Dans les bras d`un play-boy

Transcription

Dans les bras d`un play-boy
RACHAEL THOMAS
Dans les bras
d’un play-boy
RACHAEL THOMAS
Dans les bras
d’un play-boy
Traduction française de
ANNE-LAURE PRIEUR
Collection : Azur
Titre original :
NEW YEAR AT THE BOSS’S BIDDING
© 2016, Rachael Thomas.
© 2017, HarperCollins France pour la traduction française.
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ISBN 978-2-2803-5251-2 — ISSN 0993-4448
1.
Rien, ce soir, ne pouvait entamer l’enthousiasme de
Tilly Rogers. Elle venait de décrocher un contrat en or, qui
apporterait un coup de pouce bienvenu à sa petite entreprise de traiteur : préparer le dîner de la Saint‑Sylvestre
donné par Xavier Moretti.
Le manoir loué pour l’occasion, situé en bordure du
parc national d’Exmoor, était vraiment perdu au milieu
de la campagne. Mais Tilly ne se laissa pas démonter.
Au contraire, elle se réjouissait de s’éloigner de Londres,
pour un réveillon qui s’annonçait très différent de celui
de l’année précédente.
A mesure qu’elle avançait, les flocons de neige qui
saupoudraient son pare-brise se mirent à tomber plus
dru. Elle serra le volant de sa camionnette. Le manoir
ne devait plus être très loin. De fait, à l’intersection
suivante, elle fut soulagée d’apercevoir un large portail
en fer forgé au bout de la route.
Une plaque annonçait fièrement Wimble Manor. Elle
était au bon endroit. Mais le portail paraissait fermé et
cadenassé. A en juger par sa majesté, il devait s’agir de
l’entrée principale. Or, le gardien l’avait priée au téléphone
de se présenter à l’entrée de service. Lentement, elle fit
marche arrière. La neige commençait à s’accumuler sur
la route. Sans doute avait‑elle été bien avisée de quitter
Londres plus tôt que prévu…
Un peu plus loin, elle distingua une loge à côté d’une
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grille ouverte et s’engagea dans la voie privée. Des traces
de pneus étaient visibles dans la neige, signe que quelqu’un
d’autre venait d’arriver. Pas Jane et Katie, en tout cas.
Ses deux employées ne devaient la rejoindre qu’en fin
d’après-midi. A condition qu’il cesse de neiger d’ici là…
Roulant avec prudence, elle suivit le chemin à travers
la féerie hivernale qu’offraient les terres de la propriété
saupoudrées de blanc. A la sortie d’un bois, Wimble
Manor se matérialisa soudain devant ses yeux.
— Mon Dieu…
Le rideau de neige auréolait de mystère la vieille
bâtisse, qu’elle imaginait déjà, à son âge d’or, théâtre de
formidables romances. Comme elle aurait aimé prendre
le temps de l’explorer ! Mais c’était un luxe qu’elle ne
pouvait se permettre. Ce soir, elle n’avait pas droit à
l’erreur. Roi incontesté des courses de moto reconverti
en homme d’affaires, Xavier Moretti était son client le
plus prestigieux en date.
L’e-mail requérant ses services pour le réveillon avait
été un choc. Exactement ce dont sa petite société — et
elle aussi — avait besoin. Cela lui éviterait de ressasser
les événements de l’année précédente, tout en lui fournissant l’excuse parfaite pour décliner toute invitation.
Sauf celle de Vanessa, sa meilleure amie, qui célébrait
ses fiançailles le premier janvier. Elle avait paru craindre
sa réaction à cette annonce, mais Tilly l’avait rassurée :
elle avait tourné la page. Elle serait donc présente afin
de prouver à ses amis — et à elle-même — qu’elle était
sincère en disant cela. Ce serait une façon de se réinventer, comme l’avait été le lancement de son entreprise
de traiteur.
Reléguant ces pensées dans un coin de son esprit,
elle se concentra sur Xavier Moretti et sa demande
d’une cuisine italienne authentique. Justement, c’était sa
spécialité, acquise auprès de sa grand-mère toscane avec
qui elle cuisinait pendant des heures, adolescente. Un
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sourire joua sur ses lèvres. Ce soir, elle allait concocter
au signore Moretti et ses invités un menu qu’ils n’oublieraient pas de sitôt.
