Prise en charge psycho-oncologique de la jeune femme enceinte

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Prise en charge psycho-oncologique de la jeune femme enceinte
Psycho-Oncol. (2009) 3:81-87
DOI 10.1007/s11839-009-0133-1
ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE
DOSSIER
Prise en charge psycho-oncologique
de la jeune femme enceinte confrontée au cancer
Psycho-oncological care for young women facing cancer and pregnancy
J. Alder · J. Bitzer · A. Brédart
© Springer-Verlag 2009
Résumé Une femme qui développe un cancer durant la
grossesse doit faire face simultanément à deux événements
de vie critiques : la grossesse et le cancer, deux situations qui
se situent aux extrêmes opposés du continuum de la vie. Avec
la grossesse, une nouvelle vie commence ; avec le cancer, ce
sont la fin de vie et la mort qui sont entrevues. D’un point de
vue médical, plusieurs facteurs compliquent cette situation : le
diagnostic est souvent émis avec retard, parce que l’attention
du médecin (et celle de la mère) est centrée sur la grossesse.
L’information fournie est limitée en raison d’un manque de
données statistiques concernant le résultat et les effets des
traitements dans ce contexte. Par ailleurs, plusieurs disciplines
sont amenées à œuvrer étroitement ensemble, et la collaboration entre experts oncologues, obstétriciens, psychologues et
médecins traitants, très importante, peut parfois être difficile.
La prise en charge d’une femme atteinte de cancer qui, de plus,
est enceinte peut également constituer un fardeau psychologique pour le personnel soignant ; une attention particulière
doit être accordée aux ressources personnelles ainsi qu’aux
limites propres à chacun. Les enjeux pour la femme enceinte
atteinte de cancer peuvent être ainsi résumés : donner la vie
tout en étant engagée dans un processus au pronostic vital
parfois compromis ; être submergée par des émotions mais
aussi dotée de ressources adaptatives souvent limitées ;
ressentir une responsabilité à l’égard du fœtus, alors qu’elle
doit également se préoccuper d’elle ; être confrontée à des
options thérapeutiques suboptimales, sans alternative thérapeutique idéale (par exemple entre la perte d’une interruption
de grossesse et la menace de sa poursuite) ; ressentir une
ambivalence envers la chimiothérapie (perçue comme un
poison) ; faire face aux changements de l’image du corps, ceux
J. Alder (*) · J. Bitzer
Hôpital universitaire de la Femme, 46, Schanzenstrasse,
CH-4031 Bâle, Suisse
e-mail : [email protected]
A. Brédart (*)
Unité de psycho-oncologie, institut Curie,
26, rue d’Ulm, 75248 Paris cedex 05, France
e-mail : [email protected]
liés à la grossesse mais aussi ceux liés à la maladie ou à ses
traitements. Après l’accouchement, d’autres enjeux surgissent : la joie de la rencontre avec l’enfant nouveau-né est
contrariée, l’allaitement parfois impossible en raison de la
chimiothérapie post-partum ; les autres enfants doivent être
gardés durant l’administration de traitements lourds ; la mère
et le nouveau-né (prématuré) sont souvent deux patients
pris en charge par des services de soins ; le père ressentira
également de l’ambivalence : de la joie pour le nouveau-né et
de la tristesse pour la mère, avec une crainte constante et
prédominante de perdre la mère. Dans ce contexte, la patiente
et son conjoint doivent recevoir des consultations très
régulières de l’obstétricien et de l’oncologue, ainsi que
bénéficier du soutien d’une équipe psycho-oncologique
expérimentée. Lorsque le choix de poursuivre la grossesse
a été effectué, le couple doit être aidé à établir le lien
avec l’enfant à naître ou qui vient de naître. Lorsque la
grossesse a été interrompue, un soutien doit être fourni à la
fois dans le processus du deuil et dans la poursuite des
traitements. L’intégration du conjoint est particulièrement
importante : le cancer menace toute la famille de séparations
et de pertes. Ces menaces peuvent perturber sérieusement
le cours de la vie familiale, en particulier s’il s’agit d’une
première grossesse et d’un système familial se développant à
peine. Idéalement, le conjoint doit pouvoir jouer un rôle
dans les prises de décision, mais vit, de ce fait, une situation
conflictuelle difficile à communiquer : sa femme porte un
enfant en elle, et il peut ressentir un souhait fort de voir venir
cet enfant ; par ailleurs, il souhaite la meilleure prise en
charge pour son épouse et que celle-ci survive… Enfin, les
changements de rôle dans le couple peuvent être source de
difficultés supplémentaires. La femme qui était, jusqu’ici,
enceinte et en bonne santé est maintenant enceinte et malade,
alors que son conjoint n’est pas malade et ne porte pas
l’enfant. Il peut ressentir la sensation d’une responsabilité
pressante, vécue qu’il peut, là encore, difficilement s’autoriser
à partager.
