Guy TROLLIET 54° rencontre du CERA du vendredi 2

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Guy TROLLIET 54° rencontre du CERA du vendredi 2
Guy TROLLIET
54° rencontre du CERA du vendredi 25 mai 2012
« Doit-on craindre l’Islam ? »
Il nous paraît intéressant de nous pencher sur la question de l’islam. De récents faits tragiques,
ainsi que l’expression dans les urnes de nombreux de nos concitoyens nous obligent à nous
reposer la question : quelle société voulons-nous laisser à nos enfants en héritage ? Quelle est
notre identité nationale ? Au cœur de ce débat malheureusement tronqué : la religion musulmane,
qu’on ne peut confondre avec l’intégrisme islamiste. Cependant, une majorité d’entre nous
ignorent presque tout de cette religion, de cette culture, de cette civilisation. Pour nous éclairer,
nous avons choisi un spécialiste du monde arabo-musulman, franco-libanais. Il est né et à vécu au
Moyen Orient avant d’être international dans une quinzaine de pays, puis il s’est formé en sciences
des religions en obtenant le master « religion et société » de l’Ecole Pratiques des Hautes Etudes.
Guy TROLLIET n’est pas un idéologue mais un pragmatique qui nous fera partager son idéal :
faire travailler ensemble des hommes et des femmes qui n’ont pas les mêmes codes, ni les même
valeurs, ni les mêmes imaginaires… Un chantier utile, voire indispensable pour notre avenir et
celui de nos enfants. Guy TROLLIET est tombé dans la marmite de la connaissance culturelle
quand il était tout petit et il vient nous apporter un peu de potion magique pour nous aider à
progresser dans la compréhension de celle-ci !
La conférence :
Bonjour et merci à vous d’être présents, de relever ce grand défi de la question de l’islam
confrontée au problème de la somnolence postprandial !
Je suis formateur interculturel, c’est mon activité de base, mais en tant que Libanais, les religions
ont été mon environnement principal depuis que je suis tout petit, un véritable fil conducteur tout
au long de ma vie et de ma carrière. Qui dit religion dit homme, et organisation de la vie des
hommes. Pour commencer, je vais vous raconter un petit passage de ma vie personnelle. J’ai fait
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toutes mes études au Liban dans une congrégation religieuse, chez les Frères des Ecoles
Chrétiennes. La confession y était obligatoire une fois par semaine. Vers 12 ou 13 ans, je devais
être en 5°, je me souviens d’un jour où après avoir cherché des idées de péchés avec les copains,
comme à chaque fois, je m’agenouille devant le prêtre pour lui confier 2 ou 3 inepties. Après un
moment de silence, il se retourne vers moi et me dit « Toi mon fils, tu es un mécréant ! Comment
peux-tu avoir fait une chose pareille. Tu n’es pas un vrai chrétien. » Douche froide ! Je me suis
senti porté sur l’autel du sacrifice d’Abraham. Je suis sorti tremblant de la confession en me disant
que quelque chose n’allait pas. On nous disait qu’il y avait 3 religions, le judaïsme, l’islam et le
christianisme. Comment se faisait-il que le dieu commun à ces 3 religions laisse dire « œil pour
œil, dent pour dent », « les conquêtes se sont faites au fil de l’épée », et que le représentant de la
dernière qui affirme que « Dieu est amour » me traite ainsi ? J’en déduisis que Dieu – ou bien les
hommes – étaient fous. A partir de ce moment, je me suis dit que les religions étaient une affaire
d’hommes et je suis devenu agnostique. Compte-tenu que l’agnostique est celui qui ne sait pas,
contrairement à l’athée qui est celui qui ne croit pas ou qui nie l’existence de Dieu. Je suis donc
parfaitement à l’aise pour parler de toutes les religions, et de l’islam en particulier, dans son
rapport avec la laïcité.
En préambule, je voudrais faire état de quelques remarques avant de tenter de répondre à la
question de savoir s’il faut craindre l’islam ? Il me semble nécessaire de savoir pour comprendre,
et de comprendre pour être pertinent. Les choses sont compliquées, et c’est cette complexité que
je voudrais éclaircir pour vous. Par exemple, dire aux chrétiens d’Orient qui subissent des attaques
criminelles et répétées que l’islam est une religion d’amour et de tolérance serait une insulte à leur
souffrance. Mais il serait totalement injuste d’affirmer le contraire vis-à-vis des musulmans qui
n’ont rien à voir avec cette violence au nom de laquelle d’autres musulmans agissent.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vous propose de formuler le thème qui nous occupe
aujourd’hui en d’autres termes comme « L’islam est-il une menace ? » Une menace s’incarnant
par tout élément qui, par son évolution récente, actuelle ou prévisible, seul ou combiné, peut
directement ou indirectement porter atteinte à l’intégrité du territoire national, à la vie, la santé ou la
cohésion de la population, ou au bon fonctionnement des institutions. Cette définition est un guide
pour nous aider à réfléchir.
En octobre 2001, juste après les attentats, le journal Le Monde titrait « L’islam apaisé des
musulmans de France ». En septembre 2003, on lisait dans L’Express « La laïcité face à l’islam –
ce qu’il ne faut plus accepter ». J’avais moi-même fait paraître dans la foulée des attentats de
2001 une tribune dont l’intitulé était « L’islam, tout a été dit, l’essentiel reste à faire » dans La Lettre
des Auditeurs de l’IHEDN de Paris (l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale). Ce qui
prouve que le problème existe depuis un certain temps sans que l’on parvienne à progresser.