Contournant l’imposante bâtisse, elle entra dans la cour
où s’arrêtaient aussi les traces de pneus. Sans doute le
gardien venu préparer l’arrivée de son locataire, qu’elle
espérait la plus tardive possible. Elle tenait à avoir la
matinée pour elle afin de cuisiner en paix.
Perdue dans ses pensées, elle ne fit pas le rapprochement entre les traces de pneus et la voiture de sport garée
dans la cour, en partie couverte de neige. Elle descendit
de la camionnette et leva des yeux émerveillés vers le
manoir. Cet endroit était absolument magique ! Puis,
resserrant son écharpe autour de son cou, elle entreprit
de décharger son véhicule. Ce n’était pas le moment de
bayer aux corneilles. Beaucoup de travail l’attendait.
Elle pivota sur ses talons et se figea, comme pétrifiée
par Dame Nature elle-même.
Un homme l’observait depuis le seuil de l’entrée de
service, grand, séduisant, l’air désinvolte et sûr de lui.
Une ébauche de sourire flottait sur ses lèvres. Aucun
doute : il s’agissait de Xavier Moretti. Elle avait vu des
photos de lui sur la Toile.
Le blanc des flocons tranchait sur ses cheveux de jais,
et son teint hâlé surprenait dans ce paysage hivernal.
Il émanait de lui un exotisme mâtiné de danger qu’elle
trouvait étrangement excitant. Se sentant rougir, elle
s’obligea à se ressaisir, professionnalisme oblige. C’était
la première fois qu’un client aussi illustre engageait les
services de La Table de Tilly. Peut‑être cela conduirait‑il
à d’autres contrats prestigieux qui l’aideraient à consolider sa réputation.
En pull anthracite sur une chemise bleue, il avait tout
du notable local. Malgré elle, ses yeux glissèrent le long
des jambes musclées qu’épousait le jean. Seigneur, que lui
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arrivait‑il ? Elle n’avait jamais convoité un homme ainsi.
Jamais. Reprenant ses esprits, elle soutint son regard.
— Bonjour. Je suis Tilly Rogers, le traiteur engagé
par M. Moretti.
Le sourire de l’homme s’élargit, confirmant son
hypothèse.
— Buon giorno. Xavier Moretti, répondit‑il avec un
accent des plus sexy.
Entendre parler l’italien remua des souvenirs en Tilly.
— Je ne vous attendais pas si tôt, mademoiselle Rogers.
Vous aimez donc la neige à ce point ?
Tilly sentit un inexplicable frisson de plaisir lui
parcourir l’échine.
— C’est agréable de sortir de Londres, répondit‑elle
avec légèreté. A vrai dire, signore Moretti, je ne m’attendais pas non plus à vous trouver déjà là.
Il eut un haussement d’épaules nonchalant.
— S’il vous plaît, appelez-moi Xavier. Pourquoi ne
pas entrer vous réchauffer ?
— Oh ! je n’ai pas froid. Et puis, j’ai tout mon matériel
à décharger avant de me mettre au travail, dit‑elle en
ouvrant la porte arrière de la camionnette.
Il traversa la cour afin de lui prêter main-forte. Comme
il la délestait du premier carton, leurs doigts se frôlèrent.
D’instinct, elle leva les yeux qui furent aussitôt happés
par ceux de Xavier. Le temps parut se suspendre, comme
si le reste du monde avait subitement cessé d’exister.
Les battements de son cœur ralentirent. Même respirer
devenait difficile. Le visage de Xavier ne trahissait
aucune émotion, tandis que de son côté, elle en gravait
chaque détail dans sa mémoire, comme pour mieux se
convaincre du danger que son interlocuteur représentait
pour elle. Soudain, elle sentit le rouge lui monter aux
joues. C’était idiot. Un homme comme Xavier Moretti
ne risquait pas de s’intéresser à elle !
Elle détourna les yeux et se pencha à l’intérieur de la
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camionnette, soulagée de le voir s’éloigner, son chargement dans les bras. Soulevant un second carton, elle le
suivit à l’intérieur.
— J’espère que cette neige va cesser, lança-t‑elle en
entrant dans la cuisine, où Xavier avait posé le premier
carton sur la table.
Parler de la pluie et du beau temps l’aiderait à se
ressaisir. Comment avait‑elle pu se laisser déstabiliser
ainsi ?
