La 40e rugissante sied fort bien à Christian Décamps
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La 40e rugissante sied fort bien à Christian Décamps
LE JOURNAL DU JURA SAMEDI 26 NOVEMBRE 2011 26 RIFFS HIFI ANGE Le monument du rock français fête ses noces d’émeraude La 40e rugissante sied fort bien à Christian Décamps PIERRE-YVES THEURILLAT Ange fête cette année 40 ans d’existence! Le groupe belfortain, quiasubiunvastechangementen ressources humaines à partir de la findesnineties,cartonnetoujours danslavieilleFranceprofonde.Yat-il là un secret de longévité? PourChristianDécamps,lemaître du navire depuis toujours, «il n’y a pas de secret, c’est tout simplement l’envie de vivre, de créer, d’inventer, la jouissance de transmettre une passion. Franchement, je n’ai toujours pas trouvé de meilleure façon pour vivre que vieillir.» «Mourir, la belle affaire, mais vieillir...» disait un autre maître Yoda des élasticités du gosier, le non moins grand Jacques Brel; faut-il, s’il n’y a pas de secret, protéger son mystère? «Je pense que Brel a raison. Intriguer excite l’imaginaire des autres et génère une multitude de suppositions, donc d’histoires qui n’appartiennent qu’à celles et ceux qui les imaginent. Le poète cultive ce mystère qui demeure le carburant fondamental de l’imaginaire.» Et c’est pourquoi Christian Décamps réinvente la voiture à eau, funambule de ses illusions, et devient incroyablement productif avec son nouvel Ange: «Chaque décennie est un moment clé, il y a forcément à chaque fois une muta- En 1992, ils avaient littéralement cartonné aux States, les Bush. Pourtant, ils viennent du quartier mythique de Shepherd’s Bush, à Londres. D’où leur nom. Mais quand on est traumatisé par le grunge, c’est plutôt du côté de Seattle qu’on s’en va quêter l’inspiration. Depuis, les p’tits gars ont évolué. Après dix ans de silence, ils viennent de commettre «The sea of memories» (distribution Phonag Records), excellent CD qu’on ne qualifiera finalement pas de post-grunge. C’est en effet joyeux et gai, en plus d’être jouissif et couillu. A mille lieues de l’ambiance croque-mort chère à Pearl Jam, Soundgarden et autres joyeux drilles, dont les réalisations évoquent plus des veillées funèbres que des gigues irlandaises. Personne n’est parfait. [ PABR «Adelante», un album dédié à la révolution! Ce disque, à ne pas douter, figurera dans la discothèque de tout bon révolutionnaire de salon. Celui qu’il fera tourner à fond sur sa puissante chaîne dolby-stéréo pour impressionner quelques comparses par sa culture, au coin de la coquette cheminée en pierres de taille. A moins que ce ne soit sur l’installation de son 4x4 hybride, à l’heure de rallier une manif contre ce bioéthanol autorisé par le cassis de Dijon. Giovannni Mirabassi, lui, est un pianiste italien révolté depuis l’enfance. Est-ce dû à sa naissance dans une famille affiliée à la Démocratie chrétienne? Cet homme, qui croit toujours à la révolution, s’est allé enregistrer «Adelante» (distribution Disques Office) à Cuba. Tout un symbole. Cet album contient uniquement des chants de lutte, de «Hasta Sempre» à «L’internationale» – que chantent même les mous du PS suisse – en passant par «L’affiche rouge» et «Le partisan». C’est à la fois poignant et un peu frustrant. Comme tout bon révolutionnaire, le pianiste Mirabassi a un style extrêmement dépouillé et épuré. Au point que tous les morceaux se ressemblent? C’est un peu ça. Mais bon, il n’y a pas 36 façons de faire la révolution. [ PABR Christian Décamps, figure charismatique d’Ange. Il n’est pas près de s’arrêter... LDD tion au sein du public qui fait qu’au bout de 40 années, il reste à Ange une entité multigénérationnelle de gens fidèles. J’ai toujours avancé dans l’inconscient et