La langue chahutée d`Antoine Volodine
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La langue chahutée d`Antoine Volodine
Actes de la SESDEF 2011-2012 13 Actes des 15e et 16e colloques de la SESDEF Faire danser la langue : le langage en jeu Les 5 et 6 mai 2011 – Université de Toronto http://french.chass.utoronto.ca/SESDEF/ La langue chahutée d’Antoine Volodine Dominique SOULÈS Université de Lille III « Vers la fin [...] la plus grande confusion se mit araignée », « quand la polisse rouge est sorti [...] il on crier alataque alataque » trouve-t-on respectivement dans le premier et le dernier roman1 d’Antoine Volodine, auteur français contemporain qui rassemble son œuvre sous le néologisme auctorial du « post-exotisme2 ». Si ces phrases font sourire le lecteur qui y découvre, perplexe et amusé, une orthographe peu conventionnelle, elles signalent surtout explicitement que l’écrivain entend par moments user de la langue à sa guise pour la chahuter, la revivifier et partant conduire ce lecteur à s’y intéresser de près et à en questionner certains (més)usages. Les tours qu’emprunte Volodine pour ce faire sont multiples ; trois exemples en seront présentés dans lesquels s’illustrent certaines de ses pratiques langagières : l’onomastique, truquée avec minutie ; des néologismes savamment « piégés » ; des locutions figées dans la langue française mais falsifiées par l’auteur. Onomastique piégée Le nom des personnages est la zone linguistique qui offre à l’auteur, désireux de s’en emparer, la liberté la plus grande ; en effet il n’y est soumis à aucune contrainte grammaticale et y règne quasiment en maître absolu pourvu que le nom forgé soit lisible et prononçable, même difficilement. Ainsi peut-il jouer à sa guise de la relation qui lie signifiant, signifié et référent. Volodine ne s’en prive pas, loin de là, et outre le plaisir personnel qu’il peut éprouver à créer les anthroponymes de ses personnages, il invite surtout le lecteur à les interroger. 1 2 Antoine VOLODINE, Biographie comparée de Jorian Murgrave [1985], Paris, Denoël, coll. « Des heures durant... », 2003, p. 18 et Écrivains, Seuil, « Fiction & Cie », Paris, 2010, p. 69. Ce néologisme est uniquement un nom endogène, c’est-à-dire inventé par l’auteur pour nommer son œuvre ; du point de vue de la critique, dont les dénominations sont dites exogènes, il ne correspond à rien si ce n’est à un synonyme de volodinien. 14 D. Soulès Alto solo, son sixième roman, servira d’exemple à ce propos ; on y rencontre en effet un certain Balynt Zagoebel, chef des frondistes3 qui pullulent dans l’œuvre. Son nom évidemment nous dit quelque chose, tristement : Sagen, signifie dire en allemand et -Goebel fait résonner à nos oreilles un référent historique qui n’est pas anodin, un Goebbels, à peine déformé par les presque soixante-dix ans qui nous séparent de lui ; Goebbels donc le ministre de la propagande nazie de l’Allemagne hitlérienne. Si cet exemple est quasiment transparent, d’autres dans le roman le sont moins. Alors, non sans une certaine insistance mais avec élégance car l’expression s’insère dans des contextes différents qui la rendent presque invisible, l’auteur insiste pour que le lecteur soit attentif aux noms de ses personnages avec la question suivante : « Ce nom vous dit quelque chose ? ». Certes à l’intérieur du roman elle est toujours adressée par un personnage à un autre mais sa reprise, une dizaine de fois, est l’indice de son importance et par conséquent, en dernier lieu, de son adresse au lecteur. Ainsi celui-ci doit-il non seulement être réceptif à la beauté sonore des noms mais aussi être attentif aux référents, fussent-ils parfois légèrement frelatés par la paronomase ou masqués par la dérive référentielle4, toutes deux assidûment pratiquées par Volodine. Un autre exemple d’Alto solo en donnera la preuve, il s’agit de Will MacGrodno dont le nom emprunte lui aussi pour partie au réel, non plus cette fois à un homme mais à un lieu. Grodno est le nom d’une ville de Biélorussie dans laquelle entre 1941 et 1943 furent tués vingt-neuf mille Juifs. Cet emprunt au réel pourrait paraître arbitraire mais le personnage nommé Will MacGrodno est défini dans la narration comme « un oiseau non repenti5 » et l’équivalence construite par le roman entre Juif réel et oiseau volodinien nous amènent à ne pas être sourd(e)s à cet écho. Si la langue est le biais par lequel Volodine attire notre attention et le domaine dans lequel il attend de nous quelque compétence polyglotte, son jeu linguistique dépasse l’artifice gratuit et conduit le lecteur à questionner non seulement le façonnement de certains éléments constitutifs du roman, en l’occurrence les personnages, mais aussi son propre rapport à la langue et notamment ses réflexes de nomination, parfois pavloviens et inconscients. Il en donne à lire un exemple particulièrement évident dans Alto solo encore. Dans l’incipit, pour deux des personnages, seul le prénom, Aram ou Matko, est donné, les noms, Amirbekian et Bouderbichvili, apparaissent à la page suivante mais livrés par ordre alphabétique. Le lecteur évidemment essaie de relier nom et prénom selon des critères plus ou moins hasardeux qu’il fixe lui-même et sans savoir s’il a vu juste. L’auteur l’amène ainsi inévitablement à s’interroger sur l’anthroponymie et surtout sur ses propres mécanismes de nomination et les implicites sur lesquels elle repose - implicites qui tissent nos rapports sociaux et plus généralement notre rapport à l’autre. En forgeant ainsi ses anthroponymes, il s’agit aussi pour l’auteur de loger à l’intérieur de son 3 Ainsi sont nommés les partisans de Zagoebel, xénophobes et racistes, dont les idées font indéniablement échos à celles des partis nationalistes de droite. 