Nicolas Bouzou
Transcription
Nicolas Bouzou
Compte rendu du déjeuner du mercredi 17 février 2016 à 12 h 45 dans les salons de l’Hôtel Raphaël (17, avenue Kléber, Paris 16e) autour de Nicolas Bouzou, économiste, auteur du Grand Refoulement – Stop à la démission démocratique sur les perspectives économiques 2016 Liste des participants : Évangéline Baeyens, chargée de communication à l’Ilec, Institut de liaisons et d’études des industries de consommation Gérard Bailly, sénateur du Jura Erick Billiemaz, directeur commercial de Playmobil France Jean Bizet, sénateur de la Manche, président de la commission des Affaires européennes Vincent Capo-Canellas, sénateur de la Seine-SaintDenis Arnaud Cordelle, président d’Intersnack Éric Doligé, sénateur du Loiret François Ehrard, responsable de communication à l’Ilec Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice des AlpesMaritimes Grégory Gazagne, directeur général de Bolton solitaire Philippe Gosselin, député de la Manche Marc Goua, député de Maine-et-Loire Arlette Grosskost, députée du Haut-Rhin Denis Jacquat, député de la Moselle Philippe Le Ray, député du Morbihan Perrine Lebrun, responsable des Relations institutionnelles de Danone Produits Frais France Dominique Lefebvre, député du Val-d’Oise Jean-Baptiste Léger, responsable développement durable et affaires publiques – Pepsico France Jean-Claude Lenoir, sénateur de l’Orne, président de la commission des Affaires économiques Bruno Loutrel, consultant – Boury, Tallon & Associés Richard Panquiault, directeur général de l’Ilec Didier Quentin, député de la Charente-Maritime Claude Raynal, sénateur de la Haute-Garonne Stéphanie Rismont, secrétaire générale chargée de la Communication interne, de la communication externe, des affaires publiques et du développement durable, Brasseries Kronenbourg Yves Rome, sénateur de l’Oise François Scellier, député du Val-d’Oise Laurent Scheer, VP Public Affairs France – Pernod Ricard Fernand Siré, député des Pyrénées-Orientales Alain Suguenot, député de la Côte-d’Or Pascal Tallon, directeur général de Boury, Tallon & Associés Jean-Marie Tétart, député des Yvelines Alain Vasselle, sénateur de l’Oise Fabrice Verdier, député du Gard Ce compte rendu, rédigé à titre indicatif, est réservé aux participants. Pas de reproduction sans autorisation. Richard Panquiault Mesdames et messieurs, je suis très heureux que vous soyez venus en si grand nombre pour entendre Nicolas Bouzou, dont le livre, Le Grand Refoulement, vous sera distribué à la fin de cette rencontre. Je laisse la parole à notre orateur. Nicolas Bouzou Bonjour à tous. Le sentiment que je voudrais partager est qu’aujourd’hui le débat public est envahi par des sujets assez secondaires, alors que d’autres très importants devraient retenir notre attention. Je pense particulièrement au fait que nous sommes entrés dans la cinquième grande révolution de l’humanité. Les quatre précédents bouleversements technico-économiques furent l’invention de l’agriculture il y a dix mille ans ; l’invention du commerce et des échanges avec les prémices de la mondialisation ; la Renaissance ; la révolution industrielle. Nous entrons dans une ère du même ordre, souvent évoquée par les termes de « révolution numérique ». À mon avis, cette révolution va bien au-delà de la numérisation ; les AngloSaxons utilisent un acronyme pour la désigner et parlent de révolution NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information, sciences cognitives). La convergence de ces quatre types de technologies génère une mutation d’ordre économique absolument majeure, l’équivalent de ce que nous avons connu lors de la Renaissance. Sauf que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une révolution touche le monde dans son ensemble. La Renaissance ne concernait que quelques cités. Aujourd’hui, tous les pays participent à cette révolution digitale. Ainsi, les principaux utilisateurs de services de banque à distance se situent en Afrique subsaharienne. Si cette révolution touche le monde dans sa globalité, elle accroît profondément, par ailleurs, le phénomène de destruction créatrice, théorisé par Schumpeter, que nous ne pouvons stopper. En effet, nous pouvons réguler la technologie, mais nous ne pouvons pas arrêter son évolution. Par exemple, je ne pense pas que nous puissions dissoudre UberPop ! De manière générique, on ne peut pas dissoudre une technologie. Cela ne signifie pas que des outils de