continuerai ainsi jusqu’à mon dernier souffle. On ne sait ce que sera demain, mais on sait ce que hier fut», dixit le philosophe. Hier, c’était le marquant à vie «Au-delà du délire» (1974), «Guet-Apens» (1979) ou «Fou» l’inconscient et continuerai ainsi jusqu’à mon dernier souffle. On ne sait ce que sera demain...» CHRTISTIAN DÉCAMPS ANGE (1984), qui avec «La voiture à eau» (1999) sont, aux dires du maestro,«lesalbumsquiontnégocié les virages les plus importants». Aujourd’hui, c’est «Le bois travaille même le dimanche», un disque qui a toutes les faveurs de notre Brenz confédéral, pour ne pas en dire plus. Mais ce serait démentir ici le poète: «Le jour où les poètes n’aurontplusrienàécrire,c’estquele monde sera sauvé!» Un poète humble, un artiste inaccompli? «L’artiste est un artisan du rêve, et comme le rêve est à rêver, je ne suis pas encore un artiste accompli», dixit encore Décamps, en foison aphoristique. Ange, oui, un mystère: «Un mystère,enparticulierpourlemétierparisianiste qui l’a presque toujours mis sous l’éteignoir. Nul n’est irremplaçable, sauf Ange...» Difficile quand même d’imagi- nerlebanddépourvudesonsoleil de toujours ! Pour leur dernière date de la tournée «La 40e rugissante», le 4 décembre au Bataclan de Paris, lesptitsAngesprendrontGensde laLune,legroupedufrèreFrancis Décamps, en première partie. La réconciliation, la voici, texto: «Après avoir divorcé d’Ange en décembre 95, mon petit frère est resté silencieux quelques années. Je suis très content pour lui, et j’ai pensé qu’il serait heureux que les deux groupes partagent une scène en final de ‹La 40e rugissante›. Que du bonheur!» «La Suisse», pas le journal, ni le pays, mais la chanson, soyons d’actu,Christianladédieaupublic suisse qu’il adore. Elle sera dans la set listdudernierpetit tourdes40 balais, avant que tout le monde s’endorme en plein rêve! [ INDUSTRIE EMI, mais pourquoi? Universal et Sony se partagent un géant Et la musique, dans tout ça? DR Pas le George, mais les post-grunge GIOVANNI MIRABASSI, GUÉRILLERO DU PIANO « J’ai toujours avancé dans ● Malgré les rééditions, les remasters – c’est mieux pour le son, qu’ils disent! – et autres sorties tout azimut à prix cassés, les majors de l’industrie du disque sont aux abois. Les ventes de CD s’écrasent, alors que les revenus liés aux téléchargements de fichiers informatiques ne couvrent de loin pas les pertes. EMI BUSH, LE RETOUR! devient une victime toute désignée du carnage. Explications. En 2009, les Beatles sortaient leurs coffrets, dont l’un mono, à des prix superfétatoires. L’opération permit de retarder l’inévitable pour EMI, à savoir son absorption dans le giron d’une des trois autres majors. Eh oui, elles ne sont que quatre! 2011, EMI retente le coup avec un autre monstre sacré: Pink Floyd. Dommage, les planants Anglais sont arrivés trop tard et, médusés, assistent de leurs hauteurs spatiales au dépeçage de leur label qui a porté durant des lustres la musique britannique: à Vivendi-Universal les enregistrements, pour 1,4 petit milliard d’euros, et à Sony la gestion des droits d’auteur, pour 1,5 milliard. En quatre ans, EMI, gérée depuis 2007 par le consortium financier Terra Firma, a perdu plus de 40% de sa valeur, laquelle n’était déjà plus en verve par rapport au début du siècle. Pendant ce temps, la Warner, exclue de la danse des cannibales, fait le poing dans sa poche. On le sentait venir depuis le départ fracassant de Radiohead et quelques autres pointures que rien n’allait plus dans les studios d’Abbey Road, lesquels ont bien failli être vendus aux enchères. Reste que la part d’Universal sur le marché de la musique appro- chera désormais des 40%, position jugée dominante par la Commission européenne. De plus, la même Universal doit faire