NC7 - les fondements théoriques de l`intégration économique

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NC7 - les fondements théoriques de l`intégration économique
ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC7
M. Cincera
6. Théorie des Unions Douanières en concurrence imparfaite1
6.1. Introduction
Les théories classiques du commerce international ne s’intéressent qu’aux échanges de
commerce unidirectionnels. Sur un marché donné, un pays n’est pas en même temps
importateur et exportateur : la Belgique par exemple importe du vin d’un pays membre de
l’Union (Portugal) et du reste du monde (Tchéquie) et le Portugal n’importe pas de vin en
provenance de la Belgique.
Ce type de commerce unilatéral est généré par les avantages comparatifs.
Facteurs explicatifs de ces avantages comparés :
+ différences de technologie (RICARDO)
+ différences de dotations de facteurs de production (HECKSHER-OLIN)
Remarque : il existe de nombreux facteurs qui expliquent des différences de productivité. Par
exemple dans le secteur de l’agriculture, les différences de climat sont des facteurs importants
qui expliquent les différences de productivité.
Remarque : La théorie nous apprend pourquoi il y a des échanges commerciaux mais
n’explique pas l’origine de l’allocation des ressources en tant que tel. Par exemple, pourquoi
les Français produisent-ils des Renault et les Italiens des Alfa-roméo ?
En fait, dans l’Union européenne, la part du commerce qui s’explique par les avantages
comparatifs ne représente qu’une faible partie du commerce total. La majeure partie des
échanges porte sur des échanges bilatéraux dans un même secteur. Par exemple, la France et
l’Italie s’échangent des voitures, des produits chimiques. Ce type de commerce s’explique par
les économies d’échelle et la différentiation des produits (cfr. arguments de la concurrence
imparfaite pour expliquer les échanges au sein d’une union).
6.2. Caractéristiques du commerce intra-CE
Il convient de faire une distinction entre les deux types d’échange suivants :
Échanges unilatéraux, inter-industrie : ces échanges sont basés sur les avantages comparatifs.
Ce type de commerce a lieu typiquement entre les pays qui ont des PIB relativement différents,
c’est-à-dire entre les pays de l’Europe du Nord et ceux de L’Europe du Sud.
1
Notes de cours basées sur l’article de Damien Neven « Gains and Losses from 1992: EEC Integration towards 1992: Some
Distributional Aspects », Economic Policy: A European Forum, 0(10), April 1990, pages 13-62.
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Échanges bilatéraux, intra-industrie (à l’intérieur d’une même industrie) : ce type d’échange est
basé sur les rendements d’échelle (Condition nécessaire et suffisante pour avoir un commerce
bilatéral) et la différentiation des produits (condition accessoire).
Le tableau 1 p.21 de l’article de Neven reprend la moyenne des indices de commerce pour
l’ensemble des flux bilatéraux entre 29 secteurs industriels. Ces indices sont calculés à partir de
l’indice de Grubel-Lloyd.
Indice de Grubel-Lloyd
X ijk
AIITijk = 1 −
X ij
X ijk
X ij
−
+
M ijk
M ij
M ijk
M ij
où i, j = pays ; k = industrie
pour une industrie k donnée, si Mijk/Mij =Xijk/Xij alors, l’indice vaut 1.
Remarques :
• indice = 1 si le commerce est de type intra-industrie
• indice = 0 si le commerce est de type inter-industrie
• AIIT : Absolute Intra Industry Trade
Tableau 1. Indices moyens de commerce intra-industrie (%)
UK
UK
Allemagne
Belgique
France
Pays-Bas
Italie
Danemark
Espagne
Irlande
Portugal
Grèce
73
73
79
77
64
63
57
70
40
41
DE
73
74
74
63
58
71
58
59
36
35
BE
73
74
72
77
54
55
59
50
40
36
FR
79
74
72
63
63
50
63
48
39
37
NL
77
63
77
63
41
67
53
52
39
44
IT
64
58
54
63
41
46
60
47
47
31
DK
63
71
55
50
67
46
39
55
29
28
SP
57
58
59
63
53
60
39
40
46
19
IE
70
59
50
48
52
47
55
40
25
25
PT
40
36
40
39
39
47
29
46
25
GR
41
35
36
37
44
31
28
19
25
31
31
Source : Neven (1990), OCDE/calculs de l’auteur.
