LA FEMME CORÉENNE SELON LA TRADITION Vertus et éducation

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LA FEMME CORÉENNE SELON LA TRADITION Vertus et éducation
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La femme coréenne selon la tradition
Sunmi KIM
LA FEMME CORÉENNE SELON LA TRADITION
Vertus et éducation de la femme coréenne à l'époque des YI (13921910)
(extrait d'un thèse de doctorat en Sciences de l'éducation1)
Sunmi KIM ( CRISE-LEC)
Nous pouvons dire qu’à l’époque des YI, les femmes coréennes étaient considérées,
légalement et socialement, non pas comme des êtres humains autonomes, mais
comme des sortes d’appendices des hommes dans la famille2. L’inégalité entre
hommes et femmes existe depuis toujours dans toutes les sociétés patriarcales, et
pour ce qui concerne la Corée, le confucianisme de la dynastie des YI a joué un rôle
décisif en la matière. Nous pouvons trouver la racine de cette idée de l’inégalité des
sexes dans le livre de la Mutation (Yôk-gyông : Yi King) qui a eu énormément
d’influence et qui, par la suite, a amené le développement de la théorie du néoconfucianisme coréen. Le fond de cette théorie est celui du « Yin » et du « Yang »
(M. Sautet, 1996, pp. 39-54), et la création et la transformation de toutes choses (à la
base des « cinq éléments » : terre, feu, eau, métal, bois) se produit par l’interaction
permanente de ces deux éléments. Selon l’ordre du Ciel, le Yang est fort et le Yin
souple, et d’après l’ordre de l’Etre humain, l’homme est supérieur et la femme,
inférieure. C’est la raison pour laquelle la vertu naturelle de la femme s’est trouvée
dans la souplesse ; autrement dit, à travers l’obéissance vis-à-vis de l’homme
(Centre des études sur la femme coréenne de l’université de femmes d’I-Hwa, 1995,
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Thèse de Mademoiselle Sunmi KIM, intitulée " les femmes asiatiques et l’enseignement supérieur en
France : rapport au savoir et positionnement social dans les sociétés asiatiques (Corée du Sud, Japon et Taiwan),
Université Paris 8, 27 octobre 2000, jury: Madame et Messieurs les Professeurs Jacques Ardoino (université
Paris 8), René Barbier (université Paris 8, directeur de thèse), Alain Coulon (université Paris 8), Catherine
Despeux (Inalco), Philippe Meirieu (université Lyon 2)
2
A ce propos, il existe pourtant certaines contestations ;
- d’après Hyo-gang Ha (L’image traditionnelle de la femme coréenne, Minûmsa, 1985, p. 28), le statut de la
femme de la dynastie des YI changeait au fil des années : à travers plusieurs guerres, elle pouvait (plutôt a
dû) avoir une attitude forte et active pour subir ces difficultés.
- Par ailleurs, selon Bu-yông Lee (ibid., pp. 95-100), plusieurs contes montrent combien les femmes étaient
décisives, voire autonomes à tel point qu’elles conduisaient leur mari sur le bon chemin.
- En outre, d’après Yôl-kyu Kim (ibid., p. 106) et Lang-hûi Chông (ibid., p. 58), la condition de la femme de
cette époque variait selon son statut familial et social : l’autorité et le pouvoir de la belle-mère étaient
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p. 15). Une telle spéculation a dominé la mentalité coréenne (chinoise et japonaise)
pendant des siècles et par conséquent, la société actuelle ne semble pas encore
avoir totalement effacé cette empreinte.
Examinons de plus près la nature des vertus 3 des femmes de cette époque,
lesquelles, reposant sur ce fond philosophique Yin et Yang, étaient inculquées, voire
imposées par l’idéologie de la classe dominante, c’est-à-dire des hommes
confucéens, comme une autre façon de réaliser la piété filiale de ceux-ci. Ces vertus
se résument principalement à l’obéissance et la chasteté. En relation avec ces deux
vertus, nous parlerons également de l’éducation des filles (femmes) ; en quoi
consistait l’éducation des filles et en quoi était-elle différente de celle des garçons ?
Avant de répondre à ces questions, et afin de mieux comprendre celles-ci, nous
examinerons tout d’abord le statut de la femme de l’époque des Yi en nous reportant
aux ouvrages confucianistes destinés à l’éducation de celle-ci.
2.1. Le statut de la femme chez les confucianistes
Nous commençons ce chapitre sur le statut de la femme à partir des
concepts confucianistes, par la traduction de deux caractères chinois, «nam» et «yô
», signifiant l’homme et la femme. Le premier caractère chinois est composé de «le
champ» et de «la force». Cela signifie, dans le sens originel du terme, que l’homme a
le devoir de prendre en charge sa famille en travaillant à l’extérieur (dans le champ) ;
quant à l'autre caractère chinois, ayant une forme assise de côté, cela signifie que la
femme est à l’intérieur (à la maison) et s’occupe des enfants et du ménage (D. Y.
Yang, 1962, pp. 209-210). Ces deux caractères montrent clairement la place
originelle de l’homme et de la femme dans la société, en fonction de leur rôle très
distinct. En fait, comme nous venons de l’évoquer, l’idée de ce dernier a dû être
influencée par la spéculation sur le Yin et le Yang en transformant la force en
reconnus et de même, la femme légitime d’une classe moyenne et supérieure était respectée à l’égal de son
mari.
