MyFlag, social networking et réappropriation dialogique - Art-Act
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MyFlag, social networking et réappropriation dialogique - Art-Act
MyFlag, social networking et réappropriation dialogique Lilith Knup Traces de soi À l’aune des phénomènes d’agrégation offerts par les forums, mailing-listes, chats et autres protocoles de communication, le web 2.0 est annonciateur de nouveaux usages. Les dispositifs de connexion personnalisés et modulables incarnés par le réseautage social du type Myspace, Facebook ou Skyblog engagent ce que Laurence Allard définit comme l’extime : le moi exposé, projeté et relié aux autres représentations individuelles. Le corps virtuel est un corps de données déplacé et réagencé sur des territoires modulables, ceux d’interfaces préprogrammées et destinées à restituer l’imprégnation d’une diversité d’environnements au contact de l’individu. L’internaute ne s’inscrit plus dans une perspective déictique, montrant, révélant, archivant suivant des logiques traditionnelles de monstration – comme le préfiguraient les premiers sites HTML – elle tient plus en un réagencement perpétuel et l’indexation relationnelle de l’information est permise par des moyens techniques à forte capacité d’archivage et agencement. Le postulat idéalisé d’une interconnexion appliquée à tout usager se voit contredit par le souhait permanent des sphères hacktivistes de distinguer la sphère publique de la sphère privée. En raison de ses nombreuses élaborations techniques, philosophiques et artistiques, les réseaux sociaux induisent en soi une perception dialogique où l’intégrité se formule dans une manifestation éthique - celle de conserver une essence propre et la dimension réflexive du net tend à imposer une vision panoptique et paranoïaque. Composant entre ces paradoxes, l’artiste numérique syncrétise ces territoires, oscille entre la médiation et le communicare initial, celui de la communion. Le networking social devient assurément un lieu marqué par la complexité et l’enchevêtrement de son architecture, il organise des dispositifs machiniques et les usagers en sont alors les opérateurs réticulaires. Considérant cette complexité d’intégrations individuelles au sein d’un réseau, la vocation première prétendument affichée par les prestataires du web s’est-elle avérée ? Concrètement, pour poser autrement la question, les internautes bénéficient-ils réellement de plus de convivialité, d’humanité, de chaleur et communication ? Tout cela crée-t-il du lien ? Ces questions sont particulièrement d’actualité, dès lors que l’individu se voit pris en étau entre un environnement social en déliquescence soumis à des fluctuations (chômage, consommation, santé…) et des univers fantasmés permettant le plein accomplissement de toutes les volontés. Une redéfinition de l’espace, provide : fournir, stipuler, engager… De ce fait, si ces prestations s’offrent sous des abords des plus ludiques, elles induisent de cerner d’abord la notion de dispositif. Fonctionnant sur un principe d’échanges et de réciprocité, les dispositifs engagent des énergies, des actions destinées à un public : un récepteur. Lequel est consentant ou pris à parti involontairement. Ce dernier se déplace en un lieu, en un contexte donné, exceptionnel ou habituel, et aussi en un temps déterminé. Celui qui pose les conditions nécessaires au déroulement pleinement opérationnel du dispositif, nous pourrions le résumer en qualité d’acteur ou de provider. Nous empruntons volontiers le terme à l’anglais pour sa force polysémique, laquelle induit d’abord le fait de fournir mais aussi de stipuler ou encore d’assurer. Car si le provider iintervient n d dans u un a acte t d dea don, d neil i cop o èreleaussi n o comme rt p prescripteur, sevn envisageant i, e un ensemble d’hypothèses à vérifier ou pas, à placer dans une logique d’efficacité et de fonctionnalité. Nul doute que le dispositif incarne une autorité, une sacralité, propriétés fort convenantes dans nombre d’œuvres d’art numériques et interactives. Or, quiconque se plonge dans la conception de dispositifs, sous couvert d’œuvres participatives, ne laisse que peu de place à l’aléa et imprévus, ceux de la contre-réaction, ceux du refus dynamique, ceux de l’interrogation ou de la reformulation. Ce n’est donc qu’avec une certaine méfiance que nous appréhendons nombre d’expositions orientées