Dans les bras d`un play-boy
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Dans les bras d`un play-boy
RACHAEL THOMAS Dans les bras d’un play-boy RACHAEL THOMAS Dans les bras d’un play-boy Traduction française de ANNE-LAURE PRIEUR Collection : Azur Titre original : NEW YEAR AT THE BOSS’S BIDDING © 2016, Rachael Thomas. © 2017, HarperCollins France pour la traduction française. Ce livre est publié avec l’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A. Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sous quelque forme que ce soit. Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa couverture, nous vous signalons qu’il est en vente irrégulière. Il est considéré comme « invendu » et l’éditeur comme l’auteur n’ont reçu aucun paiement pour ce livre « détérioré ». Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, des événements ou des lieux, serait une pure coïncidence. Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de : HARLEQUIN BOOKS S.A. Tous droits réservés. HARPERCOLLINS FRANCE 83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75646 PARIS CEDEX 13 Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47 www.harlequin.fr ISBN 978-2-2803-5251-2 — ISSN 0993-4448 1. Rien, ce soir, ne pouvait entamer l’enthousiasme de Tilly Rogers. Elle venait de décrocher un contrat en or, qui apporterait un coup de pouce bienvenu à sa petite entreprise de traiteur : préparer le dîner de la Saint‑Sylvestre donné par Xavier Moretti. Le manoir loué pour l’occasion, situé en bordure du parc national d’Exmoor, était vraiment perdu au milieu de la campagne. Mais Tilly ne se laissa pas démonter. Au contraire, elle se réjouissait de s’éloigner de Londres, pour un réveillon qui s’annonçait très différent de celui de l’année précédente. A mesure qu’elle avançait, les flocons de neige qui saupoudraient son pare-brise se mirent à tomber plus dru. Elle serra le volant de sa camionnette. Le manoir ne devait plus être très loin. De fait, à l’intersection suivante, elle fut soulagée d’apercevoir un large portail en fer forgé au bout de la route. Une plaque annonçait fièrement Wimble Manor. Elle était au bon endroit. Mais le portail paraissait fermé et cadenassé. A en juger par sa majesté, il devait s’agir de l’entrée principale. Or, le gardien l’avait priée au téléphone de se présenter à l’entrée de service. Lentement, elle fit marche arrière. La neige commençait à s’accumuler sur la route. Sans doute avait‑elle été bien avisée de quitter Londres plus tôt que prévu… Un peu plus loin, elle distingua une loge à côté d’une 7 grille ouverte et s’engagea dans la voie privée. Des traces de pneus étaient visibles dans la neige, signe que quelqu’un d’autre venait d’arriver. Pas Jane et Katie, en tout cas. Ses deux employées ne devaient la rejoindre qu’en fin d’après-midi. A condition qu’il cesse de neiger d’ici là… Roulant avec prudence, elle suivit le chemin à travers la féerie hivernale qu’offraient les terres de la propriété saupoudrées de blanc. A la sortie d’un bois, Wimble Manor se matérialisa soudain devant ses yeux. — Mon Dieu… Le rideau de neige auréolait de mystère la vieille bâtisse, qu’elle imaginait déjà, à son âge d’or, théâtre de formidables romances. Comme elle aurait aimé prendre le temps de l’explorer ! Mais c’était un luxe qu’elle ne pouvait se permettre. Ce soir, elle n’avait pas droit à l’erreur. Roi incontesté des courses de moto reconverti en homme d’affaires, Xavier Moretti était son client le plus prestigieux en date. L’e-mail requérant ses services pour le réveillon avait été un choc. Exactement ce dont sa petite société — et elle aussi — avait besoin. Cela lui éviterait de ressasser les événements de l’année précédente, tout en lui fournissant l’excuse parfaite pour décliner toute invitation. Sauf celle de Vanessa, sa meilleure amie, qui célébrait ses fiançailles le premier janvier. Elle avait paru