la personnalité de Condorcet - Cercle Condorcet de Besançon

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la personnalité de Condorcet - Cercle Condorcet de Besançon
CONTRIBUTION À LA CONNAISSANCE
du Marquis de Condorcet,
combattant de la Raison et des Droits de l’Homme
1. Repères chronologiques
17 septembre 1743 : naissance du “patron laïc” du CERCLE CONDORCET, Jean AntoineNicolas Caritat de Condorcet, à Ribemont (Picardie). Il reçut instruction et éducation chez les
Jésuites de Reims : d’où naît très tôt chez lui une véritable haine contre les prêtres, il sera
encore plus anticlérical que Voltaire !
Brillant et attiré par les maths et la physique : Du calcul intégral, premier essai écrit à
moins de 22 ans, qui suscite l’enthousiasme de D’Alembert, né en 1717. En février 1769, il
est élu à l’Académie des sciences, à moins de 25 ans.
20 juin 1791 : c’est la fuite de Louis XVI à Varennes. Condorcet, jusqu’alors partisan
d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise, comme beaucoup de ses compatriotes
révolutionnaires, bascule dans le camp républicain. Il est élu à l’Assemblée législative le 26
sept. 1791. Le 10 août 1792 : Journée d’émeute aux Tuileries, suspension du Roi par la
Commission des 21, dont Condorcet fait partie. Condorcet est élu secrétaire (puis VicePrésident) de la nouvelle Convention, qui siège le 21 sept. pour la 1° fois : “La royauté est
abolie en France”. Mais fatigué et usé, il se tient en retrait. Les royalistes ayant disparu de la
scène politique, il se déclare pour l’union de tous les Républicains, mais les Girondins veulent
se venger de Robespierre. Condorcet prend ses distances avec les Girondins. En décembre
1792, Condorcet, hostile à la peine de mort, vote pour les travaux forcés à perpétuité. pour
Louis XVI, dont il ne pourra empêcher la condamnation à mort. Décrété d’arrestation par les
Montagnards, il se cache chez Mme Vernet, près du Jardin du Luxembourg, de juillet 93 à
mars 94, il écrit son grand ouvrage Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit
humain.
- 29 mars 1794 : C. est retrouvé mort, face contre terre, dans la cellule où il est
incarcéré. Suicide probable.
2. La personnalité de Condorcet
On peut noter brièvement un certain nombre de traits, reconnus par ses contemporains
:
- dès le départ, une très grande intelligence rationnelle et mathématique, non sans une
certaine aridité. Ses grandes références : les Anglais John Locke (1632-1704), auteur
matérialiste de l’Essai sur l’entendement humain (1690), “vrai patron de la philo des
Lumières”, et Francis Bacon (1561-1626), auteur de la Nouvelle Atlantide : soumission aux
faits, expérimentation, usage de l’induction amplifiante, etc.
- un certain sens du concret, malgré tout : intérêt pour la science hydraulique et les
canaux, la navigation fluviale, l’assèchement des marais de Ribemont ; travaux sur
l’unification des poids et mesures, etc. Mais il y a un fort décalage entre son autorité
intellectuelle et sa timidité, entre sa puissance théorique et son immaturité affective.
Il est très gauche en public, nullement orateur, a une voix faible ; c’est cependant un
homme de caractère et de conviction, qui défendait ses idées parfois avec virulence. Ses
contradictions nombreuses, et ses quelques faiblesses le rendent très humain, en dépit de son
aspect “intello”.
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3. Les passions de Condorcet
1. L’Égalité entre les hommes
Elle est directement issue de sa passion juvénile pour les mathématiques et les
statistiques. Condorcet songe à une arithmétique politique, qu’il rebaptisera mathématique
sociale, fondée sur les statistiques démographiques, économiques, sur le calcul des
probabilités, etc.
C’est un “moderne” qui croit au progrès indéfini de l’esprit humain, en opposition à la
thèse réactionnaire de la dégénérescence. Pour lui, la Raison est le moteur du progrès humain,
et non la volonté générale : d’où la nécessité d’instruire tout le monde, pour faire progresser la
Raison.
Tout être humain est “égal” à un autre être humain. Il s’agit bien d’une égalité
virtuelle, et non naturelle ou physique…
D’où la lutte de Condorcet en faveur des femmes, qui s’exprime en 1786 dans ses
Lettres d’un bourgeois de New Haven à un citoyen de Virginie. Il soutient “l’égalité de génie”
des femmes (campagne en faveur de leur droit de vote, qui échoue : trop tôt !). Dans la même
œuvre, il défend l’égalité en général :
Nulle part le citoyen domestique, ouvrier, fermier d’un citoyen très riche, n’est son
égal ; nulle part l’homme dégradé, abruti par la misère, n’est l’égal de l’homme qui a reçu une
éducation soignée. Il s’établit donc nécessairement deux classes de citoyens, partout où il y a
des gens très pauvres et des gens très riches : et l’égalité républicaine ne peut exister dans un
pays où les lois civiles, les lois de finance, les lois de commerce rendent possible la longue
durée des grandes fortunes.
Il s’élève contre la distinction faite par Siéyès entre citoyens actifs et passifs, qui
équivaut à un refus du suffrage universel et maintient une conception censitaire de
l’éligibilité. Il est, bien sûr, favorable au doublement de la représentation du Tiers État.