sur les nouvelles technologies, souvent fascinés par la monumentalité ou encore la préfiguration, l’insertion de sophistications et autres incongruités établies entre l’art, la science, la biotechnologie, l’éthique et le commerce - propriétés contre lesquelles le Critical Art Ensemble n’a de cesse de prévenir. De telles circonstances ne font pas modèle et les démarches ancrées dans des questionnements d’actualité, propres aux réseaux et leurs enjeux, peuvent revêtir d’autres formes moins attendues. En guise d’exemple, nous étudierons « MyFlag » production réalisée par l’entité Art-Act comme réflexion sur le détournement et la reformulation de vocabulaires spécifique au social networking. S’accrocher plutôt que s’enfuir Art-Act, outre sa qualité de plateforme théorique et documentaire sur des champs artivistes, a engagé depuis plusieurs années une position visant à déstabiliser l’hégémonie d’un modèle artistique formateur unique, quadrillant et rationalisant les circulations au sein d’espaces dits « publics ». Si l’urbanisme figure logiquement le terrain de jeux de tels agissements, Art-Act ne s’y est que peu appliqué. À l’inverse de nombreux groupes activistes situant leurs actions dans la rue, les membres d’Art-Act s’attachent à déterminer une implication et surtout une pensée critique du virtuel comme espace d’autoreprésentation et d’agissement. Fidèles à une définition Foucaldienne, ils considèrent le réseau comme matière stratifiée, couverte et recouverte d’aménagements, de mesures et énoncés, de temps simultanés et achroniques, en somme : un modèle hétérotopique. MyFlag, travail engagé dès septembre 2007 et encore en développement, serait un dispositif de type phorésique (du grec Φορος - phoros, porter), c’est-à-dire le transport d’un organisme par un hôte. À l’identique du ré r mora, poisson parasite suivant à la trace les requins ou autres grands spécimens marins, Art-Act a fait le choix d’implanter son dispositif de communication et de génération artistique sur Myspace, emblème du web 2.0 et de l’autoreprésentation. Célèbre pour sa capacité à relier par centres d’intérêts les membres de la communauté, Myspace est surtout connu pour sa capacité à produire de la notoriété, plusieurs musiciens et groupes en faisant un usage promotionnel. Définie comme une « interprétation d’anthropologie visuelle », MyFlag détourne les modèles d’automatisation à son avantage en usant d’un générateur de bannières pirates calquées sur le modèle du Jolly Roger. Dès 1700, le drapeau à tête de mort symbolisait une affirmation de la liberté et de l’indépendance, annonciation symbolique d’un refus d’assimilation à toute corporation ou état. Le pavillon faisait office de représentation, d’extension de l’individu et de son équipage, par son accrochage annonçait ses intentions. Dans une actualisation contemporaine et virtuelle, deux problématiques fondamentales se dégagent : Tout d’abord, s’il est certain que l’évènement politique contestataire se voit esthétisé, trop souvent résumé à des postures, alors il est nécessaire de réfléchir aux symboles employés et injectés dans la production artistique. Sous le motif du rejet, nombreux sont les artistes-activistes à adopter des formes déceptives, minimalistes voire imprégnées par une culture de la marginalité. Il n’est pas rare de visiter des sites internet dont les contenus se veulent subversifs et adoptent des codes graphiques propres aux années 90-95 (polices de caractères Courrier sur fond blanc, effacement volontaire de l’image, photomontage approximatifs…), ce qui en soi n’aboutit qu’à une énième stigmatisation consensuelle. Art-Act, à contrario, revendique la perméabilité entre le champ sensible et plastique, celui de la production graphique, photographique, sonore et vidéographique à celui de l’implication et de l’irrévérence. Art-Act, vraisemblablement, ne s’interdit pas d’user de symboles inscrits dans une culture populaire - actualisés dans une époque du design et du motif – pour les réinvestir dans une perspective critique. Si le Jolly Roger était une affirmation de l’autonomie, il était aussi une allégorie, une vanité de l’éphémère et de l’être dans son époque. Aujourd’hui, les générateurs modèlent des vitrines, façades incarnant l’individu dans sa totalité et inscrites au sein d’un réseau palimpseste. Rien n’est immuable, tout est en permanente réécriture, le modèle génératif abonde