régulation ne sont pas nécessaires ; l’enjeu est justement d’adapter nos structures institutionnelles, notre droit et notre système fiscal. Dans le cas d’UberPop – j’aurais pu choisir d’autres entreprises, comme Airbnb –, il s’agit bien d’une entreprise NBIC. Uber et Airbnb n’ont inventé ni les VTC (voitures de tourisme avec chauffeur), ni le concept de tourisme. Elles ont seulement numérisé l’accès à ces services ; ce sont donc des entreprises de technologie. En mouvement depuis quinze ans, la grande vague des NBIC va continuer à se développer une quinzaine d’années encore et les changements qu’elle porte vont être de plus en plus importants. Pour citer un cas concret, il y a quelques jours, un sujet majeur a été évoqué par le ministre des Transports des États-Unis : la voiture autonome, c’est-à-dire sans chauffeur. Il s’agit d’un domaine passionnant auquel je vous conseille de vous intéresser dès maintenant. Le débat sur la voiture autonome présente un intérêt pour deux raisons. La première est juridique : à qui revient la responsabilité en cas d’accident ? En Californie, les autorités indiquent vouloir, dans la voiture, un chauffeur qui dispose d’un permis de conduire. L’entreprise Google, elle, explique avoir créé la voiture automatique pour les nonvoyants et les personnes handicapées. Dès lors, en cas d’accident, qui sera responsable : l’algorithme, la Google Car ? Les enjeux juridiques sont immenses… Le second motif d’intérêt concerne les destructions massives d’emplois, notamment dans le secteur des moniteurs d’auto-école. Dès lors, il s’agit bien d’un phénomène de destruction créatrice, dont il ne faut pas oublier le versant créateur. Ces révolutions technologiques créent potentiellement énormément d’emplois, le plus souvent de nouveaux emplois. Certains économistes expliquent qu’il ne s’agit pas d’une véritable révolution, car nous n’en percevons pas encore les gains de productivité. En réalité, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle économie où le vrai sujet de politique économique concerne la mutation de l’emploi et du travail. À cet effet, le président de la République a eu raison de mettre l’accent sur la flexisécurité. Elle reste une bonne idée, et la question à laquelle il nous faut répondre est la suivante : comment articuler une véritable flexibilité du marché du travail aux phénomènes de création et de disparition de nombreux emplois ? Les spécialistes du marché du travail, en France, connaissent ces sujets et sont à même de suggérer les meilleures propositions ; ils expliquent que plus nous détruisons d’emplois dans une économie qui fonctionne bien, plus nous pouvons en recréer. En revanche, la flexibilité est inutile si nous ne donnons pas la capacité aux individus de passer d’un emploi à un autre. Il s’agit là des sujets de l’apprentissage et de la formation, souvent traités de manière secondaire et qui permettent pourtant de résoudre l’équation suivante : comment gère-t-on cette immense phase de destruction créatrice ? Nous avons beaucoup d’atouts, en France, pour aborder cette phase essentielle. Il suffit de regarder les statistiques nationales concernant les start-up. De fantastiques initiatives prospèrent, par exemple les nanotechnologies à Grenoble, le plateau de Saclay ou le quartier Euroméditerranée à Marseille, consacré à la santé. Nous disposons d’un tissu entrepreneurial extraordinaire et les politiques publiques doivent permettre à ce précieux moteur de prospérer et de créer des emplois. J’aimerais également aborder deux autres sujets qui nous concerneront cette année. Tout d’abord, les défis des énergies conventionnelles. Nous n’avons pas vu venir le fait que les ÉtatsUnis sont presque devenus le premier producteur de pétrole dans le monde. Une nouvelle offre de pétrole s’est développée et, dans le même temps, il y a eu un ralentissement des économies émergentes, un choc d’offre positif sur les hydrocarbures, un choc de demande négatif et un écroulement des prix. À court terme, c’est une bonne nouvelle pour un pays comme la France. Mais d’autres pays, à l’image de l’Algérie, voient s’écrouler leur modèle. Un écroulement économique relativement large peut donc se produire, et engendrer de nouvelles vagues migratoires. C’est un sujet sur lequel il faut s’interroger, surtout lorsqu’on sait qu’en France le taux d’emploi des Algériens est le plus bas de toutes les populations immigrées. Autre sujet d’importance : le