Biz, membre des Loco Locass
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Biz, membre des Loco Locass
Sortir du bois? Biz, membre des Loco Locass ai toujours aimé le bois. J’y ai fait l’amour, de la marche, de la raquette, du ski de fond, du canot, du camping, de la chasse et de la pêche. À huit ans, je me suis acheté un crochet à pitoune pour aider mon père à faire du bois. J’en ai charrié en brouette, en skidoo, j’en ai cordé, j’en ai fendu. Avec une hache à oreilles, ces petites pinces de décarcération qui écartent les deux parties de la bûche lors de l’impact du fer. Au secondaire, j’ai même voulu devenir ingénieur forestier. Finalement, trop de maths et de physique avant d’arriver dans le bois. Bref, sans prétendre à la science de mon grand-père bûcheron sur la Côte-Nord, je croyais avoir une expérience complète d e l a fo r ê t québécoise. C’était avant d’aller dans le bois avec mes amis Anishnabeg de Kitcisakik. K i tc i s a k i k est dans le triangle des Bermudes de la Loi 38 LE COUVERT BORÉAL | Été 2010 | sur les Indiens. Ni un village ni une réserve : le pire des mondes. En somme, il revient aux locataires (on ne peut pas être propriétaire sur une réserve) d’assumer eux-mêmes (sans possibilité de prêt hypothécaire) le revêtement de leur maison. La prépondérance du contre-plaqué laisse une impression de construction inachevée. Pas vraiment beau. Pas vraiment stimulant comme cadre de vie. Mais si c’était juste ça. Pas d’eau courante, pas d’électricité (à un jet de pierre d’un barrage de l’Hydro!) et un bloc sanitaire qui ouvre à 7 heures du matin. En plein cœur de la forêt abitibienne, le tiers-monde à -40. Pas étonnant que mes amis soient souvent dans le bois! En ce samedi ensoleillé de mars, Monique, Ti-Gars, Évelyne et les autres m’ont convié au coeur de leurs terres ancestrales, pour préparer la cabane à sucre traditionnelle. Ici, les usages ne sont pas c e n te n a i re s , m a i s millénaires. Ce zéro de plus fait toute la différence parce qu’il infléchit le rapport au temps. En compagnie des Premières Nations, on n’a jamais l’impression de ne rien faire, même si on ne fait rien. Regarder le feu, écouter battre la pulsation de la terre-mère sur la peau du tewagin, boire le thé, étaler en écailles les branches de sapin dans la tente; chaque instant porte son sens et se suffit à lui-même. Pour mes potes algonquins, la forêt n’est pas un camping temporaire. C’est leur matrice originelle. Ils en sont issus et ils sont en elle autant qu’elle est en eux. C’est à la fois un utérus qui abrite et un placenta qui nourrit. L’érablière, c’est aussi la meilleure salle de classe pour apprendre la langue anishnabeg. Les mots sonnent comme un ruisseau qui dégèle. Pour les prononcer correctement, il faut transformer sa salive en sève. Nommé différemment, le réel se métamorphose. Ainsi, le moko n’est plus un ours noir nuisible qui fouille les poubelles. C’est un animal courageux qui fournit fourrure et nourriture. Après cette pleine journée, Monique nous a invités dans son petit camp chauffé au bois. Nous nous sommes régalés d’un ragoût d’orignal et d’une bannique rehaussée à la graisse de moko. Ici, l’achat local prend tout son sens. Affalée dans un lit, plissée comme un vieux bouleau, la grand-mère de 95 ans fumait et blaguait en algonquin. Je ne comprenais rien, mais je comprenais tout. En regagnant mon hôtel à Val-d’Or, j’avais l’impression d’être par ti depuis deux semaines tellement j’étais riche d’impressions et de souvenirs profonds. Non, vraiment, les Indiens ne sont pas sortis du bois. Et s’ils avaient raison de vouloir y rester?