- Schellenberg Wittmer
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JURIDIQUE GESTION DE FORTUNE Rémunération des banques et rétrocessions Le 10 mai 2010, l’ASB a publié sa nouvelle version des directives concernant le mandat de gestion de fortune. Comme le lui avait demandé la FINMA, ces directives contiennent une nouvelle section traitant de la rémunération des banques. La question centrale en est, évidemment, le sort des rétrocessions de tiers. Explications. Jean-Yves DE BOTH, avocat Schellenberg Wittmer, Genève, Zurich www.swlegal.ch S ur la question des rétrocessions, il y a l’avant «arrêt du 22 mars 2006 du Tribunal fédéral» et l’après... Dans cet arrêt de principe, on se souviendra que le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le sort des rétrocessions versées par les banques aux gérants de fortune. Se fondant sur l’article 400 al. 1 CO, il a décidé que le gérant de fortune est, en principe, obligé de restituer à son client les rétrocessions reçues en rapport avec la gestion de son compte. Le client peut, cependant, l’autoriser à conserver ces rétrocessions, mais cette autorisation doit être donnée de manière claire et indubitable, sur la base d’une information complète et sincère. Si cet arrêt traite des rétrocessions reçues par un gérant de fortune externe, il ne fait aucun doute que les principes posés s’appliquent aussi à la banque qui se voit confier un mandat de gestion. A la suite de l’arrêt du 22 mars 2006 du Tribunal fédéral, la FINMA s’est penchée sur les rétrocessions d’un point de vue réglementaire. Dans sa circulaire «Règles-cadres pour la gestion de fortune» (FINMA 2009/1), publiée le 18 décembre 2008, la FINMA décrivait ce qu’elle considérait comme standard minimal en matière de rémunération dans la gestion de fortune et octroyait un délai de 18 mois à l’ASB pour adapter ses normes d’autorégulation traitant de la gestion de fortune. C’est désormais chose 56 B&F «Ces nouvelles directives auraient pu clore les points les plus sensibles du débat sur les rétrocessions, en tout cas pour un certain temps. Rien n’est moins sûr» JEAN-YVES DE BOTH – SCHELLENBERG WITTMER JUILLET - AOÛT 2010 RÉMUNÉRATION ET RÉTROCESSIONS faite avec la version modifiée des directives concernant le mandat de gestion de fortune. L’objectif de la présente contribution est de commenter les nouvelles dispositions des directives de l’ASB. Contrat de gestion de fortune «La banque définit la nature, les modalités et les éléments de sa rémunération dans le mandat de gestion de fortune, dans un appendice au mandat ou dans un accord séparé.» De manière pragmatique, les modalités de rémunération ne doivent pas impérativement être contenues dans le contrat de gestion de fortune lui-même. Sinon, toute modification (et elles sont fréquentes vu l’évolution des produits) impliquerait que la banque doive faire re-signer à son client un contrat de gestion amendé. Le contrat signé peut ainsi se référer à un appendice, à une grille tarifaire ou aux conditions générales. Le processus d’adaptation de ces documents est plus simple et ne requiert aucune signature des clients. Le cas échéant, la banque fera parvenir à ses clients une version modifiée des modalités de rémunération et celle-ci pourra être réputée acceptée par le client à moins qu’il ne s’y oppose à sa réception. Droit aux prestations de tiers «Le mandat de gestion de fortune, un appendice au mandat ou les conditions générales de la banque stipulent qui a droit à d’éventuelles prestations de tiers reçues par la banque en vertu du mandat de gestion de fortune ou lors de l’exécution de celui-ci.» Sur un plan civil, le Tribunal fédéral a précisé que le gérant doit seulement restituer à son client toute prestation reçue «en relation directe avec l’exécution du mandat». Par contre, il peut conserver les autres prestations reçues à «l’occasion de l’exécution du mandat». Le Tribunal fédéral ne s’est pas prononcé sur ce qu’il faut entendre par l’expression «en relation directe avec l’exécution du mandat». Il s’agit d’une question de nature civile et la FINMA ou l’ASB ne se sont pas risquées à y apporter une réponse. Cela étant, on retrouve ici la distinction faite par le Tribunal fédéral, «prestations de tiers reçues par la banque en vertu du mandat de gestion de fortune» ou «lors de l’exécution de celui-ci». On sait que la question des rétrocessions liées à la distribution de placements collectifs de capitaux et de produits structurés JUILLET - AOÛT 2010 n’est toujours pas tranchée par les tribunaux. S’agit-il de prestations reçues «en relation directe avec l’exécution du mandat pour un client»? A priori, non. Ces rétrocessions constituent une rémunération pour les activités de distribution conduites par les banques et autres distributeurs (les directions de fonds n’assurant souvent pas ellesmêmes la distribution de leurs produits). Les banques disposent d’équipes dédiées à cet effet. Leurs prestations comprennent, notamment, des démarches de marketing, la formation des conseillers à la clientèle et des devoirs de diligence et d’information. Sur un plan civil, a priori, il n’y aurait besoin de traiter que le sort des prestations reçues «en relation directe avec l’exécution du mandat», les autres restant, de toute façon, acquises au mandataire. Cela étant, la clarté est de mise sur un plan réglementaire. Il y a lieu de traiter de manière express qui a droit aux deux types de prestations, donc