NC7 - les fondements théoriques de l`intégration économique
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NC7 - les fondements théoriques de l`intégration économique
ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC7 M. Cincera 6. Théorie des Unions Douanières en concurrence imparfaite1 6.1. Introduction Les théories classiques du commerce international ne s’intéressent qu’aux échanges de commerce unidirectionnels. Sur un marché donné, un pays n’est pas en même temps importateur et exportateur : la Belgique par exemple importe du vin d’un pays membre de l’Union (Portugal) et du reste du monde (Tchéquie) et le Portugal n’importe pas de vin en provenance de la Belgique. Ce type de commerce unilatéral est généré par les avantages comparatifs. Facteurs explicatifs de ces avantages comparés : + différences de technologie (RICARDO) + différences de dotations de facteurs de production (HECKSHER-OLIN) Remarque : il existe de nombreux facteurs qui expliquent des différences de productivité. Par exemple dans le secteur de l’agriculture, les différences de climat sont des facteurs importants qui expliquent les différences de productivité. Remarque : La théorie nous apprend pourquoi il y a des échanges commerciaux mais n’explique pas l’origine de l’allocation des ressources en tant que tel. Par exemple, pourquoi les Français produisent-ils des Renault et les Italiens des Alfa-roméo ? En fait, dans l’Union européenne, la part du commerce qui s’explique par les avantages comparatifs ne représente qu’une faible partie du commerce total. La majeure partie des échanges porte sur des échanges bilatéraux dans un même secteur. Par exemple, la France et l’Italie s’échangent des voitures, des produits chimiques. Ce type de commerce s’explique par les économies d’échelle et la différentiation des produits (cfr. arguments de la concurrence imparfaite pour expliquer les échanges au sein d’une union). 6.2. Caractéristiques du commerce intra-CE Il convient de faire une distinction entre les deux types d’échange suivants : Échanges unilatéraux, inter-industrie : ces échanges sont basés sur les avantages comparatifs. Ce type de commerce a lieu typiquement entre les pays qui ont des PIB relativement différents, c’est-à-dire entre les pays de l’Europe du Nord et ceux de L’Europe du Sud. 1 Notes de cours basées sur l’article de Damien Neven « Gains and Losses from 1992: EEC Integration towards 1992: Some Distributional Aspects », Economic Policy: A European Forum, 0(10), April 1990, pages 13-62. ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 M. Cincera Échanges bilatéraux, intra-industrie (à l’intérieur d’une même industrie) : ce type d’échange est basé sur les rendements d’échelle (Condition nécessaire et suffisante pour avoir un commerce bilatéral) et la différentiation des produits (condition accessoire). Le tableau 1 p.21 de l’article de Neven reprend la moyenne des indices de commerce pour l’ensemble des flux bilatéraux entre 29 secteurs industriels. Ces indices sont calculés à partir de l’indice de Grubel-Lloyd. Indice de Grubel-Lloyd X ijk AIITijk = 1 − X ij X ijk X ij − + M ijk M ij M ijk M ij où i, j = pays ; k = industrie pour une industrie k donnée, si Mijk/Mij =Xijk/Xij alors, l’indice vaut 1. Remarques : • indice = 1 si le commerce est de type intra-industrie • indice = 0 si le commerce est de type inter-industrie • AIIT : Absolute Intra Industry Trade Tableau 1. Indices moyens de commerce intra-industrie (%) UK UK Allemagne Belgique France Pays-Bas Italie Danemark Espagne Irlande Portugal Grèce 73 73 79 77 64 63 57 70 40 41 DE 73 74 74 63 58 71 58 59 36 35 BE 73 74 72 77 54 55 59 50 40 36 FR 79 74 72 63 63 50 63 48 39 37 NL 77 63 77 63 41 67 53 52 39 44 IT 64 58 54 63 41 46 60 47 47 31 DK 63 71 55 50 67 46 39 55 29 28 SP 57 58 59 63 53 60 39 40 46 19 IE 70 59 50 48 52 47 55 40 25 25 PT 40 36 40 39 39 47 29 46 25 GR 41 35 36 37 44 31 28 19 25 31 31 Source : Neven (1990), OCDE/calculs de l’auteur. Il ressort du tableau 1 que l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Belgique sont caractérisés par un commerce intra-industrie intense, principalement entre