2009_01_20 rencontre Merieux - Région Rhône

Transcription

2009_01_20 rencontre Merieux - Région Rhône
Les Actes
De la crise à la prospective
par M. Alain MERIEUX
1 è r e r e n c o n t re d e l a P ro sp e c t i v e
m a rd i 2 0 j a n v i e r 2 0 0 9
Conseil économique et social régional Rhône-Alpes
De la crise à la prospective
par M. Alain MERIEUX
1 è r e r e n c o n t re d e l a P ro sp e c t i v e
m a rd i 2 0 j a n v i e r 2 0 0 9
Charbonnières-les-Bains
Actes n° 2009-01
L e C E S R en q ue lqu es m ots …
Le CESR concourt à l’administration de la région aux côtés du
Conseil régional et de son Président.
Il s’agit d’une assemblée consultative qui émet des avis
(saisines) et contributions (autosaisines). Elle est représentative
de la vie économique et sociale de la région.
Expression de la société civile dans toute sa diversité, les
propositions du CESR éclairent les choix des décideurs
régionaux.
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De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
S
o
m
m
a
i
r
e
Ouverture de la rencontre par Bruno LACROIX
5
Introduction d’Alain FONTAN, journaliste à FR3, animateur de la table ronde et
du débat de la Rencontre
6
La conférence d’Alain Mérieux
7
La table ronde avec Bernard POUYET, Tugrul ATAMER et Gilles LE CHATELIER,
animée par Alain FONTAN
15
Le débat avec la salle
21
Annexe
I
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
3
Ouverture de la rencontre par Bruno LACROIX, président du Conseil
économique et social régional Rhône-Alpes
Président LACROIX - Je vous propose de commencer cette soirée
« Rencontre de la Prospective ». Il y a exactement un an, nous avions
lancé la première soirée « Rencontre de la Prospective » avec, pour
invité d'honneur, Philippe Desmarescaux.
Philippe a soutenu avec passion la thèse suivant laquelle, si la Région
devait soutenir un projet, ce serait celui permettant à la recherche
régionale de déboucher sur des grandes innovations de demain se
situant au carrefour des biotechnologies, des nanotechnologies et de
l'électronique/informatique. Au cours de l'année, d’autres intervenants
nous ont aidés à réfléchir et à nous projeter sur la recherche
agronomique, sur l'environnement ou l'ordre international.
Ce soir, nous recevons Alain Mérieux. Je le remercie infiniment d'avoir accepté notre invitation.
Alain Mérieux connaît bien notre institution, ayant été premier vice-président du Conseil régional en
charge de la recherche et de l'enseignement supérieur. A ce titre, il travailla particulièrement au
rapprochement de la recherche et de l'enseignement avec le monde des entreprises dont il est
issu.
Né dans un environnement biomédical, Alain Mérieux a lancé en 1963 la société bioMérieux, l’un
des fleurons de nos entreprises familiales régionales, qui réalise plus d'un milliard d'euros de chiffre
d'affaires. Un métier qui, si je l'ai un peu compris, est à la jonction pour le moins des biotechnologies
et de l'informatique, peut-être demain aussi des nanotechnologies, il nous le dira.
La vision à la fois très concrète et très globale d'Alain Mérieux, très internationale et en même
temps ancrée dans le local en fait un témoin privilégié de ce que nous vivons sur le plan
économique. Nous allons donc lui demander de nous faire part de sa vision partant de la crise
actuelle, de la Prospective et de l'intérêt de la Prospective. Il dialoguera avec un certain nombre
de membres de la section Prospective, dont Bernard Pouyet, Tugrul Atamer, avant que le débat ne
s'ouvre avec vous tous.
Remercions M. Alain Fontan de FR3 d'avoir accepté d'animer cette soirée. Je vous passe le relais,
monsieur Fontan. A vous de faire l’animation.
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
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Introduction d’Alain FONTAN, journaliste à FR3, animateur de la table
ronde et du débat de la Rencontre
M. FONTAN.- Merci, monsieur le président.
Mesdames, messieurs, bonsoir. Effectivement, nous sommes là pour nous
projeter dans l'avenir, un avenir assez lointain – nous irons jusqu'en 2025 – à
partir des réalités qui sont celles que nous vivons, j'ai presque envie de dire
celles que nous subissons aujourd'hui et ce, sur la base d'un travail qu'a
notamment réalisé votre Assemblée du CESR de la Région Rhône-Alpes, un
travail prospectif qu'à titre de journaliste, je considère comme exemplaire,
rare et sans doute très instructif quant à la méthode et aux objectifs.
Vous m'invitez à animer un temps de réflexion, d’écoute et de partage,
monsieur le président, un temps de communication pour aborder la réalité
de demain, les défis du futur. Nous le faisons ensemble, Mesdames et messieurs, en examinant les
circonstances, les visions qu'elles suscitent dès à présent dans un monde en crise, dans une
proximité atteinte, elle aussi, par la gravité, par la profondeur de cette crise.
Dès lors, quelles relations allons-nous entretenir avec le futur ? Comment anticiper, comment
décider, comment configurer l'avenir, comment prendre en compte le long terme et le faire de
manière raisonnable en évitant les injonctions simplistes, tout comme les mises en scène
invraisemblables ? Comment concilier l’héritage du passé, les priorités du présent et les défis du
futur ? De tout cela nous allons débattre avec vous pendant une heure environ.
A ces questions qui ne font pas toujours rêver, en ce moment même, de l'autre côté de
l’Atlantique, un homme tente de répondre ; Barack Obama dessine le futur des États-Unis
d’Amérique. Nous savons tous que ce nouveau chef d'État, pas tout à fait comme les autres, va
aussi inclure le reste du monde dans le futur de ses calculs.
Nous nous tournons d'emblée vers M. Alain Mérieux. En ayant l'honneur de vous inviter, Monsieur, à
prendre la parole, vous nous direz sans doute pour commencer ce que vous inspire cet événement
du moment présent, ce qu'il invite aussi pour l'avenir.
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De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
La conférence d’Alain Mérieux
M. MERIEUX.- Merci beaucoup. Merci, monsieur le président, de m'avoir
invité. Cela me rajeunit ! J'ai occupé cette place il y a une dizaine
d'années pendant 12 ans. Cela me fait très plaisir de revenir.
L'événement d'aujourd'hui est un événement pour le moins
fondamental. Il montre la force des États-Unis, il montre que ce pays est
capable de réagir. J'ai été très frappé le soir de la victoire de
Barack Obama des réactions de John McCain qui a dit : « Il n'y a qu'un
président des États-Unis, il n’y a qu’un pays des États-Unis ; nous sommes
tous derrière le président ». J’ai trouvé cette réaction vraiment très belle.
La crise financière provenant de Wall Street, je pense que les seuls
capables de faire face à cette crise et de remonter seront d’abord les États-Unis. Je mets toute ma
confiance en ce pays en espérant qu'il se débarrassera de tous ceux qui l'ont abîmé, surtout en
matière de management et de finances, mais également en matière de politique étrangère. Je
fais partie de ceux qui ont beaucoup d'admiration pour ce pays.
“
“
Dans mon métier… un stagiaire
kabyle, arrivé en recherche aux
Etats-Unis,…a terminé patron du
plus grand centre de recherche
mondial après avoir pris la
nationalité américaine
Mon père (Charles Mérieux) m'a
toujours dit : Tu sais, dans le
tableau de bord, il faut regarder
deux paramètres : le pifomètre
et le trouillomètre.
…le National Institute of Health (NIH) a été
dirigé pendant des années par mon ami
Elias Zerhouni, … Cela montre bien que ce
pays est ouvert, beaucoup plus que le
nôtre,
aux
changements
et
aux
opportunités.
Pour ce qui est de la Prospective, vous
n'allez pas être déçus ! J'ai été formé dans
les écoles, même des grandes écoles – j'ai
passé quelque temps à la Harvard Business
School – je me rappelle que j'étais très fier.
J’ai commencé à travailler avec mon père
en étant imbu de mes prospectives et de
mes schémas.
Je vais vous dire qu'après de nombreuses années – cela m'avait beaucoup choqué à l'époque – je
pense qu'il n'avait pas tort. Particulièrement dans une période comme celle d’aujourd'hui, il faut
avoir un bon « pifomètre » pour sentir à peu près le vent et un bon « trouillomètre » pour ne pas aller
où certains voudraient vous emmener.
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
7
“
De temps en temps, la
Prospective est une chose,
mais
le
bon
sens
et
l’honnêteté sont des denrées
excessivement appréciables.
J'ai appris également une très bonne
expression chez les Suisses : « Quand on ne
sait pas, avait dit le paysan vaudois que
nous avions vu, on va pas ! ». Ce n'est pas
très sophistiqué comme tableau de bord,
mais s’il y avait eu plus de paysans vaudois
au conseil d’administration d’UBS, ils n’en
seraient pas là
Je vais essayer de vous parler de ma vision à travers la seule chose que je sais à peu près faire, à
savoir diriger une entreprise, pendant longtemps dans les vaccins, aujourd'hui dans le diagnostic,
mais également de retour dans les vaccins par nos opérations en Inde et au travers de Transgene.