aussi les rétrocessions liées à la distribution de placements collectifs de capitaux ou de produits structurés. calcul (à savoir des pourcentages par rapport aux sous-jacents) ou des fourchettes de montants. La manière dont les banques peuvent communiquer cette information est laissée très libre par l’ASB. Alors que la plupart des banques incorporent ces éléments dans des lettres d’information aux clients (couvrant souvent tous les aspects de tarification), les directives prévoient que cette information peut aussi se faire au moyen de fact sheets, de relevés de dépôt ou même d’Internet. Pour que les prestations reçues «en relation directe avec l’exécution du mandat» puissent être conservées par la banque, on rappellera que le Tribunal fédéral a requis que la décision du client se fasse sur une base informée, mais sans donner d’indications plus précises. Si la FINMA et l’ASB n’ont pas d’emprise directe sur des litiges civils, ce niveau d’information réglementaire s’imposera probablement sur un plan civil afin qu’il puisse être considéré qu’un client a valablement renoncé à la restitution des rétrocessions. Information préalable Reddition de compte «La banque informe ses clients des paramètres de calcul ou des fourchettes de valeurs des prestations qu’elle reçoit ou pourrait recevoir de tiers. Elle peut, à cette fin, regrouper les divers produits en classes de produits.» Il s’agit ici d’une information générale et préalable. L’idée est que le client soit informé d’emblée sur les prestations devant ou pouvant être payées de tiers. Au moment de la conclusion du contrat, il n’est pas possible de donner à son client des informations précises sur le montant des rétrocessions qu’il va recevoir. Comme l’avait préconisé la FINMA, les banques peuvent librement choisir entre des paramètres de «Sur demande, au cas par cas, la banque révèle aux clients le montant des prestations déjà reçues de tiers dans la mesure où elles peuvent être attribuées à la relation client individuelle sans équivoque et avec des efforts raisonnables.» En application de l’article 400 CO, la banque a l’obligation de déclarer toute rémunération de tiers «en relation directe avec l’exécution du mandat» conféré. Il s’agit ici d’une information a posteriori. Si l’on suit l’argumentation que les rétrocessions dans le domaine des placements collectifs de capitaux et de produits structurés ne reviennent pas au client, on devrait logi- ) %)( # " ) !) "" ( & $%" & ) ." +++ " & %# " & ") + $ )* &()& ")$ ( ) # & & )' # " ' )(& ' !%)&' ')& & $ , *%)' B&F 57 JURIDIQUE quement considérer que – sur un plan civil – ces rémunérations ne sont pas sujettes à reddition de compte. Cela étant, d’un point de vue réglementaire, la FINMA considère qu’une information complète pour les prestations reçues «lors de l’exécution du mandat» doit être donnée aux clients, donc aussi pour la distribution des placements collectifs de capitaux et des produits structurés et ce, dans la mesure où elles peuvent être attribuées à la relation client individuelle sans équivoque et avec des efforts raisonnables. S’agissant des efforts raisonnables de la banque, la FINMA a précisé qu’elle attend la mise en place d’une structure appropriée qui permette de satisfaire la demande des clients en informations supplémentaires. Il sera délicat pour une banque d’invoquer le fait qu’il lui est difficile de fournir une quelconque indication, ce d’autant plus que l’ASB précise que l’obligation de déclarer RÉMUNÉRATION ET RÉTROCESSIONS peut, le cas échéant, se faire au moyen de valeurs approximatives. Insécurité juridique A priori, ces nouvelles directives auraient pu clore les points les plus sensibles du débat sur les rétrocessions, en tout cas pour un certain temps. Rien n’est moins sûr. Dans son rapport du 2 mars 2010 sur l’affaire Madoff et la distribution de produits Lehman, la FINMA constate que la doctrine diverge considérablement quant à la portée de l’arrêt du Tribunal fédéral du 22 mars 2006: «Les avis sont partagés notamment sur le point de savoir quels rapports juridiques peuvent être considérés comme un mandat au sens de ce qui précède, ce qu’il en est des rapports intragroupes, dans quelles circonstances il n’y a pas de relation étroite, ou encore, quelles rémunérations trouvent leur justification dans l’activité autonome de la banque et à quelles exigences spécifiques doit L’ART DANS répondre la renonciation.» Partant, elle en conclut que «compte tenu de l’insécurité juridique considérable qui prévaut, la FINMA va se pencher de façon approfondie sur ces questions et examiner s’il y a lieu de modifier le droit de la surveillance.» En tout cas, les aspects de rémunération sont de plus en plus suivis par la FINMA. On pensera, notamment, à la rémunération des dirigeants et cadres traitée par la Circulaire «Systèmes de rémunération», publiée fin 2009. Ce qui touche à la rémunération des banques et de leurs employés est clairement un aspect central de la gestion des conflits d’intérêts. On notera à cet égard que la seule autre modification des directives concernant la gestion de fortune concerne l’introduction d’une clause spécifique sur l’adoption de mesures appropriées afin d’éviter les conflits d’intérêts. ■ J.-Y.D.B. B&F Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol 6.99, 1985, acrylique et pastel gras sur toile, 297 x 420 cm. Collection Bischofberger, Suisse © 2010, ProLitteris, Zurich 58 B&F JUILLET - AOÛT 2010