4 « Alors que l’ancrage référentiel fait signe vers une attestation historique, la dérive fait signe vers une souveraineté de la fabulation comme mode d’accès privilégié à une réalité. » - Lionel RUFFEL, Volodine post-exotique, Nantes, Cécile Defaut, 2007, pp. 48-49. 5 Antoine VOLODINE, Alto solo, Paris, Minuit, 1991, p. 25. Actes de la SESDEF 2011-2012 15 œuvre la participation active du lecteur qui, pour l’onomastique, prend la forme d’une relation à la langue qui n’est pas simplement réceptive ou passive : Volodine envisage en effet le lecteur comme « non passif et encore moins impuissant, [il l’]invite à une action sensible sur le texte ; au lieu de lui déverser de la prose entre les oreilles, [il l’]invite à déchiffrer une partition et à l’interpréter musicalement, en y ajoutant ses propres fioritures6 ». Il est donc attendu de ce lecteur qu’il s’affronte à différentes langues, éventuellement en les traduisant, et qu’une fois ce travail fait, il prenne conscience du jeu (linguistique) de Volodine dans la construction de ses personnages7 et de celui des relations entre les hommes dans la réalité. Volatilisation truquée S’ils présentent un exemple particulièrement évident, les anthroponymes ne sont cependant pas les seuls à « faire danser la langue » car Volodine fait également du dictionnaire, donc des mots avérés, un champ d’expérimentation linguistique et son intervention réitérée consiste en la création de néologismes particuliers. Mais une fois encore, ces créations langagières ne sont ni artificielles, ni approximatives, ni gratuites et servent un projet romanesque qui certes ne se limite pas à un aspect linguistique mais dont l’aspect linguistique, assurément, n’est pas négligeable. Pour attirer l’attention du lecteur sur la possibilité de créations verbales, Antoine Volodine en donne à lire une représentation fictionnelle en les incluant dans des situations intradiégétiques. S’il est des exemples qui mettent en évidence la possibilité de créer des néologismes lorsque la langue fait défaut et la donnent à lire en un tour particulièrement poétique8, ces exemples ne suffisent pas cependant à rendre compte de la pratique volodinienne de la néologie. En effet, on rencontre aussi dans l’édifice « post-exotique » des termes qui ne sont pas expliqués au lecteur et qui pourtant sont 6 Propos recueillis par Jean-Christophe VALTAT, Prétexte, numéro Ultimum, été-automne 1999, p. 59. De façon plus générale, les anthroponymes sont déterritorialisés (dirait Deleuze) c’est-à-dire qu’à l’encontre des noms de personnages des grands romans classiques du XIXè siècle, ceux de Volodine ne laissent rien entendre d’un quelconque attachement territorial : « Quelle que soit la langue dans laquelle le livre existe […] les noms des personnages restent étranges et étrangers à la culture de ceux qui les reçoivent. J’ai effectué un travail sur les racines des noms et sur l’association entre prénom et nom. L’objectif est d’obtenir quelque chose de vraisemblable et agréablement bizarre. » Entretien avec Sara BONOMO dans Matteo MAJORANO (dir.), Le goût du roman, Bari, B.A. Graphis, 2002, p. 251. 8 La place manque ici pour évoquer précisément ces néologismes ; à titre d’exemple, proposons simplement celui-ci : dans, un de ses premiers romans, on trouve une dizaine de mots mystérieux employés par l’instance narratrice (qui s’incarne successivement en divers personnages) et généralement expliqués par elle en réponse au questionnement d’un interlocuteur. Ainsi on peut lire à la page 640 : « […] la mer avait creusé des cavernes dans les falaises et s’y débattait, tromboneuse et massive. / S’y débattait, comment ? / Tromboneuse, la notion n’existe pas dans la langue, mille cuivres, mille cornes de brume concentrées en une seule gifle de l’océan, sur la caisse de résonance des grottes à moitié immergées […] ». La définition non seulement annonce explicitement le néologisme comme tel, mais est aussi extrêmement convaincante puisque les images qui y figurent appellent en nous trombe, trombone et caverneuse. Mixte de définition leirisienne issue d’un Glossaire. J’y sers mes gloses et de mot-valise, « tromboneuse » offre un exemple de ce qui peut motiver la création d’un néologisme, lorsque la cause est poétique. 