Mots clés Cancer · Grossesse
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Abstract Women who are diagnosed with cancer during
pregnancy have to deal with two critical life events at the
same time: pregnancy and cancer. More importantly, these
two events lie at the opposite ends of the life continuum.
With pregnancy a new life begins, while the word cancer is
still associated for most people with the end of life and
dying. From a medical standpoint there are several
complicating factors in this situation: diagnosis is often
delayed, because the focus of the physician (and the mother)
is on pregnancy. Information giving is limited by the fact
that there is still a paucity of statistical data on outcome
and impact of treatment options. Also, several disciplines
are forced to work together very closely and the collaboration of oncology, obstetric and psychological experts with
family physicians is both very important yet sometimes
challenging. The task of supporting a pregnant cancer
patient can also mean a psychological burden for the
caregivers and special attention needs to be paid to personal
resources and as well as to each person’s individual limits.
The important issues for a pregnant cancer patient are as
follows: giving life and being in a life-threatening situation
at the same time; experiencing overwhelming emotions
while coping resources may be limited; feeling a responsibility to take care of the fetus/the child and at the same
time needing to be cared for herself; choosing between
treatment options that can only be second-best as there is
no perfect solution (the loss incurred by terminating a
pregnancy or the danger in risking its continuation);
ambivalence towards chemotherapy (a poison); changes in
body image caused by both the pregnancy and the effects of
cancer treatment. In the post-partum period other issues
arise: the joy of childbirth is hampered and breast-feeding
may not be possible because of on-going chemotherapy;
any other children will need minding during particularly
heavy cancer treatment; both mother and child may need
care, if the baby is premature; paternal ambivalence: joy
about the child/sorrow about the mother, with the
predominant issue being the constant fear of losing the
mother. In this context, the patient and her partner need
regular visits (obstetric and oncological) and psychooncological support from an experienced team. If the
pregnancy is continued, the couple will need help in
bonding with the child, both before and after the birth. If the
pregnancy is terminated, the patient needs to be supported
in her mourning process while at the same time helped in
activating the resources needed to go through the treatment
process. Integration of the partner is very important: cancer
threatens the whole family with separation and loss. Such
threats can seriously alter the course of family life,
particularly in the case of cancer in a first pregnancy,
when the family system is only just developing. Ideally, the
partner will play an active part in the decision-making
process, but this is a very difficult situation to be in: the
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woman is bearing a child that he may badly want to see
born, but he also wants the best possible outcome for his
partner and above all does not want her to die. This conflict
is not easy to communicate. A role-change within the
couple can be an additional burden. The woman, who until
now was pregnant and healthy, is now pregnant and ill,
while her partner is neither pregnant nor ill. He may well
be feeling the pressure of such responsibility, but again, in
the present situation this might not be something he feels
he can talk about.
Keywords Cancer · Pregnancy
Introduction
Dans nos sociétés, les femmes sont plus nombreuses à
poursuivre des études longues et à souhaiter fonder une
famille au-delà de 30 ans. Cependant, le risque de développer
un cancer s’accroît avec l’âge. Ainsi, un nombre croissant de
femmes est confronté au diagnostic de cancer du sein durant
la période de la maternité.
Une femme atteinte de cancer, alors qu’elle est enceinte,
doit faire face et s’adapter à deux événements de vie
critiques simultanés, symbolisant à la fois le début et la fin
de la vie. De multiples réactions psychologiques vont dès
lors se manifester.