Cette problématique existe en France bien sûr, mais également aux Etats-Unis et au Québec.
Dans ce dernier pays, la laïcité étant un sujet aussi institutionnel que pratique, une question
importante est débattue actuellement concernant le hallal. En Espagne, le conseil constitutionnel a
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demandé l’interdiction du Coran au motif qu’il s’agit d’un livre violent et raciste. On attend la
réponse. Un référendum est en projet au sujet des mosquées et des minarets des mosquées. En
Grande Bretagne, il y a 3 ou 4 ans, l’Archevêque de Cantorbéry avait déclaré que, selon lui, les
concitoyens musulmans pouvaient disposer de leurs tribunaux confessionnels. Un grand débat a
suivi au sujet de cette question. Plus récemment, on se souvient du scandale de l’apprentissage
des châtiments corporels dans une grande école musulmane, avec photos à l’appui dans les
manuels, pour montrer par exemple comment on pouvait couper une main ou un pied… Il convient
dans ces conditions de garder la raison, de ne pas regarder le doigt quand le sage montre la lune.
Nous devons regarder les choses objectivement, de façon pragmatique, et chercher des solutions
possibles. Il nous faut trouver des bases pour vivre ensemble selon la philosophie de la laïcité.
Pour bien comprendre les raisons de ces difficultés, je vous propose de mener mon intervention
autour de deux axes que sont les maladies de l’islam d’une part, puis la question de « l’islam de
France » et de « l’islam en France » avec son cortège de problématiques que rencontre la
communauté musulmane, qui peuvent éventuellement déteindre sur l’ensemble de la société.
Il nous faut prendre le temps d’un bref rappel historique pour bien comprendre notre sujet.
Nous sommes au VI° siècle après la chute de Rome. La Méditerranée est sous la domination de
ce qui reste de l’Empire Byzantin face à l’Empire Perse des Sassanides. La nature ayant horreur
du vide, l’Iran cherche à retrouver la place qu’il avait durant l’antiquité. Ces deux civilisations
s’affrontent en permanence. L’Arabie se trouve un peu à l’écart de ces disputes. On y trouve deux
villes qui vont nous intéresser : La Mecque et Yathreb qui deviendra Médine, la ville de naissance
du Prophète.
Quelques mots maintenant sur la vie du Prophète : né aux alentours de 570, Mohamed est mort en
632. Il appartenait à la famille Banu Hashem de la grande tribu des Quraysh. Celle-ci disposait des
clefs de la ville de La Mecque, et donc en assurait la gestion. La Mecque étant un centre
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économique et un centre de pratiques rituelles religieuses de pèlerinages. Toutes les religions s’y
croisaient, y vénéraient leurs idoles et le commerce faisait bon ménage avec la religion. Le roi de
Jordanie et sa famille sont des descendants de la famille Banu Hashem. A 25 ans, le prophète se
marie avec Khadija, sa première femme. C’est un personnage important sur lequel les
mouvements féministes s’appuient beaucoup pour asseoir l’égalité entre les hommes et les
femmes. Khadija avait une vingtaine d’années de plus que le Prophète. Elle avait été veuve par
deux fois et avait reçu de nombreux biens après la mort de ses maris. Lorsque le Prophète a eu ce
que l’on appelle la Révélation en voyant apparaître l’Ange Gabriel, il s’est senti investi de la
mission de fonder une nouvelle religion. Il a couru annoncer la nouvelle à sa femme. Khadija a mis
sa grande fortune au service de cette nouvelle prédication. Leur mariage, qui a duré une vingtaine
d’années, était un mariage monogame. La polygamie est apparue plus tard, pour les besoins de la
conquête et de l’expansion de la religion.
Suivant une coutume qui se pratiquait beaucoup à cette époque-là, le Prophète avait l’habitude de
se retirer dans une grotte, dans le désert, pour méditer. C’est au cours de l’une de ces retraites, en
l’an 612, que l’Archange Gabriel lui est apparu et lui a enjoint de lire le livre qu’il lui présentait. Cet
ouvrage deviendra plus tard le Coran, considéré comme support de la parole de Dieu. Il est donc
consubstantiel à Dieu, ce qui nous éclaire sur sa valeur. Cette apparition déclencha donc la
prédication du Prophète.
Annoncée dans une ville dont l’économie principale était basée sur les pèlerinages, les cultes aux
idoles, cette nouvelle mettait en danger l’ordre établi. Par conséquent la tribu au pouvoir a chassé
le Prophète. Ce dernier s’est réfugié à Médine en 622, date de départ du calendrier musulman.
La petite communauté s’installa donc dans cet oasis qui abritait différentes tribus. Le Prophète
établit avec elles une sorte de charte de bon voisinage. Malgré ces précautions, les choses
tournèrent mal. Pour assurer la vie de cette communauté, il fallut mener des razzias qui
conduisirent à la guerre notamment contre la tribu d’origine de Quraysh. Après bien des combats,
la ville de Médine finit par admettre l’autorité du Prophète qui y entra victorieusement en 630.
Voici quelques éléments factuels dont nous disposons sur la vie du Prophète. Malheureusement,
la pertinence des sources historiques, particulièrement des textes, n’est pas certaine. Or ce que le
Prophète a dit va constituer par la suite un socle très important du dogme religieux, de la
jurisprudence et de la vie sociale.
Jetons maintenant un coup d’œil sur la généalogie du Prophète pour bien comprendre ce que sont
les sunnites et les chiites.