7 16 D. Soulès lourds de sens ; ce n’est donc pas sa rêverie linguistique qui est convoquée mais, à nouveau, comme pour l’onomastique, sa réflexion historique et politique. L’exemple le plus parlant se trouve dans Lisbonne dernière marge, cinquième roman de Volodine9, et concerne le terme « volatilisation » qui y apparaît plusieurs fois. A priori le substantif existe déjà en français mais si l’on ne prend en compte que le niveau diégétique, il semble que le roman fasse fi de cette existence, comme le suggèrent les remarques ou les guillemets qui accompagnent volatilisation. On trouve quatre mentions de ce terme, ou d’un autre de la même famille, qui invitent à un traitement particulier du mot et elles appartiennent toutes à différents chapitres du texte10 d’Ingrid Vogel, personnage principal : [Katalina Raspe] a échoué là, […] à la suite des désastres qui ont suivi la disparition d’Inge Albrecht, qui ont suivi la volatilisation (je reproduis son discours mot à mot) de Verena Georgens. Cœur du IIe siècle, […] ponctuait les légumineuses dissertations de Werner Frankhauser avec quelques descriptions de carnages, car ici et là des collectifs continuaient à se « volatiliser » de façon inexplicable. Juste après la volatilisation d’Élise Dellwo (sans rire, « volatilisation » est le terme auquel on a recours, dans la société de la Renaissance, quand la police vous ouvre les boyaux avant d’y jeter une grenade) […] Le parfum des chlorates volatilisateurs aurait-il embrumé Cœur du IIe siècle au point de modifier sa perception du temps ? 11 La parenthèse qui suit la première mention - « (je reprends son discours mot à mot) » - répond à la surprise que le mot peut créer : le caractère inconnu du néologisme surprend en effet lorsqu’on le rencontre pour la première fois. Les guillemets de la mention suivante - « se volatiliser » - attirent l’attention sur le mot, le remettant peut-être en cause, signalant a minima qu’il y a à s’interroger à son propos. La troisième mention, - « (sans rire, « volatilisation » est le terme auquel on a recours [...] ) » - qui accumule commentaire, guillemets et définition, éclaire (enfin) le lecteur sur le sens du mot, visiblement délictueux, de l’avis de certains personnages. La dernière occurrence - « chlorates volatilisateurs » - ne signale absolument rien, le terme se fond dans la phrase, mot parmi d’autres mots - l’étonnement suscité par sa nouveauté ou son sens est désormais dépassé, le terme figure dans la langue courante. Le récit montre donc, en la mimant, la façon dont un néologisme se glisse dans la langue commune et finit par n’en être plus un. Mais, dans l’œuvre, les choses sont assez discrètes, dépendant de guillemets ou d’une parenthèse ; en outre les différentes inscriptions de « volatilisation » ou de ses voisins dans le roman n’appartiennent pas toutes aux mêmes niveaux de récit12, et cela ne simplifie pas la tâche du lecteur qui 9 Antoine VOLODINE, Lisbonne dernière marge, Paris, Minuit, 1990. Il s’intitule : « Einige Einzelheiten über die Seele des Fälscher » ou en français « Quelques détails sur l’âme des faussaires » et constitue la presque totalité du roman (de la page 26 à la fin) ; mais les différentes mises en abyme et le fait que l’on ne puisse clairement situer la parole énonciatrice peuvent permettre l’hypothèse que la totalité du roman serait « écrite par » Ingrid Vogel. 11 Ces citations se trouvent successivement aux pages 64, 70, 103 et 134 du roman. 12 La première mention figure, lit-on, dans un texte issu « d’un fonds strictement anonyme (Setter WOLFF 1010) », intitulé « Une rencontre magique des parallèles », cité dans l’article simplement 10 Actes de la SESDEF 2011-2012 17 devra prendre conscience de la complémentarité indubitable de ces occurrences malgré leur appartenance à différents niveaux diégétiques. La place manque ici pour montrer comment Volodine, en traversant deux langues, lie aussi dans ce roman le motif de l’oiseau, donc du volatile, aux Juifs mais la chose est certaine13 et sachant cela, la volatilisation fait écho, elle, à leur extermination. Or pour celle-ci, dans la langue et la réalité de l’époque, ce fut le terme Endlösung, ou en français solution finale, qui fut employé. Et outre le fait qu’il s’agit d’un euphémisme, il s’agit surtout d’un terme qui s’est progressivement imposé dans la langue allemande avec ce sens au point qu’il est désormais difficile de le dissocier du contexte historique qui, en quelque sorte, l’a vu naître. La volatilisation volodinienne, si on l’éclaire ainsi, permet donc à l’auteur de mettre en garde le lecteur contre certains mésusages possibles de la langue c’est-à-dire la création, dans le champ politique, des vrais néologismes ou de ce qui s’y apparente pour servir la ligne du parti au pouvoir. Durant le Troisième Reich, cette infiltration pernicieuse de la langue et son dévoiement ont été consignés par Viktor Klemperer dans une œuvre intitulée LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue14, œuvre dans laquelle on lit que même pour les plus attentifs à la langue, les plus résistants à son dévoiement, la tâche ne fut pas toujours aisée15. mentionné d’une commune et reproduit dans « L’abjuration des échos chez Konrad Etzelkind », première partie de l’œuvre d’Ingrid Vogel - il s’agit du niveau 3 du récit. La seconde se trouve dans les premières pages de « À propos des contes pour enfants », deuxième partie du roman d’Ingrid - il s’agit du niveau 2 du récit. La troisième et la quatrième correspondent aux premières et aux dernières lignes de la deuxième séquence de « Élise Dellwo et la pratique de l’hétéronymie », quatrième partie de l’œuvre d’Ingrid ; cette séquence, dont le début ressemble à une narration classique, se révèle être un texte signé de la « Commune reconstituée Élise Dellwo » - il s’agit du niveau 3 du récit, même si dans un premier temps la troisième mention semble appartenir au niveau 2. 