Ben Barka, agent des services secrets tchécoslovaques…

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Ben Barka, agent des services secrets tchécoslovaques…
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LA REVUE DES REVUES
Ben Barka,
agent des services secrets tchécoslovaques…
L
’HISTORIEN ET JOURNALISTE TCHÈQUE, PETR ZIDEK[1] a exhumé des archives de la
STB (la Sécurité d’État tchécoslovaque) des documents prouvant l’enrôlement
de Ben Barka dans les services secrets tchécoslovaques depuis 1961. Le dossier,
publié dans l’Express du 5 au 11 juillet 2007 contient des informations précises
sur le recrutement de Ben Barka, son comportement, ses séjours à Prague, les
sommes qu’il recevait en contrepartie de son activité « d’informateur de haute
volée ». Après son enlèvement devant la Brasserie Lipp, le 29 octobre 1964, et sa
disparition sans laisser de trace, les services secrets tchécoslovaques décidèrent
d’attiser l’agitation suscitée par « l’affaire » en lançant une campagne de désinformation pour attirer les soupçons sur la CIA et compromettre la police et le gouvernement français, voire De Gaulle en personne. Des journalistes furent impliqués dans cette manipulation, entre autres un journaliste travaillant pour Le
Canard enchaîné.
Dans un message envoyé à la suite de la publication de ce dossier, Petr Zidek
nous informe avoir trouvé dans les archives d’autres noms de journalistes français qui avaient participé délibérément à cette désinformation ou ont été manipulés par des agents tchécoslovaques. Ces dossiers exhumés feront peut-être l’objet d’un livre sur « l’affaire Ben Barka », éclairé sous l’angle des services secrets de
l’Est, écrit-il. Il faudra s’attendre alors à d’intéressantes révélations.
En contrepoint à ce dossier, le fils de Ben Barka, Bachir, interrogé par
1. Petr ZIDEK est un chercheur-historien, spécialiste des relations entre la République socialiste tchécoslovaque et
l’Afrique francophone. Ses ouvrages font référence. En 2004, il a publié dans le n° 23 de notre revue, « L’aide de
la Tchécoslovaquie au FLN ».
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HISTOIRE & LIBERTÉ
l’Express, « tombe des nues » en apprenant que son père était un agent tchécoslovaque et s’insurge contre ce qu’il qualifie « d’atteinte à sa mémoire ». La réaction
de Bachir Ben Barka est sans aucun doute sincère, comme celle des défenseurs de
l’intégrité de Ben Barka. Mais a-t-on jamais vu une personne recrutée par des
services secrets le proclamer haut et fort, mettre au courant ses proches, ses amis,
surtout s’il est un personnage important? Les règles conspiratives exigent la discrétion et le secret absolus.
Le cas de Ben Barka est-il exceptionnel parmi les militants tiers-mondistes?
Combien d’entre eux ont cherché le contact avec les services secrets de l’Est, par
idéologie, par intérêt personnel, pour servir leur cause? Combien parmi eux ont
été recrutés par les services secrets pour différentes missions: espionnage, entraînement militaire, désinformation, manipulation, voire terrorisme ? Lors de la
chute du communisme, les dossiers de certains services secrets des pays de l’Est
comportant les noms d’agents étrangers ont été détruits ou emportés en URSS
mais un grand nombre a été conservé et n’est accessible pour le moment qu’à des
chercheurs autorisés. L’argument utilisé par certains en Occident selon lequel
« on peut faire dire ce qu’on veut aux archives » est non seulement puéril, mais
démontre une méconnaissance sérieuse des règles de la recherche historique.
Le 31 octobre 2005, pour rappeler le quarantième anniversaire de la disparition de Ben Barka, le Maire de Paris a inauguré une « place Ben Barka », qui n’est
que le croisement de la rue Bonaparte et la rue du Four, dans le VIe arrondissement. Il était loin de se douter qu’il avait donné à ce croisement le nom d’un
agent des services secrets tchécoslovaques. Va-t-il, devant l’authenticité de ce dossier débaptiser cette « place »?
I. Y.
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ÉTÉ- AUTOMNE 2007