grands motets à la chapelle de louis xv - Philidor
Transcription
grands motets à la chapelle de louis xv - Philidor
CYCLE MADAME DE POMPADOUR MUSE ET MUSICIENNE GRANDS MOTETS À LA CHAPELLE DE LOUIS XV Jeudi 24 octobre 2002 Chapelle royale du château de Versailles une coréalisation Centre de Musique Baroque de Versailles/ Pia Consulting 5 PROGRAMME GRANDS MOTETS À LA CHAPELLE DE LOUIS XV ANDRÉ CAMPRA (1660-1744) Cum invocarem JEAN-JOSEPH CASSANÉA DE MONDONVILLE (1711-1772) Nisi Dominus ESPRIT-JOSEPH-ANTOINE BLANCHARD (1696-1770) Venite exultemus avec Françoise Masset, dessus Benoît Porcherot, haute-contre Hervé Lamy, taille Bernard Arrieta, basse-taille Christophe Grapperon, basse-taille CHŒUR ET ORCHESTRE DU PARNASSE FRANÇAIS DIRECTION : LOUIS CASTELAIN 6 LE PARNASSE FRANÇAIS direction : LOUIS CASTELAIN ENSEMBLE VOCAL Clothilde Chleq, Marie-Amélie Dietsch, Jehanne Jore, Marie Mancheron, Clothilde Piller, Cécile Rochet, dessus Philippe Calvayrach, Emmanuel Chatillon, Eric Long, Lorent Pichon, Cédric des Pujols, Baudouin de Roffignac, hautes-contre Tanneguy Desmarets, Sébastien Desroches, James Graveline, Gilles Tournier, tailles François Allut, Bernard Amadon, Christophe Doinel, Grégoire Lestang, Jérôme Pillet, basses-tailles Olivier Beaufils, Geoffroy Bertran, Christophe Grapperon, Maxime Jore, Jean-Philippe Sarcos, basses ENSEMBLE INSTRUMENTAL Philippe Leclerq, Dominique Vasseur, flûtes Yann Miriel, Jean-Marc Philippe, hautbois Philippe Couvert, Françoise Couvert, Bernadette Charbonnier, Marie-Christine Desmonts, Sandrine Dupé, François Gasnier, Alain Pégeot, Franck Pichon, violons Jacques Maillard, Michel Renard, hautes-contre de violon Jean-Luc Thonnérieux, Ariane Dellenbach, tailles de violon Dominique Dujardin, Joël Pons, violoncelles Jean-Louis Fiat, Gabriel Vernhes, bassons Damien Guffroy, contrebasse Marc Wolff, théorbe Arnaud Pumir, orgue et clavecin 7 LA MUSIQUE DE LA CHAPELLE ROYALE Ce département de la Musique royale réunit l’ensemble des chanteurs et des instrumentistes affectés au service ordinaire des offices religieux du Roi et de sa Cour. La Chapelle (ou la « ChapelleMusique ») constitue la plus ancienne des institutions musicales royales, son origine remontant aux premiers Oratoires des rois mérovingiens. Appartenant à la Maison du Roi, elle est, encore au XVIIIe siècle, de caractère itinérant : elle suit le souverain dans tous ses déplacements, aussi bien lors des voyages annuels de la Cour à Fontainebleau chaque automne, que pour les festivités d’importance comme le Sacre à Reims. Distincte de la Chapelle-Oratoire, qui groupe les ecclésiastiques chargés de la liturgie proprement dite, la Chapelle comprend des chapelains (qui participent à l’exécution du plain-chant lors des grand-messes et cérémonies solennelles), et, dès la fin du XVIIe siècle, une proportion croissante de musiciens laïcs (chanteurs et instrumentistes) à qui est confiée l’interprétation des compositions polyphoniques, messes et motets. À partir du règne de François Ier, la direction de la Chapelle fut confiée à un « Maître », haut dignitaire de l’Église aux fonctions avant tout administratives et honorifiques, tandis que la direction musicale était assurée par plusieurs « Sous-Maîtres » se partageant l’année (trois, quatre ou six mois selon les époques). En 1587, la Chapelle comptait, par semestre, 6 pages, 2 faussets, 5 hautes-contre, 6 tailles, 6 basses-contre, 5 chapelains et 4 clercs. Cet effectif, à peu près constant durant la première moitié du XVIIe siècle, augmenta sensiblement sous le règne de Louis XIV, alors qu’apparurent des castrats venus d’Italie et des chanteuses solistes « invitées ». Un nombre croissant d’instrumentistes devint également indispensable à l’exécution des