13 Un processus linguistique y conduit : la transposition d’un mot d’une langue à l’autre. Cet indice est discret mais éclairant aussi pour le motif de l’oiseau au sein de l’édifice romanesque et pas simplement dans Alto solo. Une fois de plus, la lecture de Klemperer est elle aussi éclairante : « [L]e gouvernement Nazi ne voulait pas seulement mettre les Juifs à l’écart, il voulait aussi les « diffamer ». Pour ce faire, il avait à sa disposition un jargon spécial qui, de par ses formes lexicales, apparaît aux Allemands comme une distorsion de la langue allemande et leur semble laid et grossier. […] sur la liste des prénoms laissés aux Juifs se trouvaient les diminutifs Yiddish, les Vögele, […] qui étaient pour une oreille allemande, à la fois gênants et ridicules. » (Viktor KLEMPERER, Lingua Tertii Imperii. Notizbuch eines philologen, [1947] (traduction de l’allemand d’Elisabeth Guillot) LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. « Agora », [1996] 1998, p. 116). En allemand der Vogel signifie l’oiseau, d’où cette possibilité d’emprunt à la réalité historique. Dans un premier temps annexée par le roman, elle est ensuite largement dépassée car passée avec luxuriance au crible ou au filtre d’une fictionnalisation qui se délecte de l’imaginaire et s’en farcit abondamment comme le montrent ces propos de l’auteur : « [L]a guerre mondiale qui nous est, disons familière, se transforme en une guerre fantastique, une « guerre noire » qui est évoquée dans plusieurs autres textes post-exotiques […] on est déjà loin du nazisme, même s’il y a des passerelles métaphoriques d’une guerre à l’autre. » - Entretien avec Didier WAGNEUR : « On recommence depuis le début... », URL : http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-bassmann-7.html [consultation : septembre 2011]. 14 Viktor KLEMPERER, Lingua Tertii Imperii. Notizbuch eines philologen, op.cit. 15 « Toujours et seulement la crainte que quelqu’un arrive en face de moi, que quelqu’un m’attende à la maison, quelqu’un qui voulait venir me chercher. "Venir me chercher !" voilà que je me mets moi aussi à parler cette langue ! » - Ibid., p. 346. 18 D. Soulès Énigmatique « suruquer » Si « volatilisation » est un néologisme volodinien particulièrement intéressant parce la pratique langagière de l’auteur exige du lecteur une prise de distance par rapport à la langue, voire une suspicion à son égard même pour les mots apparemment les plus anodins, il est au sein du « post-exotisme » d’autres néologismes plus conformes à la définition de ce terme car absolument inexistants dans la langue française. « Suruquer », issu de Le nom des singes en est un exemple ; livré cette fois au lecteur sans explication aucune, son sens néanmoins se devine aisément grâce au contexte. Si ce verbe attire plus que d’autres néologismes16 l’attention du lecteur, c’est en raison de ses occurrences non seulement plus nombreuses mais surtout mathématiquement signifiantes : suruquer en effet apparaît vingt et une fois dans l’œuvre. Le lecteur aguerri du « post-exotisme » y reconnaîtra le produit de deux nombres entiers qui correspond à une pratique numérique de l’auteur très régulièrement à l’œuvre dans ses textes ; un lecteur novice du « post-exotisme » y verra au minimum un effet d’insistance destiné à soutenir sa curiosité et son questionnement à propos de ce terme. Quelques précisions s’imposent sur suruquer avant d’en venir à la signification du projet littéraire de Volodine quand il choisit de créer ce néologisme et de l’insérer dans son œuvre. Suruquer signifie littéralement « percer » et peut également prendre le sens de « copuler avec une femme » ; il vient de suruk, verbe de la langue urubu, elle-même dialecte du tupi : c’est-à-dire une langue qui n’existe plus en tant que telle et qui fut parlée au XVIè siècle dans la région amazonienne par un peuple en pleine expansion proche des Guaranis. Quel est donc le but de Volodine lorsque dans son roman il inscrit des phrases telles que : « Manda, Leonor Nieves, Maria Gabriela [...] il avouait avoir suruqué avec elles, occasionnellement ou souvent17 » ou encore « [on suruquait] comme on suruque quand on a cinquante ans, sans vertige, sans illusion, en se remémorant les étourdissements fougueux des années où la révolution n’était pas morte18 » ? Pourquoi utiliser un néologisme dont l’étymologie, certes, reste absconse mais dont le