le cadre juridique de la prevention et de la gestion des risques

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le cadre juridique de la prevention et de la gestion des risques
LE CADRE JURIDIQUE DE LA PREVENTION ET DE LA GESTION DES
RISQUES MAJEURS EN ALGERIE
Azzouz KERDOUN
Professeur à l’Université de Constantine
Directeur du laboratoire Maghreb-Méditerranée
Membre du comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies
Depuis deux décennies on assiste à travers le monde aux effets dévastateurs des
catastrophes naturelles et industrielles dont les conséquences engendrées prennent des
proportions de plus en plus alarmantes.
Compte tenu de l’ampleur des préjudices humains, financiers et environnementaux
causés par ces drames, la puissance publique est interpellée, et se doit d’engager une
politique claire et pragmatique de prévention et de prévision des risques majeurs. De
même, la communauté internationale devrait se pencher sur l’élaboration d’un droit
international des interventions lors de catastrophes (DIIC) qui lui permettrait
d’intervenir rapidement comme dans l’expérience du séisme de Boumerdès en 2003 qui
a montré comment les résolutions d’instances internationales peuvent contribuer à
améliorer la réponse aux crises.
L’Algérie, pays méditerranéen confronté à, au moins une douzaine de ce type de
risques, a connu des catastrophes naturelles et technologiques dont les conséquences
humaines dramatiques et les destructions économiques très importantes l’ont marqué
avec force. Les séismes d’El Asnam en octobre 1980, celui de Boumerdès en 2003, les
inondations de Bab El Oued en novembre 2001, de Ghardaïa en octobre 2008 et
l’accident du GLIK au niveau du complexe d’hydrocarbures de Skikda en juin 2004,
montrent à l’évidence, que la vulnérabilité du pays face à ces menaces est une réalité.
La prévention contre les risques majeurs présente donc un intérêt particulier pour le
développement durable.
C’est à la suite du séisme d’El Asnam de 1980 que l’idée de se protéger des risques
majeurs a émergé. Depuis le législateur a pensé à élaborer plusieurs lois qui relèvent de
la prévention des risques majeurs, la définition et la mise en œuvre de procédures et de
règles destinées à réduire la vulnérabilité des hommes et des biens aux aléas naturels et
technologiques.
En plus des objectifs scientifiques et techniques qui visent à une meilleure
connaissance de ces phénomènes par une surveillance permanente, une évaluation de
l’aléa de ces phénomènes afin d’en connaître leur ampleur, leur répartition spatiale,
mais également leur répétitivité dans le temps, le recours aux instruments législatifs et
réglementaires spécifiques est nécessaire pour régir ce domaine sensible. La prévention
des risques majeurs qui regroupe l’ensemble des dispositions à mettre en œuvre pour
1
réduire l’impact du phénomène est le moyen par lequel on peut réduire les
conséquences économiques, sociales et environnementales d’un développement
imprudent de nos sociétés. C’est en faisant un état des lieux autour des données
juridiques et institutionnelles que nous pourrons savoir si le cadre juridique actuel de la
prévention et de la gestion des risques permet de réduire les facteurs de la vulnérabilité.
Nous nous inscrivons dans une problématique d’aggravation des risques potentiels
induits par l’urbanisation et l’industrialisation du pays qui ont pris durablement
beaucoup de liberté par rapport à la législation et à la réglementation, conçues
initialement pour les encadrer et les canaliser. Une intégration insuffisante du risque
fournit les éléments d’appréciation du degré de pertinence du support juridique. Mais, il
serait utile auparavant de s’interroger sur la prise de conscience de la notion de risque.
I. Les risques naturels et industriels : quelle prise de conscience ?
Lorsque les aléas naturels se produisent dans les zones habitées, dans des villes ou dans
des sites stratégiques, ils se transforment en catastrophes humaines, économiques ou
environnementales.
L’Algérie, tout autant, sinon plus que de nombreux pays, est concernée par les risques
inhérents aux aléas naturels et industriels. Lorsqu’on sait en effet que la concentration
de la population se situe sur la frange côtière du littoral la plus vulnérable, on comprend
davantage pourquoi elle réunit toutes les caractéristiques d’un pays à risques.