Il ressort du tableau 1 que l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la
Belgique sont caractérisés par un commerce intra-industrie intense, principalement entre eux.
Par exemple, 73% du commerce entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne est de type bilatéral.
La Grèce et le Portugal sont les pays qui ont le moins de commerce intra-industrie et l’Irlande,
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l’Espagne et l’Italie connaissent des valeurs intermédiaires. De manière générale, on constate
que les pays du Nord de l’Europe sont caractérisés par du commerce intra-industrie entre eux et
du commerce inter-industrie avec les pays du Sud. On observe par conséquent une
différentiation entre le Nord et le Sud et le commerce entre ces deux pôles s’explique par les
avantages comparatifs.
Tableau 2. Structures des échanges de commerce : résultats de la procédure de clustering
1
2
2 groupes
Portugal
Grèce
France
Allemagne
Belgique
UK
Pays-Bas
Espagne
Italie
Danemark
1
3 groupes
Grèce
2
Espagne
Portugal
Italie
3
France
Allemagne
Belgique
UK
Pays-Bas
Danemark
Source : Neven (1990), OCDE/calculs de l’auteur.
Le tableau 2 p.22 de l’article de Neven classifie les pays en deux ou trois groupes en fonction
de la similarité de leurs échanges commerciaux. La classification en deux groupes reprend le
Portugal et la Grèce d’une part et les autres pays de l’Union d’autre part. La classification en
trois groupes comprend un groupe avec la Grèce isolée, un autre groupe avec l’Espagne, l’Italie
et le Portugal et le troisième groupe, les autres pays de l’Union. Lorsqu’on augmente le nombre
de groupe au delà de trois, la Grèce de même que le Portugal se retrouve à chaque fois dans des
groupes isolés. L’Espagne et l’Italie se retrouve dans un même groupe : cela est-il normal ? En
fait ces deux pays sont caractérisés par de fortes disparités régionales Nord-Sud, mais cette
situation n’est pas suffisante pour expliquer la similitude constatée en matière de commerce.
L’explication provient en fait de la structure de la production.
Remarque : L’Irlande n’est pas reprise dans cette classification. Ce pays apparaît comme étant
fortement spécialisé dans des biens à haut contenu technologique. Ceci est une conséquence de
la politique du gouvernement irlandais qui a mis en œuvre une série d’instruments afin d’attirer
les investissements étrangers (IDE = investissements directs à l’étranger), les multinationales et
les industries intensives en R&D. Par exemple, le taux d’imposition des bénéfices des sociétés
a été réduit à 10%, les entreprises ont eu dès lors intérêt à modifier leurs prix de transferts de
sorte à localiser un maximum de profits en Irlande. On payait les inputs (importations) à très
bon marché et les outputs (exportations) étaient vendus à un prix très élevé. Dès lors ces
secteurs dégageaient des surplus très importants mais tout à fait artificiels. Notons que cette
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politique a coûté très cher au gouvernement irlandais. De plus, les effets sur l’emploi, de même
que les effets d’entraînement sur l’économie locale et la diffusion des technologies de ces
multinationales ont été très marginaux. Cette politique a principalement bénéficié aux
entreprises étrangères qui ont implanté des filiales en Irlande (par exemple IBM, Apple…).
Ce qui ressort clairement de cette étude, c’est qu’il y a au début des années 90 une polarisation
des échanges dans l’Union Européenne avec essentiellement des échanges intra-industrie dans
le Nord et des échanges inter-industrie avec le Sud. Parmi les pays du Sud, la Grèce apparaît
très différente par rapport au reste de la Communauté, ainsi que le Portugal mais dans une
moindre mesure. L’Espagne et l’Italie semblent assez proches. A priori cette dernière
constatation semble assez étrange car le capital humain moyen accumulé en Espagne est
inférieur au capital moyen accumulé en Italie.