De nombreuses études ont observé un retard au diagnostic
de cancer du sein chez la femme enceinte. Celle-ci peut, en
effet, être totalement focalisée sur sa grossesse et percevoir
les changements du tissu mammaire comme un processus
physiologique normal. Par ailleurs, l’examen clinique se
concentre souvent sur la région abdominale, et les examens
d’imagerie durant la grossesse doivent être évités.
Une fois le diagnostic réalisé, un retard peut aussi être lié
à la complexité de la décision thérapeutique. Celle-ci implique
deux individus, la mère et le fœtus. La femme est confrontée
au conflit entre les instincts de vie et de préservation de
l’espèce. Le processus de décision médicale doit réserver
une place particulière à l’autonomie de la femme et viser le
traitement optimal pour la patiente au moindre mal pour le
fœtus. Des capacités de communication facilitant la prise de
décision médicale partagée sont particulièrement nécessaires
[1].
Le retentissement psychologique de cette situation soulève
immanquablement des besoins d’aide psychologique chez
la femme, son conjoint ou sa famille, tout au long de la prise
en charge médicale et dans la période de post-partum. Cet
article fournit un aperçu de la signification psychologique
du diagnostic de cancer pour ces femmes et des processus
d’ajustement psychologiques impliqués face à cet événement.
Il tente de dégager des axes d’intervention pour les
professionnels de la psycho-oncologie dans ce contexte.
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Ajustement psychologique au cancer
et à la grossesse
Ajustement psychologique à la grossesse
La grossesse implique des changements psychologiques qui
préparent la mère à ses nouvelles responsabilités et qui
permettent la réponse émotionnelle à l’enfant et le lien
d’attachement maternel-néonatal.
Un processus de développement en quatre stades au
cours de la grossesse a été décrit par une spécialiste
allemande des théories de l’attachement. Le désir d’enfant
se développe progressivement au cours de celui-ci. Un
premier stade d’incertitude au cours du premier trimestre est
caractérisé par un inconfort physique, une ambivalence et
une insécurité quant au bon développement de l’embryon.
À partir de la 12e semaine, l’anxiété diminue, et la grossesse
s’investit positivement. Au troisième stade, les mouvements
fœtaux amènent à une perception plus individualisée de
l’enfant comme être séparé. Au dernier stade, la femme
enceinte anticipe et se prépare à la naissance ; elle imagine
l’apparence et le comportement futur de son enfant. Des
facteurs intrapersonnels, interpersonnels, sociaux ou somatiques vont bien sûr nuancer chaque grossesse pour en faire
un événement singulier.
Ajustement psychologique au cancer
L’ajustement psychologique au cancer est influencé par
trois facteurs principaux [9] :
les facteurs liés à la maladie comme le site de l’affection,
son stade, ses traitements, son évolution ;
les facteurs individuels comme les valeurs et les
croyances, les caractéristiques de personnalité, le soutien
social et la phase du cycle de vie ;
les facteurs socioculturels comprenant la stigmatisation
sociale et les ressources du système de soins.
Un diagnostic de cancer suscite une série de réactions
émotionnelles pouvant être accentuées en cas de grossesse.
Le modèle en quatre phases de Kübler-Ross offre un cadre
très large, à ne pas considérer comme normatif, pouvant être
utile à la compréhension de l’ajustement psychologique au
cancer [4]. Il comprend :
une phase de déni d’une durée de quelques jours,
caractérisée par un état de choc, d’incrédulité, de
stupeur ;
une phase de détresse aiguë de plusieurs semaines avec
des réactions anxieuses, de la colère, du marchandage, de
la protestation ;
une phase de détresse chronique pouvant durer plusieurs
semaines et marquée par de la tristesse et du désespoir ;
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une phase d’acceptation et d’ajustement graduel qui
prend généralement plusieurs mois.Le cancer implique de
nombreuses menaces et pertes : perte d’énergie, d’intégrité physique, modifications des rôles, des relations
interpersonnelles, deuil de l’illusion d’une espérance de
vie « illimitée », perte de contrôle et d’intégrité mentale.
