Conférence Yvane Chenouf

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Conférence Yvane Chenouf
Lire Claude Ponti encore et encore
C’EST L’HISTOIRE DE…
Chez Claude Ponti, c’est d’abord, c’est encore, c’est toujours et c’est sans fin des histoires…
Des histoires pour s’endormir, sans crainte ni de la nuit, ni de l’effondrement des toits et des murs,
comme dans Schmélele et l’Eugénie des larmes (« Schmélele et ses parents habitent une maison
tellement pauvre, que les murs, le toit et les fenêtres sont partis vivre ailleurs. »1). Pour ancrer les
maisons, pour consolider les familles, pour tenir au monde, rien ne vaut les histoires : (« … il y a très
longtemps, chaque soir, les Ouroulbouloucks construisaient leurs maisons, se couchaient dans leur lit
et, au milieu de la nuit, se réveillaient en plein courant d’air. Le toit et les murs étaient partis. Tous
les soirs, ils construisaient une nouvelle maison qui se défaisait pendant la nuit. (…) Une nuit, une
maman eut l’idée de raconter une histoire à Iolla, sa fille, pour l’endormir. C’était la première fois.
Le toit et les murs ont écouté. Et rien qu’à écouter, ils étaient cloués ensemble bien plus fort que par
la colle. Ils sont restés toute la nuit et toutes les nuits suivantes, car Iolla réclamait une histoire
chaque soir. »2). Car les histoires fondent les communautés, grandes ou petites, elles rassemblent
autour de valeur communes, profondément respectées ou hardiment défiées, transgressées.3
Parce qu’elles sont éternelles, les histoires survivent à leur auteur comme en témoigne ce « petit
crayon de Monsieur Hulul4 » laissé sur le livre ouvert de la tombe de son créateur, Arnold Lobel (Ma
Vallée)5 ou sur la carte dépliée d’un jardin public dans Georges Lebanc6, depuis L’album d’Adèle7, le
livre fondateur, jusqu’à Bih-Bih et le Gouffron-Bouffron8, le livre manifeste. Les histoires ne reflètent
pas le monde, elles le reconsidèrent et le reconfigurent, ouvrant de nouvelles scènes pour des actions
et des personnages, des tableaux dans lesquels certains lecteurs sont persuadés de s’y reconnaître.
Sans elles, sans leur quotidienneté, la Terre cesserait de tourner rond et les humains perdraient la
vision d’eux-mêmes, des autres et du monde comme le rappelle la tortue de L’Ecoute-aux-portes :
« Une histoire très ancienne ne doit jamais s’arrêter … Aujourd’hui, quelqu’un s’est arrêté en la
lisant… » La tortue soupira puis elle murmura : « Je n’en peux plus… le monde devient si lourd… Il
faut remettre cette histoire en route, il faut… »9 Car la culture donne forme à l’esprit10 et les histoires
constituent non seulement le fondement des valeurs personnelles mais aussi la cohésion d’une
1
Schmélele et L’Eugénie des larmes, 2002, p. 7
2
L’Almanach ouroulboulouck, 2008, p. 53
3
Jerome BRUNER, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?, Retz, 2002
4
Hulul, Arnold LOBEL, L’école des loisirs,
5
Ma Vallée, 1998, non paginé (double page intitulée Le cimetière)
6
Georges Lebanc, 2001, p. 44
7
L’Album d’Adèle, Claude Ponti, L’école des loisirs, 1986
8
Bibih et le Gouffron-Bouffron, Claude Ponti, L’école des loisirs, 2009
9
L’Ecoute-aux-portes, 1995, pp. 12-13
10
Titre emprunté à Jerome Bruner chez Eshel
1
expérience commune qu’elles transmettent depuis les débuts de l’humanité : « Les arbres s’ouvrent
comme des portes. Dedans, on voit le bleu de l’Océan de la Mère des Histoires. L’eau de cet océan est
faite de toutes les histoires du monde. Toutes. Celle qui ont été mille fois racontées, celles que presque
personne ne connaît, celles qui ont été oubliées, celles que l’on n’a pas encore racontées et celles qui
n’ont pas encore été inventées. »11. Plus fortes que la vie (« Les poussins sont des poussins de livre, ils
ne meurent jamais. C'est impossible. Si elle essaie de mourir exprès, Lily–Madjaro ne meurt pas.
Duvette non plus, ni Alim–Malaya. Anna–Pournalaho fait une démonstration tous les mercredis à
neuf heures trente–huit : même piquée par une guêpe géante, frappée à la tête par un roc, percée de
cinq flèches, trouée au revolver, incendiée, éteinte, à l'eau glacée, écrasée par le Martabaff puis un
éléphant, Anna ne meurt pas. Les poussins n'ont pas peur de la Mort, d'ailleurs, ils lui font plein de
grimasques : Fiorde, sans rien, Skeutédröll, avec ses fesses et Patankmoi aussi. »12), les histoires
(re)mettent les individus au monde, un monde de langages où la recherche de significations devient
l’aimant et la boussole.
