Une communauté élitaire Les Juifs à Aix-en

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Une communauté élitaire Les Juifs à Aix-en
L’Écho
des Carrières
N°76 2014
Une communauté élitaire
Les Juifs à Aix-en-Provence à l’époque de l’Affaire
Dreyfus (1894-1906). Partie 3/5
Par Christiane DE ROBERT RATEL
(1894-1906)
DEROBERT RATEL
proximité de la place de la Rotonde, où se
trouvent les bureaux de l’octroi et la gare de
marchandises, se consacrent à ces négoces,
principalement à celui des amandes. La plupart ont des liens de parenté :
B/ LES MILIEUX ECONOMIQUES
De nombreux juifs contribuent à la prospérité
de la ville à des niveaux divers.
 Benjamin Abram (1851-1912) (un homonyme du maire), également banquier, marié à Lucie-Rachel Crémieu (1858-1929) a
son entreprise 1, rue du bras d’or. Homme
d’une grande honnêteté, fort laborieux, il
parvient à donner une large extension à
son affaire qu’il laisse, peu avant son décès, à ses fils, Georges (1879-1973), marié
à Lucie Bernheim (1884-1961), et Raoul
(1883-1916), marié à Félicie Cassin
(1886-1981), la sœur de René Cassin.
Après la mort, sur le front, de Raoul,
Georges assure seul la direction de
l’entreprise familiale jusqu’en 1934. Élu
juge au tribunal consulaire à partir de
1921, membre de la chambre de commerce de Marseille de 1927 à 1950, censeur de la banque de France, administrateur de la caisse d’épargne, il est fait chevalier du mérite commercial, de la Légion
d’honneur en 1949, et commandeur du
Ouissam alaouite en 1947. Cette prestigieuse décoration chérifienne lui est décernée à la suite d’une mission au Maroc,
effectuée en 1946, en vue d’intensifier les
échanges économiques entre ce pays et la
métropole. « D’une parfaite honorabilité,
réputé pour sa droiture et son intégrité,
jouissant de la considération générale, M.
Le directeur de la manufacture d’allumettes
Entré à Polytechnique en 1883, l’alsacien
Abraham-Prosper-Ernest Weyl (1864- ?) est
ingénieur des manufactures de l’Etat. Il dirige, de 1895 à 1896, celle d’allumettes, située dans les locaux qu’occupe actuellement
la Méjanes. Nommé en 1904 ingénieurconseil de la régie des tabacs ottomane, il en
devient, quelques années plus tard, directeur
général. En 1910, il est fait chevalier de la
Légion d’honneur, ayant rendu « maints services à la colonie et aux intérêts français à
Constantinople ». En 1917, revenu à Paris, il
reçoit la rosette en qualité de lieutenantcolonel d’artillerie (territorial) directeur des
forges au sous-secrétariat d’Etat des fabriques de guerre1.
Les négociants et banquiers
Sise au cœur d’un bassin agricole, la ville
d’Aix est, alors, un centre d’exportation
d’olives, d’huiles, d’amandes et autres produits du terroir. Quelques juifs, installés à
1
Musée Arbaud. Aix. MD. 81 et A. N. L. H.
19800035/576/65455.
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Georges Abram tient une place importante
dans le monde commercial et agricole tant
à Marseille qu’à Aix », écrit le préfet en
1948, en le recommandant pour la Légion
d’honneur2.
 Lionel Bédarride (1843-1899), marié à
Jeanne-Rosine Crémieu (1856-1942), la
sœur de Lucie-Rachel précitée, est établi
13, rue des tanneurs. Juge consulaire depuis 1888, il devient président du tribunal
de commerce en 1896 et est réélu, en
1898, à cette fonction, qu’il occupe
jusqu’à sa mort en 1899. « A la tête du
tribunal, comme à la tête de ses affaires, il
a su régulièrement apporter toutes les qualités désirables d’intelligence, de travail,
d’activité et de compétence. Il jugeait
dans un esprit de droiture et de justice »,
souligne L’Echo des Bouches-du-Rhône,
lors de son décès. Aussi, son enterrement
est-il suivi par un cortège innombrable, en
présence de toutes les notabilités judiciaires de la ville3.