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Généalogie du Prophète
Tribu de Quraysh
Abd Shams
Omeyya
Dynastie
Omeyyade
Hashem
Abd al-Mottaleb
Al-Abbâs
Abdallah
Abu-Talib
Dynastie
Abbasside
Mohammad
Ali
Époux
Fatima
Hussein
Shi‘ites
Le Prophète a été orphelin tôt, à l’âge de 10 ans. Il a été adopté par son oncle paternel Abu-Talib,
le père du fameux Ali qui reviendra souvent dans l’histoire. Le Prophète avait notamment une fille,
Fatima, qui a épousé Ali, à la fois gendre et cousin du Prophète. A la mort du Prophète, celui-ci
n’avait pas désigné de successeur à la tête de la communauté, il n’avait pas non plus de
descendance mâle. Le premier clash se produisit entre les membres de la communauté en
désaccord sur l’identité du successeur. Certains souhaitaient que ce fut son gendre Ali, mais celuici n’eut pas gain de cause, principalement parce qu’il était trop jeune. Celui qui fut choisi s’appelait
Ali également, il faisait partie de ce que l’on appelait les « 4 califes bien guidés », premiers
compagnons du Prophète. Durant ses deux ans de règne, il s’est efforcé de ramener dans le giron
de la famille musulmane les tribus d’Arabie qui avaient quitté l’Islam pour ne plus être soumises à
la taxe religieuse. Durant son règne, Ali le calife fut confronté à un personnage qui appartenait à
une autre famille (à gauche du tableau ci-dessus). Il s’agissait d’un général qui avait conquis la
Syrie et s’était installé à Damas comme gouverneur. Ce dernier souhaitait prendre la place d’Ali.
Sans entrer dans les détails, je vous signale seulement que le pouvoir est passé de l’autre côté.
Ce fut la naissance de la dynastie des Omeyades, qui prit Damas comme capitale. Un premier
mouvement dissident de l’islam apparaît qui s’appuie sur le désaccord entre Ali et une partie de
ses troupes. Ali (le général) fût assassiné en 662.
Deuxième étape : l’un des fils d’Ali, gendre du Prophète, qui s’appelait Hussein, n’a pas accepté
que le pouvoir soit passé de l’autre côté. Il a donc continué la lutte armée et s’est fait tuer par les
Syriens en 681 dans une ville qui est devenue lieu de pèlerinage très important. La tradition y
perdure de pèlerins habillés en blanc qui se flagellent en souvenir du martyr d’Hussein. La tradition
chiite a choisi cet événement pour commémorer le massacre de la famille du Prophète,
l’usurpation du pouvoir et la falsification du Coran par les sunnites. Ce fossé inconciliable est
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toujours aussi profond entre chiites et sunnites et la guerre perdure aujourd’hui sous forme
d’attentats nombreux. Avec la première dynastie des Omeyyades (661-750), une administration se
met en place et on commence à constater l’émergence d’un savoir religieux musulman en dehors
du Coran. La dynastie des Abbassides lui succède durant près de deux siècles, de 750 à 946,
avec Bagdad comme capitale. C’est ce que l’on a appelé l’âge d’or de l’islam. Viendront ensuite
les dynasties locales, entre 946 et 1520, jusqu’à l’arrivée des populations turques venant d’Asie
Centrale. L’empire Ottoman prendra le relais de 1520 à 1918.
Je vous invite à regarder les deux cartes ci-dessous qui font état de l’expansion de l’empire arabomusulman, puis de l’empire Ottoman. De cette manière, nous comprenons la variété des relations
que les pays tissent avec l’islam. Voyez par exemple les différences qui existent entre l’islam en
Autriche, plutôt tourné vers les Turcs, et l’islam en France, plutôt tourné vers les Maghrébins.
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Nous allons maintenant aborder l’islam selon un certain nombre de lois et règles qui en régissent
le fonctionnement.
Les 5 piliers que sont la profession de foi témoignent qu'il n'y a de vraie divinité que Dieu
et que Mohamed est son messager, la prière 5 fois par jour, l’aumône, le pèlerinage et le
jeûne. Cette obligation pose des problèmes dans de multiples contextes. Prenez par
exemple la situation délicate engendrée par la Cie Royal Air Maroc qui avait interdit le
jeûne à ses pilotes. Toujours à ce sujet, j’ai trouvé dernièrement intéressant le témoignage
d’un médecin marseillais qui faisait état d’une recrudescence galopante de femmes en
situation d’anémie durant leurs règles en période de ramadan, qu’il fallait mettre en arrêt,
voire transfuser quand cette période coïncide avec l’été.
Les 5 nécessités indispensables à l’homme : la préservation de la religion, partant du
principe que l’homme ne peut pas se passer de l’islam, la préservation de la vie, autrement
dit de l’intégrité de la personne, la préservation de la raison et de sa lucidité, qui justifie
l’interdiction de boire de l’alcool, la préservation de la progéniture, qui permet de prolonger
la population de pratiquants, la préservation de la propriété.
Les hadiths sont des textes récoltés depuis quelques siècles, qui retracent les paroles du
prophète Mohamed. Le Coran et cette tradition des paroles du prophète ont donné
naissance à des sciences religieuses. La science juridique permet de cadrer la
jurisprudence d’où découle la charia, la science des circonstances de la révélation,
l’exégèse permet d’expliquer, interpréter, écrire et prononcer correctement le contenu du
Coran, la science de l’abrogeant et de l’abrogé se rapporte à la révélation des chapitres du
Coran durant la période de la Mecque (versets courts d’ordre religieux) puis la période de
Médine (versets longs d’ordre juridique, social et comportemental). Tous les musulmans ne
sont pas d’accord sur l’importance de l’une ou l’autre période.