2. La Liberté
Cette notion d’égalité entraîne avec elle nécessairement l’idée qu’aucun citoyen ne
peut être soumis à un autre par une relation de force, d’où le combat incessant de Condorcet
en faveur des minorités ou communautés opprimées : contre le despotisme : celui d’un corps
législatif qui ne représente que des corps privilégiés (ecclésiastiques, financiers, magistrats,
militaires) est plus redoutable encore que celui d’un individu
Il est pour la liberté de la presse, la suppression des corvées féodales, contre
l’esclavage des Noirs dès 1774, dans ses Remarques sur les Pensées de Pascal. Il joue un
rôle important, avec l’abbé Grégoire, à partir de 1788 dans la Société des amis des Noirs, qui
se heurte à la Société correspondante des colons français, puissant lobby qui siège à l’Hôtel
Massiac, place de la Victoire.
Il lutte en compagnie de Malesherbes, en faveur des Protestants, persécutés par Louis
XIV (Révocation de l’Édit de Nantes en 1689), puis Louis XV (mai 1724, interdiction de
tout autre culte que le catholicisme) et des Juifs (reconnaissance de leur droit de cité
seulement en mai 1790).
Il s’affirme pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et contre les guerres de
conquête territoriale.
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3. La passion du Bien public et l’honnêteté gestionnaire
Héritier de d’Alembert et de Turgot, il apprit à faire passer les vertus sociales avant les
vertus privées, et le bien public avant les intérêts particuliers.
Très favorable politiquement au peuple, il est en même temps très méfiant à l’égard de la
démagogie et aussi très légaliste, lorsque le 20 juin 1792 le peuple manifeste aux Tuileries
contre le renvoi du ministère Girondin et même au printemps 1793, alors que l’insurrection
menace et que la Patrie est en danger.
- Il élabore un projet de nouvelle Constitution fin 1792 :
“J’ai toujours pensé qu’une Constitution républicaine ayant l’égalité pour base était la
seule qui fût conforme à la nature, à la raison et à la justice, la seule qui peut conserver la
liberté des citoyens et la dignité de l’espèce humaine”.
La conception de la société chez Condorcet reste individualiste et libérale, antiColbertiste (notamment à propos de la gabelle), droit de propriété défini comme dans la
Déclaration de 1789, non-progressivité de l’impôt, liberté du commerce et de l’industrie,
résistance à l’oppression seulement par les moyens légaux offerts par la Constitution. Trop
détaillé et compliqué, et malgré l’approbation de Danton, ce projet sera enterré en mai 1793
par Robespierre.
4. La Justice et la lutte contre la peine de mort
Toute sa vie, C. a été obsédé par l’injustice et influencé par l’action “ humanitaire” de
Voltaire, dans les célèbres affaires Calas, Sirven, Lally de Tollendal et surtout de la Barre. Il a
également subi l’influence du marquis de Beccaria (1738-1794), économiste italien, dont Des
délits et des peines (1764) renouvela le droit pénal et contribua à la suppression de lourdes
tares de la jurisprudence. Condorcet a toujours lutté contre la peine de mort. Il s’opposa
fortement au pouvoir judiciaire des Parlements provinciaux, à la vénalité des charges,
approuva la réforme des lois criminelles instaurée par le Garde des Sceaux Lamoignon : à la
diversité des juridictions d’exception succédait un système uniforme et cohérent pour tout le
royaume. En matière criminelle, certains abus révoltants, dénoncés de toutes parts,
disparaissent : la question préalable et l’usage de la sellette. Obligation était faite au juge, en
infligeant une peine, de qualifier le délit. Un délai d’un mois était accordé au condamné à
mort avant l’exécution, pour permettre un recours. L’innocent acquitté se voyait accorder une
indemnité.
5. La tolérance et la laïcité
“L’originalité de C. consiste […] à bâtir une science de l’homme comme une science
appliquée, c.-à-d. à désacraliser l’idée de l’homme, démarche en tout point contraire à celle
du christianisme” (Badinter). Il lutte aussi contre le charlatanisme du guérisseur allemand
Mesmer du mage Cagliostro, de l’illuminé Swedenborg, etc.
Il choisit d’être membre du Comité d’Instruction publique, et fait un Rapport sur
l’Instruction publique en avril 1792 :
L’instruction libératrice doit être aussi universelle, égale et complète que possible ;
assurer non l’égalité naturelle, qui n’existe pas, mais l’égalité des chances d’accès à la
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connaissance. L’instruction doit être universelle pour les enfants, égale pour les femmes et les
hommes, les pauvres et les riches, et permanente pour adultes.
Il faut procéder à la laïcisation de l’enseignement “en soustrayant l’instruction du
peuple au clergé : retirer l’impôt versé aux religieux pour le verser à des enseignants laïques.
Condorcet insiste sur les fondements rationalistes de l’école républicaine et s’affirme pour la
liberté privée du culte et la liberté de conscience. Il voit avec faveur “la liberté d’un autre
culte catholique qui détruirait toute idée de domination religieuse”.
Condorcet fut un précurseur, on peut même dire un visionnaire raisonnable. Son
libéralisme n’avait rien à voir avec le néo-libéralisme d’aujourd’hui, mais seulement avec la
liberté. Il n’était pas fédéraliste, mais soucieux d’équité et de partage du pouvoir entre le très
puissant Paris et les Provinces d’alors. Il n’était ni de droite ni de gauche ni centriste, ces
étiquettes modernes étant autant d’anachronismes pour son époque. Enfin, il a inspiré
quelques-uns des plus grands textes que nous devons à l’esprit progressiste de la Révolution
française, et a impulsé de grands projets dans le sens de l’élévation de l’Homme, qui
aujourd’hui encore nous paraissent valides, même s’ils sont loin d’avoir rencontré leur plein
accomplissement, notamment dans le domaine de l’École.
Jean-Paul COLIN - Mai 2003