grands motets, exécutés quotidiennement pendant la messe basse du Roi. Les trente dernières années du règne de Louis XIV ont sans doute constitué l’apogée de la Chapelle. Grâce à l’exigence du Roi-Soleil, l’institution entretiendra désormais, et jusqu’à la Révolution, une tradition de haute qualité reconnue par tous les étrangers de passage à Versailles. La Régence procédera néanmoins à quelques réductions de dépenses, alors que la vie musicale se déplaçait progressivement vers Paris. La création du Concert-Spirituel donna, à partir de 1725, l’occasion d’entendre bon nombre des membres de la Chapelle dans un répertoire de grands et de petits motets, ceux-là même chantés à la Cour. C’est sous l’impulsion de cette institution que se développa le « motet de concert », dont l’écriture orchestrale flamboyante et variée, les chœurs souvent somptueux et les redoutables versets de solistes en forme d’airs de bravoure permettaient, tout en soulignant avec emphase les intentions dramatiques du texte, de mettre en valeur les meilleurs artistes de l‘époque. C’est avec de tels ouvrages que triomphèrent Lalande, Campra, Blanchard et Mondonville, relayés à la fin du siècle par Dauvergne, Philidor, Giroust et Gossec. En 1761, la fusion des différents départements de la Musique royale en une seule entité d’une centaine de musiciens seulement devait conduire à un lent déclin de l’institution, quoique la Chapelle ait toujours conservé une activité quotidienne au château de Versailles jusqu’en 1789, puis aux Tuileries jusqu’au mois d’août 1792. Elle revivra pour quinze ans encore sous la Restauration et ne sera supprimée définitivement qu’en juillet 1830. 8 LES SOUS-MAÎTRES DE LA CHAPELLE ROYALE DE 1683 À 1789 Quartier de janvier Quartier d’avril Quartier de juillet Quartier d’octobre 1683 : Goupillet 1683 : Colasse 1683 : Minoret 1683 : Lalande 1694 : Lalande 1704 : Lalande 1714 : Lalande 1722 : Gervais 1723 : Campra 1723 : Bernier 1726 : Gervais, Campra, Bernier 1735 : Campra 1738 : Blanchard 1744 : Mondonville 1745 : Mondonville, Blanchard, Madin 1748 : Blanchard, Mondonville 1748 : Le Prince 1757 : Blanchard, Gauzargues 1757 : Ducros 1759 : Gauzargues 1761 : Gauzargues 1761 : Blanchard 1770 : Mathieu 1775 : Giroust 9 LA CHAPELLE ROYALE AU TEMPS DE MADAME DE POMPADOUR Sous le règne de Louis XV, la Chapelle-Musique n’évolua guère, sinon en modernisant son répertoire. Les innombrables victoires françaises durant la guerre de succession d’Autriche (qui culminèrent en 1745 avec la décisive victoire de Fontenoy) furent l’occasion de cérémonies religieuses splendides durant lesquelles étaient exécutés le traditionnel Te Deum, mais également de nombreux motets, dont les textes festifs étaient autant d’allusion à la gloire du monarque. Favorite royale à partir de 1745, la marquise de Pompadour (1721-1764) eut très tôt accès à la Chapelle (au grand dam des courtisans les plus conservateurs) où le Roi lui fit construire une discrète tribune privée. Là, à quelques pas des souverains et de la famille royale, elle pouvait suivre l’office et entendre les motets des SousMaîtres de l’époque, mais aussi les œuvres plus anciennes de Lalande, Bernier ou Campra, que l’on redonnait toujours avec plaisir. La musique religieuse avait également sa place dans les concerts organisés par Mme de Pompadour à Versailles. Les temps de Pénitence interdisant qu’on jouât des œuvres profanes, la Marquise organisait régulièrement dans le cabinet attenant à son appartement des « concerts spirituels » : on y donnait surtout des petits motets de compositeurs contemporains, mais on n’hésitait pas à extraire quelques versets de solistes des grands motets entendus à la Chapelle. Les compositeurs officiant alors à la Cour, Blanchard