craindre sa réaction à cette annonce, mais Tilly l’avait rassurée : elle avait tourné la page. Elle serait donc présente afin de prouver à ses amis — et à elle-même — qu’elle était sincère en disant cela. Ce serait une façon de se réinventer, comme l’avait été le lancement de son entreprise de traiteur. Reléguant ces pensées dans un coin de son esprit, elle se concentra sur Xavier Moretti et sa demande d’une cuisine italienne authentique. Justement, c’était sa spécialité, acquise auprès de sa grand-mère toscane avec qui elle cuisinait pendant des heures, adolescente. Un 8 sourire joua sur ses lèvres. Ce soir, elle allait concocter au signore Moretti et ses invités un menu qu’ils n’oublieraient pas de sitôt. Contournant l’imposante bâtisse, elle entra dans la cour où s’arrêtaient aussi les traces de pneus. Sans doute le gardien venu préparer l’arrivée de son locataire, qu’elle espérait la plus tardive possible. Elle tenait à avoir la matinée pour elle afin de cuisiner en paix. Perdue dans ses pensées, elle ne fit pas le rapprochement entre les traces de pneus et la voiture de sport garée dans la cour, en partie couverte de neige. Elle descendit de la camionnette et leva des yeux émerveillés vers le manoir. Cet endroit était absolument magique ! Puis, resserrant son écharpe autour de son cou, elle entreprit de décharger son véhicule. Ce n’était pas le moment de bayer aux corneilles. Beaucoup de travail l’attendait. Elle pivota sur ses talons et se figea, comme pétrifiée par Dame Nature elle-même. Un homme l’observait depuis le seuil de l’entrée de service, grand, séduisant, l’air désinvolte et sûr de lui. Une ébauche de sourire flottait sur ses lèvres. Aucun doute : il s’agissait de Xavier Moretti. Elle avait vu des photos de lui sur la Toile. Le blanc des flocons tranchait sur ses cheveux de jais, et son teint hâlé surprenait dans ce paysage hivernal. Il émanait de lui un exotisme mâtiné de danger qu’elle trouvait étrangement excitant. Se sentant rougir, elle s’obligea à se ressaisir, professionnalisme oblige. C’était la première fois qu’un client aussi illustre engageait les services de La Table de Tilly. Peut‑être cela conduirait‑il à d’autres contrats prestigieux qui l’aideraient à consolider sa réputation. En pull anthracite sur une chemise bleue, il avait tout du notable local. Malgré elle, ses yeux glissèrent le long des jambes musclées qu’épousait le jean. Seigneur, que lui 9 arrivait‑il ? Elle n’avait jamais convoité un homme ainsi. Jamais. Reprenant ses esprits, elle soutint son regard. — Bonjour. Je suis Tilly Rogers, le traiteur engagé par M. Moretti. Le sourire de l’homme s’élargit, confirmant son hypothèse. — Buon giorno. Xavier Moretti, répondit‑il avec un accent des plus sexy. Entendre parler l’italien remua des souvenirs en Tilly. — Je ne vous attendais pas si tôt, mademoiselle Rogers. Vous aimez donc la neige à ce point ? Tilly sentit un inexplicable frisson de plaisir lui parcourir l’échine. — C’est agréable de sortir de Londres, répondit‑elle avec légèreté. A vrai dire, signore Moretti, je ne m’attendais pas non plus à vous trouver déjà là. Il eut un haussement d’épaules nonchalant. — S’il vous plaît, appelez-moi Xavier. Pourquoi ne pas entrer vous réchauffer ? — Oh ! je n’ai pas froid. Et puis, j’ai tout mon matériel à décharger avant de me mettre au travail, dit‑elle en ouvrant la porte arrière de la camionnette. Il traversa la cour afin de lui prêter main-forte. Comme il la délestait du premier carton, leurs doigts se frôlèrent. D’instinct, elle leva les yeux qui furent aussitôt happés par ceux de Xavier. Le temps parut se suspendre, comme si le reste du monde avait subitement cessé d’exister. Les battements de son cœur ralentirent. Même respirer devenait difficile. Le visage de Xavier ne trahissait aucune émotion, tandis que de son côté, elle en gravait chaque détail dans sa mémoire, comme pour mieux