La notion de risque et son évolution reste assez complexe, car nos sociétés actuelles
exigent un niveau de sécurité en constante augmentation, et ont développé des outils et
des politiques publiques qui encadrent et facilitent la prévention et la gestion des
risques.
D’un point de vue juridique, les politiques publiques de gestion des risques
environnementaux font partie du droit de l’environnement, car elles sont en filigrane
des textes à caractère législatif et réglementaire qui visent principalement
l’identification et l’évaluation des risques, leur gestion au sens de la protection civile, et
des questions de responsabilités et d’indemnisation des dommages.
D’une manière générale, le risque majeur se caractérise par de nombreuses victimes, un
coût important de dégâts matériels, des impacts sur l’environnement. La vulnérabilité
mesure les conséquences. Le risque majeur est donc « la confrontation d’un aléa avec
des enjeux. Il constitue la possibilité d’un évènement d’origine naturelle ou
anthropique, dont les effets peuvent mettre en jeu un grand nombre de personnes,
occasionner des dommages importants et dépasser les capacités de réaction de la
société. »1 La définition donnée par la loi n° 04-20 du 25 décembre 2004 relative à la
prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes dans le cadre du
développement durable, est, quand à elle, plus concise mais elle traduit le même
sens : « Est qualifié, au sens de la présente loi, de risque majeur toute menace probable
1
Voir le site http// www. Prim.net/citoyen/définition-risque-majeur
2
pour l’Homme et son environnement pouvant survenir du fait d’aléas naturels,
exceptionnels et/ou du fait d’activités humaines. »2
Jusqu’à une date récente, le risque était surtout perçu en termes de vie humaine, alors
que la concentration des activités dans les villes ne doit pas faire perdre de vue les
pertes environnementales. La vulnérabilité des populations dépend de la nature des
constructions et des infrastructures. Quand aux installations industrielles, elles
amplifient le risque, car on les trouve de plus en plus à l’intérieur ou dans le voisinage
immédiat des villes. En effet, outre les dommages directs causés par l’évènement, des
risques secondaires importants peuvent intervenir, notamment par le dégagement de
substances toxiques ou inflammables dont le rayon d’action peut atteindre parfois des
milliers de kilomètres. L’économie enfin, elle se trouve gravement perturbée par la
destruction de potentiels productifs et des activités commerciales. Tout cet ensemble de
facteurs liés et imbriqués entre eux, quand ils produisent leurs effets, donne à la
catastrophe une plus grande intensité qui se traduit par d’énormes pertes.
Cependant, l’Algérie a accompli des efforts importants pour la maitrise des risques
majeurs en élaborant une législation stricte, et a dégagé des moyens conséquents pour
prendre en charge les catastrophes naturelles et industrielles, qui ont causé la perte de
milliers de vie humaines et des dégâts matériels et infrastructurels considérables. Dés
lors, les pouvoirs publics on inscrit comme priorité la nécessité de préparer le pays à
une meilleure appréhension des catastrophes à travers une politique de prévention.
Ainsi, pour faire face aux implications néfastes qu’engendrent les catastrophes
naturelles sur les vies humaines et l’économie nationale, et fort de l’expérience acquise,
le gouvernement algérien a adopté, dés mai 1985, un plan national de prévention des
risques naturels et technologiques majeurs pour faire face aux différents facteurs de
vulnérabilité qui caractérisent le pays, et adopté nombre de textes législatifs et
réglementaires sur ces aspects. De manière générale, le pays enregistre des progrès
notables dans le renforcement des capacités, des systèmes institutionnels et de la
législation afin de résoudre les carences en matière d’état de préparation et de
prévention, ainsi que dans d’autres domaines, comme l’amélioration du système
d’alerte rapide.
Depuis le plan national de prévention des catastrophes et d’organisation des
interventions de secours, a recensé et identifié 14 risques, 7 d’origine naturelle et 7
d’origine industrielle. Dans la typologie des risques naturels, on peut citer : le séisme,
les inondations, les vents violents, la sécheresse, les feux de forets, les mouvements de
terrains et le risque acridien. Dans celle des risques industriels, nous citons : les
incendies et explosions, les catastrophes maritimes, les catastrophes ferroviaires et
routières, les catastrophes aériennes, les risques radiologiques, les pollutions et les
catastrophes biologiques.