85 % de ces activités sont en dehors de la France, lourdes en Recherche & Développement,
puisque nous avons un budget d’environ 150 millions à bioMérieux et d’une trentaine de millions à
Transgene, soit 180 millions d’euros par an de recherche et une présence internationale avec une
quarantaine de filiales à travers le monde.
Qu'est-ce que je constate ? Durant une longue carrière, car j'ai beaucoup d'heures de vol –
j'enfonce une porte ouverte, mais elle est importante – j'ai constaté l'évolution démographique à
travers le monde. Nous étions un milliard en 1800, nous serons huit milliards en 2050. Au même
moment, partout dans le monde, il y a un phénomène d'urbanisation. Cela pose des problèmes à
Lyon, où l’on circule mal, mais quand vous allez dans des mégapoles comme Mexico, Sao-Paulo
ou même Dakar, Bamako ou Abidjan, vous vous rendez compte des problèmes que représente
une population mondiale urbanisée à 60 % aujourd'hui, c'est-à-dire le choc en une génération d'un
déracinement d'une grande partie de la population, en particulier dans ces banlieues de villes où
plus aucune loi n'existe et aucune référence n'est possible.
La grande révolution démographique a amené de la globalisation. Dans mon métier,
spécifiquement, la globalisation amène beaucoup d'échanges. Quand il y a beaucoup
d'échanges, les risques d’infection vont en s’accroissant. Je suis frappé de voir qu’en 30 ans, une
trentaine de nouveaux pathogènes sont arrivés dans le monde. Je peux vous parler du sida, du
chikungunya.
Ces virus et bactéries se sont répandus de par les échanges, de par les changements climatiques
puisque les vecteurs, essentiellement les anophèles (les moustiques), profitent du réchauffement du
climat pour venir en France. C'est pour cela que le chikungunya est arrivé en Italie ; il est
maintenant en Provence. Aujourd'hui, ce fantastique brassage mondial amène également le
brassage des virus et des bactéries qui circulent comme nous par les jets.
Un deuxième phénomène est apparu : à force de mal soigner les gens, particulièrement par les
antibiotiques, de nouvelles souches de bactéries très connues sont devenues résistantes. Quand
j’étais interne à l'hôpital à Lyon, on a fermé l’hôpital Sud pour les tuberculeux, croyant que la
tuberculose était réglée. Or la tuberculose est redevenue le premier fléau mondial avec des
souches extrêmement résistantes. Un grand groupe auquel j’ai appartenu a décidé dans les
années 70 d'arrêter la recherche en maladies infectieuses, puisque les problèmes étaient réglés,
que les antibiotiques et les vaccins existaient. On s’est tous trompés.
Ajoutez à cela les problèmes de l'air climatisé avec les légionelles, le problème de l'alimentation,
celui de l'eau qui est un problème majeur à travers le monde. Aujourd'hui, 900 millions de
personnes dans le monde n'ont pas accès à l'eau potable et deux milliards et demi d’habitants sur
la planète n’ont pas accès à des toilettes. Imaginez ce que cela représente comme eaux usées !
Ce monde est fait de milliers de cultures qui se développent et amènent dans mon métier une
recrudescence des maladies infectieuses.
Une autre révolution est en cours, celle de la science et de la technologie.
8
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
“
Je pense qu’entre le laboratoire
de mon grand-père et celui où
j’ai
travaillé
quand
j’étais
interne, il n’y avait pas une
grande différence. Aujourd'hui,
tout a changé…
Tout est à base de biologie moléculaire,
de software. On colle je ne sais
combien
de
dizaines
ou
de
centaines
de
milliers
d’oligonucléotides sur un centimètre
carré et on lit cela facilement : ce sont
les biopuces.
On arrive aujourd'hui à des évolutions technologiques qui révolutionnent beaucoup de choses.
Cette même évolution technologique permet d'aborder de nouvelles pathologies, de nouveaux
diagnostics, de nouveaux traitements. La technologie, loin d'être un fléau pour moi, est au
contraire le seul moyen, en particulier dans les pays en voie de développement, d'enrayer un
certain nombre de grandes pathologies. Je suis optimiste sur l'évolution de la technologie et sa
place dans notre métier est absolument primordiale.
J'ai vécu un troisième changement : le changement managérial. Jusqu'au mur de Berlin au début
des années 90, j’ai été formé par les pères jésuites, à la faculté, à l'hôpital, à l'armée, dans
l'entreprise, dans l'institut avec mon père, avec Michel Galy, le docteur Mackowiak à l’Institut
français de la fièvre aphteuse. Tous ceux qui m’ont formé et appris « servaient ». Nous étions
toujours au « service de », au service des malades, de la science, des patients, de la vaccination à
travers le monde. C'était une façon naturelle de travailler.
“
A l'époque, on ne parlait pas
beaucoup d’éthique, on ne
parlait pas beaucoup de
valeurs, mais je pense qu'on
les pratiquait.
La grande rupture pour moi fut le mur de
Berlin.
Il
y
avait
tant
bien
que
mal
un
équilibre
entre
deux puissances, Washington et Moscou.
Moscou ayant disparu de la scène il n’y
eut qu’une grande puissance, que j’aime
beaucoup, qui m’a formé, mais on est
arrivé au pire et à un excès total aux ÉtatsUnis en ce qui concerne la partie
financière et juridique.
On est parvenu tout doucement à contaminer le système financier, mais également le système
managérial.
J'étais dans un groupe, je le dis publiquement : le jour où ont débarqué les stocks options dont s’est
« bourrée » la tête du groupe, ce dernier a disparu puisque l’on ne servait plus le groupe, mais on
servait ces stocks options de fin d'année. Quand une affaire n’allait plus, on la vendait au lieu de la
redresser et ainsi de suite.
On est arrivé tout doucement, de façon insidieuse, à une gestion qui a été dirigée, en particulier
pour les entreprises cotées, par la finance. Cette finance a la finalité à court terme du « toujours
plus », alors que l’on sait très bien que le « toujours plus » n'existe pas. Une entreprise doit être
rentable, c’est évident, mais on ne va pas dégager 15 % de plus chaque année, car cela n’existe
pas et ce n'est pas sain. Cela pousse à la faute.
Voilà l'environnement dans lequel nous évoluons. Voici les changements que j'ai vu intervenir dans
ma vie professionnelle et dans ma vie tout court.
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
9
“
On doit beaucoup discuter,
beaucoup se rencontrer les uns
les autres et dégager une
vision.
J'avais la même approche à la Région
qu’en entreprise. Il y a quand même
d'abord à réfléchir et à dégager une vision
partagée.
C’est
valable
partout,
spécialement dans notre pays.
J'aime bien l'Afrique, on palabre beaucoup, mais après il y a un consensus et on se met d'accord.
Rien n’a changé. Il faut discuter, arriver à un consensus, savoir où l’on veut aller. J’en reviens
toujours à la formation latin-grec. Pour savoir où aller, il faut deux qualités : la première, c’est ce
que nous ont appris les philosophes grecs il y a quelques siècles, « Connais-toi toi-même » ; la
seconde, la locution latine « Où veux-tu aller ». Il est important d'avoir à chaque fois ces discussions
pour savoir ce que l'on est capable d'atteindre et où l’on va.
J’aime beaucoup une très belle phrase de Sénèque : « Il n’y a de bon vent que pour celui qui sait
où est le port ». Aujourd’hui, les vents changent tout le temps et il y a vraiment intérêt à savoir où
est le port pour l'atteindre. Concernant ce port, en particulier pour une Région, je ne peux pas vous
dire où l’on sera dans 25 ans. J'admire beaucoup Philippe Desmarescaux, il a toujours eu
beaucoup de certitudes que je n’ai jamais eues en termes de vision. Je suis plus pragmatique. Je
suis comme les bactéries, je m'adapte au terrain !
Tout repose pour moi dans une Région comme dans une entreprise sur trois critères : le premier est
celui de l'éducation, de l'enseignement, de la formation. Pour moi qui suis assez mondialiste, car je
passe beaucoup de temps à l'étranger, je peux vous dire que c'est une grande force
d'avoir chez nous des gens bien formés à tous niveaux : encadrement, techniciens de
laboratoire, etc. L’effort est important en termes de formation continue, car c’est
indispensable.
Nous avons la chance d'avoir L’éducation et la formation sont vraiment des
des
personnes
très
bien priorités que je donne à une entité comme la
Région.
formées
“
La deuxième priorité – elles vont de pair – est la recherche et l'innovation.
“
Il faut avoir à la tête de nos
universités
ou
de
nos
laboratoires
de
recherche
des
patrons
qui
soient
charismatiques pour que les
gens qui travaillent avec eux
aient envie de travailler.