se convaincre du danger que son interlocuteur représentait pour elle. Soudain, elle sentit le rouge lui monter aux joues. C’était idiot. Un homme comme Xavier Moretti ne risquait pas de s’intéresser à elle ! Elle détourna les yeux et se pencha à l’intérieur de la 10 camionnette, soulagée de le voir s’éloigner, son chargement dans les bras. Soulevant un second carton, elle le suivit à l’intérieur. — J’espère que cette neige va cesser, lança-t‑elle en entrant dans la cuisine, où Xavier avait posé le premier carton sur la table. Parler de la pluie et du beau temps l’aiderait à se ressaisir. Comment avait‑elle pu se laisser déstabiliser ainsi ? — Sì, content que vous soyez là. J’aurais regretté d’être privé de votre cuisine qui m’a été si chaudement recommandée. Elle rougit de plus belle, embarrassée par le compliment — ou ses pensées coupables le concernant ? Cherchant à se donner une contenance, elle posa son carton et inspecta la vaste cuisine. Avec ses casseroles en inox au-dessus de la cuisinière et ses vieux moules en cuivre décorant les murs, elle alliait à la perfection le charme du passé avec les exigences de la vie moderne. — Cet endroit est fabuleux ! J’ai hâte de me mettre au travail dans une telle cuisine. Xavier l’observa avec curiosité, et elle se dépêcha de reporter son attention sur la pièce qui l’entourait. Elle avait l’habitude de travailler dans des cuisines ultramodernes équipées d’appareils dernier cri. Mais cet endroit chargé d’histoire se rapprochait davantage de son lieu de travail idéal. — Sì, è bello, répondit Xavier. Fallait‑il vraiment qu’il parle en italien ? Cette langue lui rappelait la cuisine de sa grand-mère en Toscane, baignée de soleil et du parfum des herbes séchées… Lorsqu’elle retourna à la camionnette, il ne neigeait presque plus. C’était un sujet d’inquiétude en moins. Comme elle se penchait vers un carton, elle écarta la 11 robe qu’elle comptait porter aux fiançailles de Vanessa. Cet achat lui avait brisé le cœur. Mais pourquoi son histoire devrait‑elle gâcher le bonheur de son amie ? Elle effleura la housse qui couvrait l’élégante robe noire. Un an plus tôt, jour pour jour, c’est une robe de mariée qu’elle aurait dû porter. Elle la voyait encore, suspendue à la porte de l’armoire, tandis que Jason lui expliquait qu’il attendait plus d’une relation qu’une simple amitié. Qu’elle devrait à l’avenir sortir plus et profiter de la vie, comme lui comptait le faire… L’humiliation lui brûla les joues. Le moment était mal choisi pour remuer ces souvenirs. D’ailleurs, à quoi bon ? Avec un soupir, elle s’empara des derniers cartons et tenta de refermer de l’épaule la portière. — Laissez-moi vous aider. Xavier l’avait rejointe et lui prit les cartons des mains. — Merci, bredouilla-t‑elle, prise d’un accès de timidité. La proximité de cet homme la troublait, et elle détestait cela. — Prego. Ah, cette voix sexy ! Et cette langue si familière autrefois… Langue dans laquelle sa grand-mère lui avait livré tous ses secrets de cuisine, scellant sans le savoir la future carrière de Tilly. Elle referma la portière sur la robe. Vanessa lui avait apporté un précieux réconfort après ce réveillon maudit qui avait vu son univers s’écrouler. C’était à son tour d’être là pour elle. Hors de question de ternir le bonheur de son amie, même s’il rouvrait une blessure mal cicatrisée. En effet, ce jour marquerait le premier anniversaire de sa rupture avec son amour d’enfance, qui avait annulé leur mariage à une heure de la cérémonie… Irritée d’être toujours aussi vulnérable douze mois plus tard, elle regagna la cuisine. Xavier était appuyé contre la gazinière, l’air parfaitement détendu. On l’eût cru chez lui et non dans une maison de campagne louée 12 pour l’occasion. Elle dénoua son écharpe, consciente de son regard attaché à ses moindres gestes. Un nouveau frisson la traversa. Xavier regarda Tilly enlever