3
Le terme « vertu » semble pouvoir être remis en question : ayant rencontré quelque réticence à propos de cette
traduction en termes d’obéissance et de chasteté auprès des Français. Il s’agit, à notre avis, d’une question de
culture, car pour les Coréens, ces deux termes semblent encore garder, quoique réduite, une valeur positive.
Aussi continuerons-nous à nous exprimer ainsi.
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supériorité et la souplesse en infériorité. En outre, nous pouvons confirmer cette idée
par rapport au statut de la femme de l’époque des Yi, à partir d’adages, de proverbes
ainsi que d’ouvrages destinés à l’éducation des filles. Nous en prendrons quelques
exemples, à la fois significatifs et éclairants, pour la compréhension de la condition
de vie de la femme traditionnelle, et cela nous permettra ensuite de pouvoir
l’introduire dans le contexte contemporain en termes de valeurs.
2.1.1. La femme instruite et talentueuse
Le mépris des hommes traditionnels - quel qu’il soit, conscient ou
inconscient -, à l’égard de la femme instruite a certainement dû être démesuré aux
yeux des contemporains. Certes, il existait une éducation des femmes à l’époque des
Yi et cela veut dire qu’il y avait donc des femmes instruites. Toutefois, cela ne signifie
pas du tout ce que nous concevons aujourd’hui dans le sens où la femme reçoit une
éducation supérieure, exprime ses propres idées, et a une attitude critique face aux
éventuelles injustices. En ce sens, le mot « instruit » au sens contemporain du terme
ne semble pas convenir pour désigner les femmes bien éduquées de l’époque des
Yi ; celui d’« avisé » leur conviendrait mieux, impliquant une certaine intelligence
intuitive dont elles ont besoin en tant qu’épouse, mère, belle-fille, et laquelle ne
demande donc pas forcément une éducation formelle dans le but de se former et de
s’instruire dans un établissement.
En tout cas, l’« attitude dédaigneuse formelle » des hommes à l’égard des
femmes en général concernait non seulement le milieu populaire, mais aussi surtout
la classe aristocratique, dans la mesure où dans cette dernière, les filles, - comme
les garçons faisaient la leur -, recevaient une éducation stricte, souvent par les écrits,
en matière de « voie d’une femme », de telle sorte qu’ils (filles et garçons) devaient
se rendre compte de leur sort dès leur plus jeune âge ; la voie de la fille était
destinée à servir les hommes avec dévouement, et celle du garçon consistait à
recevoir le service de celle-ci afin de se consacrer pleinement aux affaires
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extérieures auxquelles les femmes ne pouvaient guère accéder. L’un des ouvrages
destinés aux femmes à l’époque des Yi, Gyu-jung-yô-ram4 conseille que :
« ... le talent brillant de la femme en littérature et en écriture ainsi qu’en
poésie et en chant est la caractéristique d’une prostituée. Il n’est donc pas un chemin
à suivre en tant que femme noble » (cité par J. S. Shin, 1984, p. 36).
Ce livre souligne clairement que la femme doit lire quelques livres
classiques afin de connaître les appellations des pays successifs et les noms de
leurs ancêtres, mais qu’au-delà, les talents artistiques n’appartiennent qu’aux
femmes prostituées. Par ailleurs, les auteurs (les hommes bien évidemment) de ces
livres destinés aux femmes se méfient de l’intérêt intellectuel que la femme porte aux
affaires sociales, soi-disant « les affaires extérieures » (L. H. Chông, 1985, p. 84) ;
les femmes ne devaient s’occuper que des affaires intérieures selon la loi de la
Nature. A l’époque de Confucius, on disait déjà :
« Elle (la femme) ne doit pas se mêler des affaires publiques »
(le Livre des
Odes) ainsi que
« Malheur à qui épouse une femme audacieuse et forte »
(le Livre de la
Mutation).
Voici encore quelques formules que l’on entendait jusqu'à il n’y a pas si longtemps
dans la société coréenne.
« Quand la poule se met à chanter, la famille va à la ruine »,
« Quand la voix d’une femme
sort à l’extérieur (de la maison) trois
générations de cette famille vont à la ruine ».
Dire que « la poule chante » ou que « la voix d’une femme sort à l’extérieur » signifie
les activités dynamiques et la participation de la femme aux affaires extérieures,
lesquelles n’appartenaient qu’aux hommes. Cette exclusion imposée concernant
l’instruction de la femme n’était guère différente des pays voisins, la Chine et le
Japon. A partir du seizième siècle, on formula en Chine que :
« Seules les femmes sans talents sont vertueuses ! »
Même une femme chinoise dit à son amoureux :
4
Gyu-jung-yô-ram fut écrit par le philosophe, Hwang Lee (1501-1570). Ce livre comprend le devoir de la
femme, l’exercice de la personnalité, le gouvernement, la famille, le recueil des normes et la piété filiale.
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« Voilà les dangers de l’instruction des filles ! »
Sunmi KIM
( Lê Thành Khôi, 1995, p.