puis Mondonville, furent bien sûr les grands privilégiés de ces concerts. ANDRÉ CAMPRA (1660-1744) D’ascendance piémontaise, c’est à la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix que Campra entame ses études musicales comme enfant de chœur. À partir de mai 1678, il s’oriente distinctement vers une carrière ecclésiastique. Selon Jean-Benjamin de La Borde (qui n’avance toutefois aucun document), il aurait été Maître de chapelle à Toulon dès 1679. Abandonnant Aix, il est nommé Maître de chapelle de St-Trophime d’Arles le 7 août 1681. Il conservera ce poste jusqu’en mai 1683 : en juin de la même année, il obtient celui de Maître de musique à Saint-Étienne de Toulouse. En janvier 1694, Campra arrive à Paris pour un séjour temporaire de quatre mois, mais s’y installe définitivement et accède au poste de Maître de musique de Notre-Dame de Paris le 21 juin 1694, en remplacement de Jean Mignon. Cette nomination, qui atteste l’importance de ses relations, fut peut-être obtenue grâce à l’appui de l’abbé de Saint-Sever, conseiller au Parlement, à qui Campra dédia son premier livre de motets. Il semble avoir mené parallèlement une activité au collège Louis-le-Grand : des programmes de cet établissement le citent en effet comme compositeur de tragédies latines, et ce, jusqu’en 1737. Encouragé par Philippe d’Orléans (futur régent), le duc de Sully et Mme de La Ferté, Campra succombe à l’attrait du théâtre. Mais ses occupations lyriques étaient peu compatibles avec sa fonction ecclésiastique : aussi fit-il paraître L’Europe galante (1697) et le divertissement Vénus, Feste galante (1698) sans nom de compositeur. L’édition du Carnaval de Venise (1699) attribue l’œuvre à « Campra le cadet », son jeune frère, joueur de basse de violon à l’Académie royale de Musique. Mais cette astuce ne trompa personne et un quatrain devenu célèbre fit rapidement le tour de Paris : « Quand notre Archevesque scaura L’auteur du nouvel opéra De sa cathédrale Campra Décampera . » Il démissionna de son poste à Notre-Dame de Paris le 13 octobre 1700 pour se consacrer principalement au théâtre lyrique. Il ne détint plus alors aucune charge officielle et vécut pour un 10 temps du seul produit de ses œuvres. Il se lie d’amitié avec le duc de Chartres chez qui il rencontre notamment Jean-Baptiste Stück, Charles-Hubert Gervais et Jean-Baptiste Morin. Devenu batteur de mesure à l’Académie royale de Musique, il dirige ses propres ouvrages qui, de 1700 à 1705, attirent le succès : Hésione, Aréthuse, Tancrède, Les Muses, Iphigénie en Tauride (en collaboration avec Henry Desmarest). La période qui s’étend de 1705 à 1722 est féconde : en dehors de motets religieux, de cantates (Livre I en 1708, Livre II en 1714), Alcine, Hippodamie, Les Fêtes vénitiennes, Idoménée, Camille, Les Âges voient successivement le jour tandis que ses ouvrages antérieurs font l’objet de nombreuses reprises. Bien que ces partitions n’attirent pas toujours les faveurs du public, il reçoit, en décembre 1718, une pension annuelle de 500 livres en récompense de son talent. En 1722, il devient directeur de la Musique du prince de Conti pour lequel il écrira quelques divertissements. La dernière phase de sa vie (1722-1744) est marquée par une double activité à l’Académie royale de Musique et à la Chapelle royale. Lorsqu’en 1722, Michel-Richard de Lalande se démet de trois de ses quartiers à la Chapelle, le Régent affectera les trimestres vacants à Gervais, Bernier et Campra qui prirent leurs fonctions de Sous-Maîtres dès le 20 janvier 1723. À la mort de Lalande (1726) et Bernier (1734), Campra et Gervais restèrent seuls sous-Maîtres, exerçant chacun six mois de l’année, jusqu’à la nomination de Blanchard et Madin en 1738. C’est pour la Chapelle