— Sì, content que vous soyez là. J’aurais regretté
d’être privé de votre cuisine qui m’a été si chaudement
recommandée.
Elle rougit de plus belle, embarrassée par le compliment
— ou ses pensées coupables le concernant ? Cherchant à
se donner une contenance, elle posa son carton et inspecta
la vaste cuisine. Avec ses casseroles en inox au-dessus
de la cuisinière et ses vieux moules en cuivre décorant
les murs, elle alliait à la perfection le charme du passé
avec les exigences de la vie moderne.
— Cet endroit est fabuleux ! J’ai hâte de me mettre
au travail dans une telle cuisine.
Xavier l’observa avec curiosité, et elle se dépêcha de
reporter son attention sur la pièce qui l’entourait. Elle
avait l’habitude de travailler dans des cuisines ultramodernes équipées d’appareils dernier cri. Mais cet endroit
chargé d’histoire se rapprochait davantage de son lieu
de travail idéal.
— Sì, è bello, répondit Xavier.
Fallait‑il vraiment qu’il parle en italien ? Cette langue
lui rappelait la cuisine de sa grand-mère en Toscane,
baignée de soleil et du parfum des herbes séchées…
Lorsqu’elle retourna à la camionnette, il ne neigeait
presque plus. C’était un sujet d’inquiétude en moins.
Comme elle se penchait vers un carton, elle écarta la
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robe qu’elle comptait porter aux fiançailles de Vanessa.
Cet achat lui avait brisé le cœur. Mais pourquoi son
histoire devrait‑elle gâcher le bonheur de son amie ?
Elle effleura la housse qui couvrait l’élégante robe noire.
Un an plus tôt, jour pour jour, c’est une robe de mariée
qu’elle aurait dû porter. Elle la voyait encore, suspendue
à la porte de l’armoire, tandis que Jason lui expliquait
qu’il attendait plus d’une relation qu’une simple amitié.
Qu’elle devrait à l’avenir sortir plus et profiter de la vie,
comme lui comptait le faire…
L’humiliation lui brûla les joues. Le moment était
mal choisi pour remuer ces souvenirs. D’ailleurs, à quoi
bon ? Avec un soupir, elle s’empara des derniers cartons
et tenta de refermer de l’épaule la portière.
— Laissez-moi vous aider.
Xavier l’avait rejointe et lui prit les cartons des mains.
— Merci, bredouilla-t‑elle, prise d’un accès de timidité.
La proximité de cet homme la troublait, et elle détestait cela.
— Prego.
Ah, cette voix sexy ! Et cette langue si familière
autrefois… Langue dans laquelle sa grand-mère lui avait
livré tous ses secrets de cuisine, scellant sans le savoir
la future carrière de Tilly.
Elle referma la portière sur la robe. Vanessa lui avait
apporté un précieux réconfort après ce réveillon maudit
qui avait vu son univers s’écrouler. C’était à son tour d’être
là pour elle. Hors de question de ternir le bonheur de son
amie, même s’il rouvrait une blessure mal cicatrisée. En
effet, ce jour marquerait le premier anniversaire de sa
rupture avec son amour d’enfance, qui avait annulé leur
mariage à une heure de la cérémonie…
Irritée d’être toujours aussi vulnérable douze mois
plus tard, elle regagna la cuisine. Xavier était appuyé
contre la gazinière, l’air parfaitement détendu. On l’eût
cru chez lui et non dans une maison de campagne louée
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pour l’occasion. Elle dénoua son écharpe, consciente de
son regard attaché à ses moindres gestes. Un nouveau
frisson la traversa.
Xavier regarda Tilly enlever son bonnet. Sa chevelure
d’or cascada sur ses épaules, et il eut la vision de cette
crinière étalée sur l’oreiller après une nuit torride. Une
onde de désir fusa dans ses veines.
D’où lui venait cette attirance déplacée ? Tilly Rogers
lui avait été chaudement recommandée, mais il ne s’était
pas attendu à rencontrer une femme si séduisante.