La recherche ne se décrète pas. Elle
dépend des gens qui en sont à la tête. Le
poisson pourrit toujours par la tête. Si vous
allez visiter des laboratoires, des usines,
quand vous avez « une crêpe » à leur tête,
cela donne toujours une usine ou un
laboratoire « mou ».
Le meilleur scientifique que j'ai eu et qui, hélas, a disparu était le patron de Transgene, JeanPierre Lecoq, un Belge. Il disait toujours : « Alain, il faut non seulement faire de la bonne recherche,
mais il faut savoir boire ensemble une bonne bière ». C'est indispensable. Ces qualités humaines
sont indissociables des qualités scientifiques. L’innovation et la science sont fondamentales, tout
comme l’éducation et la formation.
Enfin, le troisième volet que je considère aussi totalement incontournable, c’est l'international. Nous
sommes aujourd'hui dans un monde totalement globalisé. Quelle que soit la crise, il restera global, il
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De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
restera ouvert. Les technologies de communication et d'information sont là. Il faut se préparer dans
l'éducation et la formation à cette vision internationale absolue et nécessaire.
“
Dès que l’on va à l’étranger, on
perd ses certitudes.
Ma fierté est d'avoir mis des bourses à
l'étranger quand j’étais ici. Cela marche
toujours (ERAI). Il est important que, tout
doucement, progressivement, les jeunes
générations s'imprègnent de l'étranger, non
seulement pour connaître une langue, mais
pour connaître une ou deux cultures
différentes.
On respecte les cultures, les religions, l'histoire de chaque pays. Cela vous rend beaucoup plus
humble. Vous revenez en détenant moins la vérité qu'au départ.
Pour revenir à mes conclusions sur la Région Rhône-Alpes, je crois que nous avons la chance – si
nous avons l'intelligence – de travailler avec les académies de Lyon et de Grenoble de façon très
complémentaire. Il y a un couloir scientifique extraordinaire. J'ai fait pas mal le tour du monde. Si
nous nous sommes installés à Grenoble avec Christophe près du CEA, près de Jean Therme, c'est
parce que nous, biologistes, avons la complémentarité de l'électronique, de l'informatique, de la
fluidique, de l’optronique, autant de domaines auxquels je ne comprends pas grand-chose, mais
que je sais être incontournables.
“
Ce n'est que par cette ouverture
entre
l'industrie
et
cette
recherche que nous serons
capables de répondre aux
grands défis de 2025.
Nous
appuyons
en
même
temps énormément l'environnement
hospitalier lyonnais avec des créations
d’unités mixtes que nous avons à
Edouard Herriot et à Lyon Sud, à la fois
dans l'infectieux et dans l’oncologie.
Je voudrais vous dire également pourquoi je suis sceptique. Il faut être pragmatique. Quand j'étais
à Harvard, il y avait à tous les cours, habillés impeccablement, des gens d’IBM. IBM semblait être le
seul mondialement intouchable. C'est vieux, j’y étais en 1968 ! Aujourd'hui, on parle de Google, de
Facebook. Il ne faut pas non plus se fermer à la possibilité d’avoir des idées nouvelles et de
démarrer de nouveaux business.
Nous possédons une force dans ces technologies entre Grenoble et Lyon. Il faut avoir un
capitalisme entrepreneurial et non plus financier, condition indispensable pour accompagner la
création et le développement des entreprises. On ne peut plus avoir des gens qui veulent du court
terme et partent au bout de trois ans parce que, s'il n'y a pas de plus-value, ils font une dépression
et « emm…… » le management. C'est devenu intolérable.
Il faut que nous ayons un environnement bancaire qui protège et défende le capitalisme
entrepreneurial, à moyen et long terme. Dans notre métier en particulier, le court terme représente
cinq à 10 ans. Essayez d’expliquer un fonds à court terme à ces gens, c’est pire que n’importe
quoi ! Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, ce n'est pas « la race » que je préfère fréquenter
tous les jours. Or ils ont tenu le monde et l'ont mené là où il en est.
Je pense que nos Régions doivent jouer l'éducation et la formation, l’innovation, l'international et
donner à ces entreprises qui veulent innover la possibilité financière de se développer tout en
gardant le centre de décision dans la région car, le jour où vous perdrez ce centre de décision,
bonsoir chez vous ! Ce jour-là, vous ne pèserez pas grand-chose.
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
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Il n’y a qu’une chose importante dans ce monde aujourd’hui, c’est avoir le pouvoir, non pas pour
s’autoglorifier, mais pour diriger, créer des emplois, faire de la recherche. Le jour où vous devenez
une filiale d’un groupe qui est à San Francisco ou ailleurs, bien le bonjour !
Je pense également que, dans la crise
actuelle, il peut y avoir une certaine
purification des systèmes et peut-être une
forme intelligente de nationalisme dans le
sens « protection de nos entreprises » et de l'innovation de ces entreprises à travers l'ouverture.
C’est le cas maintenant.
“
Il faut garder nos centres de
décision.
Je vais terminer sur une note d'espoir. Cela fait beaucoup d’années que je travaille. Je peux dire
que notre environnement a beaucoup changé d’un point de vue scientifique. Les entreprises qui
font beaucoup de recherche bénéficient du crédit d'impôt recherche, nous avons eu de l'Agence
de l’innovation industrielle, maintenant passée dans le groupe OSEO, un grand fonds qu’avait
proposé Christophe il y a deux et demi et qui a été approuvé au bout de deux ans par Bruxelles sur
les biomarqueurs et les nouvelles plates-formes de biologie moléculaire. Nous avons un soutien de
90 millions d’euros sur trois entreprises, ce qui est énorme pour nous, et surtout la facilité et la
capacité de travailler en partenariat, que ce soit avec l’Inserm, le CEA, l'Institut Pasteur. Je crois
que ces mentalités ont changé.
Je reste profondément optimiste. Une denrée est indispensable à tout cela : c’est d’avoir envie de
se battre. Nous avons des armes pour nous battre et je ne supporte pas les gens qui se plaignent
sans arrêt. Je sais que la vie est dure, je le sais mieux que quiconque, mais soit vous décidez de
vous battre et de rester opérationnel, soit vous décidez de ne pas vous battre et vous évacuez la
scène.
Comme on le disait chez les parachutistes : « Si vous êtes déprimés, allez faire cela dans votre trou
sans « emm….. » personne. » Quand on décide de se battre, on met son béret sur la tête et on livre
bataille. Je crois qu'aucune bataille n'est gagnée ni perdue tant qu'on ne l'a pas livrée.
“
Cette
Région
Rhône-Alpes
possède tous les éléments pour
gagner une bataille…
… tout en restant modeste et humble.
Ne faisons pas de « cocorico » stupide.
Rien n'est pire que le Français qui dit
« moi je ». A travers le monde, nos
« cocoricos » deviennent insupportables.
Soyons
nous-mêmes,
travailleurs,
efficaces, avec le moral, la pêche et ne
donnons pas trop de leçons aux autres.
Voilà, monsieur le président, quelques mots. Je vous avais dit que je dirai un peu ce que je voulais.
Cela ne correspond certainement pas à ce que vous attendiez, mais cela n'a aucune
importance !
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De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
La table ronde avec Bernard POUYET, Tugrul ATAMER et Gilles
LE CHATELIER, animée par Alain FONTAN
M. FONTAN.- Merci, monsieur Mérieux. Mille choses dans
vos propos : le parcours d’une existence professionnelle,
un engagement humaniste, celui d'un scientifique, une
parfaite connaissance de la situation internationale.
Pour débattre avec vous, d'autres personnalités à cette
tribune : Bernard Pouyet, vice-président du Conseil
économique et social ; Tugrul Atamer, le doyen de la
faculté d’une excellente école : l’école du management
de Lyon ; Gilles Le Châtelier, directeur général des services
de la Région Rhône-Alpes.
Vous me permettrez, monsieur Mérieux, de revenir un
instant sur la fin de votre propos. Je crois que vous avez
vivifié l’assemblée en soulignant le charisme qui pouvait se dégager de cette Région, à condition
que la volonté s'affiche.
Vous avez parlé de mondialisation et situé l'enjeu local que représente la situation de Rhône-Alpes
en particulier. Vous n'avez à aucun moment prononcé le mot « Europe » ?
M. MERIEUX.- Si. J'ai dit qu'il avait fallu deux ans pour avoir le feu vert de Bruxelles et valider le
projet !
Vous me demandez mon avis. Je suis très rhônalpin (Annecy, Lyon, Grenoble) et mondialiste. Je
reconnais adorer l’Europe, surtout l’Italie et la Grèce en vacances, mais je trouve que l'Europe
s’essouffle. Quitte à apprendre à me battre, j'aime autant le faire avec ceux qui vont vite, c'est-àdire la Chine, l'Inde, les États-Unis tout en étant européen. Je suis fier d'être en Europe, je travaille
en Europe et j’aime bien l’Europe.