sens est évident ? À nouveau il s’agit d’amener le lecteur à réfléchir à l’utilisation de la langue et ce, dans un domaine situé au croisement du politique et de l’intime, du public et du privé. La société contemporaine ayant gagné en exhibitionnisme et en voyeurisme de toutes sortes19 a banalisé la représentation, au moins visuelle, de l’acte sexuel ; pour ce qui est de sa nomination Olivier Bessard-Banquy fait remarquer que « ce sont les pudeurs du discours qui ont disparu, les retenues de l’expression, toute cette part de 16 Le nom des singes contient d’autres néologismes que « suruquer », ils n’en ont cependant ni la valeur, ni la portée. En effet ils sont de formation moins totalement novatrice puisqu’ils consistent généralement en la préfixation ou la suffixation de termes déjà existant et leur signification saute aux yeux ; ainsi du verbe « se désenfouir » ou de l’adjectif « vastissime » par exemple. 17 Antoine VOLODINE, Le nom des singes, Paris, Minuit, 1994, p. 23. 18 Ibid., pp. 44-45. 19 Olivier BESSARD-BANQUY parle d’« un exhibitionnisme permanent qui transforme l’individu contemporain en voyeur malgré qu’il en ait [...] » - « Sexe et littérature », Le magazine des livres, n°25, été 2010, p. 4. Actes de la SESDEF 2011-2012 19 l’intimité, jadis tue, [et] aujourd’hui évoquée comme n’importe quelle autre question dans la sphère publique20 ». Mais bien que les langues se soient déliées dans les œuvres littéraires également21, de cet épanchement aucun surgissement vraiment neuf pour ce qui est de la nomination « de la chose » et, hors littérature, du côté d’un certain rap pur et dur, on aurait même tendance à s’enliser dans la vulgarité et les clichés machistes. Nommer l’acte sexuel reste donc in fine délicat et, semble-t-il, le restera toujours - embarras langagier que l’on pourrait néanmoins estimer à la fois stimulant et joyeux. Alors en utilisant dans Le nom des singes « suruquer » plutôt que copuler par exemple ou faire l’amour, présents ailleurs dans son édifice romanesque, Volodine refuse de donner aux lecteurs une « définition » toute faite et les renvoie à leurs propres expériences et peut-être aussi à leurs propres tentatives de nomination. Ce faisant il n’innove pas car d‘autres écrivains avant lui ont interrogé ce champ ; on doit par exemple à Rabelais les expressions « faire la bête à deux dos » ou « faire combrecelle22 » et à Proust « faire catleyas23». Mais dans l’avertissement de Le sexe et l’effroi, Pascal Quignard rappelle ceci : « L’éros est une plaque archaïque, préhumaine, totalement bestiale, qui aborde le continent émergé du langage humain acquis […]. Les sociétés et le langage ne cessent de se protéger contre ce débordement qui les menace24 ». Faire œuvre d’écrivain c’est donc sûrement cela également : ne pas céder face au silence imposé ou savamment orchestré ; travailler le langage comme nous travaille le désir pour tenter d’en rendre compte. Ouvrage à reprendre indéfiniment car à l’autre extrémité de son texte Quignard nous rappelle que la jouissance est, jour après jour : « une nouvelle improvisation qui n’est jamais dans les mains du langage25 ». Une question dès lors se pose : l’expression volodinienne a-t-elle une spécificité autre que sa nature néologique ? Même s’il ne s’agit jamais du thème central de ses œuvres, suruquer, ou équivalent lexical plus connu, est suffisamment présent pour n’être pas oublié : qu’on pense par exemple à la toute jeune Minesse qui, dans Nos animaux préférés, doit, pour la première fois rencontrer le roi Balbutiar et être « honorée » par lui. Ses inquiétudes et ses rêves - c’est-à-dire les histoires qu’elle se raconte et les mots employés pour ce faire - ainsi que les discours stéréotypés de ses 20 Ibid., p. 7. « [L]a littérature peut-elle prétendre dire quelque chose du monde sans parler de cette extraordinaire mutation des mœurs ? La littérature blanche est donc devenue de plus en plus sexualisée. [...] Entre Michel Houellebecq et Virginie Despentes, entre Catherine Millet et Catherine Breillat, la littérature du sexe aujourd’hui hésite entre le récit et la spéculation, entre le roman et l’analyse, pour faire réfléchir tout en faisant frissonner, parfois pour séduire, plus souvent pour surprendre, sinon pour écœurer. » Ibid. pp. 5-6. 22 « Faire la bête à deux dos » est attesté avant Rabelais dans Cent nouvelles nouvelles [1467] ; les deux autres expressions se trouvent dans le chapitre 14 de Pantagruel. 23 « La métaphore « faire catleya », devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de possession physique - où d’ailleurs on ne possède rien - survécut dans leur langage, où elle le commémorait, à cet usage oublié. Et peut-être cette manière particulière de dire « faire l’amour » ne signifiait-elle pas la même chose que ses synonymes. » - Marcel PROUST, Du côté de chez Swann [1913], Paris, Gallimard [1954], coll. « Folio », 1984, p. 275. 24 Pascal QUIGNARD, Le sexe et l’effroi, Paris, Gallimard [1994], coll. « Folio », 1996, p. 12. 25 Ibid., p. 339 (cela correspond à l’avant-dernier chapitre). 