339). En ce qui concerne les Japonais, il suffit de prendre un seul exemple pour
comprendre leurs idées à propos du statut de la femme traditionnelle. Un premier
ministre de la fin du dix-huitième siècle prononça :
« Il est bon que les femmes ne soient pas instruites. Cultiver les talents
féminins serait nuisible. Elles n’ont pas besoin de savoir... » (ibid., p. 339).
En effet, les femmes ayant une éducation classique et menant une vie
« normale » dans les sociétés confucéennes, semblent avoir été complètement
bloquées pour l’accès à la vie intellectuelle et artistique. Il n’est donc pas étonnant de
constater qu’il existe peu d’œuvres créées par des femmes de cette époque. Par
exemple, on dénombre au total 2 376 poèmes écrits à l’époque des YI, parmi
lesquels 339 avaient pour sujet les femmes et seulement 38 étaient écrits par des
femmes. De plus, ces 38 poétesses étaient, sans exception, soit des femmes
prostituées soit des auteurs anonymes ! (J. S. Shin, ibid., p. 186). Il ressort de là que
les activités de l’homme et celles de la femme étaient bien séparées ; « Chungyong » (le Livre du Juste Milieu) énonce clairement :
« La juste place de la femme est à l’intérieur ; la juste place de l’homme est à
l’extérieur. Le fait que l’homme et la femme occupent leur juste place est l’idée la
plus grande de la Nature ».
Dans ces sociétés où l’on attachait une grande importance au respect et à
l’harmonie de l’ordre de la Nature (la loi du Ciel) - le Yin et le Yang en l’occurrence -,
il était impossible, même impensable qu’une femme « transgresse » cette loi de la
Nature. Le respect de celle-ci était d’autant plus important pour celles qui
souhaitaient obtenir la moindre liberté et autonomie. Comme le souligne le
sociologue Georg Simmel, le fait de respecter la loi de la communauté dont l’individu
fait partie, même si cette loi peut être une contrainte, peut lui procurer en fin de
compte une certaine liberté ; « (...) à l’époque féodale l’homme « libre » était celui qui
était soumis au droit commun, c’est-à-dire au droit du cercle social le plus grand,
tandis que n’était pas libre celui qui ne tirait son droit que du cercle étroit d’une union
féodale, à l’exclusion du droit commun » (G. Simmel, 1989 trad., p. 245)5. S’il en est
5
Par rapport à cette relation dynamique entre la contrainte et la liberté, nombreux sont les sociologues qui
présentent la contrainte comme pouvant être la source de la liberté des acteurs, c'est-à-dire,« la marge de
liberté » ; « La coutume ou la tradition représentent une détermination sociale plus ou moins contraignante dont
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ainsi, tant que les femmes se soumettaient à la loi de la Nature que la société
confucéenne leur imposait, auraient-elles pu avoir une certaine marge de liberté ?
Mais peut-on encore dire que cela représente la vraie liberté ? Afin de pouvoir y
répondre, il est indispensable de définir ce qu’est la liberté. Nous reviendrons donc
plus longuement sur ce sujet dans le chapitre sur la liberté. Voyons maintenant le
code civil de l’époque des Yi que la société a constitué avec plus particulièrement les
sept défauts de l’épouse. Cela éclaircira davantage notre compréhension sur le
statut de la femme de cette époque.
2.1.2. Les sept défauts d’une épouse
Etrange titre pour ce chapitre qui concerne uniquement la femme. Bien qu’il
soit plutôt naturel d’avoir des défauts pour un être humain, l’époux de la société
confucéenne semble avoir été « légitimement » exempté de ce genre de défauts
parce qu’il était tout simplement un homme. D’après le code civil de la dynastie des
Yi, les hommes étaient autorisés à renvoyer leur femme, pour l’un des sept motifs
suivants appelés « les sept défauts (pêchés) de l’épouse » :
-
le fait de ne pas avoir un enfant mâle, et donc de laisser son mari sans
descendant,
-
la négligence vis-à-vis de ses beaux-parents,
-
l’impureté (la luxure),
-
la jalousie,
-
le bavardage (la loquacité),
-
le vol,
-
la maladie incurable.
Ces sept défauts de l’épouse furent déjà formulés par les Confucianistes d’avant J.
C. Acceptés et pratiqués en Chine depuis, ils ont, aussi, par la suite, influencé les
Coréens à l’époque des Yi (L. H. Chông, ibid., p. 49). Quant au Japon, il y avait « les
cinq maux » de la femme :
l’acteur peut se servir pour accroître sa marge de liberté, puisqu’en l’invoquant dans une situation donnée, elle
devient habilitante en lui donnant un atout susceptible d’entraver l’action d’autrui » (M. De Coster, 1996, p.
94). Nous reviendrons plus longuement sur la relation entre la contrainte et la liberté dans la partie suivante lors
de la discussion sur la notion de liberté.
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-
l’indocilité,
-
le mécontentement,
-
la mauvaise langue,
-
la jalousie et
-
la sottise (Lê Thành Khôi, ibid., p. 338)
Sunmi KIM
Parmi ces cinq maux, les Japonais indiquaient la sottise comme le pire de tous et à
l’origine des quatre autres maux. Ce qu’il y a de notable dans cet écrit, c’est que
celui-ci a été composé dans le seul but de montrer la prédominance de l’homme sur
la femme :
« Ces cinq maux infestent sept ou huit femmes sur dix et c’est de là que
provient l’infériorité des femmes par rapport aux hommes » (ibid., p. 338).
