Revue de jurisprudences récentes en droit des marques
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Revue de jurisprudences récentes en droit des marques
L’ESSENTIEL PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE Revue de jurisprudences récentes en droit des marques Par Boris Khalvadjian avocat au barreau de Paris et docteur en droit privé. Chercheur associé au CERDI (Centre d’Etudes et de Recherche en Droit de l’Immatériel), il donne régulièrement des conférences sur des sujets ayant trait à la Propriété intellectuelle. Il est l’auteur de plusieurs publications dans ce domaine et enseigne également à l’Université de Paris XIII. S’il est naturel de donner priorité aux décisions de la Cour de Cassation, en matière de propriété intellectuelle, à Paris, il faut aussi parfois savoir s’intéresser aux décisions rendues par les juges du fond. Voici exposées trois décisions récentes du TGI et de la Cour d’appel de Paris qui, bien que brièvement commentées, présenteront un intérêt certain pour le praticien en droit des marques. Appréciation de la distinctivité d’une marque, contrefaçon d’une marque par usage à titre de mot-clé Google, et nullité de marques pour atteinte à des droits antérieurs sont les thèmes abordés dans ces décisions. M Affaire « My little Box » ême faiblement distinctive, une marque bénéficie de la protection légale. Il en est ainsi par exemple des marques « L’Univers à Design » (déposée pour désigner la commercialisation de meubles du design, TGI Paris, 11 janvier 2013), « peau d’ange » (déposée pour des cosmétiques), « La Mer » (déposée pour des cosmétiques composés d’extraits marins), « Au Bain Marie » (déposée pour un service de restauration), « Abracadabra » (déposée pour des spectacles de divertissement, « Sos Malus » (déposée pour des produits d’assurance destinés aux conducteurs ayant de forts malus), « Exquise » (déposée pour des crèmes glacées), « Be » (déposée pour des services de communication en ligne, TGI Paris, 20 mars 2014) L’affaire commentée ajoute un nouvel exemple à cette liste : la marque « My Little Box » déposée pour protéger la distribution de coffrets contenant cadeaux surprise et produits de beauté. Le TGI de Paris considère en effet qu’à raison du seul ajout de « My » en amont de « Little Box », cette marque bénéficie d’un degré de distinctivité suffisant pour bénéficier de la protection légale. Dans cette affaire, les juges se sont également penchés sur la question de l’usage à titre de mots-clés de marques protégées pour, d’abord, rappeler la position de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur le sujet, que l’on connaissait déjà, (« le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à parti d’un mot-clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers » CJUE, arrêt C/236/08), ensuite, nous donner un exemple concret d’une présentation Google susceptible d’être condamnée au titre de la contrefaçon qui sera évidemment riche d’enseignements pour le praticien. Les juges nous expliquent notamment que : • La seule mention « Annonce relative à my Little Box » ne permet pas de distinguer nettement cette annonce des autres référencements •Aucun élément ne permet de penser qu’un encadré de couleur distinguait l’annonce « GlossyBox » de « My little Box » Affiches Parisiennes - Du 27 au 30 septembre 2014 - n°77 • La mention « My-little-Box » adjointe au nom de domaine de « Glossy Box » laisse penser à l’internaute que le site GlossyBox est un distributeur de boîtes de produits de beauté parmi lesquelles se trouve la boîte My little Box Résultat : la contrefaçon de la marque « My Little Box » par usage de ce signe en tant que mot-clé Google est caractérisée. L’affaire pourrait peut-être se poursuivre en appel. A suivre donc. * : TGI Paris, 13 juin 2014, RG n°13/07451 13 L’ESSENTIEL PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE Affaire « Primo » L ’ article L711-4 du Code de la propriété intellectuelle nous enseigne qu’il n’est pas possible de déposer à titre de marque un signe constitué d’une marque antérieure, d’une dénomination sociale préexistante ou d’un nom commercial s’il risque d’en résulter un risque de confusion, d’une appellation d’origine contrôlée, d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, d’un dessin ou d’un modèle protégé, d’un nom de famille ou de l’image d’une personne, ou du nom ou de l’image d’une collectivité territoriale. Une société agissait en nullité de la marque verbale de Peugeot « Occasions du lion primo » enregistrée en 2009 aux motifs que cette marque reprenait le signe « Primo » qui était le nom d’un des services commerciaux proposés par la société demanderesse antérieurement à l’enregistrement de la marque. La demande n’a pas abouti. Les juges ont interprété strictement l’article L711-4 pour considérer que ce texte n’interdisait que la reprise à titre de marque d’un nom commercial antérieur et non celle du nom d’un de ses services. C’est un éclairage intéressant de l’article