Ce devait être cet endroit, l’environnement différent…
Il avait baissé sa garde, s’autorisant sans le vouloir des
pensées inconvenantes à l’égard de la gérante de La
Table de Tilly. Elle, de son côté, semblait totalement
insensible à ses charmes — une situation nouvelle pour
lui. La présence de cette femme pragmatique, de celles
qui cherchaient un mari plutôt qu’un amant, dans cette
maison si semblable à celle où il avait grandi, lui rappela
que lui aussi avait espéré se marier et fonder une famille,
un jour. Mais ce n’était plus possible. Son accident, trois
ans plus tôt, avait réduit à néant cet espoir.
— Voulez-vous que je prépare du café ?
La voix de Tilly, à la fois douce et espiègle, le tira
de ses pensées. Ses parents, ainsi que sa cousine et son
mari, ne tarderaient pas à arriver. Il n’en revenait toujours
pas de s’être laissé convaincre d’organiser ce réveillon.
Cela faisait trois ans maintenant qu’il ne célébrait plus
les fêtes. Sa famille s’inquiétait pour lui, il le savait.
Mais cette période de l’année lui était devenue odieuse.
Tilly enleva son manteau, révélant une silhouette
fine, moulée dans un slim et un pull noir à col roulé qui
épousaient ses courbes à la perfection. Une nouvelle
image d’elle dans son lit l’assaillit.
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— Sì, grazie, répondit‑il, tout en luttant contre les
effets de cette vision.
Que lui arrivait‑il ? Il se laissait rarement distraire
de la sorte. Mais Tilly avait piqué son intérêt dès le
premier regard. Quel homme resterait insensible à une
telle beauté ? Son attirance avait été immédiate. Aucune
femme n’avait jamais si bien incarné ses rêves de bonheur,
désormais vains.
Tilly Rogers était une bouffée d’air frais comparée
aux femmes qu’il côtoyait depuis qu’il s’était installé à
Londres. Derrière ses sourires et sa jovialité, il décelait
une vulnérabilité qui faisait écho à la sienne et le poussait vers elle.
En l’appelant par son nom de famille, cependant, elle
avait établi une limite claire : leurs rapports demeureraient strictement professionnels. Etait‑ce sa nature
rebelle qui lui faisait convoiter ce qui lui était interdit ?
Il se prenait à regretter de ne pas l’avoir rencontrée dans
d’autres circonstances…
Et avant l’accident. Aucune femme, pas même Tilly,
ne voudrait de lui désormais. Les cicatrices sur ses
jambes étaient là pour lui rappeler qu’il n’avait plus
droit au bonheur. Raison pour laquelle il n’était jamais
allé au-delà d’un dîner ou d’une simple sortie avec une
femme depuis trois ans.
Il sentit le regard de Tilly sur lui comme il s’approchait
de la fenêtre. Pourquoi s’accrochait‑il à des désirs devenus
inaccessibles ? Des désirs auxquels la réaction de Carlotta
l’avait forcé à renoncer ? Il avait vu la révulsion dans son
regard. L’accusation muette. Rongé par la culpabilité,
il avait préféré rompre sur-le-champ. Il ne méritait pas
d’être heureux après ce qu’il avait fait.
— J’ai oublié mon dossier, dit Tilly. Je vais le chercher.
Elle sortit en faisant claquer ses talons sur le sol
carrelé. Sa démarche chaloupée l’hypnotisa. Il se faisait
l’impression d’être un adolescent découvrant les attraits
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de la gent féminine. Muselant son désir, il sortit à son
tour et jaugea le ciel.
Sa famille devait penser qu’il avait choisi délibérément
ce lieu isolé avec l’espoir que la neige leur en bloque
l’accès. A vrai dire, c’était bien dans le but de s’épargner
ce genre de rassemblement qu’il avait prolongé son séjour
à Londres au lieu de rentrer à Milan pour se concentrer
sur ses affaires.
— Dommage qu’il ne neige plus, lança Tilly, le regard
pétillant. J’espérais tellement admirer le paysage sous
un épais manteau blanc…
Xavier désigna les gros nuages gris au-dessus de
leurs têtes.
— Votre vœu pourrait bien se réaliser.
Ainsi que le sien d’échapper au supplice de célébrer
les fêtes…
— Vous croyez ? Ce n’est pas ce qu’annonce la météo.
Elle ouvrit la portière de la camionnette et s’empara
d’un dossier sur le siège passager. Son innocence le fit
sourire.
— J’ai grandi dans les montagnes du nord de l’Italie.
Croyez-en mon expérience, nous pourrions même nous
retrouver bloqués.