S’ils existaient de tels maux chez les femmes, n’auraient-elles pas également pu
mettre en évidence les « cinq maux » des hommes et prétendre ainsi qu’ils seraient
donc inférieurs aux femmes ? Nous connaissons déjà la réponse !
Revenant aux sept défauts de l’épouse coréenne, nous voulons nous
focaliser plus particulièrement sur la loquacité ; la mauvaise langue chez les
Japonaises. (Les deux défauts dont le fait de ne pas donner naissance à un garçon
et la jalousie seront traitées dans le chapitre suivant ; de même, nous aborderons les
pêchés du manque d’obéissance à l’égard des beaux-parents et d’impureté dans un
autre chapitre sous le titre obéissance et chasteté). Les ouvrages destinés aux
femmes accordent tous une grande importance à la discrétion des propos de cellesci et à la retenue dans leurs manières. Ces deux aspects d’attitude de la femme sont
certainement liés l’un à l’autre au sens de la persévérance par excellence. Par
ailleurs, cette patience était la base de toutes les vertus de la femme. Si-yôl Song un savant renommé de la dynastie des Yi - a parlé de la voie d’une épouse, dans son
ouvrage U-am-gye-nyô-sô :
« ... une femme mariée doit passer dans la famille de son mari trois ans de
cécité, trois ans de surdité et encore trois ans de mutité ».
Cela montre le comble de l’attitude persévérante de l’épouse et également
combien il était important d’avoir de la retenue dans ses manières en tant qu’épouse
et surtout en tant que belle-fille. Sur ce point, il y a deux aspects à remarquer :
premièrement, la femme devait peu parler ou bien valait-il mieux ne pas parler du
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tout, car si l’on parlait trop, il aurait été facile d’ajouter des propos futiles, qui étaient
alors méprisés. Par ailleurs, si l’on évoquait les défauts d’autrui, cela provoquait
naturellement le ressentiment de celui-ci et par la suite, pouvait entraîner des
disputes (Nae-hun : les semences de l’intérieur de la famille). Deuxièmement,
lorsqu'une femme parlait, il lui fallait une voix douce : «... si la voix de la femme est
douce et paisible, le sort lui sera propice » (An-dong-gye-nyô-sô : livre pour
l’éducation des femmes écrit par Mme. An). Cette douceur de la voix d’une belle-fille
importait beaucoup aux beaux-parents.
Je me souviens que ma grand-mère paternelle appréciait ma mère car cette
dernière ne l’avait jamais contredite, même si elle ne pensait pas toujours de la
même façon ; en ce qui nous concernait, étant de la « nouvelle génération », nous ne
prêtions pas très attention au langage que nous employions. Le fait que ma mère soit
très discrète dans ses propos ainsi que dans son comportement suffisait à recouvrir
son « plus grand pêché de l’épouse » - ne pas donner naissance à un garçon -. C’est
ce que nous allons développer.
2.1.3. Le fils : bonheur ou malheur ?
En parlant du statut de la femme de l’époque des Yi, nous ne pouvons éviter
de souligner l’importance de donner naissance à un enfant mâle ; le plus grand
devoir d’une épouse était de donner naissance à un garçon, faute de quoi, elle
pouvait être renvoyée par le chef de famille de son mari (souvent son beau-père).
Rappelons ici que la piété filiale est le fondement de toute vertu et de tout
enseignement confucéen ; elle commence par le respect des parents et s’achève
dans la vie sociale de l’homme. Outre cela, dans le devoir de piété filiale, la
vénération des ancêtres n’est guère négligeable, voire fondamentale, car grâce à
eux, notre existence peut être possible. C’est pourquoi rien n’était plus important que
d’entretenir la mémoire ancestrale, d’où l’importance donnée à la descendance
masculine qui, seule, devait avoir la charge des offrandes aux ancêtres. En ce sens,
il est facile d’en déduire que le fait de ne pas donner naissance à un enfant mâle,
pour une femme mariée, était le point le plus grave au manque de piété filiale. Cette
importance de la continuation de la lignée masculine engendrait automatiquement le
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système d’exogamie et celle-ci n’était non seulement pas critiquée, mais encore était
même publiquement reconnue. En relation avec cette mesure, dans plusieurs
ouvrages destinés à l’éducation des femmes, on conseillait vivement à celles-ci de
ne pas être jalouses du fait que leur mari prenne une autre femme :
« le fait de ne pas être jalouse est la meilleure conduite parmi d’autres, c’est
pourquoi même si le mari a une centaine de maîtresses et qu’il les aime, il ne faut
pas s’en fâcher mais le respecter davantage » (U-am-gye-nyô-sô : livre pour
l’éducation des femmes écrit par U-am).