21 20 D. Soulès compagnes de Harem26 disent bien, ceux-ci surtout, la difficulté, mais la nécessité aussi, semble-t-il, de cette parole sur la place publique. S’interroger sur la nomination de l’intime et en proposer une tentative, même quelque peu biaisée, est aussi faire acte politique. En effet c’est ne pas céder au refoulement de la parole sexuelle mais c’est aussi signifier la difficulté de trouver dans la sphère politique (au sens large du grec polis) une place pour les mots de l’intime - facilement galvaudé par quelques clichés. On peut penser que la littérature incarne cette limite, cette ligne de partage entre espace public et espace privé et permet, à grande échelle, le questionnement de chacun. Que l’auteur opte pour un néologisme sexuel, et le lecteur de réfléchir sur les stéréotypes et les dépasser ; dans cette perspective, suruquer serait un mot silencieux, qui signifie sans rien dire, ou plus précisément qui ne dit rien d’autre que la possibilité offerte pour la nomination. Se souvenir de la distinction latine de silere et tacere, deux verbes qui renvoient au silence, peut alors être utile ; silere, être silencieux, correspond plutôt à un état (passif) ; tacere renvoie lui à un acte : taire, volontairement, quelque chose. Au silere de la langue de bois et des stéréotypes portés par la rumeur ou griffonnés dans les toilettes publiques27, Volodine oppose le tacere, un silence actif, véritable acte de parole ; et dans ce jeu du silence et de la parole, on peut voir une place délibérément laissée libre par l’auteur pour les « fioritures » personnelles de chaque lectrice ou chaque lecteur... Reproduisant à l’intérieur de ses textes la façon dont les mots travaillent la langue, reproduisant aussi la façon dont ils s’y font une place parfois spécifique, Volodine met en garde le lecteur contre le matériau même qu’il utilise pour cette mise en garde, à savoir les mots. Parfois objet de délice, ils peuvent l’être aussi de délit, ce que Volodine veut rappeler ; jouer sur la langue et avec elle prend donc chez cet auteur un tour certes linguistique - comment en serait-il autrement ?... - mais politique également et ce, éminemment si le lecteur parvient à comprendre les enjeux et les mises en jeu de certains néologismes dont « suruquer », autant que « volatilisation » mais sur un autre mode, est un exemple particulièrement éloquent. Locutions falsifiées Loin de se limiter à un travail sur l’anthroponymie ou sur des mots isolés qui appellent des hors textes historico-politiques, cette œuvre reprend aussi à son compte des proverbes ou des expressions figées ; elle se les approprie par le biais de distorsions revivifiantes qui renvoient cette fois au monde fictionnel de l’œuvre et à 26 « Minesse reprit mot pour mot ce que déjà elle avait entendu de la bouche des autres ; sa narration fut une synthèse des confidences de la rousse Souphiyane, de Nakao la Levantine, de Gigi du Port des Parfums, et elle la pimenta avec des détails empruntés aux fables salaces de la pétulante Salamba, récemment garrottée sous les douches pour impudeur. » De ces récits, on lit plus loin que « les témoignages sur le coït royal se ressemblaient tous, et les outrances imprévues du souverain surgissaient à des moments de la narrations si prévisibles que leur caractère fantaisiste perdait son sel. » - Antoine VOLODINE, Nos animaux préférés, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2006, pp. 113 et 137. 27 Minesse a puisé « son vocabulaire technique dans les graffitis des bains-douches et dans les murmures sales que les favorites produisaient parfois dans leur sommeil […] » - Ibid., p. 122. Actes de la SESDEF 2011-2012 21 son fonctionnement littéraire. Si la façon de procéder - c’est-à-dire la distorsion cidessus évoquée - et son bénéfice - le côté revivifiant de celle-ci - permettent de désigner globalement un mode d’intervention linguistique, on peut néanmoins y distinguer différents ensembles thématiques, parmi lesquels des variations sur le champ lexical du corps. Si l’on envisage par exemple l’expression : « les murs ont des oreilles », elle est suffisamment répandue, connue et comprise pour que son sens ne fasse mystère pour personne ; que Volodine l’emploie ne surprendrait donc pas le lecteur, ni ne l’intriguerait. Mais ce n’est pas exactement ce qu’il fait... Dans deux de ses romans, c’est en creux que cette expression est présente cédant la place d’une part à la phrase : « une oreille malveillante qui traîne derrière les murs28 », d’autre part à cette proposition : « les oreilles qui truffaient nos murs29 ». Dans les deux cas, la situation du personnage-narrateur en proie à un adversaire identifié qui cherche à obtenir de lui des informations, exige que certaines précautions soient prises : « nous ne parlions jamais ouvertement [...], même à voix basse30 », lit-on dans Le port intérieur ; et dans Nuit blanche en Balkhyrie : « dès que nous remarquions une prise électrique suspecte, nous tenions devant elle des monologues décousus ou métaphoriques, afin de semer le trouble parmi les espions éventuels31 ». Si