être ma culpabilité qui parle... Mes enfants aiment mes livres, ce qui me fait plaisir. Jessica, ma fille aînée de 19 ans, a grandi avec Harry, dans tous les sens du terme. Le livre lui a apporté du bénéfice matériel, mais aussi des choses un peu moins positives. Ecrire et élever des enfants est difficile. Ça demande la même énergie, c’est clairement épuisant ! J’adore écrire, j’adore travailler, mais c’est une activité qui exige de la solitude. Ce n’est pas une coïncidence si la plupart des écrivaines n’ont pas d’enfants, ou si, quand elles en ont, elles sont des mères pathétiques. Je pense à Colette, une de mes héroïnes, grande auteure mais mauvaise mère. ELLE. Vous avez écrit la plupart des livres de la série quand vos trois enfants étaient des bébés... J.K.R. Ce sont les moments où je me suis sentie le plus isolée. Parfois, j’écrivais plus que je ne dormais. Le plus dur a été de terminer « Les Reliques de la mort ». J’avais prévenu mon mari : « J’ai besoin d’écrire de 9 heures à 17 heures, tous les jours. » C’est la seule fois où je me suis permis de le faire, et je me suis sentie tellement coupable : je suis allée à l’hôtel, j’ai mis un réveil, et j’ai écrit, écrit, écrit. D’ailleurs, c’est le mieux écrit de la série ! ELLE. Et « Une place à prendre », où l’avez-vous écrit ? J.K.R. D’abord dans un coffee shop d’Edimbourg. Puis le patron a mis une pancarte dans la vitrine : « Si vous avez de la chance, vous pourrez apercevoir ici J.K. Rowling en train de travailler. » Du coup, je n’y suis plus retournée. Et j’ai écrit la plus grande partie du livre chez moi, dans mon lit, dans mon bureau, dans la cuisine sur mon ordinateur, mais aussi à la main. “L’échec n’est pas la pire chose au monde : je l’ai appris en échouant totalement !” Dominic Lipinski/PA/Abaca ; David Cheskin/AFP ; Brian Snyder/Reuters ; Matrix/Starface ; Debra Hurford Brown. ELLE. Les femmes tiennent une place particulière dans cette histoire… J.K.R. Presque toutes sont le lien ultime de leur famille, celui qui la fait tenir, de quelque manière que ce soit. Elles tentent d’avoir plusieurs casquettes à la fois, parfois avec des résultats catastrophiques. Je crois aussi que, malgré la contraception, les femmes sont plus à la merci de leur genre que les hommes. ELLE. Etes-vous féministe ? J.K.R. Oui. Je sais qu’il y a beaucoup de définitions à ce mot, mais je le suis. Pour certains, c’est un vilain mot. Pas pour moi. ELLE. Comment s’est passée pour vous la fin de « Harry Potter » ? J.K.R. J’ai pleuré, pleuré, pleuré. C’était comme faire un deuil. Et, en fait, c’en était un. Pendant un mois ou deux, j’ai été bouleversée que ce soit terminé. Puis j’ai commencé à voir les bons côtés. Toute la pression ressentie pendant dix-sept ans disparaissait. Et, finalement, il ne m’a fallu qu’un mois pour commencer « Une place à prendre ». ELLE. Vous avez eu du mal à vous habituer à votre soudaine célébrité. Ça va mieux aujourd’hui ? J.K.R. Oui, parce que j’ai appris les règles et les astuces. La célébrité est arrivée du jour au lendemain. Au début, j’essayais d’en voir le côté positif, parce que c’était vraiment assez effrayant, cet intérêt autour de ma personne. Je pensais que ça allait se calmer. Ça ne s’est jamais calmé. Au moment où j’ai réalisé que ça ne redescendrait pas, j’ai vécu un passage assez difficile. J’avais une vision très vieux jeu de ce qu’était un écrivain, je pensais que je deviendrais Jane Austen ou quelqu’un dans le genre, je n’aurais jamais imaginé en arriver là ! Et puis je me suis ressaisie. J’ai quitté cet appartement où la presse