M. FONTAN.- Je ne vais pas monopoliser la parole. Néanmoins, une autre question. Avant
l’ouverture de cet échange, j'ai pu assister à la fin d'un autre échange au sein de cette assemblée.
La question portait sur l’éventuel nouveau périmètre envisagé des collectivités territoriales.
Vous avez parlé de la Région Rhône-Alpes comme s'il s'agissait d'une situation enfermée dans ce
que nous connaissons d'elle aujourd'hui. Est-ce qu’à changer éventuellement le périmètre de cette
Région, on pourrait également modifier la donne des collectivités à l'échelle de notre pays pour un
meilleur positionnement au sein de l'Europe ou dans le monde ?
M. MERIEUX.- Je n'ai pas changé. Quand je suis arrivé en 1986 à la Région, je ne connaissais rien à
la politique, mais j'étais frappé du nombre de strates que nous avions. Je trouve qu'il y a trop de
strates en France.
J'étais partisan, comme l’étaient Raymond Barre et Michel Rocard, de 15 à 20 grandes régions
françaises et de supprimer les départements. C’était mon avis, celui d'un industriel qui débarquait.
On passe notre temps à vouloir structurer nos boîtes, à décentraliser, à centraliser. Or on ne peut
pas dire que les structures depuis 1986 soient très vivantes, que ce soit d’une créativité extrême
chez vous ! Le monde change, sauf les structures politiques françaises.
M. FONTAN.- Bernard Pouyet, si vous le permettez, je vais vous solliciter un instant. Dans les propos
de M. Alain Mérieux, il a été question d’un cap sur l’intelligence, sur la cohésion au sein des
territoires et des ambitions que pouvaient afficher les industriels, les universités, les entreprises.
C'est précisément l'un des points qui est à remarquer dans les différents scénarios que vous avez pu
élaborer pendant quelques mois dans la perspective d'une démarche très prospective à l'horizon
2025.
M. POUYET.- L'exercice que vous évoquez consistait effectivement à élaborer des scénarios de
territoires, à essayer d'imaginer des futurs possibles pour Rhône-Alpes à l'horizon 2025. Nous avons
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
15
fait une série de cinq scénarios territoriaux rhônalpins. Ce n'était pas très facile à faire car, qu'est-ce
qui est spécifique à Rhône-Alpes et ne l’est pas à d'autres régions par rapport à une difficulté ?
Nous avons aussi élaboré cinq scénarios de contexte international, européen et national. Comme
toujours, il y a un scénario tendanciel dit « rose », celui où tout va bien. Nous l'avons appelé « cap
sur l'intelligence et la cohésion sociale », c'est-à-dire les idées qu’a reprises finalement
Alain Mérieux.
Si je résume ce scénario, il consiste à dire que, toutes les décisions que nous prenons entre 2000 et
2010 sont des paris gagnés. Je pense notamment à tous les choix qui sont faits actuellement en
matière de pôles de compétitivité, de clusters, d'économie de la connaissance, de croisements de
toutes sortes entre formation, recherche, industrie. On dit de tout cela que cela a marché et,
parce que cela a marché, cela tire tout le reste.
Il est vrai qu'Alain Mérieux nous a dit qu'il y croyait, en y ajoutant un certain nombre de conditions
renvoyant essentiellement à des valeurs d'actions, mais j'ai envie de reprendre la question. Quand
vous dites que le Corridor Lyon-Grenoble est une chance extraordinaire, vous dites cela par
rapport à ce que vous pouvez comparer à l'extérieur ? Sentez-vous que les acteurs seront à la
hauteur du défi ? Est-ce que, de votre point de vue, il y a des choses que nous ne faisons pas et
que nous pourrions faire, voire mieux faire ?
Pour se remettre dans l’attitude Prospective qui était la nôtre, qui est d'anticiper des futurs
possibles, mais aussi de repérer les incertitudes, les risques d'échec, je reprends bien votre formule
du « pifomètre » et du « trouillomètre ». Cela marche. Autant le « pifomètre », on peut trouver un
certain nombre de choses, y compris en termes d'innovation et de stimuli à l'innovation. Le
« trouillomètre », en revanche, est une capacité à identifier les risques, les tendances lourdes et
négatives, etc.
J'ai envie de reprendre votre propos et de vous faire aller un peu plus loin : qu'est-ce qui fait
qu’actuellement, nous sommes en train d'aller vers ce scénario « rose » ? Les décisions que nous
prenons sont-elles les bonnes, ou bien y a-t-il un certain nombre d'éléments qui vous inquiètent et
vous font dire, notamment vos rapprochements avec l'international, que nous ne sommes pas à la
hauteur ?
M. MERIEUX.- Je vous ai fait part de mon optimisme sur l’ouverture scientifique, universitaire et
industrielle. La meilleure preuve a été la mobilisation nationale sur les pôles de compétitivité. Ce fut
extrêmement positif. J’ai travaillé au début avec le maire de Lyon, puis c’est Christophe qui a
mené l'opération. Nous avons vraiment vu une mobilisation totale de l'ensemble des industriels, de
l’ensemble des scientifiques, des universitaires et de l’ensemble de la classe politique sur ce projet
qui a bien été mené. Je parle du Biopôle.
Il ne faut pas s'arrêter en chemin. Nous avons le devoir impérieux, si nous voulons être un centre de
maladies infectieuses, de faire venir à Lyon des très grands, voire les meilleurs à travers le monde,
d'où l'importance de l'accueil des scientifiques, universitaires ou chercheurs étrangers. Vous ne
pouvez pas savoir à quel point l'accueil est fondamental. Quand je me suis baladé sur le campus
de la Doua, de Bron, c'était la honte !
Je trouve que nous n’avons pas soigné nos campus ni soigné l'accueil des étrangers. Je fais
campagne pour qu'une partie de l’Hôtel-Dieu serve à l'accueil des universitaires et scientifiques
étrangers. Je fais ma campagne sur l'Hôtel-Dieu et j’ai dit au maire : « Ne fais pas de spéculation
immobilière dessus ; n'en fais pas un hôtel de luxe ! », car l'Hôtel-Dieu est sacré !
La sacralisation des lieux est importante. Un lieu historique comme l'Hôtel-Dieu est un endroit unique
où Rabelais a travaillé (Science sans conscience n’est que ruine de l’âme) ; on ne peut pas faire
n'importe quoi, en faire une machine immobilière. Ce lieu doit être réservé à l’université, à la
science et à l'accueil d'étrangers. Cela joue beaucoup.
Nous avons besoin d'innerver notre système. C'est comme les bactéries, quand vous fermez le
couvercle, cela devient « anaerobique » : soit cela fermente et vous prenez le couvercle en pleine
figure, soit la bactérie meurt et il n'y a plus rien. Il vaut mieux l’éviter en ouvrant un peu les
soupapes et en laissant respirer le système. Nous avons besoin d'innerver le système scientifique et
universitaire par des « top gun » étrangers. Si j’ai une recommandation à faire, c'est celle-là dans
tous les domaines.
J'aime bien les universitaires, j’ai des tas de copains parmi eux, mais cela fait un peu « canigoutronron » de temps en temps si on les laisse tout seuls ! Il faut aérer le système et les remettre en
cause. Je respecte beaucoup le corps professoral. Je les apprécie et j’ai avec eux d’excellentes
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De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
relations. Je leur dis très amicalement car, encore une fois, c'est un milieu très agréable à
fréquenter.
Président LACROIX.- Je voulais faire rebondir Alain Mérieux sur les choix stratégiques. Nous avons
entendu à un moment donné qu'il aurait fallu concentrer tous les moyens sur cinq projets au
niveau français, donc cinq pôles et non 55. C'est un peu la théorie de Philippe Desmarescaux
disant qu’il faudrait un grand projet en Rhône-Alpes : le soutien à cette recherche au croisement
de la biotechnologie, de la nanotechnologie et de l’électronique/informatique et non pas au
niveau de 15 pôles.
Faut-il soutenir, financer avec moins de moyens 55 pôles au niveau national, 15 pôles au niveau
régional, ce qui a peut-être l'avantage d'irriguer plus largement un tissu régional, ou faut-il se
concentrer – c’est aussi le dilemme des chefs d’entreprise – sur moins de projets, avec un
investissement massif, y compris dans la Région ?
M. MERIEUX.- Je te remercie de me faire rebondir ce qui, vu ma souplesse, n’est pas évident ! Le
gros avantage de Philippe Desmarescaux, comme le mien, c’est qu’en 2025, je ne crois pas que
nous vous ennuierons beaucoup ! Nous pouvons faire toutes les prévisions que nous voulons, nous
ne serons plus là pour être jugés !
Je n’ai rien contre le croisement entre les nanotechnologies, les biotechnologies et l’informatique.