Dans le contexte d’une grossesse, la patiente est
confrontée en plus à l’éventualité de perdre l’enfant qui
était attendu.
Le processus d’ajustement psychologique comprend un
large éventail de stratégies psychiques se manifestant par
des pensées, croyances, émotions ou comportements en
réaction à la maladie. Celles-ci permettent de ne pas se laisser
submerger par la détresse et témoignent de la flexibilité à
s’adapter aux nouvelles circonstances de la vie tout en
maintenant l’estime de soi et les relations aux autres. Des
réactions adaptatives favorisent le bien-être ; celles qui sont
inadaptées vont contribuer à un surcroît de détresse.
Du point de vue psychodynamique, alors que le déni est
rare chez les patients confrontés au cancer, l’intellectualisation focalisée sur le raisonnement et la connaissance
factuelle accompagnée du déni des émotions est plus
fréquente.
Ajustement psychologique au cancer
durant la grossesse
La femme enceinte confrontée au cancer doit faire face à
deux événements qui se situent aux pôles opposés du
continuum de la vie. La grossesse signifie commencement
d’une nouvelle vie, alors que le diagnostic de cancer est
souvent associé à l’idée de fin de vie. Par ailleurs, les prises
de décision sont rendues difficiles et chargées émotionnellement, car elles impliquent deux perspectives, celle de la
mère et celle du fœtus.
Un diagnostic de cancer au cours d’une grossesse suscite
de nombreux dilemmes. Tout d’abord, la décision de
poursuivre ou non la grossesse met en jeu une délibération
concernant la vie de la mère ou celle du fœtus. Aucune
mère, a priori, n’imaginerait sacrifier la vie de son enfant
pour sauver la sienne : mais, pour certaines, lorsque le
diagnostic de cancer survient dès les premiers jours de la
grossesse, cette question va tout de même être posée.
Ensuite, si le choix de poursuivre la grossesse a été fait,
le traitement sélectionné est souvent un choix de second
ordre (la seconde option dans l’ordre des options thérapeutiques des plus aux moins optimales). En fait, l’option
thérapeutique optimale pour la mère peut nuire à l’enfant,
alors que retarder le traitement de la mère pour le bien de
l’enfant peut léser la mère. À cet égard, le point de vue de la
mère peut parfois se trouver en conflit avec la perspective
du médecin.
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Une femme enceinte confrontée au cancer fait l’expérience d’une détresse émotionnelle intense, car son identité
de femme ou plus largement le concept de soi est menacé.
Dans son corps se développe à la fois un être aimé et souhaité
et une maladie qui peut porter atteinte à sa vie. Dans le cas
du cancer du sein s’ajoute le fait que l’allaitement va être
compromis en raison de la mastectomie ou des traitements
systémiques. L’estime de soi qui peut être valorisée par
l’accomplissement de ce rôle maternel peut en être fortement
affectée. Par ailleurs, la mère peut également craindre de ne
pas pouvoir suffisamment s’occuper de son enfant en raison
des traitements oncologiques.
La détresse chronique chez la femme enceinte atteinte de
cancer peut induire un environnement intra-utérin suboptimal par une dérégulation sur l’axe hypothalamique–
pituitaire-adrénalien [8,10], lequel peut affecter négativement le développement fœtal [11].
Soutenir la femme enceinte atteinte de cancer
La femme enceinte confrontée au cancer ne peut rien
anticiper de cette situation dont elle n’a aucune connaissance, aucun point de repère. Elle ne sait pas comment
interagir avec l’équipe médicale : ce qu’elle peut demander,
à quoi elle peut s’attendre. Elle peut être conseillée par des
spécialistes différents, l’obstétricien ou l’oncologue, et se
trouver face à des avis différents. Elle ne peut se sentir en
confiance que face à une équipe coordonnée qui échange
ses points de vue et qui est capable d’une bonne maîtrise de
la communication médecin-malade dans cette situation
délicate et complexe. Une aide plus spécifique de psychooncologues peut être nécessaire pour la patiente et son
partenaire dans les nombreuses situations difficiles qu’ils
auront à affronter : prise de décision, deuil consécutif à
l’interruption de la grossesse, soutien à l’établissement du
lien d’attachement maternel-fœtal ou encore, simplement,
pour faire face au diagnostic, aux traitements et à la
surveillance.