Il y a dans le secteur manufacturier en Europe, cinq industries où le commerce inter-industrie
est significatif :
Type d’échange : unilatéral
industrie de l’habillement :
industrie de la chaussure :
industrie de mat. électrique :
industrie du tabac :
industrie du bois :
Sud (surtout PT, GR mais aussi ES, IT)
Sud (surtout PT, GR mais aussi ES, IT)
Nord
NL et GB
PT et FR
=> autres
=> autres
=> Sud
=> autres
=> autres
Pour l’industrie du bois la localisation dépend évidemment de la présence de forêts
exploitables. Autre exemple : pour l’industrie de la céramique il faut des fours et de l’argile
spécifique donc la localisation se fait selon des facteurs classiques. La localisation est ici
évidente, elle s’explique par des facteurs purement ricardiens. Pour l’industrie du tabac, la
localisation s’explique historiquement. C’est une industrie dont on ne peut que difficilement
déterminer la localisation car tout est importé de pays hors de l’Union. Pour l’industrie de
l’habillement et de la chaussure, le facteur explicatif de l’orientation des échanges est le coût
de la main d’œuvre. Pour l’industrie de matériels et machines électriques, c’est la présence de
capital humain qui est déterminante. Les pays d’Europe du Nord ont potentiellement un stock
de capital humain plus important (cfr. Figure A1 en annexe).
Les échanges observés ici sont déterminés par des facteurs ricardiens (présence de matières
premières) et par des facteurs classiques tels que la main d’œuvre et le capital humain.
6.3. Commerce inter-industrie et avantages comparatifs révélés
On a identifié les flux commerciaux inter-industrie, on va à présent analyser les avantages
comparatifs qui sous tendent ces flux. Le tableau 3 p.25 de l’article de Neven classifie les
industries en fonction de leur intensité en facteur.
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importance de la R&D :
capital humain :
intensité du capital :
intensité en main d’oeuvre :
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dépenses R&D / output
proportion de la main d’oeuvre à qualification supérieure,
nombre moyen d’années d’étude…
stock de capital par unité de production (invest. / output)
nombre d’employés par unité de production
Quelques exemples :
industries intensives en ressources naturelles :
industries intensives en capital humain :
alimentation, bois
chimie,
pharmacie,
informatique,
instruments médicaux
industries intensives en main d’oeuvre non-qualifiée :
chaussure, habillement, céramique
industries intensives en capital :
plastique, verre, papier, acier
industries moyennes en capital et moyenne en travail :
imprimerie,
métaux
non-ferreux,
caoutchouc
Remarquons qu’il peut y avoir d’autres variantes. Par exemple, l’industrie chimique est
intensive en capital en Espagne, alors qu’elle est intensive en capital humain en Belgique.
Ayant déterminé l’intensité en facteur de diverses industries, on va à présent déterminer les
avantages comparatifs (ex-post) des pays européens entre-eux.
Tableau 4. Revealed comparative advantage : Net exports/domestic output (adjusted for overall
trade balances) (%)
Belgium
Denmark
France
Germany
Grèce
Ireland
Italy
Netherlands
Portugal
Spain
UK
Natural
ressources
7.5
28.5
1.7
-4.0
-1.7
16.5
-14.9
12.0
12.2
0.6
-0.8
Av. capital/
Av. labour
8.4
-11.6
-2.6
-0.4
7.0
-9.1
6.1
N/A
4.4
2.4
1.0
High
labour
-91.8
-26.5
-9.8
-26.2
80.0
-61.3
36.1
-74.4
79.4
8.7
-2.2
High
Capital
18.3
-9.1
0.2
-20.0
-1.3
-9.5
3.1
-17.2
10.2
2.4
2.8
High human
Capital
-10.3
N/A
1.4
5.8
-98.7
11.2
-5.2
-10.1
-35.8
-6.6
-4.8
Source : Neven (1990), OCDE/Eurostat/calculs de l’auteur.
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Le tableau 4 p. 26 de l’article de Neven présente les avantages comparés révélés, c’est-à-dire
que pour chacun des pays de l’Union, on détermine dans chacune des cinq catégories
d’industrie décrites ci-dessus, les exportations nettes (exportations vers l’Union - importations
en provenance de l’Union) en pourcentage de la production domestique. Ceci détermine dans
quelle proportion, le pays est exportateur net dans une catégorie d’industrie particulière.