Ainsi, les histoires sont-elles le décor de l’existence humaine, la scène où se joue et se rejoue l’art de
vivre : « Lorsque nous entrons dans la vie, c’est comme si nous pénétrions sur une scène de théâtre où
la représentation a déjà commencé : l’intrigue est nouée, elle détermine le rôle que nous pouvons y
jouer et le dénouement vers lequel nous pouvons nous diriger. Ceux qui étaient déjà en scène ont une
idée de la pièce qui se joue, une idée suffisante pour rendre possible la négociation avec le nouvel
arrivant. »13 Mémoires et avenirs des hommes, les histoires sont la propriété des enfants, de tous les
enfants, un patrimoine dont Claude Ponti a lui-même hérité et qu’il transmet respectueusement dans
une épigraphe célèbre (« Longtemps je me suis couché de bonheur, avec mes livres et ma lampe de
poche. Dès que j'allumais ma lampe, les personnages sortaient d'entre les pages. En foule. Avec les
voisins, les chevaux, les oiseaux, les martiens ambidextres, les héros peureux, les maléfiques, les
surpuissants, les traîtres, les anodins, les ensorcelés, les injustement condamnés, les invisibles, les
souterrains, les faces d'ange, les princesses à délivrer. Personne ne saura jamais combien nous étions
sous la couverture. Ce livre est un hommage à tous ces personnages et à leurs créateurs, qui ont
inventé le monde des livres pour enfants, et qui continuent, jour après jour, à nourrir de nouveaux
livres. Qu'ils en soient, ici, remerciés du fond du cœur et de mon lit par moi et ma lampe de poche,
pour l'éternité des jours et des nuits de lecture que je leur dois. C.P. »14) : dans une double page
somptueuse, dans le décor fastueux de gâteaux et de sucreries, a lieu la plus incroyable rencontre
entre les plus célèbres références de la littérature de jeunesse internationale (tous invités d’Anne
Hiversère). Chaque poussin accueille ces prestigieux convives en adoptant la même attitude : pas de
bouche pour le poussin réceptionnant Bécassine, une houppette pour celui qui reçoit Tintin…
11
Georges Lebanc, déjà cité, p. 19
12
Mille Secrets de poussins, 2005, pp. 632-633
13
Jerome BRUNER, … car la culture donne forme à l’esprit, Eschel, 1991, p. 48
14
Blaise et le secret d’Anne Hiversère, épigraphe ou dédicace
2
C’EST L’HISTOIRE DE BIH-BIH
Bibi ou moi, Bibi ou la projection de l’auteur dans son œuvre. Claude Ponti dit l’aventure personnelle
que ça représente, pour lui, d’écrire pour les enfants. Aventure mystérieuse, profonde, sincère qui
consiste à donner quelque chose de lui aux enfants qui le lisent. Ayant fait ses débuts d’écrivain en
tant que père d’Adèle, s’étant donc inscrit biographiquement dans l’œuvre, il lui arrive (parfois) de
s’introduire, incognito dans l’œuvre : n’est-ce pas une enfance lorraine (sa terre natale) qu’on devine
dans Ma Vallée, n’est-ce pas lui, déguisé en Cribzouille (scribouillard, scribe et gribouilleur, tenant
tendrement Adèle dans ses bras dans le square de Georges Lebanc ? N’est-ce pas lui qui se cache
encore dans Le Catalogue de Parents (accessoire n° 32, « Pointi le pointo » : celui qui met le doigt là
où ça fait mal) ? Dans Sœurs et frères, ne dicte-t-il pas ses dernières volontés : « En ce qui concerne
l’auteur de cet ouvrage, au cas où il mourrait, il préfère comme friandise une poêlée de champignons
de Forêt Profonde, avec une Romanée-Ponti 1988.», p. 47
Comme tous les grands écrivains, Claude Ponti accompagne ses lecteurs et procède à un guidage
créatif : « Le lecteur (…) progresse dans la sécurité. Aussi loin qu’il puisse aller, l’auteur est allé
plus loin que lui. Quels que soient les rapprochements qu’il établisse entre les différentes parties du
livre – entre les chapitres ou entre les mots – il possède une garantie : c’est qu’ils ont été
expressément voulus. (…) le créateur l’a précédé dans cette voie et les plus beaux désordres sont les
effets de l’art, c’est-à-dire ordre encore. (…) Une force douce nous accompagne et nous soutient de
la première à la dernière page. »15
Mais Bibi c’est aussi le nom des poupées de Septame, Septème, Septime, Septome, Septume,
Septoume, Septuime… sept filles (rappelant les filles de l’ogre du Petit Poucet) élaborant leur vie
autour de secrets précieux et précis, un matin, au square (des causeuses). Les poupées s’appellent
Bibilou Septame, Bibilou Septème, Bibilou Septime, Bibilou Septome, Bibilou Septume, Bibilou
Septoume, Bibilou Septouime… et le redoublement de la première consonne (BB) fait entendre un
être sans défense (un bébé) : on retrouve ces initiales dans Burle-Bise (La Nuit des Zéfirottes), BihBih… Mais dans toutes ces poupées Bibi, sourd la poupée Barbie au même redoublement de
consonnes (le dragon dans Georges Lebanc, s’appelle Barbizéboth).
Bih-Bih condense, dans son prénom un redoublement de syllabes comme d’autres prénoms d’héroïnes
célèbres : des filles de l’œuvre pontienne (Lili Prune) mais aussi d’autres filles dont Fifi Brindacier
(Astrid Lindgren) ou encore Sissi (ou Sisi), cousine de Louis II Bavière, dont le château
(Neuschwanstein) figure, non seulement dans l’album mais en plein milieu de la couverture de BihBih et le Bouffron-Gouffron (à côté de deux autres châteaux : château du haut Koeninsbourg ).