Capacités de communication en oncologie
La prise en charge globale en oncologie repose sur de
bonnes capacités de communication. La femme enceinte
atteinte de cancer présente souvent des besoins accrus de
soutien lors de la communication du diagnostic au cours des
prises de décision thérapeutique et durant les traitements.
Annonce de la mauvaise nouvelle
Dans le contexte d’un cancer diagnostiqué au cours d’une
grossesse, l’annonce de la mauvaise nouvelle doit inclure
des éléments d’information sur la situation actuelle de la
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grossesse. Fournir une information sur l’âge, la position,
la taille approximative et le statut développemental du
fœtus à côté d’une information sur les aspects spécifiques
du cancer, aide à relativiser des perceptions parfois
irréalistes.
La charge émotionnelle activée par la situation doit faire
considérer les capacités réduites d’appréhension de l’information par la patiente. Plusieurs consultations médicales
courtes peuvent être nécessaires. Le maintien de l’espoir est
primordial. Par ailleurs, l’identification des préoccupations
de la patiente par des questions directes aide le clinicien à
percevoir la manière de structurer l’apport d’informations
nécessaires.
Le retard de diagnostic peut rendre difficile l’établissement d’une relation de confiance patiente-clinicien. Les
questions ou reproches à ce sujet doivent être abordées de
manière non défensive. Les réactions émotionnelles doivent
toujours être comprises comme expression de la détresse ;
par exemple, l’expression de colère peut faire partie du
processus d’ajustement psychologique au diagnostic de
cancer.
Apport d’information et décision médicale partagée
Le processus de prise de décision médicale partagée repose
sur un échange d’information où la patiente fait part de ses
valeurs, croyances ou priorités de vie, et où le clinicien
apporte les connaissances médicales nécessaires sur la
maladie et les traitements.
L’information doit être fournie de manière simple,
spécifique et pertinente prenant en compte le contexte social
et les connaissances générales de la patiente. La communication de risques peut être particulièrement difficile.
Certaines études soulignent l’importance de faciliter cette
compréhension par des informations à la fois verbales et
écrites afin de minimiser la dépression ou l’anxiété [5].
O’Connor et al. [7] distinguent deux types de décision
clinique. L’une comprend les situations où une connaissance scientifique des bénéfices et des risques est
disponible, et où les risques sont minimaux par rapport
aux bénéfices. L’autre concerne les décisions qui reposent
sur les préférences et où les évidences scientifiques sont
moins établies, des risques importants possibles et les
bénéfices incertains. Dans ces situations, la décision repose
essentiellement sur les valeurs du patient. C’est le cas
notamment de la gestion des symptômes de ménopause, du
dépistage anténatal ou du cancer au cours d’une grossesse.
Le clinicien sous-estime souvent le souhait de la patiente
de participer à la prise de décision thérapeutique ; ce souhait
devrait être investigué, et la patiente devrait pouvoir
recevoir l’information nécessaire pour pouvoir prendre
une décision en accord avec ses valeurs, objectifs, souhaits
ou peurs.
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Ainsi, la communication au sujet du traitement dans le
cadre d’un cancer apparu lors d’une grossesse se trouve
particulièrement complexe pour les raisons suivantes : une
connaissance médicale insuffisante laissant une marge
d’incertitude importante concernant le traitement optimal ;
un calcul des risques et une communication sur les risques
particulièrement difficile et susceptible de biais ; une
situation très chargée émotionnellement et un recours
incontournable aux valeurs de la patiente pour prendre des
décisions.
Attention aux émotions
La communication dans le cadre de la consultation médicale
bénéficie de la prise en compte par le médecin des émotions
du patient [3]. Cependant, ces consultations chargées
émotionnellement peuvent également susciter des mécanismes de défense chez le clinicien, le protégeant des
émotions douloureuses et entravant sa capacité à reconnaître
la détresse du patient.