eux. Par exemple, 73% du commerce entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne est de type bilatéral. La Grèce et le Portugal sont les pays qui ont le moins de commerce intra-industrie et l’Irlande, 2 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 M. Cincera l’Espagne et l’Italie connaissent des valeurs intermédiaires. De manière générale, on constate que les pays du Nord de l’Europe sont caractérisés par du commerce intra-industrie entre eux et du commerce inter-industrie avec les pays du Sud. On observe par conséquent une différentiation entre le Nord et le Sud et le commerce entre ces deux pôles s’explique par les avantages comparatifs. Tableau 2. Structures des échanges de commerce : résultats de la procédure de clustering 1 2 2 groupes Portugal Grèce France Allemagne Belgique UK Pays-Bas Espagne Italie Danemark 1 3 groupes Grèce 2 Espagne Portugal Italie 3 France Allemagne Belgique UK Pays-Bas Danemark Source : Neven (1990), OCDE/calculs de l’auteur. Le tableau 2 p.22 de l’article de Neven classifie les pays en deux ou trois groupes en fonction de la similarité de leurs échanges commerciaux. La classification en deux groupes reprend le Portugal et la Grèce d’une part et les autres pays de l’Union d’autre part. La classification en trois groupes comprend un groupe avec la Grèce isolée, un autre groupe avec l’Espagne, l’Italie et le Portugal et le troisième groupe, les autres pays de l’Union. Lorsqu’on augmente le nombre de groupe au delà de trois, la Grèce de même que le Portugal se retrouve à chaque fois dans des groupes isolés. L’Espagne et l’Italie se retrouve dans un même groupe : cela est-il normal ? En fait ces deux pays sont caractérisés par de fortes disparités régionales Nord-Sud, mais cette situation n’est pas suffisante pour expliquer la similitude constatée en matière de commerce. L’explication provient en fait de la structure de la production. Remarque : L’Irlande n’est pas reprise dans cette classification. Ce pays apparaît comme étant fortement spécialisé dans des biens à haut contenu technologique. Ceci est une conséquence de la politique du gouvernement irlandais qui a mis en œuvre une série d’instruments afin d’attirer les investissements étrangers (IDE = investissements directs à l’étranger), les multinationales et les industries intensives en R&D. Par exemple, le taux d’imposition des bénéfices des sociétés a été réduit à 10%, les entreprises ont eu dès lors intérêt à modifier leurs prix de transferts de sorte à localiser un maximum de profits en Irlande. On payait les inputs (importations) à très bon marché et les outputs (exportations) étaient vendus à un prix très élevé. Dès lors ces secteurs dégageaient des surplus très importants mais tout à fait artificiels. Notons que cette 3 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 M. Cincera politique a coûté très cher au gouvernement irlandais. De plus, les effets sur l’emploi, de même que les effets d’entraînement sur l’économie locale et la diffusion des technologies de ces multinationales ont été très marginaux. Cette politique a principalement bénéficié aux entreprises étrangères qui ont implanté des filiales en Irlande (par exemple IBM, Apple…). Ce qui ressort clairement de cette étude, c’est qu’il y a au début des années 90 une polarisation des échanges dans l’Union Européenne avec essentiellement des échanges intra-industrie dans le Nord et des échanges inter-industrie avec le Sud. Parmi les pays du Sud, la Grèce apparaît très différente par rapport au reste de la Communauté, ainsi que le Portugal mais dans une moindre mesure. L’Espagne et l’Italie semblent assez proches. A priori cette dernière constatation semble assez étrange car le capital humain moyen accumulé en Espagne est inférieur au capital moyen accumulé en Italie. Il y a dans le secteur manufacturier en Europe, cinq industries où le commerce inter-industrie est significatif : Type d’échange : unilatéral industrie de l’habillement : industrie de la chaussure : industrie de mat. électrique : industrie du tabac : industrie du bois : Sud (surtout PT, GR mais aussi ES, IT) Sud (surtout PT, GR mais