Optimisation des flux : simple suivi ou véritable maîtrise ?

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Optimisation des flux : simple suivi ou véritable maîtrise ?
Logistique & Management
Optimisation des flux :
simple suivi ou véritable maîtrise ?
Laurent GREGOIRE,
Directeur de la Logistique, Groupe Fort James,
Président d’honneur de l’ASLOG
La chaîne logistique, ou « supply chain » comme aiment à l’appeler maintenant
ceux qui n’avaient jusqu’ici pas compris ce qu’elle était, est en fait dans les entreprises un réseau de plus en plus complexe de flux et de points « d’accumulation »,
c’est-à-dire de stocks. Car qui dit flux ou mouvements dit surtout aussi
non-mouvements, donc non-valeur ajoutée. Piloter les flux, c’est certes assurer la
qualité de service relative aux flux, mais c’est aussi réduire cette absence de valeur
ajoutée, grâce à une recherche d’optimisation.
Démarche et processus
logistiques
Ainsi que l’indique la Norme AFNOR1
récemment mise à jour, la démarche logistique « permet, au travers d’une gestion
rigoureuse des interfaces, de transformer une
succession d’opérations en un processus global intégré ». Or ce processus commence à
l’instant même où une personne commence à
s’interroger sur le produit que l’entreprise
veut concevoir puis commercialiser et ne se
termine que lorsque le produit, conçu, développé, produit, vendu, maintenu et utilisé, est
démantelé et que les matières qui le composaient trouvent un nouvel usage. Dans quelle
entreprise le processus logistique est-il géré
dans toute cette globalité ?
C’est donc bien tout au long du cycle de vie du
produit (cf. figure 1, extraite de la même
norme) que se déroule le processus logistique
comprenant un grand nombre d’activités dont
il est clair qu’un certain nombre sont effectuées dans l’entreprise par des personnes ne
relevant pas de la logistique mais d’autres
départements : R&D, Marketing, Ventes,
Achats, Production, Finances, etc. Le processus logistique est bien entendu piloté à l’aide
d’un système d’information. Les logisticiens
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avaient donc développé des systèmes
d’information qui leur étaient spécifiques et
répondant à leurs objectifs. Mais tout fut remis
en cause il y a quelques années, par l’arrivée
des systèmes d’ERP (« Enterprise Resource
Planning ») ou systèmes de gestion intégrée.
La révolution des ERP
Les progiciels d’ERP sont basés sur le principe de l’intégration des différentes fonctions
de l’entreprise. En cela, ils ne peuvent qu’aller
dans le sens de la démarche logistique qui
intègre les flux de matières et les flux
d’informations associées. Mais les ERP vont
plus loin dans cette intégration car ils intègrent
totalement ces flux aux flux financiers de
l’entreprise. Il est dommage de devoir reconnaître qu’il aura fallu la percée extraordinaire
des ERP pour que les logisticiens comprennent que leur mission n’est pas seulement
d’assurer un service au client mais aussi de
participer à la réussite financière de
l’entreprise.
Autrement dit, l’optimisation n’est pas seulement entre taux de service et coût mais aussi
avec le retour sur capital investi. Daniel
TIXIER, Hervé MATHE et Jacques COLIN2
1 - Norme AFNOR X50-600,
édition janvier 1999.
2 - La logistique d’entreprise,
Daniel TIXIER, Hervé MATHE,
Jacques COLIN, Dunod,
avril 1996.
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fondent ainsi désormais la stratégie logistique
sur le triptyque service – productivité – rentabilité du capital. Et ce sont les priorités données à court et moyen terme à l’un ou l’autre
de ces critères qui déterminent la typologie
des options majeures d’une « politique »
logistique.
Une autre incidence de la prédominance de la
gestion financière est de rappeler que la qualité totale de service logistique n’est pas seulement de s’assurer que toute livraison doit
correspondre en tout point à une commande
mais aussi que doit suivre une facture, correspondant également en tout point à ce qui a été
commandé et livré.
3 - ERP vendors enhance products to meet customer
demands, Erik SHERMAN,
revue Global Sites and Logistics, octobre 1997.
4 - ERP/SCP :
complémentarité ou concurrence, Philippe RÖHLICH,
revue Stratégie et Logistique,
juillet 1998.
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La logistique doit normalement retrouver son
compte lors de l’implantation d’un ERP dans
une entreprise. En effet cela nécessite un projet transversal et des équipes pluridisciplinaires, dans lesquelles les logisticiens trouvent
naturellement leur place. Ensuite parce que
l’implantation d’un ERP s’accompagne en
général d’une réorganisation par processus
(« process reengineering ») dont le processus
logistique doit sortir clarifié et fortifié. Mais
est-ce bien toujours le cas ? Enfin parce que le
maître mot des systèmes d’information utilisant un ERP est temps réel, ce qui ne peut
qu’aider les logisticiens à optimiser des flux, à
gérer de plus en plus en temps réel.