Nous pouvons donc imaginer à quel point il était important de continuer la
lignée masculine même en imposant, voire en détruisant le sentiment naturel de la
femme. Selon une étude effectuée en 1989 par Tae-gun Yoo sur l’idéologie
confucianiste en Corée6, à la question « pensez-vous que l’on doit continuer la lignée
familiale même par l’adoption si l’on pas d’enfant ? », les Coréens ont répondu de la
façon suivante :
- tout à fait d’accord : 20,9 %
- plutôt d’accord : 38,9 %
- plutôt pas d’accord : 20,3 %
- pas d’accord du tout : 19,9 %
Aujourd’hui, l’importance accordée à la continuation familiale est
certainement réduite par rapport à l’époque des Yi. Toutefois plus de 50 % des
Coréens à l’heure actuelle semblent y être toujours attachés (ce point sera
développé plus largement dans le chapitre suivant). Dans ce contexte, comment était
acceptée la naissance d’une fille ? Il semble intéressant de répondre à cette question
à travers la signification des prénoms7 qu’on donnait aux filles :
-
une première série de prénoms de filles exprime la fin de la naissance d’une fille :
-
« P’il-yo », « P’il-sôn », « Mal-i », « Mal-yô », « Mal-sun » (les caractères « P’il »
ou « Mal » signifient « terminer », « finir » et « dernier »).
6
L’enquête réalisée auprès de 1 160 personnes dont 406 étudiants résidant à Séoul, 374 parents de ceux-ci, 212
étudiants de province ainsi que 188 parents de ceux-ci.
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Le prénom coréen est généralement composé de deux caractères chinois, l’un d’eux étant commun à tous les
membres d’une même génération et d’une même branche de la famille. Et pourtant, pour ce qui est de la fille,
cette règle n’a pas toujours été appliquée.
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-
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Une deuxième série exprime l’espoir de voir la naissance d’un garçon : « Hûinam » (l’espoir d’un garçon), « Kil-yô » (une fille qui porte le bonheur dont on
espère qu’elle annoncera la naissance d’un garçon après elle).
-
Enfin, des prénoms exprimant la déception des parents : « Sô-bun », « Sôp-sôp »
(la déception), et « T’ong-bun », « Ch’ôl-t’ong » (la souffrance ou le désespoir) (H.
G. Ha, 1975, p. 45).
Vu sous cet angle, le propos de
Dallet, un missionnaire américain,
concernant la préférence des Coréens pour un garçon semble tout à fait acceptable,
voire « généreux » pour les filles :
« (...) les Coréens aiment beaucoup les enfants, surtout les garçons. Pour
eux, un fils a, au moins, dix fois plus de prix qu’une fille » (traduit par N. J. Lee, J. S.
Yun, 1947, p. 214).
Pour les femmes - à l’exception des femmes prostituées -, en dehors d’un
prénom qu’on leur donnait uniquement pendant l’enfance et aussi à l’intérieur de la
famille, il n’existait pas de nom sous lequel elles pouvaient être reconnues dans cette
société. En tout cas, dans cette dernière, il leur était socialement et juridiquement
impossible de faire quoi que ce soit par leurs propres moyens. C’est la raison pour
laquelle les femmes étaient obligées, en quelque sorte, de dépendre des hommes.
Jusqu’ici, nous avons examiné le statut de la femme de l’époque des
Yi
(1392-1910) ; en un mot, conformément à la philosophie confucéenne, il semble
qu’elle n’avait moralement aucun droit à l’existence pour s’épanouir tel qu’on le
conçoit aujourd’hui. Toutefois, bien qu’à nos yeux, le statut de la femme traditionnelle
puisse paraître comme une dépendance absolue à l’homme, et par conséquent
comme un manque de liberté, puisqu’elle était immergée dans l’ordre de la Nature,
n’aurait-elle jamais pu, peut-être, raisonner de cette façon, et, aussi ne jamais se
poser la question sur ce qu’est le sens de la liberté ? Si c’est le cas, la vie d’une
femme traditionnelle n’aurait-elle pas été aussi pénible qu’on l’a imaginée ? Mais estce plutôt celle qui a vécu à l’époque où les valeurs traditionnelles et les « nouvelles
valeurs » commençaient à coexister de façon conflictuelle, qui aurait pu éprouver
plus de souffrance ? Avant de répondre à ces questions, finissons d’abord le
parcours concernant l’éducation de la femme traditionnelle. Dans le paragraphe
suivant, nous aborderons les questions d’obéissance et de chasteté, essentielles en
matière d’éducation des filles de l’époque des Yi, avec les éléments que nous avons
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précédemment évoqués. Par ailleurs, nous pouvons dire que ces deux vertus
représentaient les uniques moyens « accessibles » aux femmes pour pratiquer la
piété filiale.
2.2. L’obéissance et la chasteté
Ces deux vertus peuvent être considérées comme la base de la piété filiale
chez les femmes de l’époque des Yi, accompagnant celle de la naissance d’un
enfant mâle, vertu déjà abordée précédemment. C’est pourquoi les ouvrages
destinés à l’éducation des femmes étaient remplis, non seulement par la mise en
relief de ces aspects, mais aussi par la mise en pratique de ceux-ci d’une manière
très concrète et très abondante. L’obéissance (la soumission) était inculquée comme
le devoir principal de la femme pour le comportement à adopter et la manière d’être
dans la vie quotidienne. Quant à la chasteté (la pureté), elle relevait de l'ordre de la
morale absolue de celle-ci. Nous aborderons d’abord la notion d’obéissance dans
l’éducation des filles (femmes).