Cette tradition de se référer aux compétences des savants religieux a donné naissance à
des écoles juridiques qui connaissent des divergences.
Les écoles juridiques et les courants islamistes :
SUNNISME :
•
Hanafite (Abu Hanifa, 696-767) Moyen-Orient, Turquie, Balkans, Caucase
•
Malikite (Malik ibn Anas, 711-796) Maghreb et Afrique Noire
•
Shafi’ite (Al-Shafi’i, 767-820) Proche-Orient, quelques régions d'Asie centrale, Malaisie,
Indonésie, Comores
•
Hanbalite (Ibn Hanbal, 780-855) Arabie Saoudite (Wahhabisme)
CHIISME :
•
Duodécimains (imamites)
•
Ismaéliens
•
Druzes, Alaouites, Alévis, Zaydites
KHARIJISME (Ibadisme à Oman, Zanzibar et un peu au Maghreb)
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SOUFISME (les pratiquants consacrent leur vie à une fusion avec Dieu)
SALAFISME (les pratiquants voudraient revenir aux traditions contemporaines de la
vie du Prophète, alors que nous avons perdu toute source qui nous permettrait de
connaître la mode de vie de cette époque. Il existe plusieurs courants salafistes
dont l’un est violent).
Les fêtes musulmanes :
•
Naissance du Prophète
•
Voyage du Prophète à Jérusalem et ascension céleste
•
Ramadan - Mois d’abstinence et de prière
•
Nuit de la révélation
•
Fin de Ramadan, rupture du jeûne
•
Fête du Sacrifice
•
Jour de l’an
•
Martyr de Hussein chez les chi’ites
Les maladies de l’islam.
Quand le Coran parle des juifs, certains versets sont plutôt bienveillants, d’autres sont très
violents. Cette alternance témoigne de l’évolution entre la période de la Mecque et celle de
Médine. On trouve dans le Coran un certain antijudaïsme susceptible de motiver des actions de
lutte. C’est le problème de l’interprétation des textes, l’ambiguïté et les contradictions qui
apparaissent dans les textes. Il existe tout autant de raisons d’allumer des incendies que de
motivations et de raisons de rejeter ces interprétations. Mais à chaque fois qu’il y a des tentatives
pour essayer d’améliorer les choses, on assiste à des fatwas, comme celle prononcée par
Khomeiny contre Salman Rushdie.
Aujourd’hui, les cadres religieux ne sont pas formés dans des pays sécularisés et laïcisés. Ils ne
sont pas confrontés à l’éclairage des droits de l’homme par exemple. Aucun iman n’est formé à
cette ouverture. Pourtant, ils auraient un rôle fondamental à jouer dans les aumôneries en vertu de
la loi de 1905 qui stipule que la République garantit le libre exercice des cultes. L’islam n’a aucune
vision autocritique.
Avec la loi divine, Dieu est en permanence au centre de tous les sujets. Cette relation au divin
encore très forte est bien différente de l’état d’esprit qui règne en France. C’est un motif
d’incompréhension.
De « l’islam en France » à « l’islam de France » - les problématiques sociales :
L’histoire de ces problématiques trouve ses racines dans l’époque coloniale. On le constate grâce
à une évolution caractérisée : avant le XXe siècle, on parlait d’indigènes, puis de « musulmans en
France », et enfin de « Français musulmans ».
Cette histoire est répartie sur 3 grandes périodes :
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Jusqu’à la première guerre mondiale : quelques 5 000 émigrés Algériens vivent en France,
essentiellement d’origine kabyle,
Entre la première guerre et la fin des années 30 : environ 100 000 musulmans d’origine
nord-africaine vivent essentiellement à Paris, Lyon, dans le Nord et à Marseille; et 5 000 à
10 000 arrivent d’Afrique noire et des Antilles,
Durant les Trente Glorieuses (1950-1970) : « la première génération » se sédentarise avec
la politique de regroupement familial. Les parents sont très discrets vis-à-vis de leurs
enfants, observe la loi du silence, transmettent le moins possible les traditions religieuses
pour permettre à leurs enfants de s’adapter le mieux possible.
Grâce à une loi parue dans les années 80, l’islam s’organise en regroupements associatifs en
France. Les enfants d’immigrés s’organisent.
En 1988, l’ancien ministre de l’Intérieur Pierre Joxe crée le CORIF, le Conseil de Réflexion
sur l’Islam de France,
En 1994 a lieu l’inauguration de la mosquée de Lyon gérée par l’ACLIF (Association
Culturelle Lyonnaise Islamo Française), seule institution ayant mis en place un organisme
de contrôle des sacrificateurs et une certification halal pour la viande mise sur le marché.
En 1995, c’est l’ouverture de la mosquée d’Évry, vitrine de l’islam marocain, financée
majoritairement par la LIM (Ligue Islamique Mondiale) qui tente de récupérer les locaux.
Moyennant quoi la gestion est déléguée à l’ACMIF (Association culturelle des musulmans
d‘Ile-de-France) après accord entre autorités marocaines et saoudiennes.
En 2003, le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) est officialisé. 10 commissions
sont créées dont l’une traite de la question de la «Viande halal et de l’abattage rituel ».