Brexit. Les résultats du référendum sont difficiles à prévoir. À mon avis, nous allons vers le « in », mais nous ne pouvons pas être complètement tranquilles. Si les Britanniques venaient à choisir le « out », il est facile d’imaginer les réactions en chaîne, un cercle vicieux commencerait. Nous connaîtrions des incertitudes majeures pour les structures économiques de l’Union européenne. Je terminerai ce propos introductif en vous faisant part de deux convictions. J’ai la chance de voyager et d’avoir pu effectuer de nombreuses comparaisons. Très honnêtement, je pense que les problèmes français sont assez simples à résoudre. En deux ans, il est possible de réformer la France. Bien sûr, il y a des contraintes, notamment les réactions de l’opinion publique, mais sur la plupart des sujets essentiels – la réforme du marché du travail ou de l’Éducation nationale –, nous savons ce qu’il faut faire. Par exemple, il est impératif de diminuer le taux de chômage structurel en introduisant un nouveau contrat de travail, en réformant l’apprentissage, la fiscalité, etc. Je pense qu’il n’y a pas de difficulté insurmontable. Enfin, il est nécessaire de demander aux Français de procéder à certains changements. Ce que j’ai observé chez les gouvernements qui ont effectué d’importantes réformes dans un temps assez bref, c’est qu’il est possible de changer lorsqu’on s’appuie sur des valeurs immuables. Plus nous voudrons être progressistes et volontaristes économiquement, plus nous devrons nous appuyer sur des valeurs fortes. Cet aspect vaut pour l’immigration et doit prévaloir pour l’économie. À ce titre, la pédagogie est nécessaire. Par exemple, j’ai pris parti pour deux types de mesures : je suis favorable à la dégressivité de l’indemnisation du chômage et à l’expérimentation que veut mener le conseil départemental du Haut-Rhin – mise sous condition d’un certain nombre d’allocations. Pourquoi ? Simplement pour des raisons d’efficacité. Dans tous les pays revenus au plein-emploi, la dégressivité existe. Dans tous les pays qui ont réformé leur État providence, il y a eu un équilibre entre les droits et les devoirs, ce sont des éléments de régulation du système. Mais le plus souvent le sens et les explications qui justifieraient de telles réformes auprès des citoyens manquent. Jean Claude Lenoir J’ai deux observations. Vous avez porté un regard sur les pays qui nous entourent ainsi que sur les valeurs qui doivent guider les réformes. En France, j’ai l’impression que nous débattons sans arrêt des valeurs. Nos voisins sont plus pragmatiques. Les Allemands ont résolu une partie des problèmes que nous rencontrons parce qu’ils sont pragmatiques. À la chambre des communes de Londres, on ne parle également que de vrais sujets. Il nous faut, en France aussi, du pragmatisme. Par ailleurs, sur le plan mondial, les nouvelles technologies risquent d’avantager les pays en développement mais de nuire aux pays développés. Dans des pays qui n’ont pas grandchose, elles vont permettre des activités nouvelles. Ici, nous ne faisons que constater la baisse des emplois : nous avons un taux de 14 % d’emplois industriels et selon une étude récente nous allons perdre dans les six prochaines années la moitié de ces emplois, du fait des nouvelles technologies. En termes géopolitiques, cela aura des conséquences. Enfin, concernant les énergies conventionnelles, nous aurons encore besoin de gaz et de pétrole pendant des dizaines d’années pour les besoins individuels, et pour les industries pétrochimiques. Il y a aussi le nucléaire, fondamental pour nous, et je souhaite que nous ne nous laissions pas embarquer dans des débats idéologiques sur ce sujet. Arlette Grosskost Vous avez raison sur le fond de votre propos introductif. Nous parlons de réformes structurelles depuis trente ans, j’espère que bientôt nous aurons le courage de les faire. Je souhaite réagir à ce que vous avez dit sur l’expérimentation d’une contrepartie à certaines allocations dans le Haut-Rhin. Certes, je trouve normal qu’il y ait, contre un revenu de solidarité, une contrepartie ; la ligne des droits et des devoirs dont vous avez parlé est essentielle. Pour autant, il ne faut pas annoncer n’importe quoi, car c’est ainsi que nos concitoyens ne croient plus dans la politique. Nous réfléchissons beaucoup, mais nous agissons peu. L’initiative du conseil départemental du Haut-Rhin est selon moi un buzz: d’abord parce que cette mesure ne sera