2.2.1. L’obéissance
Rappelons que les Cinq Principes des relations humaines énoncées par
Mencius étaient représentées par la relation père-fils. Celle-ci repose, bien
évidemment, sur la piété filiale, aussi l’obéissance est un des éléments les plus
importants dans cette relation père-fils d’après « Hyo-gyông : livre de la piété filiale ».
La vertu d’obéissance était donc exigée pour tous les enfants, quels que soient le
sexe ou l’âge (même s’ils sont déjà octogénaires ou plus). Si l’attitude obéissante
était ainsi si importante pour tous les membres de la société, quel poids a-t-elle dû
peser pour les femmes, qui occupaient toujours une place inférieure à celle des
hommes ? Ce qui attire plus particulièrement notre attention, c’est que cette vertu
avait finalement, chez les femmes, pour but d’honorer leurs beaux-parents (J. S.
Shin, 1984, pp. 42-43). De nombreux ouvrages montrent à quel point il était
important, pour une femme, de bien servir ses beaux-parents ainsi que sa bellefamille. Derrière cette éducation, il existait une pensée profonde, qui fut véhiculée
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jusqu’à nos jours, « Ch’ul-ga-oe-in » signifiant que la femme mariée n’est plus
membre de sa propre famille ; une fois mariée, elle appartient à jamais à la famille de
son mari 8. Plusieurs ouvrages destinés à l’éducation des femmes mettent l’accent en
particulier sur ce point :
« ... pour la femme, c’est la famille de son mari qui est la première et sa
propre famille ne vaut pas celle de son mari.... Il faut que la femme serve mieux ses
beaux-parents que les siens » (U-am-gye-nyô-sô et So-hak).
Cela allait de soi pour les Chinoises et les Japonaises qui se trouvaient
également dans le même contexte philosophique que les Coréennes. (Lê Thành
Khôi, ibid., p. 338). En effet, les devoirs de la femme de cette époque étaient établis
sur la base de l’idée de mariage et ce dernier était le seul moyen qui lui permettait
d’exister socialement d’une manière légale 9. Dans ce sens, nous pouvons facilement
imaginer en quoi consistait l’éducation des filles ainsi que le rôle des parents de
celles-ci. En fait, nous ne pouvons pourtant pas dire que ce genre d’aspect - le sens
de l’éducation des filles n’existe qu’en vue du « meilleur mariage » - était la
particularité de la société confucéenne. Nous trouvons cette tendance dans toutes
les sociétés patriarcales que ce soit en Occident ou en Orient ; par exemple, Virginia
Woolf montre bien dans son roman, Trois Guinées, la dépendance de la femme aux
hommes (père, mari) en constatant que toute éducation que celle-ci avait reçue était
uniquement pour bien se préparer au mariage ; « C’était en vue du mariage que leur
8
Une femme, donc une nouvelle mariée n’était cependant pas facilement acceptée comme un des membres de
la famille de son mari ; Yôl-gyu Kim montre ce processus difficile :
- - étrangère à l’égard de sa propre famille après le mariage»
- - étrangère à l’égard de la famille de son mari» - - membre de la famille de celui-ci» (Y. G. Kim, 1985, pp. 105-106).
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D’un point de vue contemporain, il semble difficile de dire que ces femmes aient réellement eu une existence
sociale. Certes, le titre de femme au foyer est un statut social dans la mesure où celle-ci a une fonction très
importante dans une structure micro-sociale, la famille. Toutefois, nous affirmons difficilement l’idée d’une
existence sociale chez la femme de cette époque pour deux raisons suivantes :
- l’une, que le rôle de femme au foyer ne semble pas avoir toujours été choisi de sa propre volonté, c’est-àdire que l’idée de mariage était plutôt une obligation, voire une loi de la nature à laquelle on ne pouvait
s’opposer. En termes de sociologie contemporaine, c’est la volonté consciente de l’individu (liberté) qui est
en jeu (M. De Coster).
- l’autre, suivant toujours le point de vue sociologique, qu’afin d’avoir le sentiment d’exister socialement,
l’individu doit avoir une « place » au sein du système de travail à travers laquelle il prouve son utilité
productive ainsi que son indépendance financière (V. De Gaulejac). En ce sens, une femme au foyer étant
dépendante financièrement de son mari, ne pourrait avoir sa propre existence sociale faute de place en
dehors de sa famille. Nous discuterons de ces deux points dans la partie suivante.
13
La femme coréenne selon la tradition
Sunmi KIM
esprit avait été formé (...). C’est en vue du mariage que leurs corps étaient entraînés
(...). En résumé, l’idée du mariage influençait ce qu’elles disaient, ce qu’elles
pensaient, ce qu’elles faisaient (...). Le mariage était la seule carrière ouverte devant
elles » (V. Woolf, 1977 (1938), p. 89).