En 2004, une loi encadre, en vertu du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues
manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
Pour conclure sur cette question, je souhaite partager avec vous un extrait de l’ouvrage de Franck
Frégosi La représentation institutionnelle de l’islam en France qui résume bien la situation :
« L’islam en France est un champ concurrentiel au sein duquel s’activent une multitude
d’opérateurs rivaux qui, à défaut de pouvoir contrôler la totalité de l’espace social musulman,
essaient d’asseoir leur influence par le biais de réseaux consulaires, de fédérations ou en obtenant
de la puissance publique des éléments symboliques de reconnaissance (agréments ministériels en
matière d’abattage rituel, nomination d’aumôniers, visite officielle de ministres dans les locaux
communautaires ou à l’occasion de congrès, etc. »
Parmi les problématiques sociales marquées, je voudrais citer en particulier quelques sujets dont :
Le recours à des cadres religieux étrangers pour former des imams en France,
Le financement du culte par des capitaux étrangers. Il suffit d’observer les investissements
significatifs du Qatar en Seine St Denis,
Les modalités du mariage,
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La vaste question des produits Halal qui ne concerne pas seulement la viande mais les
œufs, les boissons, jusqu’aux constituants pharmacologiques et cosmétiques (contenant
ou pas de la graisse de porc),
Les discussions autour du voile. Souvenez-vous de l’épisode qui a touché la crèche
Babilou, qui a fait pas mal de bruit dans la presse. Une salariée avait été licenciée parce
qu’elle portait le voile. La directrice de la crèche interviewée avait justifié sa décision au
regard d’un certain nombre de faits inquiétants à ses yeux. Pour exemple, elle citait la
réaction de plus en plus fréquente d’enfants d’origine musulmane qui ne veulent pas
regarder ou même toucher un livre sur lequel apparaît un cochon ! Ou la question pour le
moins inattendue de la part d’enfants qui souhaitent savoir si les bonbons qu’on leur
propose contiennent de la gélatine de porc ! Ces postures posent de vraies questions de
société. Sont-elles acceptables ou pas? Sur quelles bases notre contrat social doit-il se
bâtir dans le respect d’un certain nombre de convictions ?
Les mosquées toujours couplées à un centre culturel. Elles relèvent de la loi de 1905
relative aux associations cultuelles alors que le centre culturel relève de la loi de 1901,
avec des éléments de financement et de fonctionnement différents. Ce qui peut parfois
compliquer certaines situations, notamment en matière de subventions.
L’absence du lieu de travail pour cause de fêtes religieuses. La loi dit que l’employeur ne
peut pas la refuser sauf si celle-ci nuit à l’organisation du travail. C’est compliqué à
appliquer car ce que l’employeur peut faire pour une personne, il ne peut pas forcément le
mettre en place si une majorité de son équipe est concernée.
Nous avons à l’instant évoqué quelques problématiques, peut-être souhaiterez-vous au cours du
débat qui va suivre en soulever d’autres.
Extraits du débat :
Jusqu’où se montrer tolérant avec les intolérants ? La tolérance ne rend-t-elle pas tout simplement
impossible un contrat social ?
Tout d’abord, plutôt que le mot tolérance, je préfère le mot acceptation qui induit que tout individu a
sa place. J’accepte le militant musulman comme le juif ou le chrétien. Que cet individu soit
intolérant avec moi, c’est une autre question. Si cette intolérance me place en danger ou touche
mon intégrité, elle relève du droit. Je peux dans ce cas avoir recours à la justice.
J’aborderais votre question sous un autre angle : la démocratie est-elle en train de basculer de la
dictature de la majorité vers la dictature de la minorité ? On a mis en place beaucoup de choses au
profit des minorités, notamment des lois de non-discrimination, mais l’on s’aperçoit que cette nondiscrimination est une sorte de chausse-trape. Au nom de la liberté, on autorise des choses
incertaines. Mais ce qu’il faut se dire, c’est que nous sommes en période d’apprentissage, nous
avons peu de retours d’expériences à ce sujet.
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Notre contrat social, les règles qui régissent notre « vivre ensemble » ont un passé, une histoire.
Nous devons connaître ces règles, or malheureusement, peu de gens savent ce qu’est la laïcité en
dehors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ce vivre ensemble est questionné aujourd’hui
parce qu’il y a la démocratie, le droit des minorités, des libertés de conscience, de cultes, de
pratiques etc., qui font que l’individu se trouve pris en étau entre les règles qui régissent l’ordre
public, mentionnées dans la Constitution des Droits de l’homme, et celles régissant sa religion,
comme l’islam. Aujourd’hui, le contrat social est toujours d’actualité mais le contexte nous oblige à
voir d’où nous venons et considérer des principes non négociables ainsi que les règles fermes à
mettre en place. Les accommodations diverses et variées sabotent le socle de ce contrat social.
Pourriez-vous nous parler du rôle et de la place de la femme dans la culture occidentale ?
Vous allez en Turquie, au Maroc ou au Yémen, son statut n’est pas le même. Je pense que le
salut de l’Islam viendra plutôt de la femme que de l’homme en Islam. Les femmes sont en situation
délicate, elles ont plus à gagner qu’à perdre. Leur émancipation ne sera pas celle des femmes
européennes mais elle suivra les préceptes de la laïcité.