Ce n'est pas un croisement, c'est incontournable. Je me méfie beaucoup de la monoculture. C'est
comme les arbres, si vous ne mettez qu'une sorte d'arbres, lorsqu’un champignon arrive, vous
perdez tous vos arbres ! Je suis partisan d'avoir des bouleaux, des peupliers, des chênes et des
châtaigniers. C'est toujours le bon sens paysan : mettre tous ses œufs dans le même panier, je n'y
crois pas. Il faut avoir différents légumes dans son panier et quand on sent que l’un pousse mieux
que l’autre, on met le paquet dessus.
Je ne jouerai certainement pas un seul grand projet pour la Région, parce que je n'y crois pas.
Cela rappelle un peu le modèle stalinien où l’on décidait en haut qu'il fallait aller là. Au niveau de
la science peuvent arriver énormément de foisonnements. Je laisserai une certaine liberté à la
base pour prévoir l'avenir et éviter qu’il ne se prépare par diktat.
M. LE CHATELIER.- Je voudrais juste interroger Alain Mérieux sur trois termes qu'il a employés ou trois
interrogations qu'il a posées sur lesquelles j'aurais apprécié d'avoir quelques éléments
complémentaires.
Premièrement, vous nous avez dit que l'exercice de Prospective posait question par rapport à la
nécessité d’être pragmatique, réactif et de savoir s'adapter aux situations. En même temps, vous
avez cité cette très belle phrase de Sénèque sur le vent et le port. Dans ce cas, comment faire
pour trouver le port si on ne s'interroge pas où il est et en quoi il consiste ?
Ensuite, vous avez insisté, et j'adhère complètement à cette idée, sur le pari de l'intelligence et de
l'excellence qui, en matière scientifique, est à mon avis incontestable. En même temps, j'ai trouvé
très intéressante dans les travaux de la section Prospective du CESR l'insistance qui a été faite sur :
qu’est-ce qui fait société, qu’est-ce qui fait cohésion et comment éviter d’un côté d’avoir un
monde d’excellence et de l’autre, des gens qui se débrouillent un peu comme ils peuvent,
essayent de récupérer quelques miettes de ces lieux d'excellence ? C’est une question que je
trouve très problématique pour nos sociétés occidentales aujourd'hui.
Le troisième point est à mon sens tout à fait en lien avec le deuxième : vous avez beaucoup insisté
sur les questions d’éthique, de courage, d'humilité qui sont effectivement des valeurs à la fois
individuelles et collectives tout à fait essentielles si l'on veut arriver à faire société et travailler sur une
cohésion. Ne pensez-vous pas que le plus grave dans la crise que nous vivons actuellement, ce
sont justement ces éléments de crise de valeurs et le fait que, finalement, un certain nombre de
personnes qui avaient entre leurs mains des responsabilités importantes ont eu des comportements
que l’on pourrait qualifier au mieux de préadolescents ?
M. MERIEUX.- Ce n'est pas de tout repos de venir ici !
Quand je parle du pragmatisme, nous essayons, par exemple, d’avoir – je pense qu’il en est de
même pour une Région – des réseaux d'information permanente. Nous avons un certain nombre
de réseaux scientifiques à travers le monde. C'était Christophe qui s’en chargeait, c’est à présent
le professeur Bréchot, l’ancien patron de l’Inserm.
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
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Nous avons des collègues universitaires en France, l’Institut Pasteur à Marseille, nous en avons en
Suisse, en Italie, aux États-Unis. Nous avons aussi deux laboratoires de recherche en Chine, un autre
à Singapour et, en plus de ce réseau mondial, une fondation près de Genève où nous recevons
sans arrêt des scientifiques, à la fois pour la fondation, mais également pour réfléchir, en particulier
dans le monde qui est le nôtre, sur les nouveaux pathogènes, comment les aborder en matière de
diagnostic, en thérapeutique ou autres.
Ce réseau mondial est très fatigant, car il demande beaucoup de temps. Tous sont très reliés, ce
n'est pas mon cas, car je suis plus tranquille que les autres. Ils communiquent sans arrêt entre eux et
ce réseau leur permet d'être sans cesse en alerte. La Prospective pour moi est une alerte
permanente. Elle nécessite l'excellence, des « top gun ». Pourquoi l'intelligence et l'excellence ?
Votre point deux rejoint vos points un et trois. L’excellence et l'intelligence sont biologiques. Nous
ne sommes pas tous égaux au point de vue comportement, intellectuel. Concernant les plus
intelligents, ceux qui ont le plus de qualités intellectuelles ou managériales, je répondrai un peu
comme les évangiles : c'est la parabole des talents ; il leur a été beaucoup donné et leur sera
beaucoup demandé.
Si vous n'avez pas le troisième volet, c'est-à-dire une certaine éthique et que vous vous dites : « Je
suis intelligent, j'ai le pouvoir, je me sers ! » ce monde est alors insupportable. Ceux qui se sont
comportés ainsi ont pour moi trahi. C'est une grande trahison de ceux qui avaient l'intelligence et
le pouvoir et qui les ont déviés à leur seul profit. C'est une forme de trahison excessivement grave.
Encore une fois, l'intelligence et l'excellence sont absolument nécessaires pour tirer vers le haut,
mais tirer vers le haut ne signifie pas abandonner les gens en cours de route, loin de là ! En
revanche, si nous sommes tous égaux en bas, cela n'a aucun attrait. Il faut tirer tout le monde vers
le haut et n'oublier personne. C'est facile à dire, plus difficile à vivre. Il n’est pas question de créer
des officiers de pont supérieur et des officiers de soute. Nous sommes tous sur le même bateau.
Pour moi, vos trois points sont très liés. Je reviens à Rabelais : « Science sans conscience n’est que
ruine de l’âme ». Rien n'a changé. Si vous avez la science sans la conscience, vous faites n'importe
quoi.
Un point n'a pas été abordé. Je vais l'aborder car je serai dans 15 jours en Haïti et Alexandre sera
au Laos la semaine prochaine. Nous sommes, dans nos fondations, actifs dans des pays où il n'y a
rien. On ne peut pas à la fois avoir un monde global, envoyer des marchandises et des échanges
et laisser « crever » des gens aux portes de chez nous. On voit très bien sur Internet ou au
Cybercafé ce qui se passe dans le monde. La globalisation a aussi amené des effets secondaires
importants tels l’immigration, qu’elle soit licite ou illicite. Elle amène aussi une connaissance
réciproque des problèmes.
C'est un monde excessivement complexe qui pose plusieurs problèmes. S'il n'y a pas à la base de
tout cela une certaine morale – j'ai horreur du terme « éthique » – à ce moment-là c'est chacun
pour soi. C'est le monde d'aujourd'hui et on ne peut absolument pas accepter que ce monde
perdure. Je me battrai jusqu'au bout pour éviter cette déviation qui, en plus, s'est avérée
désastreuse pour le monde.
M. FONTAN.- Comment l'expliquez-vous ?
M. MERIEUX.- Je l’explique parce que les gens se sont servis. J'ai un pied en Haïti, ailleurs et dans la
World Company. J'ai été administrateur de grandes sociétés, je sais comment cela marche. Le
système est parfaitement couvert juridiquement, tout est parfaitement légal. On peut faire des tas
de choses pour moi moralement non acceptables.
M. FONTAN.- Vous êtes fâché.
M. MERIEUX.- J'ai quitté un certain nombre de conseils d'administration en disant ce que je pensais.
J’ai quitté un grand conseil où j’ai voté avec la CGT et la CFDT trois fois de suite. Après, je suis allé
voir le président. Je ne pouvais pas l’accepter. Un certain nombre de gens commencent
maintenant à le dire publiquement. C'était il y a une dizaine d'années.
M. ATAMER.- Le professeur dans l'enseignement supérieur est quelqu'un qui pratique la
Prospective ! On se connaît. J'apprécie le style provocateur de M. Mérieux. Mine de rien, vous êtes
malgré tout un homme de Prospective. Je me permets de le dire.
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De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
Dans votre première intervention, j'ai retenu quatre choses : trois critères pour la Région, à savoir
l’éducation, l’enseignement, la recherche d’une relation à l’international et, de façon générale,
l'importance d'une vision partagée. Il se trouve que ces quatre variables sont véritablement des
moteurs parmi 30 variables que nous avions identifiées pour faire la Prospective.
Sur la vision partagée, dont vous avez souligné l'importance, la bulle Internet résultait d'une vision
collective partagée et d'un superconsensus sur la nouvelle économie dans la deuxième moitié de
la décennie 90, tout comme la crise actuelle résulte aussi d'un superconsensus des visions
partagées. Finalement, vision partagée et consensus ne sont-ils pas porteurs d'absence de
régulation et, par conséquent, de crise ?
M. MERIEUX.- La vision partagée par quelques happy few n'est pas ma vision partagée. La vision
partagée par quelques personnes qui s'arrangent autour d'un gâteau n'est pas la mienne.