Néanmoins, bien qu’en Occident, il existait une attitude similaire à celle de la
société confucéenne, nous ne pensons pas que celle-ci s’appuyait sur le même
apport ; autrement dit, comme nous l'avons précédemment vu, la conception
confucéenne des femmes repose sur le Yin, lequel, étant une autre voie de la loi de
la Nature et que le Yang ne peut jamais être remplacé par ce dernier ou chercher à
s'y assimiler. Les femmes n’avaient qu’à l’accepter. D’après So-hak, - un ouvrage
destiné à l’éducation des enfants -, il existait, pour les filles, une autre manière de
réaliser la piété filiale par rapport aux garçons ; celles-ci ne devaient pas agir à leur
guise et respecter les « trois principes de soumission » : la soumission à son père
dans la maison d’origine, à son mari après le mariage et à son fils après la mort de
son mari10. En effet, le sort d’une femme dépendait totalement d’autrui. Il était donc
plutôt naturel de ne pas avoir de nom car elle était toujours présentée comme la fille,
la femme ou encore la mère de quelqu’un. En ce qui concerne l’éducation des filles
par rapport à cette vertu d’obéissance, il existe de nombreux conseils dans plusieurs
ouvrages :
« ... à la maison, les filles apprennent les attitudes telles que parler
doucement et se soumettre docilement » (Ch. XII du « Livre de la Mutation », Ch. I
de So-hak).
10
La soumission de la femme au sexe masculin n’est pas une tradition qu’on peut trouver uniquement dans la
culture confucéenne. Dès l’origine de la société française féodale, Georges Duby montre dans Le chevalier, la
femme et le prêtre (1981, notamment voir le deuxième chapitre « Morale des prêtres, morale des guerriers » pp.
27-59) que la position sociale de la femme était complètement secondaire par rapport à celle de l’homme, en
fonction des valeurs chrétiennes de l’époque. Aujourd’hui, la situation est semblable pour la femme indienne.
Elle n’a pas d’existence propre, et à toutes les étapes de sa vie, elle est la propriété de l’homme : la fille de son
père, la femme de son mari, et la mère de son fils. J. Chatterjee, directrice de l’organisation non gouvernementale
Programme commun pour les femmes, explique qu’en aucun cas, « la femme indienne ne peut vivre seule dans
la norme acceptée en Inde ». En fait, cette dépendance est liée aux lois traditionnelles, selon lesquelles
« l’homme ne peut être sauvé que s’il donne naissance à un fils puisque c’est ce dernier qui allumera le bûcher
lors de la crémation » (F. Chipaux, Le Monde, le 07 juin 2000). En Orient, la soumission de la femme à
l’homme est finalement due à l’importance de la lignée masculine sans laquelle les ancêtres ne peuvent être
honorés, et qui sont censés protéger leur descendance.
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La femme coréenne selon la tradition
Sunmi KIM
« La beauté de la femme est la douceur... C’est-à-dire, d’où vient la vertu de
la femme : le respect et la soumission » (Yô-gye).
En un mot, l’éducation des filles n’avait pour but que d’être « Hyôn-mo-yangch’ô : mère avisée et bonne épouse ». C’est à cette tâche que les parents
s’attachaient le plus dans l’éducation de leurs filles. En effet, c’était une tâche très
importante pour ceux-ci dans la mesure où une fille mal éduquée était une honte
considérable vis-à-vis de leurs proches ainsi que de la belle-famille de celle-ci. C’est
pourquoi, il existait même des familles qui, par crainte du regard des autres,
n’acceptaient pas que leur propre fille soit renvoyée par sa belle-famille à la suite
d’un des défauts que nous avons présentés précédemment 11. C’était une question
d’honneur pour la famille :
« il faut mieux éduquer les filles que les fils, de sorte que les parents n’aient
jamais honte et qu’ainsi l’autre famille ne connaisse aucune mésaventure. Comment
ne pourrait-on pas donc en tenir compte en tant que parents ? » (Kyu-mun-jông-ôn).
Dans ce contexte, nous pouvons comprendre pourquoi, avant le mariage d’une fille,
une période d’exercices d’obéissance était si nécessaire, sous le contrôle attentif des
parents ; cela n’avait pas d’autre but que de bien l’intégrer dans sa future famille. En
cas d’échec, la famille d’origine de la fille était condamnée perpétuellement à vivre
dans le « déshonneur », point qui est le plus humiliant dans la société confucéenne.
Nous comprenons donc l’importance du rôle des parents de la fille de l’époque des
Yi, laquelle n’avait qu’une existence en tant qu’épouse, mère et belle-fille ; c’est-àdire, un membre perpétuel de la belle-famille.
2.2.2. La chasteté
11
Ce renoncement (vis-à-vis de la fille renvoyée par sa belle-famille) pouvait parfois la conduire à la mort ;
compte tenu du contexte social à l’égard des femmes sur le plan de la morale et de la profession, il n’est pas
difficile de deviner l’avenir d’une femme rejetée par ses deux familles. Celle qui avait évité la mort par forte
chance pouvait soit rencontrer un homme de basse classe, dans laquelle elle pouvait être plus ou moins libre
envers ce genre de contraintes sociales, soit elle devenait un moine (même si le bouddhisme était rejeté par l’Etat
confucéen des Yi et que par conséquent, de nombreux temples bouddhiques avaient disparu, il en existait
toujours quelques uns. Par ailleurs, le peuple lui-même ne l’a jamais abandonné).