son bonnet. Sa chevelure d’or cascada sur ses épaules, et il eut la vision de cette crinière étalée sur l’oreiller après une nuit torride. Une onde de désir fusa dans ses veines. D’où lui venait cette attirance déplacée ? Tilly Rogers lui avait été chaudement recommandée, mais il ne s’était pas attendu à rencontrer une femme si séduisante. Ce devait être cet endroit, l’environnement différent… Il avait baissé sa garde, s’autorisant sans le vouloir des pensées inconvenantes à l’égard de la gérante de La Table de Tilly. Elle, de son côté, semblait totalement insensible à ses charmes — une situation nouvelle pour lui. La présence de cette femme pragmatique, de celles qui cherchaient un mari plutôt qu’un amant, dans cette maison si semblable à celle où il avait grandi, lui rappela que lui aussi avait espéré se marier et fonder une famille, un jour. Mais ce n’était plus possible. Son accident, trois ans plus tôt, avait réduit à néant cet espoir. — Voulez-vous que je prépare du café ? La voix de Tilly, à la fois douce et espiègle, le tira de ses pensées. Ses parents, ainsi que sa cousine et son mari, ne tarderaient pas à arriver. Il n’en revenait toujours pas de s’être laissé convaincre d’organiser ce réveillon. Cela faisait trois ans maintenant qu’il ne célébrait plus les fêtes. Sa famille s’inquiétait pour lui, il le savait. Mais cette période de l’année lui était devenue odieuse. Tilly enleva son manteau, révélant une silhouette fine, moulée dans un slim et un pull noir à col roulé qui épousaient ses courbes à la perfection. Une nouvelle image d’elle dans son lit l’assaillit. 13 — Sì, grazie, répondit‑il, tout en luttant contre les effets de cette vision. Que lui arrivait‑il ? Il se laissait rarement distraire de la sorte. Mais Tilly avait piqué son intérêt dès le premier regard. Quel homme resterait insensible à une telle beauté ? Son attirance avait été immédiate. Aucune femme n’avait jamais si bien incarné ses rêves de bonheur, désormais vains. Tilly Rogers était une bouffée d’air frais comparée aux femmes qu’il côtoyait depuis qu’il s’était installé à Londres. Derrière ses sourires et sa jovialité, il décelait une vulnérabilité qui faisait écho à la sienne et le poussait vers elle. En l’appelant par son nom de famille, cependant, elle avait établi une limite claire : leurs rapports demeureraient strictement professionnels. Etait‑ce sa nature rebelle qui lui faisait convoiter ce qui lui était interdit ? Il se prenait à regretter de ne pas l’avoir rencontrée dans d’autres circonstances… Et avant l’accident. Aucune femme, pas même Tilly, ne voudrait de lui désormais. Les cicatrices sur ses jambes étaient là pour lui rappeler qu’il n’avait plus droit au bonheur. Raison pour laquelle il n’était jamais allé au-delà d’un dîner ou d’une simple sortie avec une femme depuis trois ans. Il sentit le regard de Tilly sur lui comme il s’approchait de la fenêtre. Pourquoi s’accrochait‑il à des désirs devenus inaccessibles ? Des désirs auxquels la réaction de Carlotta l’avait forcé à renoncer ? Il avait vu la révulsion dans son regard. L’accusation muette. Rongé par la culpabilité, il avait préféré rompre sur-le-champ. Il ne méritait pas d’être heureux après ce qu’il avait fait. — J’ai oublié mon dossier, dit Tilly. Je vais le chercher. Elle sortit en faisant claquer ses talons sur le sol carrelé. Sa démarche chaloupée l’hypnotisa. Il se faisait l’impression d’être un adolescent découvrant les attraits 14 de la gent féminine. Muselant son désir, il sortit à son tour et jaugea le ciel. Sa famille devait penser qu’il avait choisi délibérément ce lieu isolé avec l’espoir que la neige leur en bloque l’accès. A vrai dire, c’était bien dans le but de s’épargner ce genre de rassemblement qu’il avait prolongé son séjour à Londres au lieu de rentrer à Milan pour se concentrer sur ses affaires. — Dommage qu’il ne neige plus, lança Tilly, le