dans ce sens. C’est l’idéologie qui prime alors, celle de l’interchangeable au détriment de la permanence. La seconde question essentielle porterait plutôt sur le processus d’appropriation d’un modèle génératif. Le dispositif, comme nous l’avons exposé, impose, instaure une logique, celle du montrer, voir, concevoir. De la sorte, la génération par nature déresponsabilise et destitue son utilisateur d’un pouvoir décisif, à savoir l’influence qu’il peut opérer sur son environnement, puisque le résultat produit dépend de facteurs indépendants de l’utilisateur. La génération indéniablement fascine, séduit, mais échappe au contrôle du destinataire car pleinement maîtrisée par le provider. La pleine interaction du dispositif n’est qu’illusoire puisque les paramètres sont posés sur des plages aléatoires, seules des conditions demandent à être vérifiées. Myspace fonctionne de façon similaire, car outre les restrictions d’usages imposées (publication, publicité, filtrage des contenus) et le manque d’ascendance laissé sur l’espace d’hébergement, il est éternellement modulable et régi par des normes, lesquelles suivent des frontières précises menant inévitablement à un nivellement des individualités. Art-Act nourrit simultanément un discours critique à l’égard de cette omnipotence (le propriétaire de Myspace n’est autre que Rupert Murdoch, magnat des media américains) mais fait délibérément le choix d’un parasitage, d’une inscription au cœur de l’essaim, conformément à son voeu d’opérer suivant une politique de la récupération et bousculer l’ensemble de règles cellulaires, de normes, […] pour en ré-inventer les modalités dans des formes sans cesse renouvelées. Territoires, passages à l’acte Au regard des éléments soulevés jusque là, nous pourrions croire que MyFlag n’a que vocation à être hébergé et activé en ligne, auquel cas, son influence resterait tout de même minime. Subversion, le terme n’est pas explicitement dévoilé, mais il transpire d’évidence à la connaissance de l’application réelle proposée, activée par Art-Act. C’està-dire que si l’objectif de l’œuvre consiste à fournir de multiples pavillons, extensions d’une auto-représentation, il ne se résume pas à un simple affichage sur écran. Ce qui institue la mise en branle effective du dispositif et son interaction avec un public, c’est l’impression, l’assemblage et l’accrochage des étendards en zones physiques (urbaines, rurales, privées, publiques, officielles, cachées, spectaculaires…). Chacun d’entre nous peut produire un pavillon, une œuvre autonome à vocation d’affichage, s’excluant même du vouloir des artistes (le générateur leur échappe). L’activation s’accomplit dans le franchissement des limites du réseautage, celui de la notule archivée et de l’intime téléchargé. De la sorte, si le dispositif reliant chaque individu instaure les propres conditions de son aboutissement, alors c’est destituer Myspace du cannibalisme qu’il opère, de l’ingestion des identifications virtuelles. « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde »1 La lucidité qui émane d’un tel constat pousse donc à dépasser les frontières posées pour étendre nos propres mondes. Si l’œuvre générative est fondamentalement transitive c’està-dire qu’elle produit des objets, s’élabore dans une genèse processuelle ; alors par la reterritorialisation que suppose MyFlag, elle devient réflexive. Elle n’est plus représentative – suivant les terminologies de Louis Marin - elle se met en relation avec elle-même, elle a conscience d’elle-même par les conditions qui la détermine. Le passage à l’acte réalise l’œuvre, l’extrait du dispositif et de ses limites, lesquelles ne sont pas seulement de nature spatiale mais encore de nature temporelle en ce sens qu’elle ne sépare pas uniquement un en- deçà et un au-delà au-del mais en outre un avant e et un u 2 après. Il n’y aurait de territoires, pourrait-on conclure que ceux que nous dépassons, dupliquons, créons, ceux que nous envisageons. MyFlag en est alors une possible réalisation... Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 1921, 5.6 Eléments pour une théorie de la frontière, CLAUDE RAFFESTIN, revue Diogène n°134, 1986, p.3-21 3 Toutes les images insérées dans cet article sont produites par les générateurs MyFlag. Autorisation de diffusion donnée par Art-Act. 1 2 Lien MyFlag : http://www.myspace.com/myflag_artact Lien Art-Act : http://www.art-act.net