Le semis direct sous couverture végétale permanente
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Le semis direct sous couverture végétale permanente
Le journal l'Agral |1 Le semis direct sous couverture végétale permanente L'agroécosystème de l'avenir? PAR GEOFFROY MÉNARD Étudiant en agroéconomie P lus d'une centaine de personnes s'entassaient, le 25 août dernier, dans le bâtiment fraîchement construit de la ferme les Sillons Verts, en Montérégie. Les agriculteurs et intervenants étaient venus pour une journée d'information technique sur les systèmes de grandes cultures en semis direct sous couverture végétale permanente, ou SCV pour les intimes. Le centre d'attention de cette journée fut sans nul doute le spécialiste français Lucien Séguy, personnage fort dynamique et pionnier des systèmes SCV dans le monde. Ingénieur agronome français, il a commencé ses travaux au Brésil au sud de l'Amazonie, où sévissait l'érosion qui rongeait 300 000 ha de sol travaillé. Grâce, entre autres, au travail de l'agronome, 10 M ha y sont maintenant exploités en SCV. Le développement de ce système par M. Séguy est parti d'une réponse à de grands problèmes agroécologiques vécus au Brésil. Le travail intensif du sol tend à causer sa dégradation par l'érosion. Dans certaines circonstances, celle-ci peut avoir des effets nocifs sur la santé des populations de proximité si les particules déplacées sont chargées de pesticides. Ensuite, le manque de matière organique et de vie biologique des sols peut favoriser certains parasites, selon le chercheur. La logique de l'agroécosystème en SCV est inspirée de la forêt équatoriale ombrophile, dans lequel les nutriments sont recyclés entre les différentes successions de matière organique, sans beaucoup d'échanges avec le sol minéral. Les éléments fertilisants seraient ainsi retenus dans le système, par exemple par l'interception des nutriments que la culture manque. Ainsi, un écosystème productif et stable peut être créé même sur un sol pauvre. Ce système est construit sur la mise en application simultanée de 3 principes : Le sol est couvert en permanence, soit par des plantes vivantes ou du paillis provenant de celles-ci; La suppression du travail mécanique, même en surface; Les rotations d'une diversité d'espèces en succession. Selon M. Séguy, le généralisation de ces grands principes est possible à tous les écosystèmes de la planète. Blé avec couverture végétale de légumineuse. Photo : Louis Pérusse Le SCV fait une gestion intégrée de la fertilité en mettant à profit les services écosystémiques gratuits fournis par une biomasse annuelle fortement diversifiée. Celle-ci permet de substituer progressivement l'utilisation massive actuelle d'énergie culturale d'origine industrielle-fossile par de Le journal l'Agral |2 une énergie culturale d'origine biologique de plus en plus performante. Le SCV repose sur trois piliers : 1. La litière : une couverture végétale permanente et l'évitement de perturbations du sol; 2. La biodiversité, par l'association et la succession de végétaux. Les systèmes racinaires profonds de certaines plantes agissent comme des pompes biologiques et décompactent le sol; 3. Une forte activité biologique, avec une forte production de biomasse. Un tel système permet de créer et maintenir une macroporosité du sol (deux à trois fois meilleure grâce aux racines des plantes de couvertures) et de le réoxygéner, ce qui selon M.séguy est fort intéressant chez nous puisque les sols sont compacts et la nappe d'eau, assez haute. En SCV, le contrôle d'adventices se fait par la couverture végétale permanente, en créant de l'ombrage et par allélopathie. Évidemment, le contrôle de la vigueur des plantes de couverture est crucial pour ne pas nuire à la culture principale : il est important que la couverture vivante ne fasse pas de compétition à la culture pendant son établissement. Avant l'implantation de cette dernière, la couverture végétale est ainsi désséchée, mécaniquement ou chimiquement. Quand la couverture est une vivace comme la luzerne, elle peut être rabattue, plutôt que détruite complètement, en utilisant de faibles doses (un tiers de la concentration) de glyphosate. La