mise en œuvre que le 1er janvier 2017, ensuite parce que d’autres élus l’ont essayée et qu’elle a finalement été abandonnée. Nous n’arriverons pas à réhabiliter le politique de cette manière. Nos voisins allemands ont engagé des réformes structurelles il y a longtemps. Il nous faudra du courage et de l’audace, mais nous devons les faire. Il faut que nous prenions de vraies décisions et que nous les expliquions. Quand aura-t-on le courage de faire et d’agir ? Nicolas Bouzou J’ai tenté de réfléchir, comme vous, à cette question : pourquoi savons-nous ce qu’il faut faire et pourquoi ne mettons-nous pas en place les réformes nécessaires ? À titre d’anecdote, j’ai été ébranlé par la question que m’avait posée un ministre danois : il me demandait pourquoi nous ne faisions pas baisser le chômage en France ! Le sous-entendu était que nous savons ce qu’il faut faire pour y parvenir. Je crois qu’il est important que tout soit précisément annoncé pendant les campagnes électorales. À cet égard, nous avons manqué de clarté en 2012. La campagne de 2017 sera importante, il faudra annoncer les choses clairement. Ce qui compte, c’est le pragmatisme des mesures. Claude Raynal Vous avez une vision très positive du numérique. Vous avez parlé de la destruction créatrice, or je constate qu’on détruit beaucoup, mais qu’on reconstruit peu. De nombreux métiers sont dans l’incertitude. Mon sentiment est que les actifs sont entraînés qui vers le haut, qui vers le bas, selon qu’ils disposent ou pas de la formation pour s’adapter. J’aimerais que vous nous donniez plus d’éclaircissements sur ce point. Par ailleurs, vous avez souligné les atouts de la France et de ses jeunes pousses du numérique. Mais face à elles il y a les GAFA, qui achètent toutes les technologies qui fonctionnent et nous laissent ce qui ne vaut rien. Comment garder la qualité technologique en France ? Didier Quentin Vous avez évoqué la catastrophe qu’annonce la situation préoccupante de l’Algérie. Comment prévenir ce drame, y compris sur le plan migratoire ? La situation pourrait être difficile pour nous, compte tenu de notre proximité avec ce pays et de nos relations bilatérales, qui sont encore compliquées. Éric Doligé Je me demande si nous sommes en capacité d’agir et, dans ce cas, qui serait en mesure d’agir. Il faut trouver l’homme ou la femme en capacité de réformer. Nous avons parlé de courage et d’action, mais quand des décisions trop radicales sont prises, elles sont très rapidement remises en question… Comment les élus pourraient-ils s’y lancer ? Des mesures difficiles et délicates devront être prises. Nous connaissons, par exemple, le poids de la couverture sociale, qui n’est plus soutenable sur le plan national. Fernand Siré Dans le monde politique actuel, l’objectif du politique est la réélection. Personnellement, je suis pour un mandat unique de cinq ou dix ans, car les individualismes particuliers prennent trop le pas sur le reste. Il faut faire ce qui est nécessaire, mais pas pour de mauvaises raisons comme être réélu. Nicolas Bouzou Merci de ces interventions. L’une des questions importantes est de savoir si la partie créatrice de cette révolution sera supérieure à la partie destructrice, qu’il est facile de constater dans certains secteurs. Où la création aura-t-elle lieu? Je pense que la création va l’emporter sur la destruction. Mon argument, que vous trouverez peut-être insuffisant, est simplement que cela s’est toujours passé de cette façon. Les débats que nous connaissons ont toujours existé, en 1785, en 1905, etc. La crise de l’économie française est liée à un phénomène de mutation mondiale, il faut faire attention à ces périodes qui peuvent être conflictuelles… L’idée dominante est que les mutations technologiques vont détruire des emplois. Je pense que l’on va en créer, mais en haut et en bas, pour reprendre l’expression que vous employiez. Il y aura effritement des classes moyennes. Or ce sont souvent ceux qui se trouvent dans cette frange intermédiaire qui aspirent à revenir au monde d’hier et qui alimentent le vote extrême. Il faut reconnaître que seul le Front National parle de ce phénomène lié à la mondialisation, même s’il apporte la pire réponse qui soit. Il faut donc construire une réponse à destination des élites, certes, mais également à l’intention des moniteurs d’autoécole qui vont perdre leur emploi à cause de la Google Car. Seul Emmanuel Macron maîtrise ces sujets et essaie de