Un scénario qui le rendait d’autant plus conscient de
ses charmes.
— Espérons que vos invités auront le temps d’arriver,
répondit‑elle avec un rire léger.
Il serra les dents comme elle se penchait pour attraper
un autre dossier. Son pull s’était soulevé, dévoilant
quelques centimètres carrés de peau satinée. Bon sang,
que lui arrivait‑il ? Elle se redressa, mais parut éviter
son regard. L’avait‑elle perçue aussi, cette alchimie
entre eux ? Avait‑elle la moindre idée de l’effet qu’elle
produisait sur lui ?
— J’ai du travail, annonça-t‑il. Je suppose que vous
aussi.
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Se soustraire à sa compagnie devenait impératif. A ce
rythme, la barrière de leur professionnalisme ne tiendrait
pas une heure. Il mourait d’envie de l’embrasser, de la
serrer dans ses bras, ce qui ne lui était arrivé avec aucune
de ses dernières petites amies.
— Mais avant, laissez-moi vous montrer la salle à
manger.
Contrarié, il entra dans le manoir et se dirigea droit
vers l’entrée principale. Tilly, qui l’avait suivi, poussa un
cri émerveillé. Un majestueux sapin de Noël trônait au
pied de l’escalier, bien qu’il eût demandé qu’on le retire.
L’arbre splendidement décoré semblait le narguer, symbole
d’un bonheur désormais hors de portée.
— Il est magnifique ! s’exclama Tilly, des étoiles dans
les yeux. Enfant, je rêvais d’un sapin comme celui-ci…
— Oui, le sapin, maugréa-t‑il entre ses dents. J’avais
pourtant exigé qu’il soit défait avant mon arrivée.
— Le défaire ? Mais pourquoi ? C’est Noël ! protesta
Tilly d’un air choqué.
— C’était Noël.
Une déferlante d’émotions l’assaillit, qu’il refoula
aussitôt. Comment pourrait‑elle comprendre que cette
fête restait associée à l’accident qui avait coûté la vie à
l’un de ses amis ? Son imprudence, ce jour-là, avait privé
deux jeunes enfants de leur père, ruinant à jamais Noël
pour cette famille.
Elle secoua la tête, dans un mouvement qui alluma
des reflets d’or dans ses cheveux.
— Les fêtes ne sont pas terminées. Vous vous apprêtez
bien à réveillonner, non ?
— Ce n’est qu’un dîner en famille, rien de plus.
Soucieux de couper court à cette conversation, il passa
dans la salle à manger, ne laissant d’autre choix à la
jeune femme que de le suivre. Elle n’était pas là depuis
une heure qu’elle menaçait déjà le fragile équilibre qu’il
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peinait à reconstruire, rouvrant des blessures encore
mal cicatrisées.
— C’est ici que je recevrai mes invités, annonça-t‑il.
Elle entra dans la vaste pièce, dominée par une longue
table pouvant accueillir plus de dix convives. Elle fit
mine de prendre des notes, mais il devina qu’elle mourait
d’envie d’explorer la pièce, de toucher les meubles anciens,
de s’imprégner de l’ambiance des lieux. Cette curiosité
réprimée le fit sourire.
— C’est une grande table, observa-t‑elle. Quelle
disposition souhaitez-vous pour le dîner de ce soir ? A
l’une des extrémités, peut‑être ?
Elle tourna vers lui des yeux interrogateurs. A l’adorable rougeur qui envahit ses joues, il sut qu’elle avait
surpris son regard sur elle.
— Sì, en bout de table.
Jamais femme n’avait représenté plus délicieuse
tentation. Il aimait la façon dont sa main se mouvait avec
fluidité sur son carnet. Ses cheveux formaient comme
un rideau d’or devant son visage, qu’il rêvait d’écarter
afin de contempler ses traits tout à loisir.
Elle releva la tête, ses prunelles bleues emplies de
questions.
— Et le champagne ? Souhaitez-vous le sabler ici ?
Elle marcha jusqu’au buffet, prit quelques notes supplémentaires, puis s’avança vers la fenêtre. Son expression
s’éclaira d’une joie enfantine.
— Il s’est remis à neiger !