biomasse produite pouvant être fort élevée (par exemple, 15 tonnes par hectare pour le sorgho), il peut être difficile de semer car les disques peuvent bourrer. La machinerie utilisée doit être conçue pour rouler la culture en paillis, couper au travers et créer le sillon dans lequel la culture principale sera semée. Selon Lucien Séguy, les cultures en SCV sont plus productives, jusqu'à deux fois plus, qu'en régie conventionnelle. L'approche qu'il privilégie est de développer des cultures en fonction des systèmes biologiques en association, et plus juste en fonction d'une plante et de sa chimie. Les légumineuses sont abondamment utilisées en SCV, non seulement pour leur capacité de fixation de l'azote, mais aussi pour les racines pivotantes de certaines qui décompactent le sol et l'aide que d’autres peuvent apporter au contrôle des nématodes. Le présentateur donne comme exemple l'utilisation de la crotalaire, au brésil, avec le maïs, qui selon lui réduit considérablement la présence de nématodes nuisibles et peut fixer jusqu'à 120 kg N / ha par année. Des plantes associées peuvent aussi agir comme pompes biologiques : elles captent les nitrates lessivées en profondeur. Aussi, des éléments dissouts dans la roche mère peuvent être extraits par les racines profondes des plantes de couverture. Ces éléments deviennent alors disponibles pour la culture avec la décomposition de la culture de couverture. La couverture végétale apporterait une meilleure adaptabilité aux conditions hydrologiques des sites : le pays réduit l'évaporation et crée un tampon à humidité, tandis que la macroporosité renouvelée peut réduire complètement le ruissellement grâce à une meilleure infiltration. L’évaporation est réduite car le sol se réchauffe moins s’il est couvert. Le sol doit cependant avoir une bonne structure à la base, sinon le manque d’évaporation au printemps peut être un problème. Une bonne macroporosité améliore le drainage. De plus, la couverture protège le sol contre la création d’une croute de battance, qui cause une mauvaise infiltration et entraîne le ruissellement. Ainsi, le SCV conviendrait tant aux milieux secs qu'aux milieux humides. La même approche écosystémique, avec comme pilier la couverture permanente, pourrait permettre de rétablir la fertilité dans des terres stériles. Selon l'expert, il suffit de trouver des plantes relais entre la stérilité et des cultures. Des plantes adaptées aux mauvaises conditions du sol, qui permettront d'en reconstruire la structure tout en fournissant un retour économique par le pâturage extensif. On pourrait ainsi restituer la matière organique du sol en moins de 10 ans, même si 60% de l'humus a déjà été perdu. Témoignage d'entrepreneurs La présentation de Lucien séguy en matinée fût suivie, dans l'après-midi, du témoignage d'un couple d'agriculteurs français qui ont fait la transition au SCV dans les dernières années. Sandrine Gallon et Alain Coudrillier pratiquaient originellement la culture conventionnelle de riz, de blé et de soja, d'abord par labour, puis en travail minimum à partir de 1990. La ferme connaissait des problèmes de Le journal l'Agral |3 croûte de battance, d'érosion et de semelle de labour, et par conséquent, de mauvais rendements dont les conséquences devenaient de plus en plus inquiétants pour la pérennité de l'entreprise. Le déclic s'est fait quand Mme Gallon a vu des photos de profil de sol comparant des sols en semis direct conventionnel à des sols en SCV. Voyant là une solution potentielle aux difficultés agronomiques de la ferme, les deux agriculteurs se sont informés, sont entrés en contact avec M. Séguy et ont progressivement adopté le semis direct avec couverture végétale permanente. La nouvelle stratégie : arrêter la monoculture, réduire au possible le travail de sol et laisser les plantes agir. Le système racinaire du blé en SCV avec des légumineuse (à gauche) est mieux développé que celui du blé en semis direct conventionnel (à droite). Photo : Louis Pérusse Le maïs et le soja n'offrant pas de structure au sol, ces cultures ont été évitées au début. Le sorgho, dont le système racinaire puissant creuse le sol, a été introduit. Le blé dur est maintenant