Activisme des investisseurs institutionnels, gouvernement d

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Activisme des investisseurs institutionnels, gouvernement d
Activisme des investisseurs institutionnels, gouvernement d’entreprise et richesse de l’actionnaire :
le cas des alertes de l’AFG sur les sociétés françaises cotées
Synthèse de la thèse :
« Activisme des investisseurs institutionnels, gouvernement d’entreprise et richesse de
l’actionnaire : le cas des alertes de l’AFG sur les sociétés françaises cotées.
Depuis le milieu des années 90, on ne peut que souligner la montée en puissance des
investisseurs institutionnels dans le monde. Ainsi, face à une pression de plus en plus
importante des gérants de fonds, qui les oblige à préserver la richesse de l’actionnaire, la
responsabilité de la performance des investissements n’a cessé de s’exercer de plus en plus
sur les dirigeants. Ce transfert de responsabilité fait qu’à ce jour, les gérants ont modifié leur
comportement et exigent de pouvoir comprendre l’organisation des sociétés dans lesquelles ils
investissent, notamment à travers certains critères de « gouvernance d’entreprise ».
Dès lors, au début des années 1990, apparaissent les premières règlementations et Codes de
déontologie, tout d’abord aux Etats-Unis, puis en France et en Europe ce qui donnera
naissance à différents modèles de gouvernance, plus ou moins orientées vers le modèle
shareholder anglo-saxon.
Aux USA, les fonds de pension, bien que généralement actionnaires minoritaires, ont peu à
peu abandonné leur mode de gestion « au coup de pieds » pour devenir « activistes » envers
les politiques de gouvernement d’entreprise des sociétés détenues en portefeuille. Certains
allant même jusqu’à se faire une réputation de fond de pension hostile en diffusant des listes
« noires » d’entreprises dans lesquelles ils déconseillent d’investir. J’ai donc été ainsi très
rapidement amenée à travailler sur le rôle de contrôle de investisseurs institutionnels et
l’efficacité de leur activisme, sujet hautement étudié aux Etats-Unis depuis le début des
années 90.
A cette date, les investisseurs institutionnels français se contentaient de joindre
occasionnellement leurs voies aux activités de lobbying d’actionnaires minoritaires
mécontents tels que l’ADAM (association de défense des actionnaires minoritaires) qui porte
encore régulièrement des actions en justice. Mais dès l’apparition des grands scandales
financiers, les investisseurs institutionnels français se sont lancés dans les premières actions
de sollicitation de vote, lors des assemblées générales, avec cette fois une médiatisation du
conflit se font connaître. Les institutionnels français n’hésitent plus à diffuser des listes
d’entreprises qui ne respecteraient pas les codes et règlementations sur le gouvernement
d’entreprise, tout ceci afin d’inciter les actionnaires à voter contre la coalition de contrôle lors
de la prochaine assemblée générale.
Des chercheurs français se sont penchés, tout récemment, sur l’activisme des actionnaires
minoritaires français. Des auteurs, tels que Girard (2001, 2003), ou encore Le Maux (2003)
ont travaillé de manière très exhaustive sur l’activisme des minoritaires en France, les
coalitions dissidentes qui pouvaient exister, ainsi que les différents processus d’activisme. Les
études empiriques réalisées ont essentiellement porté sur les résultats d’actions portées en
justice par les actionnaires minoritaires français, regroupés en associations, pour faire
entendre leurs voix et protéger leurs intérêts, sans pour autant aboutir à un résultat
véritablement significatif.
Pour tous ces changements évoqués, et face au manque cruel de recherches il devenait
nécessaire de mener une recherche française portant sur les effets de l’activisme des
investisseurs institutionnels français.
Dans ce contexte, une problématique nous est apparue : l’activisme institutionnels
français est-il efficient au sens des marchés financiers ? En d’autres termes, permet-il
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réellement une création de richesse pour l’actionnaire ? Et enfin, quels sont les signaux ou les
caractéristiques des cibles qui permettent de redonner confiance au marché ?
Ces interrogations ont permis de formaliser trois questions de recherche auxquelles nous
avons proposé de répondre dans la thèse :
I)
Quelles sont les caractéristiques des alertes diffusées à partir de critères de
gouvernement d’entreprise en France ?
II)
Quelle est la réaction possible des marchés financiers suite à l’annonce d’un
ciblage pour des raisons de gouvernance d’entreprise ?