 Cousin des précédents, Moïse-Jassé Laroque (1816-1896), veuf de Myriam Milhaud (1813-1893), habite 6, cours Mirabeau. Chevalier de la Légion d’honneur
depuis 1877, Moïse-Jassé Laroque, qui a
été président du tribunal de commerce
d’Aix, continue à cumuler les responsabilités : président de la chambre consultative
des arts et manufactures, de la société du
crédit agricole de l’arrondissement, administrateur de la caisse d’épargne, de la société d’assistance mutuelle d’Aix, membre
de la commission locale de surveillance
du travail des enfants dans les manufactures, de la chambre de commerce phocéenne et du consistoire départemental, il
est nommé juge consulaire au début de
1896. En octobre de la même année, une
nombreuse assistance suit les obsèques de
cet homme charitable, profondément attaché aux intérêts de sa ville et auquel son
ami M. Thibaud, président du tribunal de
commerce en exercice, rend un ultime
hommage. Ses filles, Esther (1838- ?) mariée au magistrat alsacien Alphonse
Bloch (1838-1897), Annette (1844- ?) mariée au général carpentrassien SamuelPaul Naquet (1843-1921), leurs fils, natifs
d’Aix, David-Léon-Raoul Bloch (18681958), futur avocat général à la Cour de
cassation, et Raymond-Elie Naquet (18751952), qui terminera général de division,
ainsi que le Général Samuel-Paul Naquet,
lui-même, entreprennent aussitôt, par respect filial, une procédure pour faire ajouter à leur nom celui de Laroque. Celle-ci
aboutit en 1899. Les hoirs de Moïse-Jassé
Laroque font également don à la ville, en
1898, de l’aqueduc des Fenouillères, situé
sur une propriété héritée de ce dernier.
Désireux d’honorer la mémoire de cet
homme d’exception, le conseil municipal
décide, le 9 août 1898, de donner son nom
à la rue Saint-Lazare, perpendiculaire au
cours Mirabeau et proche de son hôtel 4.
 Gad-Gabriel Milhaud (1853-1942) est le
neveu de Moïse-Jassé Laroque. Marié à
Sophie Allatini (1868-1944), le père du
jeune Darius (1892-1974) est négociant et
banquier 2, rue du bras d’or. Juge consulaire depuis 1887, président du tribunal de
commerce de 1902 à 1906, représentant
de l’arrondissement d’Aix à la chambre de
commerce de Marseille depuis 1897, il est
aussi secrétaire de la caisse de crédit rural
de l’arrondissement d’Aix.
 Son frère David (1861-1920) est son associé. Marié à Alice-Amélie Allatini (1870-
2
A. D. Marseille. 74.W.1.
A. C. Aix. F.2.9 ; Echo des B. D. R. 2 juillet 1899 ;
Mémorial 29 juin 1899.
3
4
6
A. N. L. H. 1485/88.
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Rosine (1855- ?), sœur de David et GadGabriel Milhaud, loge 17, rue Victor
Leydet, dans le même immeuble que David.
 Les trois frères Lunel, Ernest (18531932), Paul (1858-1935) et Auguste
(1860-1936), nés à Alleins, se sont installés à Aix, à la fin des années 80. Hommes
audacieux, ils y sont, tout à la fois, négociants en huiles, savons et amandes. Ernest et Auguste habitent, alors, des immeubles cossus de l’avenue Victor Hugo
(n° 6, 8 et 13). Paul demeure dans leur
établissement qui regroupe plusieurs bâtiments autour d’une vaste cour et dispose
de deux entrées : l’une, 10, cours Sextius,
l’autre 29, boulevard de la République.
 Le lorrain Zacharie Haas (1833-1918) est
juge consulaire en 1896, mais sa fabrique
de chapeaux, située 5, traverse du cirque,
si prospère au début de la IIIème République, connaît, à l’aube du XXe siècle,
des difficultés engendrées par la concurrence étrangère.
 Le banquier Paul-Abraham Crémieu
(1865- ?), frère de Lucie-Rachel et
Jeanne-Rosine, réside 14, rue Victor
Leydet. Ses bureaux sont 5, rue de la couronne. Aimant un peu trop les jeux de hasard, notamment les courses, son entreprise aurait été, en 1902, dans une situation délicate, rapporte la mémoire familiale.
