Saisie de monnaie contrefaisante et administration de la preuve

Transcription

Saisie de monnaie contrefaisante et administration de la preuve
Saisie de monnaie contrefaisante et administration
de la preuve devant les juridictions françaises
Le but de cette présentation est de montrer dans quelle mesure l'obligation de transmettre les
billets et pièces de monnaies contrefaisantes libellés en euros est compatible avec les règles de
preuves en vigueur devant les juridictions françaises.
Première Partie : Les règles de principe en matière de preuve
Pour comprendre le système français, il faut s'attacher aux règles générales relatives à la
preuve et déterminer qui est en charge de son administration, c'est à dire en pratique, qui conduit la
procédure judiciaire pénale.
I. la charge de la preuve
La preuve incombe au demandeur :
actori incumbit probatio
onus probandi incumbit ei qui dicit
La preuve incombe au demandeur (art 1315 code civil), donc en matière pénale, au
procureur de la République. Ce principe est énoncé en matière pénale dans le principe de la
présomption d'innocence, qui est avant tout une règle de preuve.
Présomption d'innocence:
Art 9. Déclaration des droits de l'homme de 1789 : « tout homme est présumé innocent
jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable »
Art. Préliminaire. II CPP (reprise d'éléments de l'art 6 CEDH) : toute personne suspectée
ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie.
Il est évident que la preuve de la culpabilité doit nécessairement être rapportée par la
personne qui accuse.
II. L'administration de la preuve
A. la liberté de la preuve
Article 427 CPP :
Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout
mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction.
Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des
débats et contradictoirement discutées devant lui.
« tout mode de preuve » : permet une très grande souplesse, les tempéraments relèvent
surtout du mode d'obtention des preuves : par exemple, s'agissant de fausse monnaie, la preuve peut
être constituée par la présentation des billets placés sous scellés, par un rapport d'expert établissant
que les billets qui lui ont été présentés sont contrefaits, ou par le simple aveu de l'auteur des faits
qu'il avait connaissance du caractère contrefait.
« au cours des débats »...« devant lui » : Cette règle indique que lors de l'audience, il faudra
discuter les preuves et les charges à l'encontre de l'accusé ou du prévenu (cf art. 455, infra)
B. Rôle du procureur et des parties dans l'établissement de la preuve dans un système
inquisitoire :
Le système pénal français est de nature inquisitoire, tempéré par des éléments de
contradictoire:
Ces preuves sont réunies dans la plupart des cas par la police judiciaire agissant sous
l'autorité du procureur, qui dirige l'enquête judiciaire et peut requérir tous examens techniques (art
60 et 77 CPP).
Dans le cadre de procédures criminelles ou de procédure délictuelles complexes, c'est un
juge d'instruction qui est saisi de la conduite des investigations. Il détient alors le pouvoir de
rechercher lui même la preuve, pouvoir généralement délégué à des enquêteurs (commission
rogatoires) ou à des experts (mesures d'expertise technique).
Au stade préliminaire, c'est donc le procureur de la République ou le juge d'instruction qui
administre matériellement la preuve. C'est sous son autorité que les scellés sont constitués.
S'agissant de la monnaie, c'est ce magistrat qui prendra la décision de remettre ou non des
billets contrefaisants au centre d'analyse.
Les parties (défense et partie civile) peuvent faire des demandes, notamment de contre
expertise. Mais ce pouvoir est strictement encadré (art 82, art.175 CPP).
Lors de l'audience, c'est le juge qui conduit les débats et qui matériellement va présenter aux
accusés ou prévenus les éléments de preuve réunis à son encontre. La juridiction de jugement a le
pouvoir de rechercher elle même la preuve des infractions dont elle est saisi (pouvoir d'ordonner des
supplément d'information).
Lors de l'audience, si c'est le juge qui dirige les débats, il appartient au procureur d'établir
formellement lors de réquisitions orales la matérialité de l'infraction (preuve de la culpabilité puis
demande de sanction).
En pratique, les juridictions utilisent peu les suppléments d'information, et les débats se
jouent entre accusation (qui supporte la charge de la preuve) et la défense.
***
Deuxième partie : L'adaptation des règles de preuve s'agissant de fausse monnaie
Des règles spéciales s'appliquent, tirés de la nature illicite de la fausse monnaie, et des
obligations spécifiques tirées du droit européen.
I. La recherche de la preuve :
La loi prévoit la recherche et la saisie des pièces à conviction.
Article 56 et 97 du CPP
Si la nature du crime est telle que la preuve en puisse être acquise par la saisie des papiers,
documents, données informatiques ou autres objets en la possession des personnes qui paraissent
avoir participé au crime ou détenir des pièces, informations ou objets relatifs aux faits incriminés,
l'officier de police judiciaire se transporte sans désemparer au domicile de ces derniers pour y
procéder à une perquisition dont il dresse procès-verbal. (...)
Dispositions spéciales en matière de saisie de fausse monnaie :
Lorsque la saisie porte sur des billets de banque ou pièces de monnaie libellés en euros
contrefaisants, l'officier de police judiciaire doit transmettre, pour analyse et identification, au
moins un exemplaire de chaque type de billets ou pièces suspectés faux au centre d'analyse
national habilité à cette fin. Le centre d'analyse national peut procéder à l'ouverture des scellés.