L’aide mnémotechnique NURS peut être utilisée pour se
rappeler la manière de prendre en compte les émotions :
nommer les émotions du patient (« Cela vous effraie. ») ;
comprendre (understanding) ou légitimer (« Je peux
imaginer combien cela doit être difficile. ») ;
respect (« Vous avez vraiment bien fait face. ») ;
soutien ou collaboration (« Nous allons trouver ensemble
des solutions. »).
Prise en charge psycho-oncologique
durant la grossesse et le post-partum
Comme la prise en charge de la femme enceinte atteinte
de cancer implique plusieurs spécialistes, il est important
d’assurer une continuité de l’information et d’organiser des
échanges réguliers entre ces spécialistes afin qu’ils puissent
échanger leurs points de vue. La patiente peut ressentir un
immense soutien d’être ainsi prise en charge par une équipe
de professionnels qui prennent soin à la fois de la mère et
de l’enfant.
Un soutien supplémentaire par un psycho-oncologue
peut être proposé. Celui-ci peut reposer sur diverses
approches : centrée sur la personne, psychodynamique,
cognitivocomportementale et surtout, ici, systémique. Le
type d’approche proposée dépend des caractéristiques
personnelles de la patiente et de son partenaire.
Faire face au diagnostic
Dans un premier temps, le psycho-oncologue aide à faire
sens de ce diagnostic dans le contexte de la grossesse.
Éprouver aussi bien des émotions de peur de la mort ou de
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désespoir et de la joie d’être enceinte peut être perturbant
à la fois pour la patiente, son partenaire et les soignants.
Répondre aux questions qui se posent à la patiente s’avère
souvent difficile. La ventilation des émotions, l’arrêt des
pensées obsédantes, l’établissement de projets concrets ou
l’activation du soutien social peuvent constituer des
interventions utiles.
Les consultations avec le psycho-oncologue peuvent
permettre également de faire la part des valeurs, croyances
ou idées face aux projets de vie dans ce contexte.
Si la patiente choisit d’interrompre sa grossesse, elle aura
à se détacher affectivement de l’enfant et de l’idée d’être
mère, tout en devant assumer des traitements lourds comme
la radiothérapie ou la chimiothérapie avant ou après la
chirurgie. Le processus de deuil peut être suspendu et se
manifester plus tard. Des techniques comme la relaxation
peuvent aider à surmonter les effets secondaires des
traitements, laissant alors la place et l’énergie pour se
confronter au vécu de deuil. Se confronter progressivement
aux différents enjeux de la situation peut être la seule voie
permettant l’ajustement psychologique.
Soutenir le lien maternel-fœtal-néonatal
durant les traitements
Être malade et recevoir un traitement tout en étant enceinte
comporte des enjeux psychologiques en termes de
conséquences sur le lien d’attachement maternel-fœtal.
Faire face aux effets secondaires, aux changements
corporels dus à la mastectomie, se rendre régulièrement
aux consultations médicales prend du temps et limite
l’espace psychique qui devrait être consacré à l’expérience
de la grossesse et à la préparation de la maternité. Le
rôle du psycho-oncologue est de permettre l’évocation de
ces difficultés. Des sentiments de culpabilité peuvent
surgir en raison de l’exposition éventuelle du fœtus au
traitement.
Les entretiens psychologiques peuvent être tantôt axés
sur la maladie et les traitements, tantôt sur la grossesse. Des
échographies régulières et des palpations peuvent favoriser
le lien maternel-fœtal. La patiente peut ainsi développer une
image plus concrète de son bébé et de ses comportements.
L’imagerie guidée peut être un complément utile à cet
égard.
La nécessité d’un accouchement par césarienne peut
être difficile à accepter et requérir un soutien psychologique particulier. Par ailleurs, durant le post-partum, la
patiente peut avoir besoin d’une aide non seulement
psychologique, mais aussi pratique lorsqu’elle doit
poursuivre le traitement, alors que son enfant est à
domicile. Elle peut se sentir coupable de ne pas pouvoir
s’occuper de son bébé, alors qu’elle doit faire face aux
effets secondaires des traitements. Néanmoins, dans
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certains cas, l’expérience de la maternité renforce une
attitude combative.