1955), une cousine de Sophie, il loge avec
sa famille au second étage d’un immeuble,
sis 4 place Jeanne d’Arc, qui communique
avec le 17, rue Victor Leydet (dénommée,
alors, villeverte). Le siège de l’entreprise
se trouve au premier. À l’entrée, une pancarte indique « Vite et bien », ce qui incite, un jour, l’espiègle Renée, sa benjamine, à rajouter, « ne vont pas ensemble »
… 5. En 1908, David Milhaud est élu juge
au tribunal de commerce, réélu plusieurs
fois, « son assiduité et son dévouement y
sont particulièrement appréciés ». Lors de
ses obsèques, en 1920, le confiseur Casse,
président de cette instance, en brosse ce
portrait : « Une intelligence vive, une
grande expérience des affaires, un jugement droit et réfléchi, telles étaient les
principales qualités du magistrat que nous
pleurons aujourd’hui. Sa conscience et sa
probité étaient à toute épreuve. Écoutant
volontiers les conseils, il conservait,
néanmoins, une grande fermeté dans ses
décisions. C’était un collègue unanimement estimé et aimé pour sa droiture, sa
bonne humeur et sa serviable obligeance.
Dans le monde du commerce, David Milhaud s’était créé, à côté de son frère aîné,
une situation prépondérante. Ses aptitudes
étaient multiples et sa voix toujours écoutée au sein des diverses sociétés et corporations dont il faisait partie. Nul ne faisait
en vain appel à lui lorsqu’il s’agissait de
s’intéresser à la chose publique. Aussi son
nom se perpétuera comme un modèle de
probité, d’honneur et de dévouement »,
déclare le Président Casse 6.
 En 1906, le négociant lyonnais Benjamin
Seyewetz (1844-), époux de Déborah-
Les courtiers
Plusieurs courtiers en amandes sont cousins
ou neveux des Abram, Crémieu et Milhaud
avec lesquels ils sont en étroites relations
d’affaires :
5
Souvenir recueilli auprès de Mme Claude Prawidlo,
fille de Renée Milhaud.
6
Echo des B. D. R. 26 mars 1899 et 1er décembre
1901 ; Mémorial 25 juillet 1920.
 Edmond Bédarrides (1877-1946) et son
frère Marcel (1882-1941), dont la grand7
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 Le gardois Joseph Mossé (1846-1911),
époux de Julie-Sarah Cohen (1848-1919),
fille d’un ancien tailleur d’habits de Salon,
est marchand d’étoffes à l’angle des rues
Chabrier (n°1) et Granet (n°2). Sa fille aînée Rose-Séphora (1872- ?) est mariée
avec le salonais Alexandre-Samuel Cagli
(1858-1919), qui tient un magasin de confection 24, rue Bédarrides. Sa benjamine
Noémie-Isabelle (1884-1932) a convolé
avec le marseillais Marcel-Joseph Crémieux (1880-1944), marchand de tissus,
23, rue Bédarrides. L’avignonnais IsaacPierre Carcassonne (1877-1962), employé
chez Joseph Mossé, après avoir obtenu la
main d’Eva-Berthe, sa cadette (18791936), crée son propre magasin d’étoffes,
37, Rue Espariat. Leur fils Georges (19061972) donnera une grande extension à
cette affaire.
 L’orangeois Benestruc-Gustave Cohen
(1850-1896) est marchand de tissus, 20,
rue du Félibre Gaut.
 Les marseillais Marcel-Aaron Carcassonne (1866- ?) et Armand-Samuel Montel (1872-1938), deux beaux-frères demeurant 3, rue des gantiers, sont marchands forains.
 Un autre orangeois, Mardochée Mossé
(1838-1907), marchand de nouveautés à
Arles, vient, de temps à autre, à Aix pour
ses affaires, logeant à l’hôtel ou chez des
coreligionnaires.
mère paternelle est une sœur de Daniel et
Myriam Milhaud, sont établis 22, rue Victor Leydet.
 Saül-Haïm Crémieu (1847-1929) est implanté 1, traverse du cirque. Fils du défunt
négociant Moïse Crémieu, Saül-Haïm vit
maritalement, en 1906, avec Irénée-Jeanne
Cholet, une parisienne non-juive. Le
couple a deux enfants : Raymonde-Alice
(1901- 1986) et Geneviève-Rose (19041978).