Une vision partagée dans un service de recherche, dans une Région, dans une entreprise, c’est
discuter pour essayer de savoir où l’on va. Personne ne sait d’ailleurs où l’on va. On propose d’aller
ici ou là, on en parle avec nos conseillers extérieurs pour savoir si cela tient la route. On essaye de
faire un test de consensus (surtout pas d'eau tiède) et, bon an mal an, on essaye d’être à peu près
d'accord. Ce n'est pas une vision qui peut être partagée par un comité de direction tout seul dans
un bureau bien protégé. Il faut aller vraiment au contact des uns et des autres.
J’en reviens à l’Afrique, c'est la palabre. Quand vous êtes dans une tribu africaine, c'est la grande
palabre. C’est un peu long, mais après il y a le consensus. Quand j'étais à la Région, c'était un peu
aussi la grande palabre, c'était tribal, surtout au temps de Charles Béraudier. Il comptait en disant :
« Nous sommes tous d'accord », alors qu’il était évident que nous n’avions pas la majorité, mais
cela passait. Il se tournait vers moi en me disant : « Si. J'ai compté, c'est bon. » Tous les copains de
la résistance étaient avec lui. C'était le bon temps !
De même, la première réunion à laquelle j'ai assisté avec Charles Béraudier, j'étais à côté de lui
pour je ne sais quel projet et il disait toujours : « Toi, gone, qu'est-ce que tu penses ? Bravo. Et toi,
qu'est-ce que tu penses ? » et il pensait absolument l'inverse. Au bout de quatre ou cinq, c'était le
fouillis le plus complet. A la fin de la réunion, il disait : « Ecoutez les gones, le sujet valait la peine que
l’on se rencontre, cela valait vraiment le coup. J’ai bien tout retenu. On fait comme on a dit ! »
Cela m’a été très utile en entreprise. M. Béraudier m’a beaucoup servi dans ma vie professionnelle.
M. POUYET.- Serait-ce encore possible aujourd'hui ?
Je voudrais revenir à la Région. Par rapport à ce que vous disiez sur la vision partagée, il se trouve
que, cet après-midi, le Président Lacroix a présenté ce qui sera notre contribution à la réflexion sur
la réforme Balladur. Vous évoquiez tout à l’heure ce système administratif qui n’évolue pas. Nous
avons identifié deux couples de collectivités : un couple de collectivités dites « de proximité » : les
communes et départements, et un couple de collectivités publiques que nous qualifions « de
stratège » : l'État et la Région.
Ce que vous avez dit tout à l'heure est important ; vous avez parlé du global et du mondial, mais
surtout de la Région et du mondial. Quelle capacité peut avoir une Région à fabriquer ce projet, à
faciliter la vision partagée ?
M. MERIEUX.- Il y a une notion dans l'entreprise que j'aime bien. Quelqu'un disait : « Il faut avoir une
taille critique ». J'aime mieux la notion de « taille compétitive ». Il y a une nuance. Ce n'est pas que
la taille. Je pense très sincèrement que la Région Rhône-Alpes a une taille mondiale compétitive.
Nous avons joué intelligemment avec la Suisse romande et le Piémont qui étaient très proches de
nous culturellement, car ils en avaient marre, les uns de Zurich, les autres de Milan et nous de Paris.
Nous avons travaillé ensemble, mais également avec le réseau sur le Bade-Wurtemberg, sur le
Québec, sur Barcelone. Nous avons beaucoup échangé, en particulier au niveau universitaire.
La première université « sans mur » était à Barcelone. Ils étaient en avance sur nous. On s’inspire
beaucoup du modèle étranger. Nous avions une taille assez sympa, nous nous connaissions tous et
sommes arrivés à travailler intelligemment ensemble, toujours très ouverts sur l'international. Nous
avions une taille compétitive, à condition de s'ouvrir sur le reste du monde.
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
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Le débat avec la salle
M. FONTAN.- J'imagine que vous êtes prêt à dialoguer
avec le public.
M. SEIGLE-VATTE.- Gérard Seigle-Vatte, président de la
Chambre Régional d’Agriculture.
Vous avez beaucoup parlé de mondialisation. Dans le
monde où nous sommes aujourd'hui, personne ne la
remet en cause. En revanche, vous avez exprimé une
certaine morale que j'ai beaucoup appréciée.
Pensez-vous que l'arrivée du nouveau président des ÉtatsUnis puisse être un élément déclencheur au niveau
mondial pour recréer un nouvel ordre social et éviter ce
libéralisme à outrance, comme vous l'avez dit tout à
l'heure ? Etant avant tout agriculteur, on voit aujourd’hui les cours extrêmement volatiles mettre à
mal toutes les entreprises, agricoles ou autres.
M. MERIEUX.- L'homme vit d'espoir et d'espérance. J'espère qu'Obama arrivera à faire beaucoup
de choses, mais je tourne trop à travers le monde pour avoir les yeux fermés. On parle beaucoup
de la marche à l'Est, c'est-à-dire de la Russie, la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient. Ce ne sont pas des
pays transparents. Il faut dire que « l'adjuvant » est assez utile. Au Moyen-Orient, le bakchich fait
partie de la culture et il est assez répandu à travers le monde. Quand on fait le tour des pays
propres, ils sont très minoritaires. Il faut le savoir.
Ayant été élevé par les jésuites, j'ai des distributeurs, je suis « propre », mais sans illusion sur ce
monde.
En revanche, la morale nous vient de la tête et, aujourd'hui, la tête du monde étant les États-Unis,
j'espère vraiment en la venue d’Obama. Les Américains sont à 80 % derrière lui. Il faut espérer que
l'on ait partout des dirigeants qui donnent l'exemple. J'aurais tendance à être optimiste.
Aux États-Unis, c'est vécu, c’est fort. J'avais une réunion de cadres et je peux vous dire que les
Américains reprennent de la fierté. C'est très important. Quand un pays reprend une certaine fierté
de par ses dirigeants, il est capable de grandes choses. Il ne faut jamais négliger la fierté des gens
qui est un vecteur très fort. L'Inde, la Chine sont des pays où je vais souvent. Ils ont retrouvé la fierté
d’être chinois, d’être indiens. Il y a 20 ans, il n'y avait pas un article sur la Chine ou l'Inde. Ils ont été
très souvent humiliés à travers le monde. Ils reprennent une fierté.
Il ne faut jamais humilier les gens dans la vie, car l’humiliation est insupportable. Les peuples
humiliés peuvent être excessivement durs. L’humiliation inutile de la Russie par Bush a été un
désastre, mais je pense qu'il n'était pas très intelligent. Je ne suis pas le seul à le penser ! Seulement,
il a été huit ans au pouvoir et cela fait « bobo à la tête » !
M. VANOYE.- Lorsque nous avons fait notre scénario « rose », il mettait le cap sur l'intelligence, mais
aussi sur la cohésion sociale. S'il n'y a pas de cohésion sociale, il n'y a plus de scénario « rose ».
On peut appeler ce terme de « cohésion sociale » autrement en fonction de ce qu'Alain Mérieux a
évoqué. Il peut s’agir de mettre de la conscience dans la science, y compris l'adhésion de tous
dans la science à partir du moment où elle a une vraie retombée sur tout le monde. On peut dire :
« Attention à la monoculture » ; le développement des PME de toutes sortes est tout aussi important
que le développement auquel je crois (relation entre nanotechnologies, biotechnologies, etc.).
On peut aussi poser en termes tous les travaux que nous faisons autour de la question de l'exclusion
et dire, pour aller vite, qu’il n'y a pas de région, d'économie qui marchent lorsqu'il y a trop de
poches d'exclusion, soit personnelles, soit territoriales. Voilà les autres aspects de notre scénario
« rose » sur lesquels je voudrais que l'on poursuive notre discussion.
Je termine par une question sur la trahison, car j'ai trouvé cela très fort et très pertinent, qui renvoie,
selon vous, à la morale et à l'éthique individuelle : peut-on compter seulement sur cela ? N'y a-t-il
pas des questions profondes autour de régulations, y compris aux États-Unis, permettant de mettre
en place un peu plus de sens de l'intérêt général ?
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
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Au fond, cette régulation est une forme de palabre entre les acteurs différents d'un lieu qui permet
de ne pas compter seulement sur le sens moral et l'éthique des individus. On voit bien les limites de
ce choix-là. Pour nous, cela renvoyait aussi au « laisser faire » ou à « ne compter que sur soi » dans
notre réflexion sur la Prospective.
M. MERIEUX.- Je suis un vieux gaulliste, donc je ne suis pas un grand libéral. Je ne l'ai jamais été,
surtout dans mon métier où il n'est pas question de travailler hors contrôle et hors partenariat avec
les gouvernements. C’est ma formation. Je crois que cela évite beaucoup d'erreurs.
Je pense que, dans la vie, nous avons toujours besoin de contre-pouvoir. Dans l'entreprise, nous
avons des managements forts, des conseils d'administration forts et des syndicats forts. C’est
incontournable. Si vous laissez une seule force sans opposition, c'est le désastre car, tôt ou tard,
« les types » prennent la grosse tête ou perdent les finalités. Il faut toujours des contre-pouvoirs dans
la vie pour que le système évolue. L’opposition est indispensable et peut être intelligente.