On observe d’un côté une intensification de la laïcisation, et d’un autre côté on a assisté aux
Printemps Arabes. Des populations nombreuses ont exprimé leur souhait d’une liberté politique qui
accompagne une liberté de conscience. Comme voyez-vous l’évolution ? Vers plus de rigueur
sociale et de liberté de conscience ?
Pour répondre à ce genre de questions, j’aimerais monter sur le Mont Nebo et aller questionner
Dieu directement !
Je ne peux pas faire de spéculations. Trop de facteurs, notamment humains, sont en jeu. On
assiste à une intensification de l’islamisation, c’est sûr, mais l’aspiration à la liberté peut peut-être
rester dans un cadre référentiel islamiste ? Un chercheur américain a mené une enquête, en cours
de dépouillement, auprès de jeunes universitaires sur la relation existant entre normes et valeurs.
Le pré-constat faisait état que la liberté de conscience n’est pas forcément liée à la liberté
politique. Nous plaquons notre référentiel sur un autre groupe qui a une organisation politique
compatible avec une liberté de conscience fortement conditionnée par sa religion.
Les Printemps Arabes se sont déroulés dans des pays offrant chacun des situations différentes,
que ce soit la Tunisie, l’Egypte, le Yémen ou la Syrie. Toutes ces jeunesses sont frustrées car
tiraillées entre des valeurs traditionnelles et modernes. Quand ces jeunes quittent le foyer de leurs
parents, c’est pour fonder le leur. Or ces populations diplômées n’ont pas de travail car les postes
sont verrouillés par les castes, les réseaux, les pistons,… Elles connaissent donc une forte
frustration au niveau de l’emploi. Par ailleurs, les technologies de l’information largement utilisées
lors de ces mouvements ne s’inscrivent pas vraiment dans une optique religieuse. Grâce à ces
techniques, les jeunes ont envie de vivre leur vie de jeune telle qu’ils peuvent la voir sur Internet,
sans renier des valeurs qui appartiennent à leur culture et à leur religion.
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C’est difficilement de faire des pronostics sur les répercussions de ces aspirations sur la vie
politique. D’un côté, il y a les partis islamistes, dans la mouvance des Frères Musulmans, et de
l’autre côté les Salafistes qui sont, dit-on, catapultés par l’Arabie Saoudite. On voit donc déjà à ce
niveau-là une sorte de dissension, de discorde. Jusqu’où peuvent aller ces rapports de force ? Je
ne le sais pas. Comme disent les Anglais, wait and see…
Je suis moi-même originaire d’un pays du Maghreb et j’ai grandi paisiblement entre catholiques,
juifs et musulmans. Je ne me retrouve pas du tout dans ce que je vois à la télévision et dans ce
que vous décrivez en parlant par exemple d’enfants qui ne veulent pas toucher des livres sur
lesquels sont dessinés des cochons. Je me pose donc la question de savoir si la religion
musulmane est en crise et j’aimerais comprendre pourquoi les musulmans évoluent dans une
religion de plus en plus stricte ?
J’ajouterais même deux éléments qui vont dans le sens de votre témoignage. Vous avez peut-être
entendu parler de cette adolescente marocaine de 16 ans qui s’est suicidée il y a quelques
semaines parce qu’on voulait la marier sur décision du juge du tribunal à l’homme qui l’avait violée.
Cet événement a remis en question l’ouverture du Maroc, le statut civil de la personne, et
notamment de la femme. Une deuxième information relative au Maroc concerne plusieurs cas
d’attaques par des groupes de Salafistes de jeunes femmes qui marchaient dans la rue en tenues
un peu légères. Ils ont été jusqu’à les mettre à nue publiquement. Pour quelle raison ? Peut-être
que la relation un peu condescendante de l’Occident envers l’islam a renforcé l’autorité de l’islam,
ce qui permet de mieux canaliser sa progression. D’autres mouvements musulmans, pour se
développer, ont misé sur des actions sociales, caritatives, de soin, de santé, d’éducation, etc.
Cette approche a bien fonctionné, accompagnée d’une sorte d’exemplarité de comportements.
Pour revenir aux rapports de l’islam avec l’Occident à partir de 2001, je voudrais également parler
de l’attitude des Etats-Unis qui tente toujours de brimer le monde musulman. Inutile de rappeler les
fameuses thèses de Huntington sur le choc des civilisations. Je vous invite à aller sur you tube et
taper « Message à François Hollande ». Vous y verrez une vidéo mettant en scène un iman qui
demande à François Hollande de se convertir à l’islam, de libérer les frères emprisonnés en
France. Le discours doctrinaire fait état de la victimisation de l’islam persécuté par l’Occident. On
assiste donc à un repli identitaire, un réflexe d’auto-défense et une ignorance des relations,
complètement parasitées, entre Occident et islam. Je pense par exemple à Obama qui parle de
ses amis musulmans. Cette négation de la réalité dessert à mon sens le cheminement objectif qui
permettrait de desserrer l’étau de l’enfermement dogmatique et aveugle des uns et des autres.
Je ne dispose pas de la réponse globale, exhaustive à votre question. J’ai donné simplement
quelques pistes mais ne prétends pas expliquer cette situation que je trouve, au même titre que
vous, inquiétante.
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J’ai l’impression qu’en France, on brandit la laïcité comme la solution à tous les problèmes. Et en
même temps, il y a une certaine forme de bien-pensance à l’égard de l’islam de France, qu’on ne
retrouve pas forcément à l’égard des valeurs chrétiennes.