15
Qu’est-ce que la littérature ? Jean-paul Sartre, folio essais, pp. 60-61
3
C’EST L’HISTOIRE DE BIH-BIH, UNE SORTE DE PETITE BESTIOLE…
Quand ils ne sont ni poussins, ni souris, ni oiseaux… les héros pontiens sont (la plupart du temps) des
mutants (mi souris, mi écureuils), sans appartenance à un espèce déterminée (exceptés quelques
éléphants, lapins, ou rhinocéros… de moins en moins présents dans l’œuvre). D’étranges formes aux
étranges noms, des créatures indescriptibles, profondément dotées de vie, appartenant à un monde
parallèle : L’Ecoute-aux-portes, le k’sar bolog’, le ver de terre avec un visage (Blaise et le château
d’Anne Hiversère) ou des peuples inconnus nommés les Touim’s (Ma Vallée), les Ouroulboulouck
(L’Almanach des…) ou les Zéfirottes (La Nuit des…) et, dans Bih-Bih et le Gouffron-Bouffron, un
groupe de Popoille (Popeye ?), en très mauvaise situation : « un étrange animal transpercé par une
terrible épine de château-fort » nommé Leuffred-Poppoille (ils seront en fait quatre), puis un autre
étrange animal prisonnier de la glace et nommé Greupansse-Popoille et enfin un dernier étrange
animal prisonnier d’un « Tortillonnaire Kécrazafon », nommé, lui, Céfali-Popoille. Tous représentent
des morceaux de l’Ooïpopoille qui viendra à bout du terrible monstre avaleur de monde. L’apparence,
le nom de ces créatures, tout fait rire (ou rebute) mais pourtant dès que ces personnages apparaissent
dans l’œuvre, ils l’habitent pour en justifier l’existence (tous sont des victimes qu’il faut absolument
sauver). Ce sont des personnages créés de toutes pièces et sur lesquels les jeunes lecteurs ne peuvent
rien projeter de connu mais auxquels ils s’attachent instantanément et sur lesquels leur imaginaire se
déploie librement, leur curiosité s’aiguise.
C’EST L’HISTOIRE DE BIH-BIH UNE SORTE DE PETITE BESTIOLE UN PEU COMME UNE PETITE FILLE…
Les petites filles (très nombreuses) filent entre les pages de l’œuvre comme des eaux vives, comme
des souffles d’air. Adèle, la fille et la muse, a ouvert le grand coffre imaginaire qui sert de fondation à
toute la construction de l’œuvre (L’Album d’Adèle). Elle n’hésite pas à se dédoubler tantôt à travers sa
poupée (Adèle/Broutille, Anaïs P./Mélanie), tantôt sous l’effet d’une intervention magique
(Adèle/Burle-Bise) pour exercer sa puissance onirique ou sa force défensive. Ces phénomènes ont
souvent lieu dans l’espace des rêves (tandis qu’Adèle dort, Broutille, sélectionne, sur le toit de
l’immeuble, les bruits du monde et Burle-Bise participe à la défense de Paris) ou avant la tombée de la
nuit, dans un parc magique : Anaïs P., aux initiales troublantes (Adèle Ponti ?), prête sa poupée,
Mélanie, aux petites filles que certaines peurs empêchent de grandir.
Si Hipollène et Lili Prune incarnent les voies des filiations, la première s’établit subjectivement dans
un arbre généalogique, un arbre sans fin, tandis que la seconde emprunte les chemins, jusque-là
réservés aux hommes de la science, réalisant deux révolutions : inscrire le nom d’une femme dans le
panthéon des hommes célèbres (Archimède, Newton, Hubble, Einstein…) et délivrer sa communauté
d’une peur chronique, grâce aux savoirs emmagasinés depuis l’enfance. Bih-Bih, elle, devra sauver le
monde en s’enfonçant dans les plis de l’estomac d’un monstre, en retrouvant les premières fondations
d’un monde en morceaux (les popoïlle) pour le reconstruire. Quant à Isée (Mô-Namour), elle devra
4
affronter le monstre qui dit l’aimer et la maltraite, défier sa soumission à cette violence que les mots
lui cachent (Torlémo efface son nom, Isée, préférant l’appeler Mô-Namour pour lui exprimer ses
sentiments) : Isée se dédouble, c’est-à-dire perd sa cohérence, son identité.
Qu’elles soit littéraires ou scientifiques, les filles prennent en charge la transmission des cultures :
Mine remet en route le monde en relançant ses histoires, Hippolène s’entretient avec ses aïeules pour
trouver sa propre route, Anne Hiversère est entourée, à l’occasion de son anniversaire, des grands
noms de la littérature ou du cinéma pour la jeunesse et Bih-Bih délivre le patrimoine international du
monstre qui veut les dévorer et les annihiler : elle devra, pour réussir sa tâche, prendre le relais de
nombreuses filles ou femmes, tantôt figées (sculptures), tantôt lointaines (jeune femme en kimono
fleuri) mais connaissant bien Montagne de Sagesse et sachant ouvrir le chemin aux jeunes
générations. Dans l’entretien qu’il accorde sur le site de son éditeur 16 à propos de Bih-Bih et le
Bouffron-Gouffron, Claude Ponti déclare : « J’ai mis beaucoup d’œuvres féminines parce que
d’abord j’ai une fille et ça m’intéresse que le monde cesse un peu d’être trop masculin et puis c’est
quand même la moitié de l’humanité et je ne vois pas très bien pourquoi il disparaîtrait. » Dans
Sœurs et frères, Claude Ponti retravaille l’expression connue (frères et sœurs) pour donner la priorité
aux filles et créer les « sorofrèreries ».