M. ELDIN.- Jean Eldin, CFDT Rhône-Alpes. J'ai passé ma vie professionnelle dans le groupe RhônePoulenc. J'ai eu l'honneur de vous côtoyer au conseil d'administration de ce groupe. J'ai pu
mesurer à quel point le capitalisme financier que vous avez dénoncé aujourd’hui mettait en
danger ce groupe qui a disparu depuis et avec lui des milliers d'emplois, peut-être aussi des milliers
de molécules et des richesses intellectuelles immenses.
J'étais peu entendu au sein du conseil d’administration, nous étions quelque part des
« empêcheurs de tourner en rond ». Quand je dis « nous », c'étaient les administrateurs salariés.
Vous avez cité deux syndicats ; il y en avait un troisième, la CGC. Nous étions six quand nous étions
nationalisés, puis plus que trois. A plusieurs reprises – je sais que vous nous avez défendus et je tiens
à vous remercier publiquement ici – des voix se sont élevées dans le Conseil d’Administration ;
c'étaient les voix des banquiers, permettez-moi de ne pas les citer, qui se disaient : « On perd notre
temps avec ces administrateurs salariés…non, avec ces syndicalistes ». Je rappelle que nous étions
administrateurs du groupe avant d'être syndicalistes.
Je confirme que, dans certaines situations, dans certaines décisions, vous avez pris le risque – je ne
sais pas si c'était un risque, mais vous l’avez assumé – de voter avec nous.
Monsieur Mérieux, je voudrais vous poser une question. Pensez-vous que l'on saura tirer les leçons
de la crise actuelle ? Quelles sont, selon vous – vous êtes un chef d'entreprise – les conditions
prioritaires pour cela dans l'entreprise et dans son environnement ?
Merci de votre réponse par avance.
M. MERIEUX.- Je vous remercie. C'était une période très difficile car, dans ce conseil, il y avait une
absence totale de contre-pouvoir.
Cela sera difficile d’éviter le retour, car ceux que vous avez évoqués et que j’ai bien connus
s’étaient entourés d'une armada de juristes faisant que tout ce qu'ils entreprenaient était
parfaitement légal. Une entreprise de communication leur permettait d’expliquer comme ils
étaient beaux, grands et généreux. C’est le monde actuel.
Je crois qu'il est nécessaire d’avoir des forces d'opposition partout, ni de gauche ni de droite, mais
des gens à peu près cohérents avec eux-mêmes pour se dresser contre. Le devoir de quelqu'un
quand il n’est pas d'accord est de le faire savoir, puisque l'on est dans un monde de
communication. Le système ne peut pas revenir à l’identique. Il a montré jusqu'où il allait, c’est-àdire jusqu'au cynisme le plus total et à l'appauvrissement. Vous voyez l'appauvrissement en France,
mais ce n'est rien par rapport aux pays comme le Mali ou le Sénégal dont le niveau de vie a été
divisé par deux en deux ans de par la crise. Ce n’est pas admissible.
Je suis toujours optimiste. Je crois qu'il faut former les nouvelles générations, les informer, leur parler,
leur raconter ce qui se passe. Il faut avoir le courage pour les syndicats de se battre dans les
entreprises de façon forte et intelligente. Il faut que le monde universitaire, étrangement silencieux,
parle. C'est un monde resté très silencieux depuis quelques années, environ une dizaine d'années. Il
faut que les grandes voix s’élèvent. Je ne parle pas de la mienne, mais j’ai eu la chance de
travailler avec Pierre Messmer et d’autres et, quand ils disaient quelque chose, cela avait un
impact. Les présidents des conseils économiques et sociaux et les présidents de Régions doivent
parler de façon forte. C'est mon sentiment.
En revanche, le risque de retour n'est pas du tout exclu.
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De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
M. PETIT.- Jacques Petit, Conseil de développement du Grand Lyon.
Monsieur Mérieux, vous nous avez indiqué tout à l'heure que la Région Rhône-Alpes était un
territoire compétitif au niveau international. Vous avez cité parmi ses atouts le couloir LyonGrenoble. Il y a là effectivement une richesse énorme.
Une troisième métropole est, semble-t-il, en train d'émerger en Rhône-Alpes : le projet
d’agglomération franco-valdo-genevois. Vous avez indiqué avoir un centre d'accueil et
d'échange près de Genève. Pouvez-vous nous dire de quoi Rhône-Alpes doit se préoccuper pour
que l’efficacité de cette troisième métropole profite vraiment aux capacités internationales de la
Région Rhône-Alpes ?
M. MERIEUX.- Toutes les fusions sont très délicates. En revanche, les partenariats peuvent se faire de
façon plus positive et plus rapide. L'agglomération lyonnaise doit travailler avec l'agglomération
grenobloise. C'est une évidence. Il faut le faire. Comme on ne peut pas refaire tout ce qu’ont fait
les autres, il faut prendre ce qu'il y a de meilleur. Les universités de Genève et de Lausanne se sont
rassemblées et deviennent excellentes. Elles sont très complémentaires des nôtres.
Je crois qu'il faut prendre ailleurs ce qu'il y a de bon et travailler en partenariat. Il ne faut surtout
pas rester isolé et se dire : Lyon, le plus grand, etc.
M. FONTAN.- A plusieurs reprises, vous avez souligné que nous étions sans doute dans un monde
unifié sur le plan économique, sur le plan communicationnel pour reprendre ce mot que vous avez
employé il y a quelques minutes. Nous avons l'impression que ce monde-là est sans synchronisation
politique correspondante.
Il y a ce soir un homme qui apparaît dans l'actualité. Il est là depuis quelques mois, en fonction
depuis aujourd'hui, comme s'il devait être le réceptacle de toutes les attentes du monde et il s'agit
d'un homme politique.
M. MERIEUX.- Je pense qu'il y a un retour des politiques partout. En revanche, il ne faut pas être
politicien, mais être en politique, c'est-à-dire s'occuper de l'intérêt général, avoir une vision et la
représenter.
Vous parlez d’un monde unifié, mais pas tellement. Les mœurs managériales en Inde ou en Chine
n’ont rien à voir avec les nôtres. On se bat dans une compétition globale avec des gens non
seulement moins rémunérés que nous, mais qui ont également des rapidités d'action et de
réaction bien supérieures aux nôtres.
Jacques Chirac nous a « collé » le principe de précaution, incompatible avec notre métier. On va
très lentement, alors que les Chinois et les Indiens foncent. Cela casse un peu, ils coupent les
angles, mais ils vont très vite. Nous ne sommes pas unifiés et nos armes ne sont pas toujours égales.
Nous avons des atouts, des infrastructures. J'en reviens à la qualité de notre main-d'œuvre au sens
très large du terme qui est exceptionnelle. La moitié de nos effectifs sont dans la région et l’autre
moitié dans le monde, soit 9 000 personnes au total. La qualité de la main-d'œuvre est excellente.
Nos ingénieurs techniciens sont très bons. C'est notre force. Ils sont bien formés, motivés. C'est la
force de la région, d’où l'importance de garder ce niveau éducatif.
M. FONTAN.- Pour clore cette rencontre, comment voyez-vous la Région Rhône-Alpes en 2025 ?
M. MERIEUX.- Il faut demander à Philippe Desmarescaux où elle en sera en 2025. Je pense que
cette Région devra s'adapter sans arrêt. Il y aura peut-être des entreprises que nous n'avions pas
soupçonnées. Le solaire, par exemple, avec ce qui se passe à Chambéry ; le photovoltaïque est
quand même une réalité. Il vient du nucléaire. Or qui aurait pensé que, du nucléaire, on passe
aujourd'hui à la puce génique, aux nanotechnologies, aux biotechnologies, au solaire ou aux piles
à combustible ? Des métiers nouveaux vont arriver.
Il faut être optimiste, à condition d’avoir un accompagnement et des startups qui deviennent des
moyennes et des grandes entreprises, d'où l'importance d'avoir une structure capitaliste solide.
Président LACROIX.- Merci, Alain Mérieux, d'être venu dialoguer avec nous ce soir.
Comme je vous l'avais dit en entrée de matière, sa vision est internationale et très ancrée dans le
local. Son côté « bon sens » qui lui a été enseigné par le « pifomètre » et le « trouillomètre » était tout
à fait intéressant.