L’Algérie a un territoire situé en grande partie dans une zone sismique, a intensité
élevée avec de nombreuses failles actives, soumise à une pluviométrie irrégulière
marquée parfois par des épisodes de pluies torrentielles. Par conséquent le pays se
trouve sous la menace permanente de catastrophes d’origines diverses, de grandes
2
Article 2 de la Loi n° 04-20 du 25 décembre 2004 relative à la prévention des risques majeurs et à la
gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable. Journal officiel, n° 84 du 29 décembre
2004, p 14
3
intensités et dont les impacts sont incalculables. Dés lors des mesures préventives
adéquates doivent être prises au moment opportun pour réduire les risques encourus et
faire prendre conscience à l’opinion publique des risques graves que peut induire le
processus d’urbanisation et d’industrialisation irréfléchi et tous azimuts, enclenché
depuis plusieurs décennies.
II. Les textes encadrant la prévention et la gestion des risques majeurs
L’idée de prévention des risques majeurs a réellement émergée à la suite du séisme du
10 octobre 1980 d’El Asnam, renommé Chlef aujourd’hui. Depuis, sur insistance des
pouvoirs publics, le législateur algérien a élaboré et adopté un certain nombre de textes
dans lesquels on retrouve les dispositions relatives à la prévention des risques majeurs.
Il s’agit du code de santé publique, du code des eaux, du code forestier, du code
maritime, de la loi 01-20 du 12 décembre 2001 relative à l’aménagement et au
développement durable du territoire qui consacre le principe de la prise en compte des
risques majeurs dans les projets, puisqu’elle dispose que « seules sont constructibles les
parcelles qui ne sont pas exposées aux risques naturels et technologiques. »
L’administration précisera par voie réglementaire les terrains exposés aux risques
résultants de catastrophes naturelles et identifiés au moment de l’élaboration des plans
d’aménagement et d’urbanisme. Mais auparavant, la loi n° 89-26 du 31 décembre 1990,
portant loi de finance pour 1990 à mis en place le Fonds de calamités naturelles et des
risques technologiques majeurs. Plus tard, viendra la loi 03-10 du 13 juillet 2003
relative à la protection de l’environnement dans le cadre du développement durable et
ensuite, la loi 04-20 du 25 décembre 2004 relative à la prévention des risques majeurs
et la gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable. Cette dernière
loi, est la plus importante en la matière, car elle est entièrement consacrée aux risques
majeurs. Tout en énonçant des prescriptions générales, elle prévoit aussi des
prescriptions particulières à chaque risque majeur.
Notons que la loi du 13 juillet 2003 sur la protection de l’environnement a institué un
plan national d’action environnementale et de développement durable (PNAE-DD) et la
loi n° 01-19 du 12 décembre 2001 relative à la gestion, au contrôle et à l’élimination
des déchets prévoit un plan national de gestion des déchets spéciaux devant être élaboré
tous les 10 ans. Ces deux plans contenus dans ces deux lois intègrent des projets de
réduction et de prévention des risques, essentiellement liés aux effets et conséquences
de l’activité industrielle. Par ailleurs, la stratégie et le plan d’action pour la préservation
de la diversité biologique et la stratégie et le plan d’action sur les changements
climatiques, élaborés respectivement en 2001 et 2003, prennent en considération les
liens et la prévention des catastrophes naturelles. En bref, cette nouvelle loi vise à
prévenir et prendre en charge les risques majeurs sur les établissements humains, leurs
activités par l’amélioration de la connaissance des risques, le renforcement de leur
prévision ainsi que le développement de l’information préventive, la prise en charge
efficiente, et intégrée de toute catastrophe d’origine technologique
Avant la loi de 2004, on relève un éparpillement des règles particulières sur un
ensemble de dispositions législatives régissant un aspect particulier, qui a été à l’origine
de l’absence d’une approche unique des problèmes induits par la prévention des risques
majeurs, un domaine qui souffrait de l’inexistence d’une vision stratégique permettant
de valoriser la notion de prévention. Sur le plan réglementaire, cela a conduit chaque
4
département ministériel a élaboré ses propres règles ou normes régissant les activités
dont il a la charge. C’est en fait, toute cette panoplie de textes réglementaires qui
permettait de trouver des solutions parcellaires à une problématique plus générale.