 En 1901, un certain Henri Crémieu, courtier 10, boulevard du Roi René, voisine
avec un négociant en huiles.
Les commerçants
Une dizaine d’israélites, parents pour la plupart, ont des commerces de confection au
centre-ville :
 Né à Navarrenx, le béarnais Emile-Elie
Léon (1862-1931) tient, en 1896, la boutique Aux 100.000 paletots, 10, rue Thiers.
Marié à Rose Lévi (1868-1935), la fille de
l’ancien propriétaire, son entreprise prospère. En 1901, il est à la tête de La maison
de Paris, un magasin d’habillement 65,
cours Mirabeau ; puis, est qualifié de
« négociant en confection » lors du recensement de 1906. Leur fille Ines (18891957) crée plus tard la Chemiserie Léon,
23, rue Thiers, qu’elle gère seule jusqu’en
1942 7.
 Leur ami alsacien Moïse Rebstock (1859?), qui a ouvert un commerce de lingerie
Le nouveau Paris, vers 1890, 12, rue
Thiers, quitte Aix pour s’établir à Nice, en
1905 8.
7
8
Les artisans
 Le nîmois Joseph-Moise-Zabulon Milhaud (1838-1925), concierge de la synagogue, marié à Pauline-Rebecca Digne,
est le sacrificateur de la communauté. Ses
enfants travaillent : Léon-Aaron (18641955) est patron-cocher 62, rue Vauvenargues, Jules-Jacob (1864-1941) mécani-
Renseignements fournis par M. Pierre Décimo.
Archives Maître Bruno Rebstock. Aix.
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 L’avoué honoraire tarasconnais IsaacAlfred Vidal-Naquet (1834-1932), venu
prendre sa retraite à Aix, avec son épouse
Blanche (1845-1927), sœur de l’amandier
Benjamin Abram (41, rue RouxAlphéran) ;
 Mardochée-Ernest Bédarrides (18341917), marié à Rose-Bengude (18461930), une autre sœur de Benjamin
Abram, qui vit avec ses fils Edmond et
Marcel (22, rue Victor Leydet) ;
 Joseph-Fernand Montel (1854- ?), marié à
Pauline-Léa (1853-1933), la troisième
sœur du même Benjamin Abram (20, rue
du 4 septembre) ;
 le lorrain Isaac Levi (1829-1904), marié à
Brunette Caïn (1841-1926), fille du défunt
tailleur aixois Aiman-Hyppolite Caïn, qui
réside à proximité de son ancien magasin
(23, rue Thiers) ;
 les carpentrassiens Israel Valabrègue
(1837-1908) et sa sœur Rachel (18271902), tous deux célibataires (2, rue Jaubert) ;
 Israel-Frédéric Valabrègue (1866-1935),
frère d’Antony, également célibataire, (22,
cours Gambetta) ;
 la carpentrassienne Précile Milhaud, née
Valabrègue (1828-1905), veuve de Daniel
Milhaud, le grand-père du compositeur
(17, rue Victor Leydet) ;
 la carpentrassienne Anna Valabrègue
(1827–1912), veuve d’Isaïe-Isidore Montel, logée chez son gendre SamuelAbraham Tedeschi (5, rue Espariat) ;
 Rebecca Bédarrides (1816-1900), veuve
du comptable David Bédarrides, demeurant avec ses filles (63, cours Mirabeau) ;
 Noama-Rosalba Crémieu (1840-1898),
célibataire, sœur de Saül-Haïm Crémieu,
précité (15, cours Mirabeau) ;
cien, Salomon-Albert (1868-1957) tapissier-matelassier 44, rue Mignet, RachelRosine (1868-1972) repasseuse, David
(1874-1961) tourneur de métaux et Caroline (1879-1986) tailleuse.
 L’orangeoise Pauline Hirshler (18291916), célibataire, est lingère 29, rue
Jacques de Laroque ; Elisabeth Montel, en
dépit de ses 72 ans, exerce cette même
profession, en 1901, 10, rue Méjanes.