Mais il est clair aussi que les ERP, focalisés
sur la gestion des flux financiers, n’ont au
départ, pour la majorité d’entre eux, pas pris
en compte tous les besoins d’un pilotage
global des flux3. Ce qui a permis l’essor étonnant des progiciels dits de « supply chain
management », indispensables pour compléter un système d’information d’entreprise ;
aujourd’hui, les uns et les autres vont devoir
s’intégrer de plus en plus afin de permettre la
triple optimisation annoncée précédemment4.
Enfin, une nouvelle question porte
aujourd’hui sur l’éventuelle intégration des
ERP, étendus avec les outils de « supply
chain », entre sociétés s’achetant et se vendant
des produits ou des services. D’ores et déjà
des exemples d’intégration existent où,
sans commande formalisée ni intervention
humaine, les ERP de sociétés fournisseur et
client s’échangent les besoins et ressources
dans un MRP, voire un PIC, multi-sociétés ou
plutôt au sein d’une entreprise étendue ; il
serait temps de se demander en ce cas s’il doit
et s’il peut y avoir un ou plusieurs « pilotes
dans l’avion » ? Afin de piloter les flux, bien
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sûr. L’ECR ne peut que renforcer cette interrogation.
Le défi :
maîtriser l’optimisation des flux
La dynamique de l’ECR
Force est de constater que le pilotage des flux
n’est en général au mieux qu’un simple suivi,
parfois un contrôle, très rarement une véritable maîtrise. Or tel est le contenu complet de
la logistique : « planification, exécution et
maîtrise » des mouvements et des mises en
place suivant la définition européenne normalisée5. Le mot maîtrise est ici la traduction
du mot anglais « control », activité dont le
contenu est un peu explicité au cœur de la
double flèche de la figure 1.
L’ECR (« Efficient Consumer Response ») a
été conçu pour développer une véritable gestion commune des flux entre les industriels
et les distributeurs de produits de grande
consommation, dans un esprit gagnant gagnant. La même approche a existé dans
d’autres secteurs, avec une autre terminologie ; on peut notamment citer le VMI
(« Vendor Managed Inventory »). Au-delà de
projets de simple bon sens, qui se seraient sans
doute de toutes façons développés, et au delà
de la « gestion de la demande » qui ne
concerne pas directement la logistique, il est
sûr que l’ECR est en train de modifier profondément le pilotage logistique des flux dans ce
secteur important de l’économie.
Mais les entreprises ont-elles bien étudié – et
pris en compte – toutes les conséquences de
cette modification ? D’une part pour leur système d’informations, par exemple dans le
cadre de l’intégration d’ERP, d’autre part pour
la définition du périmètre du système
logistique à optimiser. Ce n’est plus un, mais
deux ou trois ou plus, triptyques service – productivité – rentabilité financière qu’il s’agirait
dorénavant d’optimiser… Dans tel ou tel secteur industriel, l’expérience montre que c’est
l’entreprise la plus en aval qui profite de telles
démarches pour dicter plus ou moins sa loi
aux entreprises en amont : il est trop tôt pour
savoir si cela perdurera et se reproduira d’une
façon analogue dans tous les secteurs.
La meilleure compréhension de la véritable
nature de la démarche logistique, la révolution
des ERP et la dynamique de l’ECR obligent
aujourd’hui les logisticiens à s’interroger
sérieusement sur la véritable maîtrise des
flux qu’ils doivent assurer, maîtrise qui passe
par une utilisation poussée des outils
d’optimisation.
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Il s’agit en fait, d’une part de mesurer le passé,
d’analyser les résultats et de les comparer aux
objectifs et de prendre les mesures correctives, d’autre part – c’est le plus difficile – de
prévoir, en fonction de la stratégie voulue
pour le fameux triptyque, la configuration
logistique optimale. Nous ne sommes
aujourd’hui qu’aux balbutiements de telles
optimisations, qui nécessitent notamment
l’emploi d’outils de modélisation et de simulation (Il est à ce titre significatif que vient
d’être déposée une demande d’habilitation
d’un DEA en « Logistique et Systèmes », préparé par la Chaire logistique du CNAM et le
Laboratoire de Mathématiques Appliquées
aux Systèmes de l’Ecole Centrale de Paris).
Un exemple de balbutiement porte sur le coût
logistique : qui a défini à ce jour le contenu de
la partie du coût logistique qui concerne la
gestion de production et l’ordonnancement ?
Avec l’internationalisation, le développement
des nouvelles technologies, les progiciels
d’ERP, les approches du type ECR, les
logisticiens ont désormais la possibilité, et
l’impérieuse nécessité, de partir « à la
recherche de l’optimum logistique6 ». Il est
temps : n’était-ce pas le titre d’une étude de
François KOLB, le premier auteur en logistique en France7 ? Piloter les flux, oui, mais
pour les maîtriser par l’optimisation.
5 - Norme AFNOR X50-600,
édition janvier 1999.
6 - A la recherche de l’optimum
logistique, François KOLB,
Cahiers d’Etude de l’ESCP,
n° 85-51.
7 - La logistique:
approvisionnement, production,
distribution, Entreprise
Moderne d’Edition, 1972.
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