Pour ce qui est de l’organisation des secours, une avancée a été réalisée par le décret de
19853 adopté au lendemain du séisme d’El Asnam ou une large place a été reconnue
aux collectivités locales décentralisées pour préparer et organiser les secours, et
l’intégration de prérogatives nouvelles en matière d’assistance aux victimes sinistrées,
par le biais de la prise en charge par l’Etat d’un ensemble de mesures visant le retour à
la vie normale en zone sinistrée. Cependant, l’organisation des secours prévus par le
plan ORSEC comportait essentiellement des moyens publics qui représentaient
l’essentiel des capacités nationales, relevant pour la plupart du patrimoine des
entreprises publiques économiques. Cette situation pose évidemment des problèmes de
disponibilités de moyens, compte tenu de la nouvelle configuration prise par l’activité
socio-économique du pays en transition vers l’économie de marché.
A cela, il faut aussi tenir compte de la non intégration de la société civile au sein d’un
cadre organisé en tant que partenaire à part entière dans le processus de gestion des
catastrophes. Toutefois, il convient de dire que la gestion des catastrophes, volet
sensible dans la phase des secours d’urgence, objet du décret de 1985, a permis de
disposer d’un cadre réglementaire et technique plus adapté aux situations qui prévalent
lors d’une catastrophe ou les critères de l’humanitaire et de l’urgence président à toute
décision. En effet, le décret oblige les organes compétents à inscrire leurs interventions
dans le cadre des plans d’organisation des interventions et secours préalablement
établis par chaque wilaya, commune et unité.4
Le nouveau dispositif institué par la loi n° 04-20 de 2004 sur les risques majeurs n’est
que le prolongement de ce qu’affirme la loi de 2001 de l’aménagement et du
développement durable du territoire dans son article 4 que « la politique nationale
d’aménagement et de développement du territoire à pour finalité la protection des
territoires et des populations contre les risques liés aux aléas naturels. » Sur cette base,
ont été entérinés par la nouvelle loi de 2004, un certain nombre de dispositifs
techniques, portant des chapitres essentiels qui présentent une avancée majeure, tels
que le chapitre sur l’information et la formation qui permet la contribution des citoyens,
désormais partenaires des pouvoirs publics en matière de prévention des risques
majeurs et de gestion des catastrophes.5 Il en est de même pour les chapitres sur le
renforcement des capacités des différentes administrations au stade de la gestion des
catastrophes6 et la mise en place de niveaux d’expertises aux seins des différentes
institutions publiques spécialisées.7
Au plan technique proprement dit, en matière de prévention des risques majeurs, la loi
généralise l’introduction d’un système de prévention bâti sur des plans de prévention,
3
Décret n° 85-231 du 25 mai 1985. Ce décret a permis de disposer d’un cadre réglementaire et technique
plus apte aux situations qui prévalent lors de catastrophes où les critères de l’humanitaire et de l’urgence
président à toutes les décisions.
4
Article 2 du décret n° 85-231 du 25 aout 1985, Journal officiel du 28 aout 1985 p 833
5
Articles 11à 14 de la loi de 2004.
6
Article 50 à 62 de la loi
7
Article 68 de la loi
5
par nature de catastrophes, désigné en tant que plan général de prévention (PGP).8 Ces
plans visent l’amélioration de la connaissance des risques, le renforcement de leur
surveillance et de leur prévision ainsi que le développement de l’information
préventive, la prise en charge efficiente, et intégrée de toute catastrophe d’origine
technologique.
La prévention est donc essentielle, elle se base sur cinq principes fondateurs, énumérés
et définis dans l’article 8 de la loi 04-20 :
. Le principe de précaution et de prudence ;
. Le principe de concomitance ;
. Le principe d’action préventive et de correction par priorité à la source
. Le principe d’intégration des techniques nouvelles ;
. Le principe de participation
Ainsi, la nouvelle loi modifie fondamentalement notre approche du risque, car il s’agit
de prévenir pour prémunir et changer les comportements. Le cœur du nouveau
dispositif de prévention est l’institution du plan général de prévention (PGP) pour
chacun des dix risques. Le PGP général détermine, le système national de veille
(SNAV) et le système national d’alerte (SNAA). Il comporte en outre les plans de
prévention particuliers à chaque territoire (région, wilaya et commune) vulnérable.