Xavier la rejoignit en quelques enjambées. Debout
derrière elle, il fut frappé par la fragilité de sa silhouette
et saisi d’un puissant instinct protecteur. Au même
instant, elle se retourna. Plonger dans ses yeux était
comme s’immerger dans les eaux chaudes et profondes
de la Méditerranée. Son parfum de rose s’insinua en
lui, pénétrant chaque cellule de son corps. Il éprouvait
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un tel besoin de goûter à ses lèvres qu’il croyait déjà les
sentir sous les siennes…
— Il est temps de me mettre au travail.
Tilly s’esquiva, et il se retrouva seul devant la fenêtre
à fixer le paysage hivernal. Que s’était‑il passé ? L’espace
d’une seconde, il avait failli perdre le contrôle de luimême ! Comme s’il avait encore le droit de désirer une
femme, a fortiori cette blonde pétillante. Non, l’accident
l’avait changé. Il ne pouvait prendre le risque de blesser
quelqu’un d’autre.
Le cœur de Tilly battait à tout rompre. Etait‑ce du désir
qu’elle avait lu dans les yeux de Xavier ? Avait‑il été sur
le point de l’embrasser ? Impossible. Un homme aussi
sexy que lui ne se retournerait jamais sur une femme
comme elle. Mais elle avait espéré qu’il l’embrasse. Le
désir qui l’avait irradiée pulsait encore dans ses veines.
Jamais elle n’avait rien ressenti d’aussi intense. Etait‑ce de
cela que Jason parlait quand il lui avait expliqué vouloir
plus que de l’amitié ?
Elle réprima une grimace. Si elle s’était éloignée de
Londres, c’était justement pour oublier Jason et les événements de l’année précédente. Et voilà que le ténébreux
Xavier Moretti, qui la troublait comme personne, faisait
affleurer ces souvenirs…
— J’ai apporté quelques modifications au menu,
l’informa-t‑elle de son ton le plus professionnel.
Elle devait à tout prix se reprendre. Fantasmer sur
son employeur ne faisait pas partie de ses prérogatives !
— Pas de problème. Tant qu’il reste italien, comme
je l’ai requis, répondit Xavier.
— Oh ! je vous le garantis. J’ai passé une partie de
mon enfance chez ma grand-mère, en Toscane. C’est elle
qui m’a transmis son amour de la cuisine.
La surprise se peignit sur les traits de Xavier.
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— Votre grand-mère est italienne ?
— Oui, confirma-t‑elle avec fierté. Elle m’a nommée
Natalie car je suis née le jour de la Nativité. Ma mère,
elle, préférait Tilly. Seule nonna m’appelait par mon
prénom entier.
— Votre nom de famille n’est pas italien, observa
Xavier.
— Non. Ma grand-mère a épousé un Anglais, ce qui
a provoqué une brouille dans la famille. Mon père était
leur seul enfant. Il s’est marié à une Anglaise, et ils se
sont installés à Londres.
Elle s’interrompit. Pourquoi lui racontait‑elle tout
cela ? Elle ferait mieux de se concentrer sur son travail,
au lieu de l’assommer avec ses histoires de famille !
Il s’avança vers elle et, d’instinct, elle recula, jusqu’à se
retrouver plaquée à la table. La pièce, pourtant spacieuse,
lui parut soudain terriblement exiguë. Personne ne lui
avait jamais fait un tel effet.
— Eh bien, j’ai hâte de goûter à votre cuisine, conclut‑il.
Son accent sensuel réveilla les papillons dans le ventre
de Tilly. Son corps frémissait chaque fois qu’il lui parlait
ou la fixait de ses yeux d’ébène. Ce n’était guère professionnel, mais comme elle se sentait vivante !
— Merci. Je suis sûre que vous apprécierez, bredouillat‑elle.
Lorsqu’il reprit la parole en italien, elle cilla de surprise.
— Désolée. J’ai presque tout oublié de la langue,
dit‑elle avec tristesse. Nonna est morte quand j’avais
treize ans. Ma mère étant anglaise, nous parlions rarement italien à la maison.
Ses conversations avec sa grand-mère paternelle,
enfouies au fond de sa mémoire, ne demandaient qu’à
refaire surface. Mais elle n’était pas prête pour cela. Sans
doute parce qu’elle ne s’était jamais vraiment remise de
la mort de son père, qui avait laissé un vide immense
dans son cœur. Seul Jason avait su le combler…
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Jusqu’à ce qu’il s’éprenne d’une autre.