cultivé en association avec la luzerne. Cette dernière n'est pas ressemée, elle survit et après le blé, nos agriculteurs peuvent en faire deux coupes ou produire de la graine. La légumineuse n'est pas éliminée mais « calmée » par de microdoses d'herbicide. L'orge est cultivée en association avec le trèfle blanc nain; le premier concurrençant bien ce dernier, ainsi aucun contrôle chimique n'est nécessaire. Résultat, l'entreprise a fait des économies d'intrants; diminué considérablement sa consommation d'herbicides et fait passé sa consommation de carburant de plus de 100 L/ha à 50L/ha. Les rendements de certaines terres sont passés de 3-4 t/ha à plus de 6-7 t/ha. Leurs coûts de production sont tombés pour devenir inférieur aux moyennes régionales et aux moyennes d'exploitations avec des terres similaires. Le choix de couverture végétale s'est fait selon ces critères : de longues racines pivotantes pour fissurer les profondeurs du sol; offrir une protection contre l'érosion et la battance, apporter un maximum de biomasse et de biodiversité; diminuer les mauvaises herbes; stimuler la biologie du sol et fixer l'azote. Au niveau de l'équipement, ils se sont dotés de deux semoirs spécifiques au SCV, un rouleau de type « crosskill » pour la destruction des couverts et de canaux d'irrigation. Selon Mme Gallon et M.Coudrillier, le SCV est le seul système offrant des perspectives d'évolution, le labour et le travail minimum ayant déjà montré leurs limites. La transition au SCV requiert de la dédication et de la patience. Les performances du système SCV ont rejoint celles du semis-direct après trois ans d'application, et les ont dépassé l'année suivante. L'amélioration est telle que, plus grandes quantités et qualités de produits obligent, ils ont du investir dans 4 silos de stockage de 1000 tonnes, et ils ont commencé à faire leur mise en marché de façon autonome plutôt que par leur coopérative qui ne différenciait pas les produits. Les présentateurs ont insisté sur l'importance du suivi des cultures et de l'analyse. Ils ont conçu un système de gestion de l'information maison et partagent l'information avec d'autres agriculteurs. En guise de conclusion, les agriculteurs soulignent que le passage au SCV demande un changement de culture professionnelle mais en vaut la peine. Le système offre une adaptabilité aux variations Le journal l'Agral |4 climatiques et des perspectives positives pour un secteur en difficulté. Selon eux, l'évolution pérenne du SCV est assurée mais demande une recherche continuelle. Ils ajoutent même avoir retrouvé la passion du métier avec leur nouveau système de production. des parcelles dans la région de Portneuf l’an dernier. Par exemple, cette année, avec un producteur de pomme de terre intéressée à faire des tests en système SCV, il a fait des essais en associant à une parcelle de canola (culture précédent celle de la pomme de terre dans la régie actuelle de l’entreprise) de la luzerne et de la vesce velue. Deux Des premiers pas au Québec autres parcelles consistaient essentiellement à produire une année de biomasse avec une Une visite des champs de la ferme Sillons Verts est association de millet venue compléter cette perlé, sarrasin, vesce journée d'information velue et radis fourrager. technique fort chargée. Les contraintes à l’adoption du semis direct L’autre association était Il s'agit d'un des sous couverture végétale permanente au de l’avoine, de la quelques sites d'essais Québec, selon Louis Pérusse : féverole, de la vesce récemment démarrés en 1. Le manque d’expertise, de conseillers agricoles velue et du radis Montérégie. En effet, le qui maîtrisent et qui ont les connaissances de fourrager. « Le sarrasin club ce système; et le millet sont deux agroenvironnemental plantes herbicides, et le 2. Le changement de la mentalité actuelle, qui est Bassin La Guerre millet et le radis alimentée par l’agro-industrie : une agriculture coordonne un projet fourrager sont deux de consommation où l’on vend la facilité. dont l'objectif est de plantes nématicides. Le Dans cette situation les agriculteurs ne sont pas mettre au point des sarrasin attire des vraiment maîtres de leur entreprise; systèmes SCV