III)
De quelle façon certaines caractéristiques liées au contexte de la cible
influencent-elles l’effet de l’activisme des investisseurs institutionnels en
France ?
Pour répondre aux objectifs que nous nous étions fixés, il semblait judicieux de choisir un
plan en deux parties. La première, consacrée à la revue de la littérature, la modélisation et la
formulation d’hypothèses testables empiriquement et la deuxième qui détaille notre étude
empirique.
Le CHAPITRE 1 a été l’occasion de développer véritablement le rôle des
investisseurs institutionnels, et l’incidence de ces nouveaux comportements sur l’émergence
d’une théorie sur le gouvernement d’entreprise. Nous avons pu y souligner le rôle des
investisseurs institutionnels, acteurs majeurs du « retour de l’actionnaire », ce qui a consisté à
remettre en cause l’ère des managers et a aboutit, dès le début des années 90, à la mise en
place de « principes de gouvernement d’entreprise ».
A l’issue de ce chapitre, nous montrons que les textes se sont développés dans le monde,
s’adaptant aux spécificités politico-culturelles des Etats. Dans un premier temps, des auteurs
tels que Berglof (1990), Yoshimori (1995), ou encore Francks et Mayer (1993) ont cherché à
différencier des modèles de gouvernement d’entreprise à l’aide de typologies. C’est
seulement à partir de 2001 que des auteurs comme Plihon, Ponssard et Zarlowski (2001) ont
préféré abandonner l’hypothèse d’alignement des pratiques sur le modèle anglo-saxon au
profit d’une hypothèse de convergence entre les modèles shareholders et stakeholders.
A ce jour, la régulation des pratiques de gouvernement d’entreprise reste le maître-mot,
qu’elle résulte de règlementations institutionnelles, de rapports patronaux ou encore de codes
de déontologie professionnels. Cette régulation à pour objectif de contrôler le fonctionnement
des conseils d’administration et les rémunérations des dirigeants, de renforcer les droits des
comités d’entreprise et des autorités de contrôle des marchés financiers, ou encore de
multiplier les obligations de mettre en place des comités spécialisés. Aucun acteur de la scène
financière n’est épargné au passage, avec au premier rang des accusés : les cabinets d’audit.
C’est dans ce cadre qu’en 1998, la principale association française de gestion financière
(l’AFG) a mis en place un code de déontologie sur le gouvernement d’entreprise. C’est à
partir de ce document et de ses normes que la cellule de veille sur le gouvernement
d’entreprise décide ou non de rendre public le nom des sociétés qui ne les respecteraient pas.
C’est précisément ce comportement qui a retenu notre attention, et nous a semblé constituer
un excellent terrain pour notre étude empirique.
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Dans le CHAPITRE 2 nous avons souhaité mieux comprendre le lien entre la théorie
sur le gouvernement d’entreprise et des théories existantes telles que la théorie de l’agence, la
théorie de l’enracinement des dirigeants, et la théorie du signal. Par ailleurs, ce chapitre a été
l’occasion de développer les difficultés rencontrées par les investisseurs
institutionnels activistes dans leur recherche de performance. Ainsi, conformément à la
littérature, tout actionnaire rationnel s'engagera dans de l'activisme, si et seulement si les
bénéfices espérés de cet activisme permettent de compenser les coûts engagés (Strickland,
Zenner et Wiles (1996)).
En dernier temps, nous avons prolongé les travaux de Girard (2001). Dès lors nous avons pu
qualifier l’activisme français non seulement comme utilisant de manière coordonnée les
actions judiciaires et les activités d’influence menées par les associations d’actionnaires ; mais
aussi comme un conflit potentiellement ouvert et médiatisable aux yeux du public grâce à la
diffusion de listes d’entreprises cibles.