venait m’épier par la fenêtre, des gens m’ont aidée… Et après, la vie est devenue plus facile. ELLE. Votre livre est dédié à Neil, votre second mari, père de vos deux jeunes enfants. Ce n’est pas trop difficile d’être le mari de J.K. Rowling ? J.K.R. Il est d’abord le mari de Jo ! Ce n’est pas si difficile. Neil est fantastique, il se sent bien dans ses baskets. Quand nous nous sommes rencontrés, il était déjà médecin, il avait sa vie professionnelle et une personnalité très marquée. Il est très sain qu’il soit resté médecin. Bon, il y a des choses qu’il trouve difficiles. Comme moi, il n’aime pas être sous le feu des projecteurs. La plupart du temps, notre vie est dévouée à nos enfants, au travail, à nos familles, à nos amis. Certains peuvent trouver ça très ennuyeux... ELLE. Vous avez créé une fondation, vous donnez à des œuvres de charité. Est-ce par culpabilité ? J.K.R. Je ne me sens pas coupable d’avoir de l’argent, je ne suis pas marxiste, je pense qu’il est normal qu’on puisse garder le fruit de son labeur. Je me sens responsable. J’essaie de donner de manière intelligente, à des gens dépréciés socialement, car j’ai été à cette place, et je sais que ça peut faire une différence. ELLE. Dans un discours prononcé à Harvard, vous avez parlé de l’échec comme d’une expérience fondatrice pour vous. J.K.R. L’échec n’est pas la pire chose au monde : je l’ai appris en échouant totalement ! J’avais 28 ans, pas de travail, pas d’argent, j’avais tout perdu en quittant mon ex-mari. J’étais juste une bonne mère, mais, dans notre société, c’est un aspect qui n’est pas du tout mis en avant. ELLE. A cette époque, vous avez fait une longue dépression. Cela vous est-il arrivé à nouveau ? J.K.R. J’ai suivi une thérapie cognitivo-comportementale. Je n’avais jamais pris d’antidépresseurs, je ne suis pas contre mais je ne voulais pas. Peut-être que je m’en serais remise plus rapidement, mais ma psychothérapeute était fantastique. Certains ont des tendances naturelles à la dépression, je pense que je suis ainsi. Mais une fois que vous suivez ce genre de thérapie, vous avez les outils pour vous en sortir. Si, un jour, je suis à nouveau déprimée, je m’en servirai. ELLE. Votre arrière-grand-père était français, héros de la Première Guerre mondiale. Est-ce un héritage important pour vous ? J.K.R. J’aime la France, j’aime Paris, mon arrière-grand-père était parisien. Et je suis aussi alsacienne par une autre branche de ma famille ! J’ai toujours été curieuse de ce côté de la famille et j’ai participé à une émission de télévision pour retrouver leurs traces. Cela m’a beaucoup appris sur la famille de ma mère. Il y a aussi des mystères et il s’avère que la réalité est beaucoup plus intéressante que le mythe que j’avais entendu ELLE. Vous pourriez écrire un livre sur eux ? J.K.R. Ce serait intéressant, mais cela demanderait tellement de recherches ! Et puis je sais déjà quels seront mes trois prochains livres... ELLE. Il n’y aura pas de huitième tome à « Harry Potter » ? J.K.R. Oh non ! C’est terminé ! Je prends plaisir à écrire des livres qui n’ont pas de suite. En ce moment, j’écris un autre roman pour adultes. Mais le prochain publié sera pour les enfants. Je ne l’ai M.F. pas encore dit à mon éditeur ! Septembre 2011. Du cœur. Elle est remerciée par la princesse Anne pour son don de 10 millions de livres à la recherche sur la sclérose en plaques. Rentrée 2012. Un nouveau départ. Elle sort « Une place à prendre », un roman pas du tout pour les enfants. ELLE 28 SEPTEMBRE 2012 123
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