que Campra compose notamment ses psaumes à grand chœur. Pour des raisons de santé, il arrête ses fonctions d’éducateur des Pages de la Chapelle en 1735. En 1730, son activité musicale profane s’était encore alourdie par l’obtention du poste d’Inspecteur Général de l’Académie royale de Musique, en remplacement d’André Cardinal Destouches. De cette époque, peu d’œuvres lyriques naîtront : la plus marquante est incontestablement Achille & Déidamie, créée en 1735. Son dernier divertissement, Les Noces de Vénus (1740), remaniement de Vénus Feste Galante, ne fut jamais produit à la scène pour cause de censure. Au faîte de la gloire sous la Régence, Campra était encore adulé dans les dernières années de sa vie. Lorsqu’il mourut, son œuvre profane et sacrée, bien vivante et largement diffusée en province, se maintint encore au répertoire pendant plus de 20 ans. Cum invocarem Composé en 1734, le Cum invocarem est une œuvre assez tardive dans la production des grands motets de Campra. Il révèle un compositeur qui, malgré son âge avancé (74 ans !) su se renouveler et s’adapter aux nouveaux goûts du public pour une musique démonstrative et de plus en plus figurative. Après une courte introduction orchestrale, la basse-taille récite le premier vers, soutenu par un accompagnement discret des violons et de la basse continue. Quelques effets ponctuels – vocalises ou harmonies chromatiques – soulignent l’affliction du croyant. Le chœur qui suit propose une texture très dense, enrichie de nombreux retards expressifs : les successions de septièmes et de neuvièmes rendent avec force les suppliques adressées au Seigneur et dégagent nettement le mot essentiel, « Miserere », de la masse chorale très compacte. Le discours musical s’éclaircit peu à peu : toutes les voix du chœur s’unissent pour les dernières mesures, tandis que l’orchestre leur répond en écho. Le récit de haute-contre « Filii hominum » se développe sur une basse en notes régulières, figurant sans doute la « pesanteur » dont fait état le texte. À l’inverse, de subtiles vocalises mettent en avant « vanité » et « mensonge ». La structure de cette page dégage une grande clarté formelle et, comme les ariettes que Campra fut le premier à systématiser dans l’opéra français, trahit des influences italiennes évidentes. L’ensemble du récit est ponctué de ritournelles orchestrales et s’articule en une 11 grande forme ternaire. À la volubilité de cette page s’oppose la déclamation large et emphatique du verset suivant, confié à la taille : de grands intervalles mélodiques figurent les cris que l’homme adresse au Seigneur. C’est sur ce seul motif que s’épanouit un rapide développement terminal. Le chœur « Irascimini & nolite peccare » oppose à un orchestre agile et rythmé (les figurations instrumentales évoquant la colère du juste) le chœur homophone, dont l’écriture exclut tout contrepoint. Dans une texture allégée ne retenant que les parties aiguës, un groupe de femmes répond au dessus soliste et stylise, à la manière de l’opéra, des chants d’Action de grâce. Le récit qui suit en conserve le caractère, mais insiste davantage (par tout un jeu de vocalises et d’élans mélodiques ascendants) sur la lumière, la joie et l’abondance dont le Seigneur honore les croyants. À ce solo de dessus, traité comme un grand air de cantate, s’oppose le trio suivant d’où est exclu toute voix aiguë. L’écriture en valeurs longues et égales est celle du « sommeil », scène caractérisée que Lully et ses successeurs systématisèrent dans l’opéra français, avant de l’introduire dans d’autres genres musicaux (cantates, motets…). Le timbre sourd et plaintif du basson, de longues notes pédales à la basse, l’écriture entrelacée des voix, un rythme harmonique lent et quelques