aussi ES, IT) Nord NL et GB PT et FR => autres => autres => Sud => autres => autres Pour l’industrie du bois la localisation dépend évidemment de la présence de forêts exploitables. Autre exemple : pour l’industrie de la céramique il faut des fours et de l’argile spécifique donc la localisation se fait selon des facteurs classiques. La localisation est ici évidente, elle s’explique par des facteurs purement ricardiens. Pour l’industrie du tabac, la localisation s’explique historiquement. C’est une industrie dont on ne peut que difficilement déterminer la localisation car tout est importé de pays hors de l’Union. Pour l’industrie de l’habillement et de la chaussure, le facteur explicatif de l’orientation des échanges est le coût de la main d’œuvre. Pour l’industrie de matériels et machines électriques, c’est la présence de capital humain qui est déterminante. Les pays d’Europe du Nord ont potentiellement un stock de capital humain plus important (cfr. Figure A1 en annexe). Les échanges observés ici sont déterminés par des facteurs ricardiens (présence de matières premières) et par des facteurs classiques tels que la main d’œuvre et le capital humain. 6.3. Commerce inter-industrie et avantages comparatifs révélés On a identifié les flux commerciaux inter-industrie, on va à présent analyser les avantages comparatifs qui sous tendent ces flux. Le tableau 3 p.25 de l’article de Neven classifie les industries en fonction de leur intensité en facteur. 4 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 importance de la R&D : capital humain : intensité du capital : intensité en main d’oeuvre : M. Cincera dépenses R&D / output proportion de la main d’oeuvre à qualification supérieure, nombre moyen d’années d’étude… stock de capital par unité de production (invest. / output) nombre d’employés par unité de production Quelques exemples : industries intensives en ressources naturelles : industries intensives en capital humain : alimentation, bois chimie, pharmacie, informatique, instruments médicaux industries intensives en main d’oeuvre non-qualifiée : chaussure, habillement, céramique industries intensives en capital : plastique, verre, papier, acier industries moyennes en capital et moyenne en travail : imprimerie, métaux non-ferreux, caoutchouc Remarquons qu’il peut y avoir d’autres variantes. Par exemple, l’industrie chimique est intensive en capital en Espagne, alors qu’elle est intensive en capital humain en Belgique. Ayant déterminé l’intensité en facteur de diverses industries, on va à présent déterminer les avantages comparatifs (ex-post) des pays européens entre-eux. Tableau 4. Revealed comparative advantage : Net exports/domestic output (adjusted for overall trade balances) (%) Belgium Denmark France Germany Grèce Ireland Italy Netherlands Portugal Spain UK Natural ressources 7.5 28.5 1.7 -4.0 -1.7 16.5 -14.9 12.0 12.2 0.6 -0.8 Av. capital/ Av. labour 8.4 -11.6 -2.6 -0.4 7.0 -9.1 6.1 N/A 4.4 2.4 1.0 High labour -91.8 -26.5 -9.8 -26.2 80.0 -61.3 36.1 -74.4 79.4 8.7 -2.2 High Capital 18.3 -9.1 0.2 -20.0 -1.3 -9.5 3.1 -17.2 10.2 2.4 2.8 High human Capital -10.3 N/A 1.4 5.8 -98.7 11.2 -5.2 -10.1 -35.8 -6.6 -4.8 Source : Neven (1990), OCDE/Eurostat/calculs de l’auteur. 5 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 M. Cincera Le tableau 4 p. 26 de l’article de Neven présente les avantages comparés révélés, c’est-à-dire que pour chacun des pays de l’Union, on détermine dans chacune des cinq catégories d’industrie décrites ci-dessus, les exportations nettes (exportations vers l’Union - importations en provenance de l’Union) en pourcentage de la production domestique. Ceci détermine dans quelle proportion, le pays est exportateur net dans une catégorie d’industrie particulière. • Du point de vue des ressources naturelles : • • • Le Portugal, les Pays-Bas, la Belgique et particulièrement le Danemark et l’Irlande ont un avantage comparatif dans ce domaine. Pour le Portugal, cela provient de l’industrie du bois, tandis que pour les autres pays, cela semble être dû à l’industrie alimentaire. Du point de vue de la main d’œuvre et du capital, en Europe du Sud : • Le