en testant insectes auxiliaires qui des espèces de 3. Les conditions initiales des sols. Il y a quelques aident à contrôler les couverture en prérequis au SCV : un drainage de surface et un ravageurs. Le millet association avec le maïssol en santé (bonne porosité, pH équilibré, perlé a un système grain et le soya. Éric équilibre des éléments chimiques dans le sol ); racinaire profond qui Thibeault, conseiller permet de puiser des 4. Les rotations sont peu diversifiées (soya/maïs); technique au club éléments nutritifs et de Techno-champ, nous 5. La patience des agriculteurs : il faut avoir une les remettre en avertit d'amblée que la vision à moyen et long terme, non à court circulation. La vesce culture de couverture a terme; peut emmener 150 à été semée trop tard, au 200 kg d’azote à 6. L’information : il n’y a pas de données stade de huit feuilles, et l’hectare, et elle est aussi techniques actuellement sur les SCV au qu' « il n'y aura pas réputée pour contrôler Québec. Des données seront disponibles des grand chose à voir ». Le les mauvaises herbes. l’an prochain à partir des essais du réseau; maïs ayant poussé vite L’objectif de tout ça est au mois de juin, la 7. L’adaptation de la machinerie, pour les cultures de régulariser la luzerne, ombragée, n'a associées au maïs. physique et biologie du pas dépassé le stade de sol. », dit-il. minuscule pousse et est loin d'offrir une couverture au sol. « Il faut y aller à L’agronome cherche à créer des « mini forêts à quatre feuilles », de conclure l'agronome. l’échelle agricole », où le travail de sol et le contrôle des ravageurs se font biologiquement. « Le réseau Louis Pérusse, qui s’intéresse aux systèmes avec que j’ai initié, on a des projets en cours, à partir des couverture végétale permanente depuis 4 ans et qui essais qu’on fait dans plusieurs régions. » a initié le réseau SCV au Québec, préconise pour sa part le semis des plantes associées en même temps Ces premiers essais pourraient n’être que les que celui du maïs ou le maintien d’une légumineuse premiers pas vers une révolution agronomique. vivante qui aurait été établie auparavant (ex : maisSelon Louis Pérusse, , le système est bel et bien ensilage sur luzernière vivante). L’agronome a initié aussi prometteur que M. Séguy le prétend. Le journal l'Agral |5 « Beaucoup plus que tous les systèmes agricoles actuels qui sont en places au Québec. » Selon lui, c’est l’agronomie pure qu’on remet en place. « Le sol est la base de la productivité. La technique SCV va remettre en cause l’approche agronomique qui n’est pas systémique. » Pour le moment, l’important est de former des conseillers et développer une expertise, en partenariat avec des agriculteurs pionniers. M. Pérusse entrevoit quatre étapes d’implantation du système au Québec : 1. Faire des mini parcelles expérimentales pour trouver les bonnes associations; 2. Mettre les associations qui marchent bien à l’échelle parcellaire 3. Réduire les intrants chimiques 4. Produire à des niveaux d’intrants très faibles, voire aucun intrant minéral. Pour passer d’un système conventionnel ou de semis direct au SCV, il faut faire des correctifs au sol si il y a certaines déficiences. « La première chose à régler est l’égouttement de surface, par nivellement. Si elle est trop haute, en abaisse la nappe phréatique par le drainage ou le fossé ouvert » explique-t-il. Le SCV serait également applicable au maraîcher. Louis Pérusse espère initier un réseau SCV maraîcher en 2012-2014. Trois fermes ont déjà démontré l’intérêt à bâtir des plate-formes SCV pour l’année prochaine. Maïs avec couverture végétale de légumineuses. Photo : Louis Pérusse « Pour l’agriculteur c’est une forme de culture performante et motivante. Je le vois chez mes producteurs, ça change leur vision de l’agriculture. » Quelques liens : www.cirad.fr/ur/couverts_permanents www.scvagrologie.com L’Agral est une publication mensuelle des étudiants de la Faculté des Sciences de l'Agriculture et de l'Alimentation de l'Université Laval, à Québec, disponible en ligne sur http://www.agetaac.ulaval.ca/agral-agetaac.html. L’article original paraît en deux parties dans les éditions d’octobre et novembre 2011. L’Agral est