regard pétillant. J’espérais tellement admirer le paysage sous un épais manteau blanc… Xavier désigna les gros nuages gris au-dessus de leurs têtes. — Votre vœu pourrait bien se réaliser. Ainsi que le sien d’échapper au supplice de célébrer les fêtes… — Vous croyez ? Ce n’est pas ce qu’annonce la météo. Elle ouvrit la portière de la camionnette et s’empara d’un dossier sur le siège passager. Son innocence le fit sourire. — J’ai grandi dans les montagnes du nord de l’Italie. Croyez-en mon expérience, nous pourrions même nous retrouver bloqués. Un scénario qui le rendait d’autant plus conscient de ses charmes. — Espérons que vos invités auront le temps d’arriver, répondit‑elle avec un rire léger. Il serra les dents comme elle se penchait pour attraper un autre dossier. Son pull s’était soulevé, dévoilant quelques centimètres carrés de peau satinée. Bon sang, que lui arrivait‑il ? Elle se redressa, mais parut éviter son regard. L’avait‑elle perçue aussi, cette alchimie entre eux ? Avait‑elle la moindre idée de l’effet qu’elle produisait sur lui ? — J’ai du travail, annonça-t‑il. Je suppose que vous aussi. 15 Se soustraire à sa compagnie devenait impératif. A ce rythme, la barrière de leur professionnalisme ne tiendrait pas une heure. Il mourait d’envie de l’embrasser, de la serrer dans ses bras, ce qui ne lui était arrivé avec aucune de ses dernières petites amies. — Mais avant, laissez-moi vous montrer la salle à manger. Contrarié, il entra dans le manoir et se dirigea droit vers l’entrée principale. Tilly, qui l’avait suivi, poussa un cri émerveillé. Un majestueux sapin de Noël trônait au pied de l’escalier, bien qu’il eût demandé qu’on le retire. L’arbre splendidement décoré semblait le narguer, symbole d’un bonheur désormais hors de portée. — Il est magnifique ! s’exclama Tilly, des étoiles dans les yeux. Enfant, je rêvais d’un sapin comme celui-ci… — Oui, le sapin, maugréa-t‑il entre ses dents. J’avais pourtant exigé qu’il soit défait avant mon arrivée. — Le défaire ? Mais pourquoi ? C’est Noël ! protesta Tilly d’un air choqué. — C’était Noël. Une déferlante d’émotions l’assaillit, qu’il refoula aussitôt. Comment pourrait‑elle comprendre que cette fête restait associée à l’accident qui avait coûté la vie à l’un de ses amis ? Son imprudence, ce jour-là, avait privé deux jeunes enfants de leur père, ruinant à jamais Noël pour cette famille. Elle secoua la tête, dans un mouvement qui alluma des reflets d’or dans ses cheveux. — Les fêtes ne sont pas terminées. Vous vous apprêtez bien à réveillonner, non ? — Ce n’est qu’un dîner en famille, rien de plus. Soucieux de couper court à cette conversation, il passa dans la salle à manger, ne laissant d’autre choix à la jeune femme que de le suivre. Elle n’était pas là depuis une heure qu’elle menaçait déjà le fragile équilibre qu’il 16 peinait à reconstruire, rouvrant des blessures encore mal cicatrisées. — C’est ici que je recevrai mes invités, annonça-t‑il. Elle entra dans la vaste pièce, dominée par une longue table pouvant accueillir plus de dix convives. Elle fit mine de prendre des notes, mais il devina qu’elle mourait d’envie d’explorer la pièce, de toucher les meubles anciens, de s’imprégner de l’ambiance des lieux. Cette curiosité réprimée le fit sourire. — C’est une grande table, observa-t‑elle. Quelle disposition souhaitez-vous pour le dîner de ce soir ? A l’une des extrémités, peut‑être ? Elle tourna vers lui des yeux interrogateurs. A l’adorable rougeur qui envahit ses joues, il sut qu’elle avait surpris son regard sur elle. — Sì, en bout de table. Jamais femme n’avait représenté plus délicieuse tentation. Il aimait la façon dont sa main se mouvait avec fluidité sur son carnet. Ses cheveux formaient comme un rideau d’or devant son visage, qu’il rêvait d’écarter afin de contempler ses traits tout à loisir. Elle releva la tête, ses prunelles bleues emplies de questions. — Et