C’EST L’HISTOIRE DE BIH-BIH UNE SORTE DE PETITE BESTIOLE UN PEU COMME UNE PETITE FILLE QUI A UN PETIT
COMPAGNON
Merveilleux adjuvants, les compagnons aident les héros solitaires à surmonter les épreuves. Leur
nature, différente, est hautement symbolique : Hipollène est aidée par une loupiotte 17, une lumière qui
l’aide à trouver son propre reflet, la bonne image d’elle-même ; Okilélé, lui, a le temps avec lui sous la
forme d’un réveil cassé qu’il répare : Martin Réveil ; Mine recourt à l’Ecoute-aux-portes, un
personnage étrange aux oreilles formidablement développées : un « écouteur » d’histoires, un
connaisseur de leur emplacement, une enregistreur et un conservateur, une sorte de Charles Perrault ou
de frère Grimm qui vit, c’est évident, dans la Forêt-Profonde ; Zouc profite d’une rencontre inopinée,
un œuf placé sur son chemin, pour imaginer qu’en germe, dans cette enveloppe d’écaille, se trouve un
ami, son ami, prometteur d’un sentiment forcément évolutif ; Bih-Bih a pour compagnon un
champignon nommé Filifraiïme dont le nom rappelle le père de Fifi par les éléments phonologiques
(Capitaine Efraïm Brindacier…) mais aussi sémantiques (fil de fer, filiforme… brin d’acier). Le
champignon, qui joua un rôle important (hallucinogène) pour Alice puisqu’il lui permettait tantôt de
grandir tantôt de rapetisser, est un symbole de croissance rapide mais aussi de perpétuel « recyclage ».
Dans Mô-Namour, après s’être débarrassé de son tortionnaire, Isée « traverse un pays étrange où elle
16
http://www.ecoledesloisirs.fr/php-edl/auteurs/fiche-auteur.php?codeauteur=228 (lire les video de cet auteur)
17
La loupiotte est citée dans l’épigraphe de Blaise et le château d’Anne Hiversère, comme l’objet qui permet de lire, la nuit,
sous la couverture.
5
et ses amis sont parfois immenses et grands… et parfois minuscules et petits. »
Si les compagnonnages passent par les liens sentimentaux, fraternels (Parci et Parla, Tromboline et
Foulbazar) ou amoureux (Mose et Azilise, Jules et Roméotte), ils ne font pas l’impasse sur les
auxiliaires canoniques (les deux génies d’Aladin dans Schmélele et l’Eugénie des larmes, l’objet
transitionnel dans Le Doudou méchant et dans Mô-Namour, la peluche avec le singe Bonn’Homm’Bo
dans La Nuit des Zéfirottes et tous les amis invisibles (elfes, lutins…) auxquels seul l’ami sincère peut
donner un nom (Oum Popotte dans Le Chien invisible) : tous ces auxiliaires (peluches, doudous…) se
retrouvent la nuit dans un square nommé Albert Duronquarré (Georges Lebanc)…
Claude Ponti a aussi inventé des compagnons à ses lecteurs, des personnages qui passent et repassent
dans les livres, comme pour dire le fil entre les histoires, mettre des repères, établir des signes de
connivence : Blaise, le poussin masqué, le Ksar Bolog’ (dans Mô-Namour, Blaise et le Ksar Bolog’
sont réunis sur la même vignette, à un endroit stratégique de l’histoire, lieu de passage entre la douleur
et le bonheur), la famille de souris et d’autres personnages dont la réitération a été mise en lumière
dans Blaise et le château d’Anne Hiversère.
C’EST L’HISTOIRE DE BIH-BIH UNE SORTE DE PETITE BESTIOLE UN PEU COMME UNE PETITE FILLE QUI A UN PETIT
COMPAGNON ET ILS MARCHENT SUR UN CHEMIN
Nombreux sont les personnages de Claude Ponti qui marchent sur des chemins, espaces de réflexion et
de confidences, de fuites et de retour… Tous avancent de façon dynamique de gauche à droite
n’hésitant pas à rebrousser chemin quand ils se sont trompés de direction, ont emprunté les mauvaises
portes (Hippolène dans L’Arbre sans fin). En effet, les chemins ne sont pas
toujours linéaires
(Hippolène et Okilélé en passent par les planètes, Lili traverse tous les types de paysages, tous les
types de climats, Bih-Bih pénètre les fonds sous-marins ou terriens…), ils ne sont pas toujours choisis
(Oups et son Doudou sont exclus du village), pas toujours sûrs (on y croise des monstres) mais
souvent propices à de belles rencontres amicales (Le Chien invisible). Quelquefois, les chemins sont le
théâtre de randonnées où le promeneur s’associe, pas à pas, des partenaires fidèles qui l’assistent dans
sa quête (Le Nakakoué).