Par ailleurs, si l’on veut conserver les valeurs de la démocratie et si l’on ne veut pas que l’islam
s’érige comme valeur dominante dans les années à venir, que peut-on faire ?
Vous abordez de multiples points auxquels je vais essayer de répondre. D’abord pourquoi pensezvous que l’Islam va pouvoir dominer ? Aujourd’hui on parle beaucoup de la finance islamique
comme étant éthique, mais pourquoi les autres ne le seraient-elles pas ? Quand la finance
islamique a commencé en Egypte dans les années 70, elle a démarré par un grand fiasco. Les
caisses d’épargne qui s’étaient regroupées pour mettre en application les finances islamiques ont
fait faillite. Mais au fond, quelle que soit l’obédience de la finance, c’est toujours l’homme qui est là.
Si cet homme est un escroc, croyant ou pas, il fera ce qu’il veut. L’éthique n’est pas non plus la
panacée du religieux. Il existe bien sûr des athées humanistes !
Pour répondre à votre deuxième question, pour que l’islam domine, il faudrait qu’il y ait une
surpopulation musulmane, que tout le monde adopte l’islam, ce n’est pas un scénario plausible.
Selon les périodes de l’histoire, certaines luttes et positions étaient fondées mais ne le sont plus
actuellement. Il y a de ce fait des différences de points de vue dans l’islam mais il faut du courage,
de la clarté, des prises de position tranchées pour faire progresser les choses. Aujourd’hui, il n’y a
pas encore suffisamment de femmes et d’hommes jouant un rôle politique qui souhaitent et
peuvent faire progresser les choses. C’est une question de principes et de fondamentaux, d’où la
nécessité de redécouvrir la laïcité et le cheminement qui nous éclaire sur nos origines.
Le jihad. Qu’en dit le Coran et qu’en pensent les différentes communautés musulmanes en
France ?
C’est un concept controversé, y compris en islam. La racine du mot jihad vient de l’arabe qui veut
dire d’une part « effort » et d’autre part « tuer », « combattre ». Dans le Coran, on lit qu’il faut faire
un effort et combattre dans la voie de Dieu. On trouve des versets qui incitent à la guerre, mais
uniquement hors des périodes de trêves. On y trouve également des versets bienveillants à l’égard
des « gens du Livre », c’est-à-dires les chrétiens et les juifs, ainsi que des versets très véhéments
qui font appel à la violence, voire au meurtre.
Un hadith du Prophète rapporte ses mots de retour de guerre : le petit jihad étant réalisé (guerre
visant l’approvisionnement de la communauté), il convient de passer au grand jihad, c’est-à-dire à
l’effort contre soi-même pour vivre selon la croyance, le culte, les rituels. Malgré cela, des
théoriciens et savants religieux ont déclaré que le jihad était la lutte armée dans la voie de Dieu,
pour imposer l’islam comme religion universelle.
Par conséquent, on en revient toujours à cette double facette. Certains vous diront que le jihad est
la guerre sainte justifiée en cas d’attaque à l’égard de l’islam. D’autres vous diront que le jihad est
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un devoir individuel à l’égard de la religion. Dans la mesure où la communauté n’a plus besoin de
se battre pour assurer sa survie, la lutte n’est plus nécessaire.
Ma question concerne les relations entre chrétiens et musulmans. Comment peut-on vivre
ensemble sans que les uns absorbent les autres ? Comment l’islam peut-elle débloquer cette
situation sans avoir l’impression de renier sa foi ?
C’est la pierre d’achoppement parce que ce sont des questions qui touchent l’intime conviction de
l’être, s’agissant de la croyance religieuse et de la transcendance. Ces paramètres sont difficiles à
intégrer. Cette difficulté me fait penser à la mise en place de la laïcité au XVI° siècle avec les
philosophes et les penseurs qui ont développé des idées sur la tolérance, le droit naturel, le droit à
l’égalité, la liberté, etc.
Nous réfléchissons en fait à la manière dont un individu peut se départir de sa conviction intime, de
ce qui touche à sa croyance en ce monde et dans l’au-delà pour s’intégrer dans une société ? A
mon sens, deux voies s’offrent à nous. Celle de la force, avec interdiction d’exercer telle ou telle
pratique, en s’appuyant sur la constitution. Une seconde voie existe également, avec le
cheminement de l’islam lui-même. Des imams travaillent sur la convergence de l’islam avec la
république et la laïcité. Il me vient deux exemples pour l’illustrer :
-
Des savants religieux disent que lorsque l’on n’est pas en terre d’islam, on peut s’adapter à
la nécessité locale. Donc, on se nourrit normalement quand on ne trouve pas de nourriture
hallal, suivant ainsi le Prophète qui disait que l’on pouvait dans certaines circonstances
manger la même nourriture que les gens du Livre. Certains puristes rétorquent que les
chrétiens étant devenus athées, on ne peut plus suivre cet enseignement !
-
La finance islamique. Il y a deux ans, Madame Lagarde a mis en place une équipe pour
réfléchir au changement des règles comptables et fiscales qui permettrait le
fonctionnement de la finance islamique. Mais au regard de la loi de 1905, l’Etat est neutre,
il ne doit pas être influencé par des religions. Seul un constitutionnaliste pourrait dire si
cette démarche est recevable ou pas.
Ces exemples montrent qu’il y a réflexion et progression, et donc possibilité d’avancer mais en
tenant compte de plusieurs versions et interprétations. Il revient donc aux pratiquants de décider
de ce qu’ils veulent faire. Tout le monde a sa liberté de conscience et il me semble important que
le religieux n’interfère pas dans la vie publique.