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
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Annexe
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
I
LISTE DES PARTICIPANTS
A LA 1ère RENCONTRE DE LA PROSPECTIVE, 20 janvier 2009
ABDERRHAMANE Zohra
Vice-présidente du CESR Rhône-Alpes
AGUETTANT Ariel
Président Aguettant santé
AMBROISE-THOMAS Colette
Vice-présidente du CESR Rhône-Alpes
ANDRE Michel
AFDET
BALAIN Jacques
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
BANSAC Laurent-Michel
Architecte DPLG
BAPTISTE Claude
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
BARDET Jean-Noël
Directeur régional sud-est DIOT
BARRAUD Jacqueline
Conseillère du CESR Rhône-Alpes
BERGER Michel
Dirigeant d’Ingeco
BERNARD Roland
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
BERTHET Jean-Pierre
DRTEFP
BESCOND Benoît
Général de division armée de terre à Lyon
BEYRONNEAU Patrick
Vice-président du CESR de la Réunion
BLANC-BRUDE Daniel
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
BLANDINIERES Gisèle
Conseillère du CESR Rhône-Alpes
BLANLUET Joëlle
Conseillère du CESR Rhône-Alpes
BOISSON DE CHAZOURNES Odile
BONNET Marc
Directeur adjoint Iseor Université Lyon 3
BONNOT Jean-Luc
Président directeur général Rubin-Varreion SAS
BONTE Sébastien
Associé - Gérant Angelor
BOURDEIX Georges
Gestionnaire immobilier
BOUVIER Bruno
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
BRIVET Pierre-Jacques
Délégué général Mode-hra
BROSSETTE Philippe
Président formation Berliet
BRUGUET Didier
Directeur relations entreprise et institutionnels
Natixis
BRUNET-LECOMTE Jean
Directeur Lyon Mag
BURLAT Jacques
CABUT Bruno
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
CARRIER Louis
Président du CDRA
CARUANA Laurent
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
CECCALDI Daniel
Vice-président de la Compagnie régionale des
commissaires aux comptes de Lyon
CENNAC Jean-Claude
CHACORNAC Gaston
Directeur commercial bâtiment
CHAMALY Jean-Laurent
Directeur SITA MOS
CHAPELLE Monique
Fondation Maruis Berliet
CHEVET Alain
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
CLEMENT Gérard
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
CLEMENT Jean-François
Directeur de la communication - CRCI
COHEN-ALORO Fabien
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
COLLONGE Martine
Déléguée régionale EURONEXT
COLOMBAUD Bernard
Ingénieur
CONDAMIN Yvon
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
CORON Colette
Ancien CESR
DACLIN Michèle
Conseillère du CESR Rhône-Alpes
DACLIN Pierre
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
III
DE DIEULEVEUT Ronan
Directeur Agence conseil en communication
DE KESLING Rodolphe
Directeur de la banque NeuflizeOBC
DE LUCA André
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
DE MARIGNAN Olivier
Directeur général Banque populaire Loire et
lyonnais
DE QUINSONAS-OUDINOT Bruno
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
DEALBERTI Michel
Avocat / président
DECOR Jean-Pierre
Directeur général ISV
DEJEAN Marc
Gérant management business consulting
DESCLOZEAUX Sybille
Conseillère du CESR Rhône-Alpes
DESROCHES Laurent
Chargé d’affaires Serma Lyon
DESSALCES Noël-André
Consul honoraire du Tongo pour la région RhôneAlpes
DESVIGNES Alain
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
DEVERLY Fabrice
Directeur interrégional centre-est BRGM
DEVERLY Fabrice
Directeur service géologique régional RhôneAlpes de BRGM
DEVICTOR Bernadette
Conseillère du CESR Rhône-Alpes
DUC Laurent
Président départemental Chambre de l’industrie
hôtelière et touristique du Rhône
DUMAS Sylvain
Directeur Accolade
ELDIN Jean
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
EROME Georges
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
FALLEUR Benoît
Chief operation officer
FANTINO Bruno
Directeur BF Conseil
FERRY Louis
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
FIALON Bernard
Ancien CESR
FLEURANCE Raphael
Associé cabinet Plasseraud
IV
FONTAN Alain
Journaliste FR3
FRAPPAZ Christian
Directeur KBL France Lyon
GACOGNE Vincent
Président Lédi étanchéité
GALONNIER Paul
Président Présents/SI Etudes
GAUDICHET François
Directeur régional Banque de France
GELATI Jean-Michel
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
GIMBERT René
Aurea
GRAND Myrose
Conseillère du CESR Rhône-Alpes
GRAVIER Danielle
Conseillère régionale de la Savoie
GRILLOT Philippe
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
GUITELMACHER Henri
Gérant ASCI
ISAAC Alain
Directeur honoraire Ciapem
LACROIX Bruno
Président du CESR Rhône-Alpes
LACROIX Jean-Pierre
Ancien préfet de la région Rhône-Alpes
LE CAM Jean-Yves
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
LE CHATELIER Gilles
Directeur général des services du Conseil
régional Rhône-Alpes
LEMOINE Louis
LESCARBOURA Philippe
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
LEYENDECKER Antoine
Directeur export Forces com
LHENRY Yves
LONGCHAMP Vincent
Journaliste Tribune de Lyon
LOYAU Sylvie
Conseillère du CESR Rhône-Alpes
MACHICOANE Michel
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
MALEGARIE Alain
Délégué régional adjoint au commerce et à
l’artisanat de Rhône-Alpes
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
MALFAIT Eric
REVOL André
MANCRET Gérard
RIGOLLET Gilbert
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
MAURER Gilles
RIVIERE Daniel
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
MAZOYER Eric
RIVOIRE Michel
Gérant agence J. Mazoyer
Gérant Michel Rivoire and Co
MICHEL Pierre-Louis
ROCHE Jean-Pierre
Associé DAF-DRH archigroup
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
MONIER Jean-Claude
ROLLAND Paul
Président Thermi-Lyon
Président STEEC
MONTES Henri
ROMBEAUT Bernard
Délégué régional
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
MOREAU Annick
ROUDON Gabriel
Secrétaire générale CFDT
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
MORLIGHEM Olivier
ROYANNEZ Jean-Pierre
Directeur régional KBL Richelieu
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
NACHURY Emily
ROYER DE LA BASTIE
Président Brainstorming
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
NAVARRO Francis
SCARPARI Jack
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
Président du Conseil de surveillance
PATROUILLARD Xavier
SEIGLE-VATTE Gérard
Ancien CESR
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
PELLA Dominique
SONNIER Bernard
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
PENHOAT Guirec
STEPHANE Caroline
Directeur des grandes entreprises CIC Lyonnaise de Avocat Delsol & associés
banque
PERRET Marc
TEYTON Marc
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
Président CLD
PERROUD Chun Ling
TOLLET Tony
Président Access asia consulting
PETCO Xavier
TRANCHAND Bernard
Consultant CB Richard Ellis
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
PIERRON Eric
TUAILLON Bernard
Président syndicat des architectes du Rhône
PIVARD Jean-Louis
VACHERET Bruno
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
POMMIER Yves
VANOYE Jean
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
1er Vice-président du CESR Rhône-Alpes
PETIT Jacques
VIGNAT Josette
Conseil développement du Grand Lyon
Directrice générale Grand-hôtel Mercure
POUYET Bernard
VILLARD Marie-Françoise
2ème Vice-président du CESR Rhône-Alpes
Journaliste News
PRADEL Franck
VINCIGUERRA Pio
Directeur général Pradel Experts
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
PRORIOL Lucien
WARLOP Jean-Marie
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
PROST Michel-Louis
WEILL Michel
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
Conseiller du CESR Rhône-Alpes
QUADRINI Antoine
WU JINGLIANG
Vice-président du CESR Rhône-Alpes
Vice-consul général de la République populaire de
Chine à Lyon
De la crise à la Prospective • CESR Rhône-Alpes• 20 janvier 2009
V
Alain Mérieux expose sa vision de dirigeant d'entreprise
sur les évolutions en cours et à venir. Il constate trois
grandes ruptures : l'évolution démographique,
l'évolution scientifique et technologique et le
changement managérial.
Insistant sur la nécessité de dégager une vision
partagée, il dégage trois priorités pour l'action
régionale :
1. L’éducation, l’enseignement et la formation
2. La recherche et l’innovation
3. L’international
Plaidant pour le retour à un capitalisme entrepreunerial
et non plus financier, il insiste sur la nécessité de
conserver les centres de décision en Rhône-Alpes.
Enfin, il insiste sur les atouts dont la région Rhône-Alpes
dispose pour gagner la bataille.
Alain Mérieux, docteur en pharmacie, ancien interne
des Hôpitaux de Lyon et ancien élève de Harvard
Business School (PMD) est président-directeur général
de bioMérieux qu’il a créé en 1963 et de Mérieux
alliance. Il a été premier vice-président en charge des
relations
internationales
du
développement
économique, de la recherche et de l’enseignement
supérieur de la Région Rhône-Alpes de 1986 à 1998.
ECONOMIE CRISE ECONOMIQUE PROSPECTIVE
Conseil économique et social régional
Rhône-Alpes
78 route de Paris - BP 19
69751 Charbonnières-les-Bains cedex
Téléphone : 04 72 59 49 73
Télécopie : 04 72 59 51 98
www.rhonealpes.fr