Certains chemins célèbres sillonnent l’œuvre rappelant les grandes routes ouvertes par les explorateurs
des récits d’enfance. Dans Okilélé, sur les pages de garde, un chemin constitué de tout petits pieds
dessine une chaîne de montagnes imaginaire entre les étoiles, itinéraire repris dans Le Doudou
méchant comme si ces deux personnages empruntaient les voies tracées par le Petit Poucet. Dans Ma
Vallée, Piong, perdu dans la forêt profonde, suit le fil tissé par Souflambise, à la manière de Thésée
soutenu par Ariane dans le fameux labyrinthe. Dans Blaise et le château d’Anne Hiversère, c’est un
ponton interminable qui suggère la longue quête des poussins à la recherche des meilleurs aromates
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pour créer le gâteau le plus « incroyabilicieux »… Plans (La Nuit des Zéfirottes) et cartes (Ma Vallée,
L’Almanach ouroulboulouck) inscrivent les voyageurs dans des itinéraires déjà explorés, sur les pas de
ceux qui, avant eux, ont ouvert des voies à poursuivre.
Parfois, les personnages (et les lecteurs) sont informés, à l’avance, du parcours narratif. Disposant
d’une feuille de route, d’une vision surplombante sur récit, ils avancent en toute conscience. Ainsi,
dans Okilélé, c’est un vieillard très vieux et très sage qui conseille le héros : « Il te faut suivre le fil,
trouver la Vieille Forêt et faire l’arbre », dans Schmélele et L’Eugénie des larmes, ce sont les
deux « génies » (du rire et des larmes) qui énumèrent les étapes nécessaires à la résolution du
problème : « Schmélele, voilà ce que tu devras faire ensuite… Tu prendras le bateau pour te sécher,
puis tu devras franchir le tunnel des animaux tristes, saisir la larme du fond du cœur et enfin planter
ce qui doit être planté, et arroser ce qui doit être arrosé ». D’autres fois, ce sont des végétaux ou des
animaux qui orientent les enfants : l’arbre (L’Arbre sans fin), les oiseaux (les carpoizelles dans Le
Doudou méchant). Mais c’est dans Le Tournemire qu’on comprend non seulement à quoi servent les
panneaux indicateurs mais aussi comment ils acquièrent leur compétence : « Les pancartes pensent
aux chemins qu’elles pourront suivre quand elles seront mûres, aux gens qu’elles guideront pendant
les nuits sans lune, et surtout aux enfants perdus qu’elles ramèneront chez leurs parents. ».
Partir a un sens profondément initiateur, encore faut-il savoir où aller. Depuis Le Petit Chaperon
rouge, le choix du bon chemin est déterminant, quel que soit le prétexte du départ : le transport des
provisions comme dans Le Petit Chaperon rouge (Pétronille, les parents de Oups…), la rupture d’avec
sa famille comme dans tous les contes (Okilélé, Oups, Lili Prune), une simple flânerie se muant en
aventure comme cette Bih-Bih et son compagnon qui s’en allaient juste « boire un thé au café » sans
savoir qu’ils marchaient sur le dernier chemin du monde. Car il y a des chemins à ne pas prendre, des
seuils à ne pas franchir comme on peut le lire dans Le Nakakoué qui est allé « au bord du monde.
C’était un endroit terrible où personne ne pouvait avoir envie d’aller exprès. » Noirceur de la page,
livre brûlé, miradors, aigle planant au-dessus d’un monde en ruines … tous ces éléments rappellent
l’éqopque fasciste (reprise dans La Nuit des Zéfirottes). Le chemin est souvent la perspective
heureuse, ouverte après une aventure douloureuse. Dans Mô-Namour, à la fin, les parents qu’on
croyait morts reviennent et « Isée, ses parents, Tadoramour et l’étoile partent enfin en vacances vers
des lointains ailleurs parfumés, mystérieux, pleins d’aventures sans souci. ».
Qu’on l’ait perdu ou qu’on n’ait pas pris le bon, le chemin est un espace de passage où la mobilité est
synonyme de progression. Mais c’est aussi ce qui mène aux autres, les anciens, qui transmettent leurs
savoirs (dans Le Doudou méchant casser les chemins est le signe annonciateur de la plus grande
solitude) et ouvrent des liens avec l’avenir. Quelles que soient les circonstances, le chemin est toujours
ce qui ramène chez soi (à soi), par les airs ( Pétronille…) ou par l’eau (Le Doudou méchant).
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Tandis qu’il organise le territoire du récit, l’auteur multiplie les trajets (passerelles, échelles, lianes,
souterrains…) reconnaissant à ses lecteurs le droit de choisir les voies qu’ils souhaitent.