•
Du point de vue des ressources naturelles :
•
•
•
Le Portugal, les Pays-Bas, la Belgique et particulièrement le Danemark et l’Irlande ont
un avantage comparatif dans ce domaine. Pour le Portugal, cela provient de l’industrie
du bois, tandis que pour les autres pays, cela semble être dû à l’industrie alimentaire.
Du point de vue de la main d’œuvre et du capital, en Europe du Sud :
•
Le Portugal et la Grèce ont un avantage comparatif dans les produits intensifs en main
d’œuvre. Ces produits sont échangés contre des produits fortement intensifs en capital
humain. Ces deux pays ont en effet un désavantage comparatif dans l’industrie
intensive en capital humain. Il est intéressant de voir que ces pays n’ont pas de
désavantages comparatifs dans les industries fortement intensives en capital ou dans les
industries caractérisées par une intensité moyenne du travail et du capital.
•
L’Italie semble également avoir un avantage comparatif dans l’industrie intensive en
main d’œuvre. Toutefois, contrairement au Portugal et en Grèce, elle n’a pas de
désavantage comparatif dans l’industrie intensive en capital humain. Enfin, elle a un
léger avantage comparatif dans l’industrie intensive en capital.
•
L’Espagne, bien qu’ayant des exportations nettes positives, ne semble pas être
spécialisée dans l’industrie intensive en main d’œuvre. Son processus de spécialisation
est moins caractérisé que celui observé en Italie. Ceci s’explique principalement par le
fait que sous la dictature de Franco, le pays devait se suffire à lui-même. Par exemple,
l’Espagne a développé très tôt une industrie de l’acier, mais celle-ci a dû être démantelé
lors de l’adhésion à l’Union car l’Espagne n’y avait pas d’avantage comparatif.
L’Espagne a également un modèle de commerce qui diffèrent de celui de Portugal et de
la Grèce.
Du point de vue de la main d’œuvre et du capital en Europe du Nord :
•
L’Allemagne et dans une certaine mesure la France semblent avoir un avantage
comparatif dans l’industrie intensive en capital humain. Les autres pays ont un léger
désavantage comparatif dans ce domaine. La Belgique a un sérieux avantage comparatif
dans les biens intensifs en capital. Par rapport aux pays qui l’entourent, la Belgique a un
6
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•
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stock de capital humain relativement faible. Les autres pays et en particulier la Grande
Bretagne, n’ont pas de véritable avantage ou désavantage comparatif révélé. L’Irlande a
un statut particulier (cf. discussion supra).
Globalement, la Grèce et le Portugal sont spécialisés dans l’industrie intensive en main
d’œuvre, tandis que l’Allemagne et dans une moindre mesure la France, sont spécialisés
dans l’industrie intensive en capital humain. A l’opposé, le capital physique ne semble
pas générer d’avantages comparatifs significatifs. Le commerce dans les industries
intensives en capital ou dans les industries caractérisées par un travail et un capital
moyen, est principalement de nature intra-industrie.
Dans l’Union, les mouvements de capitaux sont libres, mais les spécialisations observées
persistent parce que les investissements marginaux sont plus productifs lorsque l’accumulation
des capitaux pré-existants est importante. Au-delà de l’obtention de crédit, il y a donc des
facteurs qui déterminent les investissements en capital physique, quels sont-ils ?
Principalement la technologie, le risque du pays et le capital humain.
6.4. Prix des facteurs et avantages comparatifs potentiels
L’analyse développée jusqu’ici montre qu’il y a eu une spécialisation grâce aux avantages
comparés mais ne dit pas si ces avantages ont été complètement épuisés. Pour voir si les
avantages ont été pleinement exploités, on compare le prix de facteurs dans les différents pays
de l’Union.
Tableau 5. Hourly labour costs (1984 & 1996)
ECU
Belgium
Denmark
Netherlands
France
Germany
UK
Italy
Greece
Spain
Ireland
Portugal
13.4
11.9
13.7
12.4
14.2
9.0
10.7
4.1
6.1
8.9
2.4
1984*
Deviation from
EC average
(%)
38
23
41
27
47
-7
-10
-58
-37
-8
-75
ECU
25.8
23.0
22.6
22.5
26.5
N/A
17.2
9.6
14.9
13.8
6.1
1996**
Deviation from
Euro zone
average (%)
19
7
5
4
23
N/A
-20
-56
-31
-36
-72
Sources : * Neven (1990), Eurostat/calculs de l’auteur.