accents inattendus concourent à souligner les mots essentiels du verset, « pace » et « dormiam ». Le dernier chœur, enfin, est construit sur un mouvement perpétuel en notes conjointes qui, présenté d’abord à l’orchestre, gagne ensuite le chœur et génère rapidement un ensemble de motifs apparentés. Le compositeur juxtapose puis superpose les diverses idées mélodiques et rythmiques jusqu’à obtenir un discours polyphonique extrêmement riche, magnifié dans les dernières mesures par une solennelle réunion de toutes les parties. JOSEPH-ANTOINE (DIT ESPRIT) BLANCHARD (1696-1770) Antoine Blanchard entre à huit ans à la maîtrise de Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence, une des meilleures du royaume, où il est élève du célèbre Guillaume Poitevin. Ayant reçu le « petit collet », il devient Maître de musique de la collégiale Saint-Victor de Marseille puis de la cathédrale de Besançon. En 1732, un de ses motets est joué avec succès au Concert-Spirituel. À partir de 1734, Blanchard dirige la maîtrise d’Amiens. Dès 1738 cependant, les premiers succès parisiens et la solide amitié que lui porte Campra lui valent d’être appelé à Versailles où l’exécution fort appréciée de son Laudate Dominum lui fait obtenir une des quatre charges de sous-Maître de la Chapelle royale, en remplacement de Nicolas Bernier. En 1745, le musicien attire sur lui l’attention de la Cour dans le différend qui l’oppose à François Colin de Blamont, surintendant de la Musique de la Chambre, au sujet de l’exécution des Te Deum officiels à la Chapelle, chacun estimant la chose de son ressort. À la mort de son collègue Henry Madin en 1748, il reçoit la charge de « Maître des pages de la Chapelle » qu’il devra déléguer à un musicien plus jeune après son mariage en 1754. En récompense des services rendus, Blanchard est anobli en 1764. Avec Gauzargues et le surintendant Dauvergne, il participe en 1767 au jury du premier concours du meilleur grand motet : Giroust en sortira doublement vainqueur. Pour les funérailles de la reine Marie Leczinska en 1768, Blanchard dirige la Chapelle pour la dernière fois alors qu’il a déjà cédé sa charge à son survivancier JulienAmable Mathieu, premier violon de la Chapelle, qui lui succédera après sa mort en 1770. Bien que presque tous les motets à grand chœur et symphonie de Blanchard aient été composés pour la Chapelle royale, le style n’en est pas uniforme et révèle la capacité de renouvellement de leur auteur. Comme les provençaux Gilles et Campra, Blanchard manie avec sûreté dès ses 12 premières œuvres l’art de la modulation, les harmonies subtiles et les techniques du contrepoint apprises de Poitevin, sensibles dans l’écriture des chœurs polyphoniques à cinq voix. Les courbes musicales des premiers motets sont empreintes de la manière et du style de Campra, soutenues par une écriture instrumentale déjà très personnelle. Après 1740, le caractère des récits composés à la Cour se ressent de l’écoute des motets de Lalande qui constituaient encore le fonds du répertoire de la Chapelle : nouveau dessin des thèmes, souplesse des rythmes à 3/4, grandes formes unissant récits et chœurs en rondeau. Blanchard utilise parfois des thèmes de plain-chant qu’il harmonise et transforme à son gré. Selon la destination, l’orchestre est écrit à quatre parties ou réduit à deux violons et basse continue, mais se borne rarement à doubler les chœurs : bien au contraire, les parties instrumentales tissent un réseau d’arabesques ornementales – souvent virtuoses – autour des voix. L’esthétique de l’imitation de la nature conduit parfois le musicien à écrire des pages d’évocation pittoresque comme la scène de « Moïse devant le rocher » du motet In exitu Israël. Les structures, directement