construire un discours sur la façon d’articuler les technologies à notre société. Une complémentarité entre l’homme et la machine est possible. Dans l’économie de la santé, de nombreux robots très performants sont créés aux États-Unis. Certes, des emplois de chirurgiens et d’anesthésistes sont détruits à cause de ces outils, mais en contrepartie le taux d’emploi des infirmières explose. La complémentarité s’opère parce que la création d’une machine nécessite un haut niveau de connaissance, mais elle nécessite également d’être complétée et assistée dans son usage. Ma conviction est qu’il faut continuer d’investir dans l’innovation, car les pays les plus innovants sont ceux où le chômage se montre le plus faible. Regardons ce qui se passe aux États-Unis, en Suisse, en Autriche, au Royaume-Uni ou au Japon… En Angleterre, la pauvreté diminue. La question du caractère politiquement rentable d’une politique de réforme est posée. David Cameron et Matteo Renzi l’ont compris, puisqu’ils ont concentré leurs réformes importantes en début de mandat. Ce qui est incompréhensible dans les politiques des présidents Hollande et Sarkozy, c’est l’étalement des réformes dans le temps. Si les réformes structurelles avaient été concentrées en début de mandat, par exemple la TVA sociale, des résultats positifs auraient pu se faire sentir, notamment sur la courbe du chômage, dont le renversement se fait encore attendre. Pour l’Algérie, je vois deux sujets, l’un à court terme, l’autre à long terme. À long terme, nous aurions intérêt à réactiver l’Union pour la Méditerranée, qui était une très bonne initiative de coopération. À court terme, nous devons regarder froidement les statistiques d’intégration des immigrés en France. Je ne veux stigmatiser personne, il s’agit simplement de constater qu’il y a des pays d’immigration où l’intégration économique est plus difficile qu’ailleurs. Je n’ai pas de solution à ce problème, la seule chose que je puisse proposer est de demander à des spécialistes d’expliquer pourquoi l’intégration économique se déroule mieux avec certains pays. Par exemple avec le Mali : l’intégration économique des Maliens en France se passe très bien. En revanche, le taux d’emploi des femmes algériennes, un an après leur arrivée en France, n’est que de 13 %. Yves Rome Vous avez évoqué la destruction créatrice, mais vous avez omis un point majeur : si la France et l’Europe ont créé Internet, le numérique, lui, nous a échappé. Je regrette le manque d’action de notre continent face aux GAFA qui captent la valeur et deviennent des puissances financières. Si la France et l’Europe ne prennent pas conscience de cette domination américaine, je crains que la vision positive que vous avez à ce sujet ne soit démentie avec le temps. Alain Suguenot Je partage votre constat et souhaite vous interroger sur un point : qui paie cette révolution économique ? Les États-Unis ont pris de l’avance, alors qu‘en France nous avons une logique d’amortisseur, où le politique apparaît comme un ralentisseur de crises. Dès que des initiatives sont prises, nous imposons des contraintes, notamment pour assurer la dimension sociale. À mon sens, le vrai débat est de donner à notre économie les moyens de fonctionner et non de fournir aux banques centrales les moyens de créer toujours davantage de monnaie. Cours du pétrole bas et faibles taux d’intérêt sont défavorables aux réformes. Comment donner du courage aux politiques, pour que nous ayons enfin, en France, une action efficace ? Marc Goua Je partage également votre constat. Il y a tout de même un phénomène particulier qui se produit depuis quelque temps : des réinternalisations de productions qui se faisaient en Chine ou ailleurs. Il y a sans doute ici un créneau. Par ailleurs, les start-up, lorsqu’elles fonctionnent, sont rachetées et l’emploi part donc hors de nos frontières. De nombreux étudiants, notamment étrangers, font de brillantes études ici, puis, parce que nous ne savons pas les retenir, quittent la France pour aller au Canada, par exemple. À cause de cela nous perdons des marchés africains… J’ai eu l’occasion de rencontrer Emmanuel Macron et de lui en parler. Pour redémarrer, il n’y a qu’une seule chose à faire : reconstruire la confiance. Celle-ci ne se décrète pas ; il faut davantage de stabilité, dans l’environnement particulièrement. juridique et fiscal Nicolas Bouzou La régulation des GAFA est un défi de taille avec. Au fond, leurs