** Eurostat Statistics in Focus, Population and social conditions, no 10/99 : “Labour Costs 1996:
Major disparities between the European Union countries”
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Le tableau 5 p.28 de l’article de Neven reprend les coûts horaires du travail en 1984. Ce
tableau est actualisé avec les statistiques de 1996. La théorie traditionnelle du commerce, basée
sur la concurrence parfaite, suggère que la pleine exploitation des avantages comparatifs mène
à l’égalisation du prix relatif des facteurs entre les différents pays. On remarque que les
disparités par rapport à la moyenne communautaire sont grandes en 1984 et persistent en 1996.
En particulier, en France et au Danemark, le coût du travail est en 1984 environ 25% au-dessus
de la moyenne communautaire. En Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, il se situe à 35% à
45% au-dessus de la moyenne. Par contre en Grèce, au Portugal et en Espagne, le coût de la
main d’œuvre est au moins 40% en dessous de la moyenne communautaire !
En conclusion, il est possible d’exploiter d’avantage les avantages comparatifs du Sud et du
Nord. Il existe donc un potentiel de spécialisation supplémentaire. Les avantages comparatifs
ne sont pas pleinement exploités parce qu’il y a encore des barrières non-tarifaires.
Autre observation, le coût horaire de la main d’œuvre en Espagne est de 37% en dessous de la
moyenne communautaire, alors que pour l’Italie, il n’est que de 10% (en 1984). Si les pays
s’étaient spécialisés de manière similaire, la déviation aurait dû être similaire. Pourquoi
l’Espagne ne s’est pas plus spécialisée que l’Italie étant donné qu’elle a un coût de main
d’œuvre inférieur ?
Deux raisons expliquent ce phénomène : d’une part, l’adhésion tardive de l’Espagne dans
l’Union fait que ce pays à dû faire face à des barrières à l’entrée. D’autre part, Franco avait
comme idée économique que l’Espagne devait être indépendante du reste du monde (autarcie).
Des pays comme l’Espagne et le Portugal avaient intérêt à se spécialiser dans l’industrie
intensive en main d’œuvre. Souvent les pays s’y sont opposés eux-mêmes parce qu’il n’y a pas
d’avenir à se spécialiser dans des secteurs industriels intensifs en main d’œuvre et parce qu’il
faut un minimum de diversification.
Il pourrait également y avoir des économies dynamiques. Le modèle de la théorie de la
croissance réfute la théorie classique selon laquelle, le meilleur moyen d’assurer la croissance à
LT est de se spécialiser à court terme en vertu des avantages comparés (progressivement on
accumule des facteurs et on rattrapera le retard par une accumulation plus soutenue). Or pour
que des pays rattrapent leur retard par rapport aux pays développés, il leur faut un stock
minimum de capital physique et humain pour bénéficier des économies dynamiques, des
rendements d’échelle dynamiques. En effet, la productivité marginale du capital (et capital
humain) est plus élevée lorsque le stock de capital (humain) est plus grand. Il n’y a donc pas de
place pour un éventuel rattrapage et l’écart entre le Nord et le Sud continuera à croître.
Que signifie des rendements d’échelle croissants en capital humain ? Par exemple :
• spill-over (effet de réseau) : la probabilité de rencontrer la personne qui va vous aider
est d’autant plus élevée que le stock de personnes averties est grand, que le réseau est
large.
8
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•
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externalités de la formation et l’enseignement : le capital humain accumulé par les
parents augmente la probabilité d’accumulation de capital par les enfants. Lorsque, par
exemple, les parents ont fait des études universitaires, il y a une plus grande probabilité
que leur progéniture en fasse de même.
Des pays comme l’Espagne et le Portugal ont intérêt à subventionner la formation, l’éducation,
la R&D. Intérêt à investir plus en capital et plus en capital humain là où la productivité
marginale est faible de manière à accumuler un stock de capital physique et humain et à
combler le retard. Exemple : la Corée. Elle a commencé à se spécialiser dans les biens très
intensifs en main d’œuvre et a en même temps accumulé du capital humain. Donc, il faut
accommoder la théorie classique par la nouvelle théorie de la croissance.