le champagne ? Souhaitez-vous le sabler ici ? Elle marcha jusqu’au buffet, prit quelques notes supplémentaires, puis s’avança vers la fenêtre. Son expression s’éclaira d’une joie enfantine. — Il s’est remis à neiger ! Xavier la rejoignit en quelques enjambées. Debout derrière elle, il fut frappé par la fragilité de sa silhouette et saisi d’un puissant instinct protecteur. Au même instant, elle se retourna. Plonger dans ses yeux était comme s’immerger dans les eaux chaudes et profondes de la Méditerranée. Son parfum de rose s’insinua en lui, pénétrant chaque cellule de son corps. Il éprouvait 17 un tel besoin de goûter à ses lèvres qu’il croyait déjà les sentir sous les siennes… — Il est temps de me mettre au travail. Tilly s’esquiva, et il se retrouva seul devant la fenêtre à fixer le paysage hivernal. Que s’était‑il passé ? L’espace d’une seconde, il avait failli perdre le contrôle de luimême ! Comme s’il avait encore le droit de désirer une femme, a fortiori cette blonde pétillante. Non, l’accident l’avait changé. Il ne pouvait prendre le risque de blesser quelqu’un d’autre. Le cœur de Tilly battait à tout rompre. Etait‑ce du désir qu’elle avait lu dans les yeux de Xavier ? Avait‑il été sur le point de l’embrasser ? Impossible. Un homme aussi sexy que lui ne se retournerait jamais sur une femme comme elle. Mais elle avait espéré qu’il l’embrasse. Le désir qui l’avait irradiée pulsait encore dans ses veines. Jamais elle n’avait rien ressenti d’aussi intense. Etait‑ce de cela que Jason parlait quand il lui avait expliqué vouloir plus que de l’amitié ? Elle réprima une grimace. Si elle s’était éloignée de Londres, c’était justement pour oublier Jason et les événements de l’année précédente. Et voilà que le ténébreux Xavier Moretti, qui la troublait comme personne, faisait affleurer ces souvenirs… — J’ai apporté quelques modifications au menu, l’informa-t‑elle de son ton le plus professionnel. Elle devait à tout prix se reprendre. Fantasmer sur son employeur ne faisait pas partie de ses prérogatives ! — Pas de problème. Tant qu’il reste italien, comme je l’ai requis, répondit Xavier. — Oh ! je vous le garantis. J’ai passé une partie de mon enfance chez ma grand-mère, en Toscane. C’est elle qui m’a transmis son amour de la cuisine. La surprise se peignit sur les traits de Xavier. 18 — Votre grand-mère est italienne ? — Oui, confirma-t‑elle avec fierté. Elle m’a nommée Natalie car je suis née le jour de la Nativité. Ma mère, elle, préférait Tilly. Seule nonna m’appelait par mon prénom entier. — Votre nom de famille n’est pas italien, observa Xavier. — Non. Ma grand-mère a épousé un Anglais, ce qui a provoqué une brouille dans la famille. Mon père était leur seul enfant. Il s’est marié à une Anglaise, et ils se sont installés à Londres. Elle s’interrompit. Pourquoi lui racontait‑elle tout cela ? Elle ferait mieux de se concentrer sur son travail, au lieu de l’assommer avec ses histoires de famille ! Il s’avança vers elle et, d’instinct, elle recula, jusqu’à se retrouver plaquée à la table. La pièce, pourtant spacieuse, lui parut soudain terriblement exiguë. Personne ne lui avait jamais fait un tel effet. — Eh bien, j’ai hâte de goûter à votre cuisine, conclut‑il. Son accent sensuel réveilla les papillons dans le ventre de Tilly. Son corps frémissait chaque fois qu’il lui parlait ou la fixait de ses yeux d’ébène. Ce n’était guère professionnel, mais comme elle se sentait vivante ! — Merci. Je suis sûre que vous apprécierez, bredouillat‑elle. Lorsqu’il reprit la parole en italien, elle cilla de surprise. — Désolée. J’ai presque tout oublié de la langue, dit‑elle avec tristesse. Nonna est morte quand j’avais treize ans. Ma mère étant anglaise, nous parlions rarement italien à la maison. Ses conversations avec sa grand-mère paternelle, enfouies au fond de sa mémoire, ne demandaient qu’à refaire surface. Mais elle n’était