business models, celui d’Amazon ou d’Uber, entre autres, correspondent à celui hier de la sidérurgie, ce sont des monopoles naturels, par l’effet boule de neige des économies de réseaux : plus ils ont de clients, plus ils en attirent. C’est ce qui explique que Facebook, Netflix ou Spotify soient en position dominante. Il faut apprendre à réguler ce phénomène. Je m’étonne que les autorités de concurrence ne soient pas plus présentes dans ce dossier. Google a tout de même une position dominante et, puisque l’abus de position dominante est condamnable, il faut que l’on regarde cet aspect de plus près. L’économie doit demeurer concurrentielle. Entre la production et la distribution, il y a un juste milieu à trouver. Ces sujets méritent une réflexion plus poussée. Il s’agit de savoir comment réguler, sans aller jusqu’au break up proposé par certains parlementaires européens. J’ai parfois l’impression d’être le seul à défendre les hommes politiques. Les problèmes liés à l’adoption des réformes importantes viennent souvent de l’opinion publique, on l’a vu avec les retraites. Le CPE proposé par Jacques Chirac, bien qu’imparfait, constituait une bonne réforme du marché du travail. Seulement, même si le gouvernement de l’époque s’est montré courageux, les Français l’ont refusée, forçant le Premier ministre à retirer son projet de loi. L’idée d’introduire un nouveau CDI flexible n’était pas mauvaise. L’essentiel, lorsqu’on souhaite réformer, est d’emmener avec soi l’opinion publique, en lui expliquant les défis et les enjeux. Je ne souhaite pas qu’il y ait des réformes punitives ; si nous proposons du sang et des larmes, cela ne fonctionnera pas. Prenons la réforme de la Sécurité sociale : je souhaite naturellement que les Français aient accès aux meilleurs traitements possibles. Les nouvelles technologies permettent de meilleurs traitements, notamment contre le cancer. Mais ces traitements restent chers, il est donc nécessaire de faire des économies pour les financer. Nous pouvons développer les maisons de santé, réformer les urgences, donner davantage de moyens aux pharmaciens. Ces réformes ont un sens, car nous les faisons pour que notre situation s’améliore, pour que les traitements se perfectionnent. Il y a de nombreuses initiatives à prendre pour mener ces grandes réformes. Il faut dire aux Français qu’un certain nombre de problèmes de notre pays peuvent trouver des solutions à brève échéance. La sphère intellectuelle ne fait pas son travail à cet égard ; j’ai beaucoup d’amitié pour Alain Finkielkraut et Michel Onfray, mais on ne peut pas focaliser le débat sur la IIIe République, il nous faut nous projeter sur des sujets d’avenir. Comme dans toutes les grandes révolutions technologiques, il est possible d’avoir le pire, mais aussi le meilleur. Il faut une réflexion sur la régulation, qui peut s’appuyer sur l’éthique. Ainsi, au sujet de la sélection des embryons et de l’eugénisme, il faut s’interroger sur les limites à poser ; certaines pratiques ne peuvent être acceptées en France. En construisant une réflexion tournée vers l’avenir et un discours sur l’éthique, les valeurs et l’économie, il deviendra possible d’emmener une partie des Français avec nous. Fernand Siré Je m’interroge sur l’impact pour l’économie du système où nous avons, où seules quelques grosses centrales d’achat déterminent les prix, au détriment des producteurs qui ne peuvent plus intervenir. Richard Panquiault La destruction créatrice doit s’accompagner de protections, afin qu’il soit possible de gérer les périodes de transition. Nous ne pouvons que constater aujourd’hui une destruction de valeur et d’emplois qui pour une large part ne seront pas remplacés. C’est le sujet qui nous préoccupe. Cela fait écho à la question d’un marché qui fonctionne bien, avec une concurrence qui s’exerce et des entreprises capables d’investir. Il faut essayer de mettre les consommateurs de notre côté. C’est à nous, collectivement, de les convaincre, en expliquant qu’un marché qui fonctionne bien n’est pas exclusivement constitué de prix bas. Pascal Tallon Je vous remercie pour ces échanges passionnants. L’Ilec vous offre l’ouvrage de Nicolas Bouzou. À très bientôt.
Documents pareils
Intervention de Mr. Nicolas BOUZOU
multiplier les actes. Ce système n’est pas efficient. Il faut rémunérer correctement les médecins. Le
problème est globalement le même avec les enseignants. Il faut arrêter de tout tirer vers le ba...