Les employés
 En 1901, les trois fils de la veuve BilhaRuth-Mathilde Naquet habitent avec leur
mère : René-Elie (1879- ?) (22 ans) et
André (1880-1932) (20 ans) sont employés de commerce chez Lieutard, un fabricant de boissons. Leur frère Jacques
(18 ans) est attaché à la banque Crémieu.
Le premier obtiendra la Légion d’Honneur
9
.
 Au début du XXe siècle, Mardochée-Jules
(1872-1944) et Reine Ammar (18801944), des oranais, s’installent à Aix avec
leurs trois enfants. En 1906, ils habitent
14, rue Fabrot. La famille semble dans
une situation précaire puisque MardochéeJules est, alors, « employé de commerce
sans emploi », indique le recensement.
D’autres membres de la communauté ne travaillent pas non plus.
Les rentiers et propriétaires
Entre 1894 et 1906, une vingtaine de personnes sont qualifiées de propriétaires ou
rentiers sur les registres de recensements.
Parmi eux figurent :
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A. N. C. A. C. L. H. 19800035/944/9782.
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 sa sœur Bilha-Ruth-Mathilde Naquet
(1852-1911), veuve de Justin-Pinhas Naquet (20, avenue Victor Hugo) ;
 leur autre soeur Sara-Hélène Lévy (18371907), veuve de l’ingénieur civil Emmanuel Levy (8 cours Mirabeau) ;
 le fils de cette dernière, Emile-DésiréMoïse Levy (1865-1934), concubin de
Marie-Christine-Agnès Lacanal, une ariégeoise non-juive, dont il a un fils, Raoul
(1894-1980), né à Bruxelles (9 rue Chastel) ;
 Blanquette-Delphine Abram, veuve Alphandéry (1834-1912), native de La Fare
(40, rue Roux-Alphéran) ;
 Daniel-Levy Cohen (1820-1896), un ancien tailleur salonnais (24, rue Bédarride) ;
 Précieuse Bédarride (1811-1905), mère du
bâtonnier Benjamin Abram et sœur de
Jassuda et Salomon-Bessalel Bédarride,
deux anciens maires d’Aix (17, cours Mirabeau) ;
 le banquier Mardochée Crémieu (18271915), célibataire, retiré des affaires, qui
loge au rez-de-chaussée du 14, rue Victor
Leydet. En 1906, vivent aux étages supérieurs, sa belle-sœur Léa (1828-1911) (née
Lisbonne), sa nièce Jeanne (1856-1942),
veuve de Lionel Bédarride, et la petite
Germaine (1890-1977), fille de ce dernier.
Anna-Précieuse Bédarride dite Précile
(1840- ?), veuve d’Aaron-Gustave Carcassonne et sœur de Lionel Bédarride, réside à deux pas (13, rue des tanneurs).
Fort séduisant et cultivé, ayant beaucoup
voyagé en Europe, parlant couramment le
provençal, l’anglais, l’italien et connaissant bien l’hébreu, bibliophile averti,
Mardochée Crémieu est empreint d’un solide sens de la famille : tous les samedis il
convie toute sa parentèle, afin de fêter le
Shabbat, servant lui-même le Kiddouch, et
finit pas adopter Jeanne-Rosine, LucieRachel et Paul-Abraham, les enfants de
son frère Idida, décédé prématurément en
1867 10.