pas prête pour cela. Sans doute parce qu’elle ne s’était jamais vraiment remise de la mort de son père, qui avait laissé un vide immense dans son cœur. Seul Jason avait su le combler… 19 Jusqu’à ce qu’il s’éprenne d’une autre. Xavier haussa les épaules. — C’est dommage, non ? Puisque vous avez des origines italiennes… — Peut‑être me déciderai-je un jour à prendre des cours d’italien et à visiter l’Italie, répondit‑elle avec une légèreté forcée. Cette discussion lui rappelait un peu trop Jason, leurs fiançailles rompues… Et la liste d’objectifs qu’elle s’était fixés ce jour-là. Pour l’instant, elle n’en avait coché qu’un : lancer son entreprise de restauration et subvenir seule à ses besoins. Retrouver la famille de son père était un autre projet qui lui tenait à cœur. — Sì, vous devriez. Il ne faut jamais renier son passé. — Mon passé ? Que savait‑il de son passé ? Elle avait toujours veillé à séparer travail et vie privée. La défection de Jason une heure avant leur mariage n’était pas quelque chose qu’elle criait sur les toits. Cela la rendait vulnérable, et elle détestait être prise en pitié. — Votre héritage italien, expliqua Xavier. A son froncement de sourcils, elle comprit que son attitude défensive avait éveillé ses soupçons. — Oui, bien sûr, dit‑elle d’une voix radoucie. Un jour, j’irai en Italie. C’était sur sa liste, après tout. Xavier approuva d’un hochement de tête et se dirigea vers la porte. — J’ai du travail avant le dîner de ce soir. De votre côté, je vous en prie, faites comme chez vous. — Merci. Elle s’empourpra. L’idée de faire comme chez elle faisait naître des images plus qu’inconvenantes dans son esprit. Xavier, de son côté, arborait un air impassible. Dire que, quelques minutes plus tôt, il avait été à deux doigts de l’embrasser ! Ou l’avait‑elle seulement imaginé ? 20 — Mi scusi, Natalie. Natalie. Seule sa grand-mère l’avait jamais appelée ainsi. Mais avant qu’elle ait eu le temps de le lui rappeler, il s’était éclipsé. Elle écouta ses pas s’éloigner dans le couloir. — Grazie, Xavier, murmura-t‑elle dans la pièce vide. L’italien roulait agréablement sur sa langue. Elle secoua la tête. Quelle idiote de croire que Xavier Moretti avait voulu l’embrasser… D’après les rumeurs, c’était un incorrigible play-boy qui ne s’affichait jamais deux fois avec la même maîtresse. Rien à voir avec le prince charmant dont elle rêvait. Ce n’est qu’un client, rien de plus. Bientôt, les invités de Xavier seraient là. Elle n’avait pas de temps à perdre en fantasmes stériles. Avec effort, elle se concentra sur le travail qui l’attendait. Plus vite elle s’y mettrait, plus vite elle pourrait rejoindre la chambre d’hôtes qu’elle avait réservée dans un village voisin. Le lendemain, les fiançailles de Vanessa s’annonçaient comme une épreuve. Pas question de se laisser distraire par Xavier Moretti. Il n’était pas ce dont elle avait besoin, aussi séduisant fût‑il. 21 RACHAEL THOMAS Dans les bras d’un play-boy Elle a été choisie par Xavier Moretti, un richissime homme d’affaires, pour s’occuper de la réception qu’il donnera le soir de la Saint-Sylvestre ? Tilly ne peut réprimer sa joie. Une joie de courte durée, cependant. Car, dès l’instant où elle pose les yeux sur lui, elle est bouleversée par l’attirance irraisonnée qui la saisit. Pourquoi faut-il qu’elle cille sous le regard brûlant de cet incorrigible play-boy, loin d’être le prince charmant dont elle rêve ? Elle se l’était pourtant juré : elle ne risquerait plus son cœur et sa carrière pour un homme qui ne l’aimera jamais comme elle l’attend ! Sauf que, dès l’instant où Xavier lui annonce que les invités, bloqués par la neige, ne pourront participer au dîner, toute sa détermination s’envole. Tilly ne peut s’empêcher de frémir à la perspective de passer la nuit à Wimble Manor, seule avec Xavier… 1er janvier 2017 www.harlequin.fr 2017.01.84.8087.7 ROMAN INÉDIT - 4,40 €