Lire, dire et jouer des farces / 6e Séquence 1

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Lire, dire et jouer des farces / 6e Séquence 1
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Le quatrième Mur de Sorj Chalandon Séquence 1
Par Sébastien Le Clech et Valérie Monfort
Préparer un plan d'explication de texte autour de la question du
roman historique
Cet exercice peut-être proposé à la fin de la séance 5 « une reconstitution minutieuse de la
guerre au Liban ».
Sujet : Proposez un plan d’explication de texte pour l’extrait des pages 262-263 du
Quatrième Mur de Sorj Chalandon de : « Le jour va se lever» à « Je suis entré.». Vous suivrez
la problématique suivante : « En quoi cette page relève-t-elle du genre du roman
historique ».
Éléments de corrigés
Présentation du texte.
Les massacres de Sabra et Chatila constituent un point culminant dans la violence du conflit
de 1982. Perpétrés entre le 16 et le 18 septembre, ces massacres de réfugiés palestiniens
sont le fait de Phalangistes, encadrés par des troupes de l’armée israélienne. Racontés au
chapitre 19 sous le titre « Antigone », cet épisode du roman lance Georges, à l’aube du 18
septembre, à la recherche d’Imane, son interprète d’Antigone, à travers le camp de Chatila
martyrisé.
1. Un témoignage sur l’événement
Comme Sorj Chalandon, alors journaliste pour Libération, Georges pénètre dans Chatila au
matin du 18, tandis que les massacres se terminent. La page produit ainsi un témoignage sur
l’événement. Toute la nuit, des fusées éclairantes tirées par l’armée israélienne ont illuminé
les lieux, permettant aux Phalangistes d’agir comme en plein jour. « Les fusées éclairaient
encore Sabra ». Le jour qui se lève, « le vrai », vient relayer cette lumière meurtrière.
L’indifférence du soldat israélien qui « fum[e]» et qui «détourn[e] la tête » à l’entrée du
camp, vaut pour l’attitude de complicité passive des forces israéliennes. La brutalité du
spectacle qui suit est rendue par les impressions du témoin. Les impressions visuelles
découvrent progressivement l’importance du massacre et l’étendue de la barbarie, le texte
se développe par seuils successifs « je suis entré dans le camp », « je suis entré en enfer par
un boyau », « j’ai passé la tête […]. Je suis entré. ». Le « premier mort » puis la « première
porte » ouvrent une série aussi macabre que terrifiante. Les impressions olfactives rendent
le choc physique produit par l’expérience du témoin « odeurs d’ordures brûlées », « main sur
la bouche pour chasser la charogne ».
2. Un homme dans la guerre
Le personnage est donc plongé dans une réalité historique qui l’entraîne vers « l’enfer ».
L’énumération qui ouvre la marche confond d’un même mouvement le décor concret de
l’événement et la transformation intérieure qui s’opère en Georges « j’ai laissé la voiture, les
deux hommes et ce qui me restait d’insouciance ». Le texte est envahi par la première
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personne, la violence de l’événement étant renvoyée toute entière sur son témoin « j’ai
reculé » ; « j’ai cherché » ; « j’ai pensé » ; « j’ai vu » ; « je suis entré », accumulation de
verbes d’action traduisant pourtant une impuissance totale. Le récit se fait sec en phrases
brèves ou nominales restituant le souffle court du personnage suffoqué par ce qu’il voit.
« J’ai marché. Avancé en presque aveugle ». La sidération est dans le regard objectif, sans
commentaire : « Il était sur le ventre, écrasé dans la poussière ». La page ouvre donc une
marche orphique de Georges à travers l’enfer de Chatila jusqu’au corps d’Imane. La parole,
démunie, est cependant nécessaire là où s’est installé le silence « j’ai pensé au silence de
Marwan ».
3. Le réel impensable
La réalité historique à laquelle le personnage est confronté est pourtant présentée comme
impensable. Le récit fait entrer le personnage dans un espace d’où l’humanité s’est
absentée : « je suis entré dans le désert ». Le regard « morne » échangé avec le soldat
israélien en est la préfiguration « Plus rien n’était autour de lui ». Les gestes de panique
suscités par la rencontre du premier cadavre conduisent Georges à un vide plus grand
encore « j’ai cherché de l’aide autour de moi ». Le présent ne peut qu’entrer en dissonance
avec toute expérience humaine antérieure « j’ai pensé à Boucle d’or ». De même les signes
visibles de la vie ordinaire du camp ne peuvent plus s’accorder à cette aube martyre :
« pyjama », « les claquettes de la mère, les chaussures des enfants » sont désormais les
signes absurdes d’un avant disparu. Relatant ses « Quatre heures à Chatila » Jean Genet écrit
en 1983 à propos de ceux qui l’accompagnent « si ces cinq ou six êtres humains n’avaient pas
été là et que j’ai découvert cette ville abattue, les Palestiniens horizontaux, noirs et gonflés,
je serais devenu fou. » C’est l’expérience de cette folie que Chalandon propose à son
personnage, en le laissant seul dans Chatila.
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