Portugal et la Grèce ont un avantage comparatif dans les produits intensifs en main d’œuvre. Ces produits sont échangés contre des produits fortement intensifs en capital humain. Ces deux pays ont en effet un désavantage comparatif dans l’industrie intensive en capital humain. Il est intéressant de voir que ces pays n’ont pas de désavantages comparatifs dans les industries fortement intensives en capital ou dans les industries caractérisées par une intensité moyenne du travail et du capital. • L’Italie semble également avoir un avantage comparatif dans l’industrie intensive en main d’œuvre. Toutefois, contrairement au Portugal et en Grèce, elle n’a pas de désavantage comparatif dans l’industrie intensive en capital humain. Enfin, elle a un léger avantage comparatif dans l’industrie intensive en capital. • L’Espagne, bien qu’ayant des exportations nettes positives, ne semble pas être spécialisée dans l’industrie intensive en main d’œuvre. Son processus de spécialisation est moins caractérisé que celui observé en Italie. Ceci s’explique principalement par le fait que sous la dictature de Franco, le pays devait se suffire à lui-même. Par exemple, l’Espagne a développé très tôt une industrie de l’acier, mais celle-ci a dû être démantelé lors de l’adhésion à l’Union car l’Espagne n’y avait pas d’avantage comparatif. L’Espagne a également un modèle de commerce qui diffèrent de celui de Portugal et de la Grèce. Du point de vue de la main d’œuvre et du capital en Europe du Nord : • L’Allemagne et dans une certaine mesure la France semblent avoir un avantage comparatif dans l’industrie intensive en capital humain. Les autres pays ont un léger désavantage comparatif dans ce domaine. La Belgique a un sérieux avantage comparatif dans les biens intensifs en capital. Par rapport aux pays qui l’entourent, la Belgique a un 6 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 • M. Cincera stock de capital humain relativement faible. Les autres pays et en particulier la Grande Bretagne, n’ont pas de véritable avantage ou désavantage comparatif révélé. L’Irlande a un statut particulier (cf. discussion supra). Globalement, la Grèce et le Portugal sont spécialisés dans l’industrie intensive en main d’œuvre, tandis que l’Allemagne et dans une moindre mesure la France, sont spécialisés dans l’industrie intensive en capital humain. A l’opposé, le capital physique ne semble pas générer d’avantages comparatifs significatifs. Le commerce dans les industries intensives en capital ou dans les industries caractérisées par un travail et un capital moyen, est principalement de nature intra-industrie. Dans l’Union, les mouvements de capitaux sont libres, mais les spécialisations observées persistent parce que les investissements marginaux sont plus productifs lorsque l’accumulation des capitaux pré-existants est importante. Au-delà de l’obtention de crédit, il y a donc des facteurs qui déterminent les investissements en capital physique, quels sont-ils ? Principalement la technologie, le risque du pays et le capital humain. 6.4. Prix des facteurs et avantages comparatifs potentiels L’analyse développée jusqu’ici montre qu’il y a eu une spécialisation grâce aux avantages comparés mais ne dit pas si ces avantages ont été complètement épuisés. Pour voir si les avantages ont été pleinement exploités, on compare le prix de facteurs dans les différents pays de l’Union. Tableau 5. Hourly labour costs (1984 & 1996) ECU Belgium Denmark Netherlands France Germany UK Italy Greece Spain Ireland Portugal 13.4 11.9 13.7 12.4 14.2 9.0 10.7 4.1 6.1 8.9 2.4 1984* Deviation from EC average (%) 38 23 41 27 47 -7 -10 -58 -37 -8 -75 ECU 25.8 23.0 22.6 22.5 26.5 N/A 17.2 9.6 14.9 13.8 6.1 1996** Deviation from Euro zone average (%) 19 7 5 4 23 N/A -20 -56 -31 -36 -72 Sources : * Neven (1990), Eurostat/calculs de l’auteur. ** Eurostat Statistics in Focus, Population and social conditions, no 10/99 : “Labour Costs 1996: Major disparities between the European Union countries” 7 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 M. Cincera Le tableau 5 p.28 de l’article de Neven reprend les coûts horaires du travail