Les recherches, qui tant en France qu’aux Etats-Unis, ont étudié l’impact de l’activisme sur la
performance boursière de la firme, et plus généralement sur la richesse de l’actionnaire,
n’aboutissent pas à un consensus. Dès lors, il semblerait que l’activisme des investisseurs
institutionnels français ne soit pas forcément neutre et qu’il puisse générer plusieurs sources
de variation de richesse pour les actionnaires qui seraient liées aux caractéristiques des
relations entre les dirigeants et les investisseurs institutionnels, actionnaires minoritaires :
-
d’une part, nous observons des caractéristiques qui peuvent entraîner une réaction
positive sur la confiance des institutionnels telles que 1) les perspectives de rentabilité
supérieure lors de la révocation du dirigeant ; 2) l’utilisation d’un nouveau « modèle
politique » énoncé par Pound (1992), qui grâce aux batailles de mandats, sollicite le
vote des actionnaires et permet d’éviter un conflit ouvert et médiatisé, (Del Guercio et
Hawkins (1999) et Prevost et Rao (2000)) ; et enfin, 3) le fait que les gérants de
certains fonds privés sont suffisamment incités financièrement, d’où une
convergence d’intérêt des gérants avec les autres catégories d’actionnaires ; et un
effet positif sur la valeur de la cible (Woidtke (2002)) ;
-
d’autre part, certaines caractéristiques peuvent entraîner une signal négatif sur la firme
car 1) les objectifs divergents de certains fonds publics, signalent au marché des coûts
supplémentaires et un risque d’appropriation des rentes par les gérants ; 2) au sens
de Charreaux (2000), sans « l’horizon temporel nécessaire au dirigeant», les
investisseurs ne rentabiliseront pas leurs investissements ; 3) l’annonce d’activisme
implique un risque de sortie de la cote, privant ainsi les actionnaires d’un outil de
contrôle et de financement ; et enfin, 4) la succession d’échecs dans les négociations
avec les dirigeants et la plus en plus grande proximité de la date de l’assemblée
générale ne font que signaler au marché une difficulté croissante dans la résolution du
problème ; et un effet négatif sur la valeur de la firme.
Pour aborder le thème de l’activisme des investisseurs institutionnels français, nous avons
adopté, tout d’abord, une approche globale, puis dans un second temps, nous avons entrepris
une modélisation conceptuelle du résultat de l’activisme en fonction du contexte de la cible.
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Le CHAPITRE 3, reprend les problématiques de la théorie financière actuelle qui
sont à même de modifier l’impact sur le cours boursier de la cible car elles pourraient
modifier le signal perçu par les marchés financiers.
En fin de chapitre, le modèle conceptuel et les hypothèses testables présentées considèrent la
création de richesse, lors d’une alerte sur la gouvernance, comme le résultat d’un contexte
économique et financier analysé grâce à cinq groupes de variables sur :
(a) la structure du capital.
(b) les catégories d’actionnaires représentées
(c) l’organe de contrôle
(d) la taille de la cible, la stratégie d’investissement et d’endettement.
(e) la performance antérieure de la cible.
La stratégie de recherche adoptée, développée dans le CHAPITRE 4 est celle des
études d’événements traditionnellement utilisée pour mesurer l’impact sur la création de
richesse, et la régression linéaire multivariées afin de vérifier les relations trouvées et évaluer
la force d’association entre les variables.
Pour chaque étude d’événement, nous avons retenu trois modèles théoriques : le modèle de
marché, l’indice de marché et le MEDAF.
L’échantillon de notre étude est constitué de la totalité des 107 alertes relatives aux sociétés
du SBF120 entre le 15 Avril 1999 et le 28 Mars 2002.
Ces alertes, dans un premier temps diffusées par courrier, puis par leur site Internet, ont fait
l’objet d’études approfondies et ont été codées en fonction du, ou des motifs pour lesquels
l’alerte était diffusée.
Nous avons regroupé en huit classes les motifs dommageables pour l’actionnaire :
- la mise en place de dispositifs anti-OPA,
- l’instauration de droits de vote double,
- la limitation de droits de vote,
- la nomination d’un nombre excessif d'administrateurs,
- l’absence d'information sur un candidat administrateur,
- l’absence de comités spécialisés (audit, rémunération …),
- l’âge excessif d’un administrateur,
- le montant des jetons de présence distribués.
La recherche a donné également lieu à l’élaboration d’une importante base de données
comptables et financières concernant 39 variables pour les 107 sociétés ciblées. Pour ces
éléments, il a été nécessaire de travailler sur plusieurs bases de données : Euronext, Fininfo,
Dafsaliens, les fiches Dafsa, mais aussi certains rapports annuels dans le cas de données
manquantes ou incomplètes.
Le CHAPITRE 5 développe les justifications nécessaires sur les choix
méthodologiques liés à l’utilisation des études d’événement. Nous présentons notamment les
statistiques descriptives sur les alertes, les cibles et les rentabilités anormales, ainsi que les
résultats des tests de normalité et d’accroissement de variance. Nous mettons en évidence les
caractéristiques des alertes de l’AFG sur les grandes entreprises françaises.