L711-4 CPI. Au demeurant, il est vrai que donner un nom à un service commercial ne fait naître en tant que tel aucun droit particulier, à la différence du véritable nom commercial ou de la dénomination sociale qui sont des signes qui identifient la société en qualité de personne morale. N’y avait-il pas alors meilleur argument ? Les demandeurs restaient recevables à soulever le caractère frauduleux de la marque déposée (mais encore faut-il qu’il y ait eu dépôt frauduleux…). L’idée aurait été ici de soutenir qu’à raison de la publicité donnée au service commercial de la société et de la notoriété acquise par le nom du service, en déposant la marque litigieuse, le dépo- sant n’a pu agir sans méconnaître sciemment les intérêts de son concurrent (là il est question d’ « intérêts » et pas seulement de « droits » – voir en ce sens Cour de Cassation, 14 février 2012, pourvoi n° 10-30872, télécharger ici). La preuve de la fraude est toutefois difficile à établir car les juges attendent généralement du plaideur qu’il caractérise l’intention de nuire du déposant, ce qui n’est pas mince affaire. C’est un argument que le demandeur a invoqué en 1re instance mais pas en appel. * arrêt de la Cour d’appel de Paris, 9 septembre 2014, RG °13/03597 Affaire « Free-Sport TV / Free » L a marque ‘FREESPORT TV’ déposée en classes 9, 38 et 41 porte-t-elle atteinte aux marques ‘FREE’ et ‘Free LA LIBERTE N’A PAS DE PRIX’ déposées par le célèbre opérateur de télécommunication en classe 38 pour la première, et 9, 35, 38 et 42 pour la seconde ? C’était la question posée à la Cour d’appel de Paris dans cette affaire, sachant que la marque FREE-SPORT TV n’avait encore fait l’objet d’aucune exploitation. En première instance, le Tribunal y a répondu par la négative, donnant ainsi raison à la marque FREE-SPORT TV, considérant semble-t-il – semble-t-il car l’auteur de ces lignes n’a pas eu accès au jugement de 1re instance – qu’il n’existait selon lui ni contrefaçon par imitation ni atteinte à la marque renommée, à la dénomination sociale, au nom commercial en l’état de ce simple dépôt de marque sans aucune exploitation. Mais, en appel, les juges sont revenus sur cette solution pour considérer que le seul fait que la marque ne soit pas exploitée ne privait pas le premier déposant du droit d’agir en nullité de la marque, ce qui au demeurant est juridiquement correct. L’article L711-4 du Code de la propriété intellectuelle qui fonde l’action en nullité d’une marque portant atteinte à une marque antérieure, n’impose pas en effet comme condition de cette action l’exploitation de la marque. La Cour d’appel de Paris jugent surtout que dans la marque semi-figurative ‘Free LA LIBERTE N’A PAS DE PRIX’ le terme « free » s’avère distinctif et dominant, tant visuellement, phonétiquement, que conceptuellement, et que dès lors la reprise en attaque dans la marque ‘FREE-SPORT TV’ du terme ‘FREE’ était de nature à créer un risque d’association nonobstant l’adjonction des termes ‘SPORT TV’. Ils considèrent ensuite notamment que « la reprise sans nécessité du terme ‘FREE’ qui constitue le nom commercial, la dénomination sociale et le nom de domaine de l’appelante, largement connue pour ses activités dans le secteur des télécommunications et notamment de la télévision, afin de procéder au dépôt d’une marque désignant pour l’essentiel des services similaires aux activités notoirement exercées par la société FREE constitue à tout le moins une négligence fautive, la déposante ne pouvant ignorer que par sa composition le signe ‘FREE-SPORT TV’, comprenant les mots FREE et TV, évoquerait nécessairement les activités de la société FREE, ce qui constitue une atteinte préjudiciable aux droits antérieurs de cette dernière ». La solution, bien qu’elle soit motivée par le magistrat, demeure assez sévère pour le déposant de la marque ‘FREE-SPORT TV’, car dans cette marque, il semble que le terme FREE ne soit utilisé qu’en liaison avec le mot SPORT, et non de façon isolée, ceci peut- être pour clairement indiquer au consommateur que le mot FREE est utilisé uniquement à raison de son sens courant « gratuit » et non par référence au nom de l’opérateur de télécommunication. En vérité, si la marque avait été alors exploitée, dans une forme visuelle très différente de l’identité connue de l’opérateur de télécommunication, par exemple pour désigner une chaîne de télévision gratuite sur le sport, ce qui demeure très éloignée de l’activité principale de l’opérateur FREE, peut-être le juge y aurait-il été sensible pour écarter le grief de nullité. Quoi qu’il en soit, la décision devrait dissuader les opérateurs d’utiliser le mot « free » pour désigner une future chaîne de télévision, même s’il s’agit, dans le domaine du sport par exemple, d’attirer l’attention du public sur la possibilité de pouvoir regarder du sport à la télévision sans abonnement. 14 Affiches Parisiennes - Du 27 au 30 septembre 2014 - n°77 * arrêt de la Cour d’appel de Paris, 9 septembre 2014, RG °13/05804