C’EST L’HISTOIRE DE BIH-BIH UNE SORTE DE PETITE BESTIOLE UN PEU COMME UNE PETITE FILLE QUI A UN PETIT
COMPAGNON ET ILS MARCHENT SUR UN CHEMIN QUI EST LE DERNIER CHEMIN DE LA
TERRE. EN
FAIT LE CHEMIN
EST SUR LA LANGUE D’UN MONSTRE QUI VA LES AVALER…
Les monstres sont permanents dans l’œuvre, pensionnaires d’une scène de théâtre où aucune pièce ne
pourrait se dérouler sans eux. Si certains sont invisibles (Le Tournemire), ils n’exercent pas moins un
redoutable pouvoir en volant les enfants, du moins si l’on en croit les commentaires des animateurs de
télévision et leurs commentaires alarmistes. Les téléspectateurs crédules sont prompts à rendre réel
tout ce qu’on leur décrit sur le petit écran. Dans Le Nakakoué, les monstres poussent comme des
arbres, très rapidement. Il en existe toute une forêt, un peuple dirigé par un Roi. Plus ou moins cruels
(si L’Empêcheur barre seulement la route, d’autres effacent les enfants, tel L’Effaceur, ou les dévorent
comme Sagoinfre, Crabamor Grabamor ou encore le Mange-Poussin…), les monstres représentent
néanmoins une chance pour les enfants qui trouvent, dans la lutte contre leur tyrannie, le ferment de
leur croissance et de leur liberté (dans Mô-Namour, une fois détruit, le monstre affamé, Portillard
Tulavi, se transforme en porte ouvrante et souriante). Dans L’Arbre sans fin, Hipollène rencontre
Ortic, un monstre effrayant. Quand elle revient de son périple, elle ose l’affronter. Il n’a pas peur
d’elle ? Et bien, riposte-t-elle : « Moi non plus, je n’ai pas peur de… moi ! ». Dans Okilélé, dans Le
Doudou méchant, les enfants refusent la mission impossible qui consiste à remplir, pour une sorcière
ou pour un monstre, une cruche cassée avec l’eau d’une source tarie. Dans Sur l’île des Zertes, Jules
et Roméotte tendent un piège au Martabaff et au Trou qui les persécutent en les poussant à se détruire
mutuellement. Dans Mô-Namour, Isée aura besoin du discours explicite d’une étoile (tombée de sa
douleur) pour résister à son persécuteur : « Je m’appelle Isée… et je te tue dans ma vie, je te tue dans
mes souvenirs, je te tue dans mon avenir, je te chasse d’eau, je te poubelle, je te hais, je te coucheculotte pleine ! Meurs menteur ! »
Les monstres sont donc tués sans pitié18, par la détermination de l’enfant ou par ses talents, son
expérience (Lili Prune). Certains sont même dévorés dans des banquets hautement festifs : cuit à
l’étouffé dans Le Doudou méchant, en « iribole meringuée » chez Lili Prune. À ces enfants dévoreurs
de parts monstrueuses du monde, c’est une certaine sauvagerie qui est reconnue, comme elle le fut par
la mère de Max et les maximonstres : « De loin, de très loin, aux confins du monde, il capte de
nouveau l’odeur des bonnes choses à manger dont il se souvient avec nostalgie. (…) Max échange
alors son trône et la couronne de la toute-puissance narcissique contre le voyage de retour à la
18
Comme dans Les Métamorphoses, leur transformation (en végétaux – salade pourrie – ou en minéraux – éclair de pierre en
chocolat) est liée à leur statut : aucun ne devient humain.
8
réalité, à la relation d’objet, mû par le désir « d’être aimé par dessus tout », qui comporte peut-être
aussi l’espoir d’être aimé comme il est, par quelqu’un capable de l’accepter entièrement, avec ses
parties sauvages. »19
Cependant, les monstres ne sont pas tout d’une pièce et leur complexité est reconnue si l’on en juge à
ce dragon nommé Barbizéboth, squelette ayant gardé ses pouvoirs et qui, une fois terrassé, verse des
larmes attendrissantes. « Il n’y a qu’une seule planète, avec ses monstres et ses génies, il faut la
prendre en compte » déclare Claude Ponti. Les monstres sont partout, au niveau international (La Nuit
des Zéfirottes) et interplanétaire (Bih-Bih et le Gouffron-Boufffron) et, plus intimement, dans l’espace
clos des familles. Mose n’est plus reconnu par ses parents (Le Tournemire), Oum-Popotte vit dans une
hutte sombre avec des parents versatiles selon qu’ils sont bien ou mal tournés (Le Chien invisible),
Okilélé est un enfant battu, muré sous l’évier, Lili Prune n’est pas écoutée par ses parents… mais c’est
dans Le Catalogue des parents que Claude Ponti décrit le summum des mauvais parents : « Les très
méchants atteignent la perfection de la méchanceté : ils sont blindés, cuirassés, durs, piquants,
urticants, matraquants… Ils sont livrés avec beaucoup de protections et de systèmes de survie. » C’est
pourquoi les parents doivent être « accessoirisés », équipés pour être limités dans leur action nuisible.
Dans L’Almanach ouroulboulouck, par exemple, on apprend comment piloter un Ouroulboulouck
adulte, victime de « crise de tétésse ». Grâce à une technologie avancée, manœuvrer un adulte est
rendu facile, ce qui comporte certains risques d’abus, de la part des enfants. C’est pourquoi les
conseils ne sont pas superflus : « Conseil : soyez toujours gentil et compréhensif avec le parent que
vous pilotez, c’est un parent mais aussi un Ouroulboulouck comme vous. » Mais parfois, ce sont les
parents qui sont victimes de phénomènes monstrueux : les parents de Schmélele, par exemple, ont
disparu, écrasés par le travail (Schmélele et l’Eugénie des larmes), ceux de Mô-Namour reviennent
après avoir été « projetés si haut et si loin qu’ils ont mis tout ce long temps pour redescendre ».