Enfin, chaque plan général de prévention est complété par des prescriptions
particulières spécifiques à chaque risque majeur. C'est-à-dire des plans particuliers
d’intervention (PPI) qui sont élaborés par les Walis avec les services déconcentrés de
l’Etat. Il y aussi le plan d’intervention interne (PII) élaboré par les établissements
industriels pour l’étude de danger,9 car au total, du moins pour le moment, il a été
recensé 60 établissements et installations à risques majeurs. « Localisées
essentiellement le long des régions côtières algériennes, ces unités industrielles
présentent des risques d’explosions à hauteur de 43%, alors que les incendies et les
fuites toxiques représentent respectivement 41 et 16%. »10 C’est pourquoi, la loi de
2004 impose à l’exploitant la mise en oeuvre d’un système de maitrise de gestion des
risques et d’une organisation proportionnée aux risques inhérents aux installations
industrielles. Elle a pour objet également de définir clairement les responsabilités de
chacun des acteurs impliqués dans le domaine de la prévention et de la gestion des
risques, en veillant à la surveillance des installations à risques majeurs.
Le chapitre 3 de la loi, institue par anticipation un dispositif légal de sécurisation des
réseaux stratégiques, en vue de diversifier et fiabiliser, les infrastructures routières et
autoroutières ; les liaisons stratégiques et les télécommunications ; les infrastructures et
les bâtiments stratégiques.11 Afin de garantir la protection des biens et des personnes, la
loi prévoit deux autres mesures importantes relatives au recours obligatoire au système
national d’assurances, dans le cadre des plans12 et le recours à la procédure de
l’expropriation pour cause d’utilité publique face aux risques majeurs.13
8
Article 16 de la loi de 2004
Article 62 de la loi
10
Voir R. Beldjena, « Risques industriels majeurs », in El Watan du 15 février 2005, p 1.
11
Article 42 à 47 de la loi
12
Article 48 de la loi
13
Article 49 de la loi
9
6
Sans nous attarder sur la gestion des catastrophes, la loi la prévoit dans son titre 3.
Selon l’importance de la catastrophe, sont institués des plans ORSEC, au niveau
national ; régional ; de wilaya ; communal et des plans ORSEC sites sensibles.14 Pour
la réparation des dommages, la loi prévoit des aides financières octroyées aux victimes
des catastrophes, conformément à la législation en vigueur.15 Au plan institutionnel, en
vue de planifier, coordonner et évaluer les actions liées au système de prévention et de
gestion, la loi prévoit la création d’une délégation nationale aux risques majeurs placée
directement sous l’autorité du chef du gouvernement.16 En matière de dispositions
pénales, la loi prévoit « un an à trois ans d’emprisonnement et 30.000 à 60.000 dinars
d’amende pour toute construction dans des zones classées non aedificandi pour risque
majeur ; démolition ou mise en conformité, selon le cas, pour toute reconstruction
d’ouvrages ou de bâtiments détruits ou partiellement détruits, sans procédure préalable
de contrôle ; deux mois à un an d’emprisonnement et 30.000 à 50.000 dinars d’amende
pour non élaboration du plan d’intervention interne (PII) par tout exploitant
d’établissement industriel.17
A ces instruments de droit interne, s’ajoutent les accords et conventions internationaux
auxquels l’Algérie a adhéré, notamment dans des domaines très sensibles comme la
protection de l’environnement de sécurité aérienne et maritime, de santé publique, de
pollution…dont l’entrée en vigueur s’est accompagnée d’un certain nombre de
dispositions réglementaires. La convention de Barcelone de 1976 sur la protection de la
mer Méditerranée, amendée en 199518 et ses protocoles additionnels, constituent des
instruments importants pour la prévention et la lutte contre la pollution marine. La
convention fixe les obligations minimales à l’attention des Etats signataires, tandis que
la série de protocoles relatifs aux formes particulières de pollution au contenu plus
précis et technique, actualisent les instruments juridiques dépendant de la convention
en y introduisant une coopération en matière de prévention, visant à faire face à des
pollutions en cas de situation critique et pour promouvoir l’application de la
réglementation internationale en la matière.