héritées de la musique instrumentale, sont omniprésentes dans les airs, notamment sous la forme de ritournelles orchestrales à la manière du concerto italien. À partir de 1750, Blanchard intègre au grand motet les tournures et la sonorité des nouvelles symphonies que la France découvre avec enthousiasme : en 1751, il confie ainsi une partie mélodique au cor dans le Beati omnes ; il ose un accompagnement en pizzicati dans le Cantate Domino de 1757 ; il est un des premiers à utiliser la clarinette dans son motet Benedicam Dominum de 1767. Enfin, outre l’influence progressive de la forme sonate, un nouvel art de la dynamique expressive se dessine dans certaines œuvres comme le Misericordias Domini de 1765 : autant de caractères qui, à la mort de Blanchard, feront juger sa musique « extrêmement savante ». C’est en ces termes qu’on lui rendit alors hommage : 13 « Monsieur Blanchard étoit doux et modeste ; il aimoit à rendre justice au mérite de ses contemporains. Il joignoit a une très bonne éducation et d’excellentes études un fond de piété admirable qui se fait clairement apercevoir dans touttes ses productions. Sa musique est extrèmement savante, pleine de grace et de génie. Sa manière de moduler étoit facile, coulante et séduisante ; enfin, les véritables connoisseurs et le grand Rameau lui mèsme lui ont tous rendu la justice de dire qu’il fut un des plus excellents compositeurs de musique d’église parmi tous les maitres qui ont travaillé pour la chapelle du Roi. » (Recueil des motets de feu Monsieur Blanchard écuyer, chevalier de l’ordre du Roi. L’un des sous maitres de la chapelle musique de Sa Majesté. Copié par Marc-François Besche, 1788). Venite exultemus Écrit en 1737 et souvent remanié pendant la carrière versaillaise de Blanchard, ce grand motet permet d’apprécier une écriture complexe et originale, nourrie de multiples influences, caractéristique de l’art de ce compositeur si rarement joué de nos jours. La grande aisance mélodique de Blanchard est perceptible dès les mesures introductives, dont les parties instrumentales volubiles annoncent déjà le caractère jubilatoire du premier verset. Les vocalises de la haute-contre, sur des mots aussi significatifs que « venite », « exultemus » et « jubilemus », répondent en échos aux traits de violon et contaminent jusqu’à la basse. Cette écriture concertante, le retour régulier de ritournelles instrumentales et l’omniprésence de figures en triolets insufflent à toute cette page le caractère des gigues fréquemment usitées dans les sonates et les concertos contemporains. La seconde section, « Quoniam Deus magnus », contraste par la majesté de son écriture verticale, privilégiant les rythmes pointés et les valeurs longues. Le statisme et la lourdeur du style synthétisent sans doute le pompeux appareil du Dieu tout-puissant, Roi de gloire. Mais bientôt, l’orchestre puis le chœur se lancent dans un fugato très écrit, saturant rapidement l’espace sonore : seuls quelques interjections (« non ») s’échappent çà et là, tandis que diverses idées mélodiques contrastées (dont une présentée aux dessus divisés du chœur) caractérisent chaque nouveau verset. Le récit de basse-taille « Quoniam ipsius est mare » est accompagné staccato par l’orchestre d’où émergent les bassons. D’inquiétantes figures en sixtes parallèles peignent le mouvement inexorable des flots. Sur cette texture originale, le chant se détache très librement avec une grande clarté. Le duo qui suit, d’une expression toute contenue, fait valoir tour à tour les parties de violons, de flûtes et de basses, puis les deux voix (haute-contre et basse-taille) qui entrent séparément et se mêlent sans jamais aucune emphase du discours. Seuls quelques chromatismes descendants (générant des