Les résultats de l’activisme français sont présentés dans le CHAPITRE 6 :
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Indépendamment de toute variable de contexte, l’étude de l’activisme des investisseurs
institutionnels français montre un impact à court terme négatif et significatif sur la richesse
des actionnaires (-0,54%* dès la date +1 et –3,21%*** sur la fenêtre (+1,+20)). Ce résultat
corrobore les conclusions de Prevost et Rao (2000) selon lesquels la répétition ou la
prolongation du conflit lié à l’échec de la phase de négociation ne fait que signaler au marché
l’incapacité croissante des activistes à trouver une solution, pour entreprendre le dialogue et
les changements organisationnels nécessaires à la maximisation de la valeur actionnariale.
Ainsi, plus le conflit dure, plus le marché voit un signal négatif sur la performance de la
firme, ce qui correspond à notre cas car les alertes de l’AFG apparaissent en moyenne 40
jours avant l’assemblée générale des actionnaires, ce qui est relativement proche de la date du
conflit ouvert s’il devait avoir lieu. Par ailleurs, les alertes sont formulées à partir des
propositions faites aux actionnaires et qui doivent être votées lors de l’assemblée générale. Le
simple stade des négociations privées entre actionnaires et dirigeants est donc largement
dépassé.
Le principe selon lequel plus nous avançons vers un conflit officiel lors de l’assemblée
générale, plus les chances de voir une réaction négative du marché sont importantes, peut être
rapproché des conclusions de Smith (1996). Pour l’auteur, si aucun accord n’est signé entre le
fond et la cible, la firme voit sa valeur diminuer, et inversement.
Suite à l’étude de l’effet d’annonce global, les tests réalisés à partir de l’échantillon scindé en
fonction du nombre de motifs ont révélé, conformément à notre hypothèse, un impact négatif
et significatif plus défavorable si les investisseurs institutionnels ont signalé plusieurs fautes
de gouvernance. Le marché intègre dans ses anticipations une probabilité d’assainir la
situation plus faible, ou encore des coûts à engager plus élevés.
Parmi les variables de contexte étudiées, plusieurs permettent de rétablir de
manière significative un signal positif sur la performance future de la cible. Afin de
respecter le caractère synthétique de ce rapport, la réaction négative du marché lors d’une
alerte semble être atténuée lorsque la cible offre :
- le moins de motifs de contestation sur leur mode de gouvernance,
- une structure de capital peu concentrée ou encore une minorité de blocage indépendante
du management,
- peu d’actionnaires dirigeants, d’actionnaires fondateurs ou de salariés actionnaires ; mais
en revanche beaucoup d’investisseurs institutionnels dans le capital,
- un conseil d’administration de grande taille, dual, constitué d’administrateurs externes et
qui détiennent peu de capital.
- une taille importante, la cible réalisant peu d’investissements, et ces derniers étant financés
par dette,
- une sur-performance mesurée par la rentabilité des capitaux propres en valeur comptable
ou par le Q de Tobin. Ce qui revient à dire qu’elle devra clairement s’inscrire dans une
logique de maximisation de la valeur des fonds propres au profit des actionnaires.
Une première analyse, tirée du pouvoir explicatif global significatif de nos régressions
multiples nous a permis de conclure que l’impact d’une alerte sur le gouvernement
d’entreprise dépendait en partie des caractéristiques afférentes au contexte de la cible.
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Il semblerait par ailleurs, comme dans les études d’événement, que le signal croissant
enregistré sur les marchés financiers soit également de mieux en mieux expliqué dans le
temps par les variables du modèle. Ce résultat atteste du fait que les investisseurs anticipent
très peu l’événement avant son annonce publique. Par contre, la diffusion de l’information sur
les trente jours qui suivent l’annonce permet aux variables de contexte de mieux expliquer les
variations de cours boursiers.
Enfin, notre étude souligne que le pouvoir explicatif de certaines variables peut être modifié
en fonction de la proximité de la date de l’assemblée générale.
Nous confirmons que plus le nombre de motifs de contestation, le pourcentage de salariés
actionnaires et le taux d’investissement sont élevés, moins la rentabilité anormale de la cible
sera importante. Inversement nous montrons que plus la taille de la cible, la variation de la
performance antérieure1, et l’indice de Treynor sont grands, plus la confiance des
investisseurs envers ces entreprises est importante ce qui contribue à rétablir le signal négatif
perçu lors d’une alerte sur la gouvernance.
1
Mesurée par la rentabilité des capitaux propres en valeur comptable.
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