Il arrive en effet, que 80% de la pollution en Méditerranée serait de source continentale,
c'est-à-dire d’origine terrestre. Elle a pour vecteur le rejet des eaux usées déversées
directement dans la mer Méditerranée sans aucun traitement. De nombreuses plages de
baignade sur le littoral algérien « sont ainsi polluées par les rejets et présentent un
risque majeur sur la santé publique » affirme le Directeur de l’Agence régionale
d’Alger de l’office national de l’assainissement.19 Sur ce point précis de la pollution
marine, l’Algérie applique le décret exécutif n° 94-279 du 17 septembre 1994 portant
organisation de la lutte contre les pollutions marines et institution de plan s d’urgence.
Et c’est de là que l’on a prévu le dispositif dénommé Tel Bahr de lutte contre toute
pollution marine. En plus du plan Tell Bahr national élaboré par un comité national, il
existe également des plans Tell Bahr régionaux et des plans Tell Bahr de Wilayas Le
14
Article 52 de la loi.
Article 67 de la loi
16
Article 68 de la loi
17
Article 69 à 72 de la loi
18
L’Algérie a ratifié le 28 avril 2004 les amendements de la convention de Barcelone pour la protection
de la mer Méditerranée, le 10/06/1995.
19
Voir Djamel Zerrouk : « Protection de la Méditerranée. L’Algérie met le paquet. » In El Watan du 4
octobre 2005, p 1.
15
7
plan vise notamment la mise en œuvre et le développement d’un système rigoureux de
prévention, de détection, de surveillance, de contrôle et de lutte contre toute forme de
pollution marine. Il est mis en œuvre sur l’ensemble des eaux marines sous juridiction
nationale. Il peut être déclenché lorsque la pollution est d’origine terrestre ou aérienne
et aussi dans les eaux internationales lorsque la pollution est susceptible de menacer le
territoire maritime national Par ailleurs, il y a lieu de signaler aussi l’application de la
loi 02-02 du 27 février 2002, relative à la protection et à la valorisation du littoral pour
la préservation et la réduction des risques sur la frange littorale du pays, en matière de
construction, d’occupation des espaces fragiles et à spécificité écologique. Une loi
innovante dans la mesure où elle revalorise une dimension naturaliste des espaces
côtiers. Elle constitue indéniablement un progrès certain dans la mise en place des
conditions nécessaires au développement durable de cette zone stratégique du territoire
national. Il ne fait aucun doute que les côtes algériennes souffrent de la pollution et la
mer Méditerranée en particulier.
Faut-il se satisfaire aujourd’hui du cadre juridique organisant et gérant la prévention
des risques majeurs en Algérie ? Quels enseignements tirés des cas de figures qui ont
conduit, par moment, à proposer des textes à la hâte et de leur révision rapide, si bien
que certains sont encore inapplicables fautes de textes d’accompagnement que sont les
textes réglementaires ?
Suite aux dégâts causés par les violents tremblements de terre et les inondations
ravageuses, la question de la prévention et de réduction de la vulnérabilité aux menaces
naturelles est devenue un point clé dans la définition des priorités d’action et de
coopération. Les catastrophes qui se sont produites sont rendues possibles par le
développement d’une urbanisation n’intégrant pas le risque, et n’ont pas non plus
capitalisé et valorisé les expériences. Au lieu de protéger l’homme et ses biens, elles
ont eu pour effet de potentialiser les dangers. Les évaluations qui se sont faites restent
assez sommaires n’intégrant que les données administratives, humaines et financières,
mais occultant les impacts économiques et ne situant pas les responsabilités.
Néanmoins, les autorités nationales se sont engagées dés mai 2003 à mettre en œuvre
un plan national de prévention des risques. Ce plan pionnier, constitue la base de travail
pour une intervention intégrale à court, moyen et long terme. Les leçons apprises et les
bonnes pratiques relevées suite à de nombreuses années d’expérience, servent de
références et sont évaluées afin d’orienter la réactualisation de la politique en la
matière. Les autres programmes aidant, dont on a évoqué quelques uns, ont permis
l’élaboration de la nouvelle loi de 2004 sur la prévention des risques majeurs et la
gestion des catastrophes dans le cadre du développement durable. Mais voilà qu’au jour
d’aujourd’hui, cette loi ne peut servir en l’absence de décrets d’application, alors
qu’elle est d’une très grande importance au regard des domaines hautement sensibles
qu’elle est appelée à gérer. Outre le plan ORSEC, le système national d’alerte, les
différents risques identifiés, qui sont institués dans un plan général de prévention de
risque majeur, ne peuvent être actionnés sans un décret d’application. On se demande
pourquoi le gouvernement tarde à fixer les modalités par voie réglementaire.