rencontres harmoniques originales) font ressortir le mot « ploremus ». Le chœur qui s’enchaîne conserve ce caractère, tandis que la section « Quia ipse est Dominus » lui oppose une allure plus festive : la première partie du verset est chantée par les dessus du chœur qu’accompagne une formation orchestrale allégée, relayés ensuite par le reste des voix. Les deux séquences juxtaposées sont alors confrontées en un magistral développement, fragmenté en volets autonomes et structuré par des ritournelles orchestrales à l’aspect résolument moderne. Le grand solo de dessus « Hodie si vocem ejus » fait se succéder un magnifique récitatif dramatique où abondent les effets rhétoriques (intervalles expressifs, accords altérés…) et un véritable air de bravoure (« Sicut in exacerbatione ») à la manière italienne. Les vocalises de la soliste rivalisent d’agilité avec les traits brillants de violon et se développent librement en marches harmoniques. Le mouvement se conclut par une cadence virtuose, à la façon des grandes ariettes de l’opéra français contemporain. 14 Le verset final dissocie dans un premier temps le chœur – homophonique – et l’orchestre, plus animé : un éparpillement subtil du texte (« non ») engendre un superbe effet de spatialisation au sein même de l’effectif choral. Voix et instruments s’unissent toutefois pour souligner la seconde partie du verset (« quibus juravi in ira mea »). Les derniers mots donnent lieu à une polyphonie flamboyante enrichie de subtils développements motiviques, et sont finalement scandés en valeurs longues solennelles, concluant l’œuvre avec le recueillement d’une âme en repos. JEAN-JOSEPH CASSANÉA DE MONDONVILLE (1711-1772) Violoniste et compositeur, Mondonville reçoit sans doute ses premières leçons de son père. Vers 1731, il s’installe à Paris où il débute au Concert-Spirituel le jour des Rameaux 1734 : il joue sur le violon « d’une manière très brillante », nous rapportent les chroniqueurs du temps. Vers 1738, il devient premier violon au Concert de Lille, tout en continuant de se faire entendre régulièrement à Paris. Au mois de mars de la même année, ses premiers motets sont exécutés à Versailles puis, l’année suivante, au Concert-Spirituel : ils sont unanimement salués et resteront, pendant près de trente ans, les œuvres favorites du public parisien. D’ailleurs, la réputation de Mondonville se fit en grande partie sur ces ouvrages : si, au début du siècle, l’on encensait encore Lully et Lalande (le « Lully latin »), c’est maintenant Rameau et Mondonville qui font figures de véritables gloires nationales. Le 1er avril 1739, Mondonville est nommé violon de la Chambre et de la Chapelle du Roi. En juillet 1740, en survivance d’André Campra, il devient Sous-Maître de la Chapelle, mais ne sera 15 titulaire de la charge que le 4 mars 1744, après le décès de Gervais. En 1744 et 1745, il forme un duo avec le violoniste Guignon : leur audace les fait remarquer et enthousiasme le public. En 1747, un petit acte lyrique - Érigone - est représenté devant le Roi sur le Théâtre des Petits-Appartements, avec Mme de Pompadour dans le rôle titre. La même année, Mondonville se marie avec la claveciniste Anne-Jeanne Boucon, une talentueuse élève de Rameau : de leur union naîtra un fils, Maximilien (1749-1808), musicien amateur. Le 6 juin 1748, le compositeur collabore avec Pancrace Royer à la direction du Concert-Spirituel où ses motets sont toujours applaudis et forment même la base du répertoire. Sa pastorale héroïque Titon & l’Aurore, créée le 9 janvier 1753 et jouée en alternance avec La Serva Padrona de Pergolèse, sert de fond à la Querelle des Bouffons. L’année suivante voit la création de Daphnis & Alcimadure, pastorale écrite en langue provençale. Après