Les noms des monstres (presque toujours masculins) sont représentatifs de leur pouvoir colossal,
exécrable et grotesque. Sagoinfre (Pétronille…), Ortic (L’Arbre sans fin), Pofise Forêt (Okilélé),
Tonenplon (Parci et Parla), L’Effaceur (Le Tournemire), Crabamorr Grabamor (Le Doudou
méchant), Barbizéboth
(Georges Lebanc), L’Empêcheur (Schmélele et l’Eugénie du monde),
L’Araknasse Corbillasse (La Revanche de Lili Prune), Crevenmor (La Nuit des Zéfirottes) et le
Bouffron- Gouffron (Bih-Bih et le bouffron-Gouffron), Torlémo20 (Mô-Namour). Comme les ogres,
les monstres ont un estomac (de l’estomac) en béton, un estomac d’ogre. Celui du Bouffron-Gouffron
contient un nombre incroyable d’œuvres d’art, témoins de toute la richesse humaine : architecture (Les
Cariatides, les châteaux de Bavière, le Machu Picchu, les villages Dogon, un temple tibétain, la Cité
Interdite…), sculptures (La porte des lions à Mycènes, Les Causeuses de Camille Claudel, arts
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Maria Teresa Sá « Une lecture psychanalytique de Max et les maximonstres de Maurice Sendak », Enfances & Psy 2/2002
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Claude Ponti et ses jeux de mots serait-il un monstre ?
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premiers, sculptures égyptiennes et africaines, anges et Christ crucifié, dragons asiatiques …),
tableaux, dessins ou estampes (Hokusaï)… Torlémo (Mô-Namour) avale des gâteaux de plus en plus
gros.
LA GOUTTE D’EAU DE LA PREMIÈRE PLUIE QUI EST TOMBÉE LA PREMIÈRE FOIS SUR LA TERRE…
Les épreuves des enfants sont inhérentes à leur âge : « Quand on est enfants, dit Claude Ponti, on est
souvent confronté à des situations considérées parfois comme insurmontables ou difficiles et un petit
acte, une petite chose qu’on fait, on s’en sort, on y arrive. Quand on est enfant, on est tout le temps
confronté à ça, on construit le monde en même temps qu’on grandit. Il faut en prendre soin. »
Souvent, le pacte avec le monde (pacte avec les monstres ?) consiste à retourner à l’origine, la pureté,
le fondamental, pour bâtir encore. Mine doit semer des graines léguées par les fées pour replanter la
Forêt-Profonde (lieu des histoires), Oups doit chercher la dernière miette du premier repas du monstre
(Le Doudou méchant), Schmélele doit recueillir la larme la plus sincère (Schmélele et l’Eugénie des
larmes), Bih-Bih doit trouver la première goutte de la première pluie tombée la première fois sur la
Terre, Isée, elle, promène une tire-cosse (enveloppe de graines, donc de promesses).
Avec sa « larme du fond du cœur », Schmélele fait pousser « une
maison plus grande et plus
belle que la précédente » et avec sa goutte d’eau, Bih-Bih (sœur de Schmélele) reconstruit le monde :
« Quand on est enfant, qu’on naît et qu’on devient un habitant de la planète Terre, on n’est pas que
les pieds posés par terre. On a aussi une énorme histoire pour nous nourrir, nous aider, grandir. BihBih va dans des espèces de souterrains qui sont en fait les profondeurs de l’estomac du monstre. Elle
traverse des grottes préhistoriques, des fonds marins, le livre se retourne, elle marche dans tous les
sens parce que dans l’estomac d’un monstre, il n’y a plus de sens et il faut retrouver une harmonie et
pas seulement avec le vent, les montagnes, les éoliennes et les petits ruisseaux mais aussi avec sa
propre humanité, sa propre histoire. »
L’histoire de l’humanité est, depuis le début, constitutive de l’œuvre. L’architecture, le cinéma, la
littérature, la peinture, la sculpture… existent sous forme de références finement intégrées aux récits,
ciselées avec eux. L’histoire de l’humanité croise ou côtoie l’histoire intime. Dans le premier album,
Adèle a une robe de Petit Chaperon rouge et des allures d’Alice au pays des merveilles dont les
personnages fondent la première image de la première page du premier album. Dans le deuxième
album, Pétronille et ses 120 petits, la mère est célébrée, mère/cœur d’une corolle d’enfants aux
prénoms synchrones
(phonème commun [in] ou [ine], graphèmes divers : Mocassin, Soupline,
Urbain, Toussaint, Gatien…). Mère effeuillée par un monstre, comme une marguerite qui s’envole,
avec sa famille complète, au cœur d’un artichaut cerf-volant.
Si Hippolène plante l’arbre généalogique (sans fin), si Okilélé dit la fragilité de ces branches et si la
journée de Parci et Parla montre l’inextricable relation entre les jeux, les histoires et la musique dans
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une journée d’enfants, c’est avec L’Ecoute-aux-portes que la tradition narrative, les mythes propres à
chaque peuple sont rendus essentiels, moteurs de la rotation de la Terre. Au moment où apparaissent
les premiers grands albums à la française, au moment où paraît Ma Vallée, biographie d’enfance, les
grandes références s’installent définitivement au creux des instants familiaux les plus quotidiens : le
mythe de Thésée pour un enfant perdu, l’importance de la lecture (« Moi ce que j’aime le plus c’est
quand on se met tous ensemble pour lire des histoires dans des livres. ») et l’hommage à Arnold Lobel
disparu, les grandes explorations maritimes et les catalogues d’oiseaux d’Olivier Messiaen… Roméo
et Juliette mais aussi Duke Ellington et Oum Kalsoum, Charles Trenet et Edith Piaf enchantent l’île
des Zertes (l’île déserte) tandis que, dans Le Doudou méchant, les épreuves d’un enfant, seul au logis,
ramène au Big Bang preuve que la construction des enfants va de pair avec la croissance de la
planète. Schmélele rebâtira sa maison cassée, soutenu par les aventures d’Aladin, sous le souffle de
Shéhérazade tandis que Lili Prune s’appuie, elle, sur les grands scientifiques pour s’inscrire au monde.