en 1984. Ce tableau est actualisé avec les statistiques de 1996. La théorie traditionnelle du commerce, basée sur la concurrence parfaite, suggère que la pleine exploitation des avantages comparatifs mène à l’égalisation du prix relatif des facteurs entre les différents pays. On remarque que les disparités par rapport à la moyenne communautaire sont grandes en 1984 et persistent en 1996. En particulier, en France et au Danemark, le coût du travail est en 1984 environ 25% au-dessus de la moyenne communautaire. En Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, il se situe à 35% à 45% au-dessus de la moyenne. Par contre en Grèce, au Portugal et en Espagne, le coût de la main d’œuvre est au moins 40% en dessous de la moyenne communautaire ! En conclusion, il est possible d’exploiter d’avantage les avantages comparatifs du Sud et du Nord. Il existe donc un potentiel de spécialisation supplémentaire. Les avantages comparatifs ne sont pas pleinement exploités parce qu’il y a encore des barrières non-tarifaires. Autre observation, le coût horaire de la main d’œuvre en Espagne est de 37% en dessous de la moyenne communautaire, alors que pour l’Italie, il n’est que de 10% (en 1984). Si les pays s’étaient spécialisés de manière similaire, la déviation aurait dû être similaire. Pourquoi l’Espagne ne s’est pas plus spécialisée que l’Italie étant donné qu’elle a un coût de main d’œuvre inférieur ? Deux raisons expliquent ce phénomène : d’une part, l’adhésion tardive de l’Espagne dans l’Union fait que ce pays à dû faire face à des barrières à l’entrée. D’autre part, Franco avait comme idée économique que l’Espagne devait être indépendante du reste du monde (autarcie). Des pays comme l’Espagne et le Portugal avaient intérêt à se spécialiser dans l’industrie intensive en main d’œuvre. Souvent les pays s’y sont opposés eux-mêmes parce qu’il n’y a pas d’avenir à se spécialiser dans des secteurs industriels intensifs en main d’œuvre et parce qu’il faut un minimum de diversification. Il pourrait également y avoir des économies dynamiques. Le modèle de la théorie de la croissance réfute la théorie classique selon laquelle, le meilleur moyen d’assurer la croissance à LT est de se spécialiser à court terme en vertu des avantages comparés (progressivement on accumule des facteurs et on rattrapera le retard par une accumulation plus soutenue). Or pour que des pays rattrapent leur retard par rapport aux pays développés, il leur faut un stock minimum de capital physique et humain pour bénéficier des économies dynamiques, des rendements d’échelle dynamiques. En effet, la productivité marginale du capital (et capital humain) est plus élevée lorsque le stock de capital (humain) est plus grand. Il n’y a donc pas de place pour un éventuel rattrapage et l’écart entre le Nord et le Sud continuera à croître. Que signifie des rendements d’échelle croissants en capital humain ? Par exemple : • spill-over (effet de réseau) : la probabilité de rencontrer la personne qui va vous aider est d’autant plus élevée que le stock de personnes averties est grand, que le réseau est large. 8 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 • M. Cincera externalités de la formation et l’enseignement : le capital humain accumulé par les parents augmente la probabilité d’accumulation de capital par les enfants. Lorsque, par exemple, les parents ont fait des études universitaires, il y a une plus grande probabilité que leur progéniture en fasse de même. Des pays comme l’Espagne et le Portugal ont intérêt à subventionner la formation, l’éducation, la R&D. Intérêt à investir plus en capital et plus en capital humain là où la productivité marginale est faible de manière à accumuler un stock de capital physique et humain et à combler le retard. Exemple : la Corée. Elle a commencé à se spécialiser dans les biens très intensifs en main d’œuvre et a en même temps accumulé du capital humain. Donc, il faut accommoder la théorie classique par la nouvelle théorie de la croissance. 