l’expression « les murs ont des oreilles » est originellement à prendre au sens figuré, sa réécriture volodinienne redonne aux oreilles leur nature première, concrète et corporelle, et permet au lecteur non seulement d’apprécier l’inventivité de l’auteur mais aussi d’entendre rétrospectivement avec une acuité comme décuplée, d’entendre donc, dans cette expression connue de tous, le passage du concret au figuré. En outre le contexte dans lequel s’inscrivent ces nouvelles expressions justifie, ou mieux génère, leur nouveauté dont on s’aperçoit par conséquent, une fois de plus, qu’elle ne relève pas d’un geste linguistique gratuit. Si on se limite à l’exemple de Nuit blanche en Balkhyrie, c’est la fin du paragraphe dans lequel est insérée la proposition, « les oreilles qui truffaient nos murs », qui explique en partie la présence des oreilles et le renouvellement ainsi produit d’une expression usuelle. L’hôpital psychiatrique dans lequel évoluent les personnages est en effet équipé de caméras de surveillance désignées ainsi : « l’œil glauque des objectifs » ; par contamination pourrait-on dire, l’image s’étend d’une expression à l’autre et si la locution l’œil de la caméra passe linguistiquement inaperçue, les oreilles du mur nettement moins lorsqu’elles deviennent sujet grammatical de la phrase ou même substantif précisé par le complément du nom mur. En outre Nuit blanche en Balkhyrie est une œuvre dans laquelle évoluent les pensionnaires d’un hôpital psychiatrique dont certains, comme les psychotiques, ont un rapport au corps particulier. Une fois encore la place manque pour le montrer avec précision mais la mention de ces oreilles murales rendues quasiment visibles fait aussi écho à cette problématique somatique qui traverse le roman ; lui fait écho peut-être 28 Antoine VOLODINE, Le port intérieur, Paris, Minuit, 1996, p. 11. Antoine VOLODINE, Nuit blanche en Balkhyrie, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1997, p. 29. 30 Antoine VOLODINE, Le port intérieur, op.cit., ibid. 31 Antoine VOLODINE, Nuit blanche en Balkhyrie, op.cit., p. 30. 29 22 D. Soulès pour la signaler discrètement, mais surtout pour renforcer la cohésion de l’œuvre et ainsi sa cohérence. Ces exemples, que l’on pourrait multiplier32, montrent comment Volodine n’hésite pas, au contraire, à remettre en jeu le langage de façon presque paradoxale puisque à la fois discrète et puissante. Discrète car les expressions étudiées s’insèrent au milieu de phrases plus « banales » qui loin de signaler les forgeries volodiniennes, les masqueraient plutôt ; puissante en raison des légitimations littéraires multiples que contiennent ces expressions au sein des œuvres dans lesquelles on les trouve. En effet, outre la particularité contextuelle qui nourrit chacune d’elle et qu’en retour elle amplifie, les échos de l’une à l’autre révèlent les morceaux d’un corps ou peut-être même un corps en morceaux et tissent un lien entre différentes œuvres renforçant ainsi l’unité de l’édifice romanesque « post-exotique » et rappelant une problématique qui, de façons diverses, traverse cet édifice : celle du corps, de sa constitution et de la nature de ses éléments constitutifs33. Dans cette perspective, que l’on prenne le jeu volodinien sur le langage à l’échelle du mot, remplacé ou transformé, ou à celle, plus large, du « post-exotisme » comme édifice romanesque ; que l’on prenne en compte ce travail linguistique dans une microstructure, la phrase, ou dans une macrostructure, une œuvre romanesque déjà abondante et toujours en cours, il apparaît que l’écrivain est très régulièrement 32 On trouve dans les deux romans précédemment cités un autre exemple de création linguistique corporelle qui concerne cette fois les os. Dans Nuit blanche en Balkhyrie, alors que l’on signale à Breughel, personnage-narrateur central, l’éventualité qu’il soit tué ainsi que la prisonnière qu’il aime, la question qui lui est posée est la suivante : « si on te tue mort [...] vous resterez ensemble corps et os ? » (p. 119). Là où le français usuel attendrait « corps et âme », Volodine propose « corps et os » (Antoine VOLODINE, Le port intérieur, op.cit., p. 55) jouant d’une paronomase approximative mais suffisamment parlante pour qu’une fois encore le lecteur, face à cette expression inconnue de lui, reconnaisse celle, déjà existante, et perçoive ainsi le travail d’écriture de l’écrivain. Une fois de plus, la valeur de l’expression « corps et os » ne se limite pas à sa nouveauté ; elle s’enrichit en effet de ses rapports au contexte et condense d’une part la notation réaliste de la mort évoquée d’un point de vue strictement matérialiste - car à ce moment-là, nous ne serons effectivement que corps et os - d’autre part pour certains psychotiques le rapport au corps problématique précédemment évoqué et incarné dans le soldat qui interroge Breughel. Quant à Le port intérieur on y lit la phrase « tu rames os pour os » ; au premier abord surprenante, voire hermétique, elle répond aux mêmes critères d’analyse que la précédente : réécriture d’une expression avérée en français, en l’occurrence « œil pour œil » ; utilisation de la paronomase laissant transparaître l’expression initiale et révélant la création de l’auteur ; pertinence contextuelle - le personnage est prisonnier d’une foule et chacun amaigri, amoindri, défaillant, en un mot n’ayant que la peau sur les os, lutte à mort en rendant coup pour coup afin de ne pas rester prisonnier de la situation. 