Dans Blaise et le château d’Anne Hiversère, le procédé atteint un summum puisque le développement
de l’enfant est pris au début de sa conception jusqu’à sa naissance, accueilli par les plus grandes
références de la littérature de jeunesse (mais pas seulement puisque Proust et Perec sont de la fête).
Dans Georges Lebanc (hommage à Georges Brassens et Georges Perec), heure par heure, des tableaux
insèrent des événements quotidiens ou fantastiques dans un décor prestigieux (Notre Dame de Paris,
Notre Dame de la Garde, la colonne des Girondins, la Sagrada familia, Saint Basile le bienheureux…)
et des tuteurs de choix (de Léonard de Vinci à Einstein, des premiers moulins à vent ou à eau jusqu’à
Tinguely). Si Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron est un appel à la protection de la planète, La Nuit des
Zéfirottes décrit la lutte organisée contre l’oppresseur pour sauver Paris et, à travers cette libération,
dire l’importance de tous les affranchissements : « Au Togo, près de Maître Baobab Améyibo-Yovo, il
faisait chaud et humide (…) Tout autour d’Amméyibo-Yovo, le ciel allait si loin au-delà des buissons,
des cannes à sucre, des bananiers, des kapokiers, si loin dans les brumes que c’était aussi merveilleux
que Paris rempli de maisons. C’était plein de vies avec des histoires toutes différentes de minuscules
petites personnes cachées sous une racine, d’enfants qui couraient en bandes, entre les cases d’un
village, d’une maman qui rapportait des bananes plantain pour les griller, d’un grand-père qui rêvait,
à regarder des insectes tourner dans la lumière d’une ampoule. Soudain, j’ai eu très peur que tout
cela disparaisse, ici, et partout ailleurs. »
Les albums de Claude Ponti s’inscrivent clairement dans un univers intertextuel, incitant les enfants
non seulement à repérer les liens entre les œuvres mais à faire quelque chose de ces liens. Quand on
insère des éléments culturels dans une nouvelle production c’est pour effectuer une tout autre lecture
de l’œuvre originale, ouvrir d’autres sens à la question qui fut initialement posée.
Près de 65 titres, un catalogue qui augmente régulièrement (un grand album par an) et pousse,
irrégulièrement, les ramifications de ses collections par des parutions multiples et imprévues. Une
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œuvre aussi attirante qu’intimidante, résistante parce que proliférante, très vite devenue classique et
destinée à entrer dans le panthéon littéraire des enfants au même titre que les contes ou Alice au pays
des merveilles, la source de cette œuvre.
Comment entrer dans cet univers grouillant et coloré, cette complexité présentée sous tant de
simplicité ? Sans aucun doute en lisant les histoires, intégralement, guidé par ses préférences et celles
des enfants, choisies pour ce qu’elles disent et ce qu’elles nous disent et les confier aux lectures et aux
relectures des enfants pour qu’ils se les approprient, se les réapproprient et les interprètent.
Yvanne Chenouf, Association Française pour la Lecture.
Voir le DVD réalisé par Jean-Christophe Ribot, Poussin Poussine, 2011 (www.lecture.org)
Grands albums
Pétronille et ses 120 petits
L’Arbre sans fin…
Okilélé
Parci et Parla
Le Chien invisible
L’écoute-aux-portes
Le Tournemire
Le Nakakoué
Ma Vallée
Sur l’île des Zertes
Le Doudou méchant
Georges Lebanc
Schmélele et l’Eugénie du monde
La Revanche de Lili Prune
Blaise et le château d’Anne Hiversère
Mille secrets de poussins
La Nuit des Zéfirottes
L’Almanach ouroulboulouck
Le Catalogue des parents
Bih-Bih et le Gouffron-Bouffron
Sœurs et frères
Mô-Namour
Blaise
Blaise et la tempêteuse bouchée
Le jour du mange-poussin
Blaise dompteur de tache
Blaise et le robinet
Bizarre… Bizarre
Le Chapeau à secrets
Les Chaussures neuves
Les Montres molles
Le Réfrigogérateur
Le Thé d’été
Dans la pomme
Dans le gant
Dans le loup
Derrière la poussette
Sur le lit
Sur la branche
Dans la voiture
Au fond du jardin
Théâtre
La Trijolie 1
La Trijolie 2
Œuvres pour adultes
Paris
Les Pieds bleus
Est-ce qu’hier n’est jamais fini ?
Le Monde et inversement
Comme illustrateur
La Tempête
Petit prince Pouf
Tromboline et Foulbazar
La Voiture
Les Epinards
La Fenêtre
La Boîte
Le Bébé bonbon
Les Masques
Le A
Le Cauchemar
Le Nuage
Le Chien et le chat
Le Non
Le Petit frère
Dans rien
Le Château fort
L’Avion
Monsieur monsieur et Mademoiselle moiselle
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