L’ensemble du texte de loi est lui-même suspendu à ces décrets d’application. Et le
législateur, s’est même permis, au titre des dispositions finales, d’abroger tous les
textes antérieurs. L’article 74 stipule en effet que, « toutes dispositions contraires à
celles de la présente loi sont abrogées. Toutefois, les dispositions régissant les aspects
8
liés à la prévention des risques majeurs, demeurent en vigueur jusqu’à la publication
des textes d’application de la présente loi. »
Il était aussi prévu la création d’une « Agence nationale de prévention et de gestion des
risques majeurs » (ANPGRM), dont le rôle principal sera d’assurer la coordination
souhaitée par tous les secteurs notamment à la suite des deux dernières catastrophes :
les inondations de 2001 et le séisme du 21 mai 2003. Le rôle de cette agence sera
également important en ce qui concerne la détermination des responsabilités
notamment au niveau des systèmes d’alerte et d’alerte précoce. Cette agence n’a pas vu
le jour.
Quel est donc le sort de cette loi qui ne s’applique sur rien ? Faut-il « la jetée aux
oubliettes » comme le suggèrent certains.20
Conclusion
Depuis quelques années maintenant, et en dépit des multiples catastrophes vécues par
l’Algérie, on se rend compte que le pays n’est pas encore préparé pour réagir
convenablement aux risques majeurs en général. A cause de cette non préparation
justement, l’opinion publique algérienne a tendance à associer catastrophe nationale à
mauvaise gouvernance.
Aujourd’hui plus encore qu’hier, l’Etat algérien se doit d’engager seul ou en partenariat
international des actions de prévention, d’anticipation, de prospective et de gestion des
risques majeurs en les intégrant dans les différentes politiques qu’il élabore et qu’il met
en œuvre dans le temps et dans l’espace. La mise en place d’un tel partenariat offrirait
un moyen supplémentaire d’améliorer la qualité de mise en œuvre des stratégies
nationales et ce, en associant un grand nombre de parties à l’exécution d’activités
concrètes afin de promouvoir et de renforcer les mesures destinée à atteindre les buts et
les cibles fixés en matière de réduction des risques de catastrophes.
20
Voir Tarek Hafid, « En l’absence de textes d’application, l’Algérie sans plan ORSEC, Soir d’Algérie
du 17 mars 2010, p 1 ou encore Press DZ, « Prévention et gestion des risques majeurs des lois jetées aux
oubliettes. in Forum d’Algérie, Actualité débats du 17 mars 2010
9
Références bibliographiques
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et industriels en Algérie : inquiétudes actuelles et futures », 22ème session plénière, mai
2003.
- Ministère de l’environnement, « Demain l’Algérie : l’état du territoire », OPU, Alger
1995
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et l’avenir de l’environnement », 2000
- Brotté Gilbert, « Les risques et catastrophes : comment éviter et prévenir la crise »
Ed. Papyrus, 2006
- Rapport du Secrétaire général des Nations Unies, « Mise en œuvre de la stratégie
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- Ministère des Affaires étrangères «Rapport national sur la Prévention des
catastrophes », 28 juin 2004.
- Naville Christine, « Du bon gouvernement des risques : le droit et la question du
« risque acceptable », Paris PUF, 2003
- Bernard Guillon (coordonnateur), Différentes déclinaisons du risque, (Dossier), in
Responsabilité et environnement, n° 55, juillet 2009
- Ogé Frédéric, « Les politiques publiques de prévention : l’avant et l’après Toulouse »
in Pouvoirs locaux, n° 53, juin 2002
- Potier JM, « La puissance publique et la prévention des risques », in Actualité
juridique – Droit administratif (AJDA) octobre 2003
- Le temps des catastrophes (dossier), in Esprit, n° 343, mars-avril 2008
- Risques environnementaux, Sommes-nous prêts ? (Dossier), in Cahiers de la sécurité,
n° 3, jan-mars 2008
- Global Assessment Report on Disaster Risk Reduction : Risk and Poverty in
Changing Climate, UN, 2009.
- Divers textes de lois et règlements (Journal officiel de la République algérienne)
10