Xavier haussa les épaules.
— C’est dommage, non ? Puisque vous avez des
origines italiennes…
— Peut‑être me déciderai-je un jour à prendre des
cours d’italien et à visiter l’Italie, répondit‑elle avec une
légèreté forcée.
Cette discussion lui rappelait un peu trop Jason, leurs
fiançailles rompues… Et la liste d’objectifs qu’elle s’était
fixés ce jour-là. Pour l’instant, elle n’en avait coché qu’un :
lancer son entreprise de restauration et subvenir seule
à ses besoins. Retrouver la famille de son père était un
autre projet qui lui tenait à cœur.
— Sì, vous devriez. Il ne faut jamais renier son passé.
— Mon passé ?
Que savait‑il de son passé ? Elle avait toujours veillé
à séparer travail et vie privée. La défection de Jason
une heure avant leur mariage n’était pas quelque chose
qu’elle criait sur les toits. Cela la rendait vulnérable, et
elle détestait être prise en pitié.
— Votre héritage italien, expliqua Xavier.
A son froncement de sourcils, elle comprit que son
attitude défensive avait éveillé ses soupçons.
— Oui, bien sûr, dit‑elle d’une voix radoucie. Un
jour, j’irai en Italie.
C’était sur sa liste, après tout.
Xavier approuva d’un hochement de tête et se dirigea
vers la porte.
— J’ai du travail avant le dîner de ce soir. De votre
côté, je vous en prie, faites comme chez vous.
— Merci.
Elle s’empourpra. L’idée de faire comme chez elle
faisait naître des images plus qu’inconvenantes dans son
esprit. Xavier, de son côté, arborait un air impassible.
Dire que, quelques minutes plus tôt, il avait été à deux
doigts de l’embrasser ! Ou l’avait‑elle seulement imaginé ?
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— Mi scusi, Natalie.
Natalie. Seule sa grand-mère l’avait jamais appelée
ainsi. Mais avant qu’elle ait eu le temps de le lui rappeler,
il s’était éclipsé. Elle écouta ses pas s’éloigner dans le
couloir.
— Grazie, Xavier, murmura-t‑elle dans la pièce vide.
L’italien roulait agréablement sur sa langue. Elle
secoua la tête. Quelle idiote de croire que Xavier Moretti
avait voulu l’embrasser… D’après les rumeurs, c’était
un incorrigible play-boy qui ne s’affichait jamais deux
fois avec la même maîtresse. Rien à voir avec le prince
charmant dont elle rêvait.
Ce n’est qu’un client, rien de plus.
Bientôt, les invités de Xavier seraient là. Elle n’avait
pas de temps à perdre en fantasmes stériles.
Avec effort, elle se concentra sur le travail qui l’attendait. Plus vite elle s’y mettrait, plus vite elle pourrait
rejoindre la chambre d’hôtes qu’elle avait réservée dans
un village voisin. Le lendemain, les fiançailles de Vanessa
s’annonçaient comme une épreuve. Pas question de se
laisser distraire par Xavier Moretti.
Il n’était pas ce dont elle avait besoin, aussi séduisant
fût‑il.
21
RACHAEL THOMAS
Dans les bras
d’un play-boy
Elle a été choisie par Xavier Moretti, un richissime homme
d’affaires, pour s’occuper de la réception qu’il donnera le
soir de la Saint-Sylvestre ? Tilly ne peut réprimer sa joie.
Une joie de courte durée, cependant. Car, dès l’instant
où elle pose les yeux sur lui, elle est bouleversée par
l’attirance irraisonnée qui la saisit. Pourquoi faut-il qu’elle
cille sous le regard brûlant de cet incorrigible play-boy,
loin d’être le prince charmant dont elle rêve ? Elle se
l’était pourtant juré : elle ne risquerait plus son cœur et
sa carrière pour un homme qui ne l’aimera jamais comme
elle l’attend ! Sauf que, dès l’instant où Xavier lui annonce
que les invités, bloqués par la neige, ne pourront participer
au dîner, toute sa détermination s’envole. Tilly ne peut
s’empêcher de frémir à la perspective de passer la nuit à
Wimble Manor, seule avec Xavier…
1er janvier 2017
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2017.01.84.8087.7
ROMAN INÉDIT - 4,40 €