6.5. Suppression des barrières non-tarifaires et spécialisation
On a vu que de larges potentiels d’avantages comparatifs sont restés inexploités entre le Nord
et le Sud de l’Europe, et l’on a avancé que cela pouvait être dû aux barrières non-tarifaires. On
va d’abord voir s’il y a une certaine convergence des coûts salariaux.
La Figure 1 p.31 de l’article de Neven montre qu’il y a une nette convergence des pays
d’Europe du Nord, depuis 1975. Les différences de coûts salariaux entre ces pays sont du
même ordre de grandeur que les disparités des salaires à l’intérieur d’un pays. En d’autres
termes, les disparités régionales sont tout aussi importantes que les disparités nationales. Les
facteurs classiques de spécialisation n’existent donc plus.
Entre 1985 et 1990, il y a eu en Espagne, au Portugal et en Italie, un incroyable rattrapage des
salaires. En Espagne la différence de salaire est passée de quelques 35% à 17% actuellement.
L’Italie quant à elle, converge nettement vers les pays d’Europe du Nord. Deux pays ne
convergent pas : la Grèce et l’Irlande. L’Irlande est pourtant depuis longtemps dans l’Union
mais ne s’est toujours pas spécialisée. Sans doute n’y avait-il pas une accumulation préalable
suffisante. Cette explication est certainement également valable pour la Grèce. Notons que le
Portugal a un stock de capital comparable à celui de la Grèce, et parvient quand même à
rattraper son retard. Il doit donc y avoir un problème spécifique en Grèce.
Il y a une convergence certaine des salaires, donc on se demande si on peut raisonnablement
s’attendre à ce que la suppression des barrières non-tarifaires, entraîne une convergence accrue.
Il s’agit donc à présent, de voir s’il y a une éventuelle corrélation entre les différences de
rémunération et les barrières non-tarifaires. L’article de Neven tente, en effet, de voir si les
différences de coûts salariaux entre des paires de pays sont corrélées à travers les différentes
industries, au niveau des barrières non-tarifaires. Pour « approximer » les barrières nontarifaires, il utilise une variable présentée dans l’article de Neven & Roeller (1989).
Le tableau 8 p.33 de l’article de Neven présente ces résultats. Entre l’Allemagne, la France et
l’Italie, les différences de salaires ne sont pas liées au niveau des barrières tarifaires. La
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corrélation est, en effet, à peu près nulle, ce qui signifie qu’il y a convergence complète entre
ces pays. Il convient de tempérer ces résultats étant donné qu’ils ne tiennent pas compte du
capital humain, or le tableau 6 p.30 de l’article de Neven indique à partir de données reflétant
le capital humain, que les pays les plus en avance sont l’Allemagne suivie de la GrandeBretagne. Ensuite viennent la France, les Pays-Bas et la Belgique. La Grande-Bretagne a un
coût du travail similaire à celui des autres pays d’Europe du Nord et a un capital humain plus
élevé, donc le coût implicite de ce dernier y est plus faible. Il y a donc un potentiel de
spécialisation de la Grande-Bretagne dans les industries intensives en R&D et en capital
humain. Ceci correspond au processus observé en pratique, de délocalisation du continent vers
la Grande-Bretagne d’industries électroniques, pharmaceutiques…..
6.6. Conclusion
Il reste un certain nombre d’échanges entre l’Europe du Nord et du Sud déterminés par des
éléments classiques tels que les avantages comparatifs. Ce n’est plus le cas pour les échanges
entre les pays d’Europe du Nord. Globalement les différences subsistantes de salaires dans ce
dernier groupe de pays sont faibles, et ne semblent pas liées à l’existence de barrières nontarifaires. Le bénéfice de la suppression des barrières non-tarifaires, dans le sens d’une
meilleure exploitation des avantages comparatifs, y est dès lors très limité. On peut donc dire
que les pays d’Europe du Nord sont parfaitement intégrés.
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ANNEXE
FIGURE A1. % de la population âgée de 25 à 59 ans ayant achevé au moins le 2è cycle de
l’enseignement secondaire : hommes et femmes, 1999
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
PT
SP
IT
IE
GR
BE
EU-15
FR
UK
LU
NL
FI
AT
SE
DK
DE
source: Eurostat, Annuaire 2001
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