Une qualité de temps entre le couple et le bébé doit
pouvoir être assurée. Un soutien pratique par les proches est
bénéfique mais néanmoins parfois décevant. Des cours de
massage du bébé peuvent renforcer le lien d’attachement
maternel-néonatal.
Soutenir l’ajustement psychologique
Des sentiments ambivalents ou négatifs sont fréquents dans
ce contexte. Ne pas se sentir capable de penser positivement
peut susciter des sentiments de culpabilité chez la future
mère. Alors que les proches ont tendance à ne pas accepter
ces sentiments négatifs, le rôle du psycho-oncologue peut
être d’écouter ce vécu difficile.
L’approche cognitivocomportementale peut aider à
identifier les stratégies d’ajustement psychologique inappropriées, comme les pensées irrationnelles (« je ne vais pas
pouvoir surmonter tout cela. ») et faciliter l’adoption
d’attitudes plus bénéfiques (« J’ai eu des difficultés à
surmonter telle chose, et j’ai eu besoin de soutien ;
néanmoins, jusqu’ici, je m’en suis sortie. »). Favoriser le
sentiment de contrôle peut être particulièrement important,
notamment en permettant d’identifier les situations susceptibles de contrôle ou de supporter les situations non
contrôlables actuellement (comme l’attente de résultats
d’examens médicaux).
Des interventions de crise peuvent être envisagées : la
patiente peut être informée des ressources d’aide d’urgence si elle se sent dépassée par la détresse, notamment
dans les contextes de moindre capacité d’ajustement
psychologique ou d’environnement social instable. D’une
façon générale, dans la première année consécutive au
diagnostic de cancer, 5-10 % des patients sont susceptibles
de développer un trouble dépressif [6], et durant la
grossesse et la période de post-partum, ces chiffres
s’élèvent à 7-13 % [2]. Compte tenu ici du cumul de ces
deux facteurs de risque, l’équipe médicale doit donc être
particulièrement attentive aux symptômes psychopathologiques durant ces périodes afin d’orienter vers une aide
appropriée en cas de besoin.
Intégrer le partenaire/la famille
Le cancer menace l’ensemble de la famille de séparation
ou de perte. Dans le contexte d’une grossesse, le système
familial qui se développe à peine peut être particulièrement
perturbé. Si le nouveau-né s’ajoute à d’autres enfants, les
places et positions de chacun des membres de la fratrie
doivent être renégociées. Parfois, les frères ou sœurs
peuvent réagir fortement à ces changements.
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Le partenaire doit pouvoir jouer une part active dans le
processus de décision thérapeutique et doit être invité
explicitement aux consultations médicales.
La famille élargie joue un rôle particulier en termes de
soutien, mais elle peut se sentir également très touchée
émotionnellement, ses propres préoccupations ou peurs
laissant peu de disponibilité pour un soutien effectif de la
patiente.
Le futur père est confronté à l’éventualité d’être parent
seul. Il peut se sentir ambivalent, désirer fortement un
enfant tout en souhaitant que sa femme vive. Il peut être
confronté à des changements de rôle et être amené à
assumer des responsabilités supplémentaires. Il peut hésiter
à exprimer ses peurs à sa partenaire dans le but de la
protéger. Des entretiens psychologiques individuels avec le
conjoint peuvent être utiles pour élaborer ces conflits.
Idéalement, le soutien est proposé au couple dans le but de
favoriser l’ajustement dyadique à la situation.
Les professionnels en oncologie assument un rôle
important en accompagnant le patient atteint de cancer
d’une phase antérieure de vie sans maladie à une nouvelle
vie avec des symptômes et des limites, des problèmes et des
préoccupations. Des questions sur le pronostic, sur les
changements corporels, la sexualité, la fertilité, les frustrations liées à l’entrave aux objectifs de vie, une vulnérabilité
accrue, une ménopause induite, des changements de
rôles sociaux ou du système familial constituent quelques
exemples de difficultés auxquelles la patiente est confrontée. Face à celle-ci, l’oncologue peut se sentir particulièrement mobilisé. La possibilité d’échanges réguliers entre les
professionnels impliqués dans ces situations peut permettre
l’entraide face aux besoins considérables suscités par ce
contexte.
Conflit d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit
d’intérêt.
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