Bien d’autres notables judéo-comtadins,
exerçant une activité professionnelle, pourraient être qualifiés de propriétaires comme
le révèlent leurs inventaires après décès. Plusieurs jouissent d’un hôtel particulier et
d’une demeure d’agrément dans la campagne
environnante où, en bons provençaux, ils
aiment aller se reposer. Ainsi Paul Lunel
passe ses week-ends, durant l’été, dans son
domaine au Pont de Béraud, où il possède
une garenne ; les Tedeschi, au mois d’août,
délaissent leur immeuble de la rue Espariat
pour leur campagne des Milles. Les amandiers Abram et Crémieu quittent volontiers
leurs appartements pour « Mon repos », une
bastide dans le quartier Saint-Mitre, où les
jeunes filles se divertissent en jouant Esther
sur un petit théâtre improvisé. Adrien Crémieu, dont le cabinet et le domicile se trouvent 15, rue Goyrand, se rend dans sa villa du
Tholonet ; les Montel quittent le quartier Mazarin pour le « Chateau Arnulphy » dans le
même village ; les Milhaud abandonnent
« Le logis du bras d’or » pour « L’enclos »,
sis avenue Sainte Victoire. Le petit Darius et
sa cousine germaine Rosine s’y livrent à des
batailles d’arbouses, s’amusant même à en
envoyer subrepticement sur les passants,
nous a rapporté la fille de Rosine. Mardochée-Ernest Bédarrides a une grande villa au
quartier Bonhoure, montée d’Avignon ;
Maxime Peraire, au quartier de l’arc de Meyran. Encore plus chanceux, Lionel Bédarride
a une bastide, 1 cours d’Orbitelle, à deux pas
du centre ; Isaac Lévi a acheté « Le bos-
10
Renseignements recueillis auprès de Maître Max
Amado, fils de Germaine Amado.
10
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quet », un cabanon dans un écrin de verdure,
route de Vauvenargues ; le marchand de tissus Joseph Mossé en a un au quartier de la
repentance. Certaines de ces résidences d’été
sont de véritables domaines agricoles, sollicitant toute l’attention de leurs propriétaires
qui, en parfaits gentlemen-farmers, remportent, lors de concours, des prix pour leur production ou la gestion de leur exploitation.
Ainsi en est-il, en février 1896, d’IsraelFrédéric Valabrègue qui possède « La guiramande », au quartier des Lauves, du bâtonnier Benjamin Abram qui, en 1897, reçoit des
médailles de la société départementale
d’agriculture « pour l’excellente tenue de sa
propriété de Chazelles et les constants efforts
qu’il apporte au progrès de l’agriculture » et
du Procureur Eliacin Naquet qui, en 1896,
obtient une médaille pour son vin rouge de
« Château Lacombe » et, en 1899, pour son
vin blanc. Tous ces succès sont une source de
fierté pour ces notables juifs. Ne leur permettent-ils pas, du même coup, de réfuter les
leitmotive déniant aux juifs toute vocation
agricole ?
La richesse de beaucoup de familles nous est
confirmée par leur train de vie. 18 habitent
un hôtel particulier de l’aristocratique quartier Mazarin, du cours Mirabeau ou un immeuble de l’avenue Victor Hugo, alors fort à
la mode. Deux tiers des foyers emploient des
domestiques. Dix-sept
en possèdent au
moins deux ; le négociant Benjamin Abram
et le conseiller Lyon en ont, chacun, quatre.
David Milhaud a engagé une nurse anglaise
pour ses filles, le banquier Paul-Abraham
Crémieu, une femme de chambre allemande,
et le conseiller Valabrègue, une suissesse.
A l’aube du XXe siècle, la communauté juive
aixoise, parfaitement intégrée, tant professionnellement qu’économiquement, peut
jouer un rôle important dans la vie publique.
Christiane DEROBERT-RATEL
Membre du C. D. P. C. Jean-Claude Escarras.
UMR-CNRS 7318
Le Royaume juif de Septimanie, mythe ou réalité ?
Par Patric CHOFFRUT **
fin que l’ex-président du LanguedocRoussillon, M. Georges Frêche – lui-même
historien éminent – avait proposé de renommer
sa région « Septimanie ». Mais je n’ai compris
l’engouement de mon auditoire d’outre-manche
que très récemment, en découvrant l’existence
d’un roman américain :
Il y a quelques années, me trouvant à Londres
pour une série de conférences devant un auditoire juif, j’ai été surpris par le nombre de demandes portant sur la Septimanie.
J’avais, comme tout chercheur en matière occitane, entendu parler du terme. Je connaissais
l’existence d’une communauté juive florissante
des deux côtés des Pyrénées. J’avais lu le roman assez médiocre de Kate Mosse (« Citadel »), dont l’action se passe pendant la croisade contre les Albigeois, avec de nombreuses
allusions à la communauté juive. Je savais en-
The Messiah of Septimania, par Lee Levin.
(2010). C’est encore un roman historique dont
on ne peut garantir la véracité scientifique,
mais je viens très fortuitement d’apprendre
qu’il s’inspirait d’un autre livre de Arthur J.
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