Je souhaiterais vous interroger sur la place de l’homme et la question de l’existence de Dieu,
compte-tenu que je suis athée. On parle toujours de Dieu au départ de toute religion, mais en
réalité, il s’agit toujours d’hommes, qui ont témoigné et écrit. Kant écrit que c’est l’homme qui a eu
l’idée de Dieu. C’était une façon pour lui de se rassurer mais de là à affirmer qu’il existe un Dieu
tout-puissant, qu’il soit musulman, juif ou chrétien, c’est une autre paire de manche !
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Je vais vous répondre en m’appuyant sur mon activité qui traite d’inter culturalisme. Qu’est-ce
qu’une culture ? J’ai adopté une définition de la culture qui est la suivante : il s’agit de l’ensemble
des postulats qu’un groupe d’individus a retenu comme étant à la base des solutions aux
problèmes d’intégration interne et d’adaptation externe qu’ils ont rencontrés. Ce qui signifie que
tout groupe d’êtres humains rencontre des problèmes à l’intérieur même de son groupe. Les
solutions adoptées sont sous-tendues par des valeurs, des normes, des symboles qui sont les
postulats les plus importants. La question est de savoir comment le groupe va se relier à ce qui
l’entoure. Ce groupe pouvant être une entreprise, un pays, etc. La religion est venue établir une
sorte de référentiel de fonctionnement en ce qui concerne l’homme dans sa relation au cosmos.
Pour revenir à votre propos, concernant les écrits communs aux chrétiens et aux juifs, la Bible et la
Torah, j’ai entendu dire qu’il s’agissait de la parole de l’homme sur Dieu. C’est l’homme qui écrit
son histoire dans sa relation avec Dieu, même si parfois, on fait parler Dieu. Par contre dans le
Coran, c’est Dieu qui parle, à la première personne. De là vient une relation au livre saint différente
et donc une conception de la religion un peu différente.
On peut effectivement se poser la question de savoir si ce n’est pas l’homme qui a créé Dieu.
Votre définition de la culture à l’instant me faisait penser au facteur démographique. Quel poids
prêtez-vous au taux de natalité des pays musulmans par rapport à l’Europe où le taux de natalité
tourne autour de 1,6 je crois, ce qui a une incidence forte sur l’avenir d’une culture. Pour reprendre
le titre du sujet qui nous réunit aujourd’hui, « Doit-on craindre l’Islam », doit-on être inquiété par
ces questions de démographie ?
Pour ce qui est de la démographie musulmane en France, à part quelques communautés
subsahariennes, elle a tendance à rejoindre les chiffres français.
Dans les pays musulmans, la fécondité et la procréation ont trouvé leur limite. Les gens ont fini par
constater qu’il n’était pas souhaitable de mettre des enfants au monde pour qu’ils soient dans la
misère, qu’ils ne soient pas soignés. Il est vrai que les méthodes contraceptives ne sont pas
partout entrées dans les mœurs mais un travail de fond se fait, réalisé par les associations.
Je pense que l’aspect démographique n’est pas un sujet très important à venir, il l’est en tout cas
moins que la question de l’immigration.
On dit souvent que pour bien savoir où l’on va, il est préférable de savoir d’où l’on vient. L’Islam
est-il fondamentalement compatible avec les valeurs de la République liberté, égalité, fraternité ?
Oui, tout à fait. L’islam prône la liberté, mais vue d’une certaine manière. Si l’on parle de la liberté
de conscience, on est obligé de parler de volonté divine. Cette volonté divine interprétée par des
savants religieux est restée un peu figée dans les 10 siècles qui viennent de s’écouler malgré les
quelques tentatives de rénovation et de réinterprétation. La liberté est bien sûr une valeur
importante, mais que représente-t-elle pour vous ? Pour moi ? Se retrouve-ton autour du concept ?
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L’égalité est respectée. Il n’y a pas plus égalitaire que l’islam. Tous les individus sont des créatures
de Dieu. Ils sont tous égaux. Quant à la fraternité, tout le monde est frères mais sous un autre
référentiel.
Je voudrais ajouter qu’il me paraît bien de discuter autour de ce que l’islam et l’Occident ont en
commun, mais c’est important aussi de parler de ce qui les sépare, qui à un moment ou à un autre
va ressortir. On est tous d’accord au sujet de la figure importante de la Vierge Marie, citée dans le
Coran au titre de mère d’un prophète important. Mais concrètement, on ne fait rien de ce point
d’accord. Par contre, il me paraît important d’évoquer le fait que certains musulmans ne veulent
pas que leur femme hospitalisée soit examinée par un médecin homme. Ca c’est un problème,
autrement plus important que de savoir la place de l’égalité et de la fraternité dans l’islam. Le déni
amène à la schizophrénie et donc à la rupture. Il faut aborder les problèmes en face mais de
manière réfléchie et neutre. Il existe des solutions mais il faut les envisager posément. Je pense
par exemple au cas d’un ouvrier musulman qui ne pourrait pas faire sa prière 5 fois par jour, on
peut lui proposer de prolonger ses prières du soir et du matin, ce qui soulagera sa conscience, ce
qui est extrêmement important.
Nous ne pouvons pas terminer sans vous poser la question : doit-on avoir peur de l’Islam ?
Très clairement, nous pouvons avoir peur de l’islamisme mais pas de l’Islam.
Compte-rendu réalisé par Laurence CRESPEL TAUDIERE
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