la mort de Royer, Mondonville devient seul directeur du Concert-Spirituel (janvier 1755) : sous son influence, les motets à grand chœur cèdent insensiblement la place aux petits motets de concert pour quelques voix et quelques instruments, faisant briller - dans l’esprit de la musique de chambre - les solistes émérites de la capitale française mais également nombre d’étrangers. En 1758, suite à l’interdiction de graver ses motets composés pour la Chapelle de Versailles (et donc « propriété royale »), Mondonville démissionne avec fracas de son poste de Sous-Maître. Le 14 mars a lieu la création de l’oratorio sur paroles françaises Les Israëlites à la montagne d’Oreb, premier du genre. En juillet 1762 toutefois, malgré ses innombrables succès, il quitte la direction du ConcertSpirituel. Le 7 novembre 1765, il fait jouer à Fontainebleau Thésée, sur un livret de Quinault. Mais la pièce ne réussit guère car les récitatifs sont trouvés fades comparés à ceux de Lully. La reprise de l’œuvre à l’Académie royale de Musique en 1767 consacre cet échec et ternit les dernières années de la carrière du compositeur : au bout de trois représentations seulement, Mondonville fait retirer Thésée de la scène, alors que le public scande ironiquement : « Mondonville, Taisez-vous ! ». Sous la direction de Dauvergne, le Concert-Spirituel passe un contrat avec le vieux compositeur pour reprendre ses motets que le public redemande sans cesse. Mondonville s’éteint en 1772, laissant derrière lui une des plus brillantes carrières qu’un compositeur français de son temps ait connues. Nisi Dominus Comme les autres grands motets de Mondonville composés pour la Chapelle royale et joués au Concert-Spirituel, le Nisi Dominus propose une succession de moments très contrastés où l’on retrouve, traités avec beaucoup d’art, tous les ingrédients du succès de l’époque : sommeil, tempête, musette, air de bravoure et grandes pages d’orchestre. L’introduction et le premier verset, confié à la basse-taille, font périodiquement reparaître une ritournelle dont les marches de septièmes, par leur mouvement harmonique inexorable, semblent traduire le travail vain des bâtisseurs qu’évoque le texte. La séquence suivante (« Varum est vobis ») joue sur le contraste d’effectifs, opposant tour à tour les voix aiguës du chœur, le chœur dans son entier et un duo réunissant le dessus et la basse-taille solistes. Ce dernier, par d’étranges mouvements parallèles et des chutes harmoniques incongrues, souligne avec efficacité le mot « doloris ». L’aspect populaire du récit de haute-contre « Cum dederit dilectis », dont la mélodie bien assise est discrètement soutenue par un contre-chant de basson et un bourdon de basse (à la manière des « musettes » de l’époque), est brusquement déstabilisé par le chœur « Sicut sagittae » : comme dans d’autres ouvrages du même genre, Mondonville intègre ici une splendide tempête, stylisée dans son écriture instrumentale (arpèges et gammes rapides, trémolos et unissons des cordes, usage des petites flûtes…) et chorale (passages à l’unisson, traits de bravoure dispersés à toutes les parties…). 16 Un très bref duo pour voix égales de basse-taille, sur le verset « Beatus vir », introduit la section finale, qui oppose une seule basse-taille à tout le chœur : cette somptueuse fresque sonore ne cède en rien à la pompe et la solennité des passages précédents, au contraire ! Aux vocalises brillantes du soliste, le chœur répond par des scansions homorythmiques (« non ») avant de s’engager dans un fugato sur la tête du même motif (« non confundetur »). D’abord très savant, celui-ci est rapidement relayé par un développement plus libre où réapparaissent les idées musicales précédemment exposées. BENOÎT DRATWICKI