face à la fronde des labels indépendants (23% du marché) qui, par l’entremise de l’association Impala, pourraient saisir la justice si le charcutage d’EMI est accepté par les autorités de régulation. Quid de la musique? «Mais on s’en fout», disent en chœur les financiers carnassiers plus aptes à s’émerveiller devant une présentation Powerpoint que face à la magnificence du 5e concerto pour piano de Beethoven. La restructuration continue, l’offre risque de baisser, des artistes – troisième roue du char – ne seront plus produits. Assistera-ton à un regain des labels indépendants qui, bon an mal an, ne se départissent pas de leur aura de découvreurs de talents? C’est tout ce qu’on peut souhaiter dans la triste situation actuelle... avec la renaissance du vinyle. [ JEAN-DANIEL KLEISL RÉSURRECTION Une «Experience» floydienne qui vaut la peine Pink Floyd est mort et bien mort. Aucune reformation de ce géant n’est en vue, foi de Roger Waters. Pourtant, le flamant rose n’est pas sans ressource pour générer de la «Money». Depuis quelques semaines, les rééditions de son catalogue fleurissent dans les bacs, une opération oscillant entre arnaque et coup de génie. D’abord, la série «Discovery», simple ressortie remasterisée de leurs 14 albums, est aussi inutile que malhonnête. Quant aux coffrets «Immersion» de «The dark side of the moon» et «Wish you were here» – «The wall» est attendu début 2012 –, ils raviront les fans hardcore du Floyd contre quelque espèce. Dans la boîte, à côté de l’écharpe, il ne manque qu’une bonne vieille VHS pour être complet. Et il y a le must. Question rapport qualité/prix, les versions double CD «Experience» frisent la perfection. «Dark Side» et «Wish» sont agrémentés d’un live merveilleux daté de 1974, à couper le souffle, contenant notamment des ébauches de ce qui deviendra plus tard «Animals». Non, Pink Floyd ne mourra jamais! [ LK LA PLAYLIST DE... Pascal Vuille [email protected] DRIVE-BY TRUCKERS Greatest hits (2011) Quasiment inconnu au bataillon dans nos contrées (serait-ce un gage de qualité?), le sextette de l’Alabama en est déjà à sa neuvième réalisation. Deux chanteurs, trois guitares et des textes d’une sombre poésie pour du country/rock sudiste pur malt. A écouter en roulant entre Tavannes et Tramelan, le coude à l’air, volume sur 20, en rêvant qu’on est quelque part entre Nashville et Austin. EVANESCENCE Evanescence (2011) Huit ans après leur entrée fracassante sur le marché du rock lourd, Amy Lee et ses sujets reviennent avec un disque teinté de romantisme gothique sur lequel la voix épique de la belle Amy plane sur une épaisse nappe sonore. Refrains accrocheurs, riffs ravageurs, sensibilité à fleur de peau: un disque empli de paradoxes, teinté d’une grâce obscure, un chapitre de plus qui s’inscrit dans le fabuleux destin d’Amy Lee. IZIA So much trouble (2011) La parution en 2009 de son premier album éponyme (disque d’or) avait fait sensation dans l’Hexagone, et pas seulement parce qu’elle est la demi-sœur d’Arthur H et donc la descendance d’Higelin. A vingt-et-un ans, et après avoir ouvert pour Iggy Pop et Motörhead, elle revient avec son rock dépouillé et rentre-dedans, à ranger entre Janis Joplin et Juliette Lewis. Izia, un caractère bien trempé et des vocalises qui donnent le frisson. SCREAMING TREES Last words: the final recordings (2011) Kurt Cobain vouait à ce combo de Seattle une admiration sans borne. Pourtant, le succès planétaire de Nirvana allait occulter, puis carrément faire disparaître cette humble formation restée fidèle à ses racines indépendantes. On nous permet enfin de nous laisser bercer une ultime fois par la voix de baryton de Mark Lanegan sur dix titres enterrés depuis douze ans. Un disque sacrifié. Mais mélancolique à souhait. [