6.5. Suppression des barrières non-tarifaires et spécialisation On a vu que de larges potentiels d’avantages comparatifs sont restés inexploités entre le Nord et le Sud de l’Europe, et l’on a avancé que cela pouvait être dû aux barrières non-tarifaires. On va d’abord voir s’il y a une certaine convergence des coûts salariaux. La Figure 1 p.31 de l’article de Neven montre qu’il y a une nette convergence des pays d’Europe du Nord, depuis 1975. Les différences de coûts salariaux entre ces pays sont du même ordre de grandeur que les disparités des salaires à l’intérieur d’un pays. En d’autres termes, les disparités régionales sont tout aussi importantes que les disparités nationales. Les facteurs classiques de spécialisation n’existent donc plus. Entre 1985 et 1990, il y a eu en Espagne, au Portugal et en Italie, un incroyable rattrapage des salaires. En Espagne la différence de salaire est passée de quelques 35% à 17% actuellement. L’Italie quant à elle, converge nettement vers les pays d’Europe du Nord. Deux pays ne convergent pas : la Grèce et l’Irlande. L’Irlande est pourtant depuis longtemps dans l’Union mais ne s’est toujours pas spécialisée. Sans doute n’y avait-il pas une accumulation préalable suffisante. Cette explication est certainement également valable pour la Grèce. Notons que le Portugal a un stock de capital comparable à celui de la Grèce, et parvient quand même à rattraper son retard. Il doit donc y avoir un problème spécifique en Grèce. Il y a une convergence certaine des salaires, donc on se demande si on peut raisonnablement s’attendre à ce que la suppression des barrières non-tarifaires, entraîne une convergence accrue. Il s’agit donc à présent, de voir s’il y a une éventuelle corrélation entre les différences de rémunération et les barrières non-tarifaires. L’article de Neven tente, en effet, de voir si les différences de coûts salariaux entre des paires de pays sont corrélées à travers les différentes industries, au niveau des barrières non-tarifaires. Pour « approximer » les barrières nontarifaires, il utilise une variable présentée dans l’article de Neven & Roeller (1989). Le tableau 8 p.33 de l’article de Neven présente ces résultats. Entre l’Allemagne, la France et l’Italie, les différences de salaires ne sont pas liées au niveau des barrières tarifaires. La 9 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 M. Cincera corrélation est, en effet, à peu près nulle, ce qui signifie qu’il y a convergence complète entre ces pays. Il convient de tempérer ces résultats étant donné qu’ils ne tiennent pas compte du capital humain, or le tableau 6 p.30 de l’article de Neven indique à partir de données reflétant le capital humain, que les pays les plus en avance sont l’Allemagne suivie de la GrandeBretagne. Ensuite viennent la France, les Pays-Bas et la Belgique. La Grande-Bretagne a un coût du travail similaire à celui des autres pays d’Europe du Nord et a un capital humain plus élevé, donc le coût implicite de ce dernier y est plus faible. Il y a donc un potentiel de spécialisation de la Grande-Bretagne dans les industries intensives en R&D et en capital humain. Ceci correspond au processus observé en pratique, de délocalisation du continent vers la Grande-Bretagne d’industries électroniques, pharmaceutiques….. 6.6. Conclusion Il reste un certain nombre d’échanges entre l’Europe du Nord et du Sud déterminés par des éléments classiques tels que les avantages comparatifs. Ce n’est plus le cas pour les échanges entre les pays d’Europe du Nord. Globalement les différences subsistantes de salaires dans ce dernier groupe de pays sont faibles, et ne semblent pas liées à l’existence de barrières nontarifaires. Le bénéfice de la suppression des barrières non-tarifaires, dans le sens d’une meilleure exploitation des avantages comparatifs, y est dès lors très limité. On peut donc dire que les pays d’Europe du Nord sont parfaitement intégrés. 10 ECONOMIE DE L’INTEGRATION EUROPEENNE – NOTES DE COURS NC6 M. Cincera ANNEXE FIGURE A1. % de la population âgée de 25 à 59 ans ayant achevé au moins le 2è cycle de l’enseignement secondaire : hommes et femmes, 1999 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% PT SP IT IE GR BE EU-15 FR UK LU NL FI AT SE DK DE source: Eurostat, Annuaire 2001 11