Il en dresse inventaire dans un rapport qui doit mentionner toute ouverture ou réouverture des
scellés. Lorsque les opérations sont terminées, le rapport et les scellés sont déposés entre les mains
du greffier de la juridiction compétente. Ce dépôt est constaté par procès-verbal.
Les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsqu'il n'existe qu'un seul exemplaire
d'un type de billets ou de pièces suspectés faux, tant que celui-ci est nécessaire à la manifestation
de la vérité.
Ces dispositions spécifiques sont le fruit de la transposition du règlement 1338/2001, article
4 et 5.
II. la destination des scellés
En principe les pièces à conviction sont gardées à disposition jusqu'au terme de la procédure.
En effet, une règle de preuve précise l'impose directement.
Article 455 CPP
Au cours des débats le président fait, s'il est nécessaire, représenter au prévenu ou aux
témoins les pièces à conviction et reçoit leurs observations.
Cette règle est utile à l'administration de la preuve de l'existence des crimes ou délit en
matière de fausse monnaie. Elle doit permettre de s'assurer que les éléments constitutifs de
l'infraction sont bien caractérisés. Il peut être essentiel que le juge puisse dans certains cas
apprécier la bonne foi des personnes poursuivies (pour le délit de mise en circulation notamment) et
constater dans quelle mesure les billets pouvaient faire illusion
Cependant, avant le procès, les pièces à conviction peuvent faire l'objet de mesures
d'investigations. Ce peut être bien entendu le cas en matière de fausse monnaie aux fins de
recherches traces papillaires et ADN sur les billets, ou aux fins de comparer la production d'un
matériel de contrefaçon avec des billets saisis.
La conduite de la procédure et des investigations judiciaires peut nécessiter une
transmission:
Article 60 et 77 du code de procédure pénale prévoient le recours à toute personne qualifiée
pour tout examen technique ou scientifique.
Art 156 : dispositions sur l'expertise, qui prévoient la transmission, à un tiers de pièces à
conviction L''art 163 al 2 prévoit un moyen de préserver l'intégrité des pièces à convictions,
s'agissant des pouvoirs d'ouverture et reconstitution des scellés.
Le droit français admet donc une transmission temporaire dans le cadre de toute procédure,
pour les nécessités de l'enquête.
C'est ce même procédé qui a été adapté aux obligations de transmission des billets de
banque aux autorités monétaires :
Le centre d'analyse national peut procéder à l'ouverture des scellés. Il en dresse inventaire
dans un rapport qui doit mentionner toute ouverture ou réouverture des scellés. Lorsque les
opérations sont terminées, le rapport et les scellés sont déposés entre les mains du greffier de la
juridiction compétente. Ce dépôt est constaté par procès-verbal.
Le droit français formellement ne prévoit donc pas qu'on transmette irrémédiablement les
pièces à conviction pendant la procédure judiciaire.
Par ailleurs, l'obligation de transmettre ces éléments, dans un cadre judiciaire, peut avoir une
utilité pour l'enquête, car l'analyse faite par le centre national d'analyse peut être utilisée comme un
élément de preuve.
Le rapport du centre d'analyse, en France, la Banque de France peut être être versé au
dossier et peut constituer un élément de preuve au sujet de la nature contrefaisante des billets.
Les experts du centre d'analyse peuvent cités lors du procès, au tribunal correctionnel ou aux
assises, pour communiquer le résultat de leurs travaux d'analyse.
Si il s'agit d'une contrefaçon connue, un procès verbal de police mentionnera la référence
sous laquelle celle ci est répertoriée
Si il s'agit d'une nouvelle contrefaçon, elle sera détaillée et un rapport complet sera versé en
procédure.
On pourrait rapprocher de la pratique en matière de produits stupéfiants : des prélèvements
sont effectués dans le but de procéder à des expertises. Les éléments de preuve sont constitués du
procès verbal de pesée et du rapport d'expertise technique donnant les indications sur la nature
exacte du produit, sa composition, sa pureté .
Cas particulier de la transmission de billets contrefaits à la BCE
La BCE souhaite se voir transmettre des billets, pour analyse, mais surtout aux fins de
calibrage des machines de détection des faux. Si cette transmission n'est pas prévue par la loi
française, rien à mon sens ne s'oppose à ce que la banque de France, en tant que centre national
d'analyse, ne remette une partie des billets qui lui sont transmis à la BCE.
III. La disposition des scellés en fin de procédure :
S'agissant du retour des scellés d'argent du centre d'analyse, celui ci est fait aux services de
police judiciaire, en réalité seulement lorsque demande expresse est faite
Le détenteur initial ne peut pas en demander restitution car la confiscation de la fausse
monnaie est prévue par la loi (art 99 CPP).
La destruction peut être ordonnée car la détention est illicite (art 99-2 al 3).
S'agissant de monnaie contrefaite, les fausses coupures sont transmises par les greffes des
tribunaux à la banque de France, en application des articles 56 et 97 CPP (précités).