33 On peut penser à ces exemples extrêmes que sont les squames quasiment végétaux qui constituent le corps de Will Scheidmann dans Des anges mineurs : « Sous l'influence des brumes radioactives de l'hiver, ses longues squames de peau malade étaient devenues d'imposants goëmons. Vu de loin, Scheidmann s'apparentait à une meule d'algues sur quoi on eût fait sécher une tête. » (p. 150) ; « Les algues de cuir qui bourgeonnaient partout sur son corps l'empêchaient d'avancer, se prenaient dans ses jambes, bruissaient. » (p. 180). On peut songer également à l’indéfinissable hybridité de Balbutiar dans Nos animaux préférés : Au fil des évocations succinctes du corps Balbutiar, personnage principal de Nos animaux préférés, on rencontre des mots appartenant à des champs lexicaux physiologiquement incompatibles tels que celui des ruminants avec « caillette » (p. 25), celui des crustacés ou des insectes avec « ocelles » (p. 31) ou encore celui du daim ou du chevreuil avec « cimier » (p. 120) ou même celui de l’éléphant puisqu’on entend parfois ce personnage « baréter » (p. 61). Actes de la SESDEF 2011-2012 23 soucieux de questions de poétique littéraire et qu’il offre au lecteur qui le désirerait la possibilité de s’y intéresser lui aussi. Conclusion Le terme de cette étude désormais atteint, revenir à son seuil permet d’en comprendre pleinement le titre, même si l’onomastique truquée, les néologismes piégés et les locutions falsifiées ne recouvrent qu’une part de cette « langue chahutée d’Antoine Volodine ». Ne se contentant pas d’utiliser la langue commune comme on emprunte les transports en commun, l’auteur très régulièrement s’en empare pour la faire sienne, c’est-à-dire pour en refuser le prêt-à-parler - et donc le prêt-à-penser. Ne le faisant jamais de façon didactique à la manière d’un traité de linguistique, il conduit néanmoins le lecteur à s’interroger, au-delà des fictions mais par leur biais, sur la façon dont une langue se constitue, sur ses (més)usages possibles mais aussi sur les réflexes linguistiques des êtres parlants que nous sommes tous. Donnant à lire une œuvre dont l’une des caractéristiques réside indéniablement dans la présence conjointe du plaisir linguistique poétique et de la réflexion politique qui en sourd, Volodine réalise ce que Roland Barthes appelle de ses vœux chez l’écrivain, lorsqu’il mâtine sa langue de « vibrations, [de] machineries, [de] saveurs34 » qui lui sont propres et donnent à celle-ci la résonance particulière qu’on lui connaît. Bibliographie BARTHES Roland, Leçon (leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France), Paris, Seuil [1978], coll. « Points essais » [1989] 2002. BESSARD-BANQUY Olivier, « Sexe et littérature », Le magazine des livres, n°25, été 2010, pp. 4-7. BONOMO Sara, « Entretien avec Volodine » dans MAJORANO Matteo (dir.), Le goût du roman, Bari, B.A. Graphis, 2002, pp. 243-254. KLEMPERER Viktor, Lingua Tertii Imperii. Notizbuch eines philologen, [1947] (traduction de l’allemand d’Elisabeth Guillot) LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. « Agora », [1996] 1998. PROUST Marcel, Du côté de chez Swann [1913], Paris, Gallimard [1954], coll. « Folio », 1984. QUIGNARD Pascal, Le sexe et l’effroi, Paris, Gallimard [1994], coll. « Folio », 1996. RUFFEL Lionel, Volodine post-exotique, Nantes, Cécile Defaut, 2007. VOLODINE Antoine, Biographie comparée de Jorian Murgrave [1985], Paris, Denoël, coll. « Des heures durant... », 2003. VOLODINE Antoine, Des enfers fabuleux [1988], Paris, Denoël, coll. « Des heures durant... », 2003. VOLODINE Antoine, Lisbonne dernière marge, Paris, Minuit, 1990. 34 Roland BARTHES, Leçon (leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France), Paris, Seuil [1978], coll. « Points essais » [1989] 2002, p. 20. 24 D. Soulès VOLODINE Antoine, Alto solo, Paris, Minuit, 1991. VOLODINE Antoine, Le nom des singes, Paris, Minuit, 1994. VOLODINE Antoine, Le port intérieur, Paris, Minuit, 1996. VOLODINE Antoine, Nuit blanche en Balkhyrie, Paris, Minuit, 1997. VOLODINE Antoine, Des anges mineurs, Paris, Minuit, 1999. VOLODINE Antoine, Nos animaux préférés, Paris, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2006. VOLODINE Antoine, Écrivains, Seuil, « Fiction & Cie », Paris, 2010. VALTAT Jean-Christophe, « Entretien avec Volodine », Prétexte, numéro Ultimum, été-automne 1999, pp. 57-64. WAGNEUR Didier : « On recommence depuis le début... », dans ROCHE Anne et VIART Dominique (dir.), Écritures Contemporaines 8 : Antoine Volodine fictions du politique, Caen, Lettres Modernes Minard, 2006, pp. 227-277 disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.editionsverdier.fr/v3/auteur-bassmann-7.html.