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La femme coréenne selon la tradition
Sunmi KIM
Si le terme d’obéissance était inculqué à tous les Coréens, celui de chasteté
ne concernait que les femmes. Par ailleurs, le degré d’application de cette notion a
subi une évolution au fil des siècles : au début de la dynastie des Yi, on honorait les
femmes veuves qui ne se remariaient pas après la mort de leur mari. Avec le temps,
ce phénomène s’est généralisé et est devenu une coutume. Ainsi, à un moment
donné, une loi a été constituée, imposant à la femme de ne pas se remarier. Aussi,
les descendants d’une femme qui se remariait, n’avaient pas le droit d’être
fonctionnaires, et cette loi a existé jusqu'à la fin du 19 ème siècle (H. G. Ha, 1985, pp.
18-25). En outre, pour les femmes vertueuses à la chasteté par excellence, l’Etat leur
accordait une Chapelle en vue de les honorer. Cela fut naturellement un grand
honneur pour la famille de ces femmes, surtout pour celles de leur mari. Par
conséquent, avant que la loi de l’interdiction de remariage ait été promulguée, il
arrivait parfois, à la belle-fille, de devoir rester veuve contre sa volonté. L’honneur de
la famille et de la collectivité primait sur le désir de l’individu. Certes, beaucoup
atténuée aujourd’hui, cette attitude (le sacrifice de l’individu au profit du groupe)
semble tout de même toujours perdurer d’une manière ou d’une autre dans les
sociétés contemporaines des pays d’Extrême-Orient (J. Pezeu-Massabuau, 1997,
pp. 507-513).
L’éducation de la chasteté de la femme commençait dès son plus jeune
âge, et compte tenu de l’importance de cette valeur, nombreux sont les ouvrages qui
ne manquaient pas de le rappeler :
« Quand on a sept ans, le garçon et la fille ne mangent pas ensemble, ni ne
s’assoient au même endroit » (So-hak et Nae-hun-gye-nyô-sô).
« A partir de l’âge de dix ans, les filles doivent s’abstenir de sortir » (So-hak et
Livre de la Mutation).
« .... les filles ne doivent pas regarder les gens de l’extérieur et quand elles
sortent, il leur faut voiler leur visage » (So-hak, Nae-hun-gye-nyô-sô).
Ce qui frappe, c’est que plusieurs passages de ces ouvrages montrent à
quel point il était important pour une femme mariée d’attacher de l’importance à
l’honneur de sa belle-famille. Nous n’en prenons qu’un seul :
« Même s’il y a un incendie, faute de servante, la femme s’est brûlée dans la
chambre » (U-am-gye-nyô-sô).
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La femme coréenne selon la tradition
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Auparavant, la femme (de la classe aristocratique) ne pouvait sortir de sa chambre
qu’accompagnée de sa servante pour éviter un éventuel contact direct avec les
hommes. C’est la raison pour laquelle, même pour les moments urgents de survie,
elle préférait mourir plutôt que de vivre dans le déshonneur. La pureté était, pour elle,
égale à la vie.
Aujourd’hui même, quoique atténuée, nous pouvons encore rencontrer cette
empreinte ; la « non virginité » d’une femme semble susciter un problème chez
certains hommes lors de leur mariage, et les conduire parfois au divorce ; en
revanche, il va de soi que cela n’est point remis en cause pour le même cas chez les
hommes (Y. S. Chông, 1994, pp. 36-39). Ce n’est pas parce qu’il est impossible de le
prouver chez ceux-ci, mais plutôt parce que, lié à la coutume traditionnelle - selon
laquelle des relations extra-conjugales chez les hommes n'étaient pas considérées
comme un défaut -, la société actuelle semble également tendre à l’accepter, même
les femmes elles-mêmes. Les Coréens disent sans aucune amertume que si une
femme mène une vie sexuelle assez libre et tumultueuse, elle est considérée comme
une « prostituée », tandis que si un homme en avait une, il serait un « héros ». Dans
un tel contexte social où l’importance de la chasteté revient uniquement au devoir de
la femme, dans les années soixante-dix, les parents ne souhaitaient pas que leurs
enfants (les filles en l’occurrence) aient des contacts libres avec les personnes de
l’autre sexe jusqu'au mariage, aussi ils leur limitaient le plus possible les occasions
(H. J. Lee, 1975, p. 23). Ce point sera développé dans le chapitre suivant sur l’étude
de la société coréenne contemporaine.
L’éducation que j’ai reçue dans ma famille n’était pas loin de cette idée
selon laquelle une fille doit être « pure » physiquement et moralement. Mes parents
(surtout mon père) étaient cependant plus durs avec mes deux grandes sœurs dont
l'aînée est de dix ans plus âgée et la deuxième, de quatre ans plus âgée que moi ;
« rentrer tard à la maison » n’était pas permis par notre père quelles qu’en furent les
raisons. Même lorsqu’elles sont devenues majeures, la situation resta identique et
cela a continué jusqu'à ce qu'elles se marient. L’estime de la pureté de la femme,
malgré cinq siècles de décalage, semble rester toujours forte dans la société
coréenne. Par exemple, depuis que les femmes coréennes commencent à avoir leur
prénom aux alentours de la fin du 19ème siècle, les caractères de « la soumission » et
de «la pureté » sont le plus souvent utilisés et cet usage n’a guère disparu de nos
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La femme coréenne selon la tradition
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jours (Y. S. Chông, 1971, p. 12). C’est un très bon exemple qui montre la pensée
coréenne sur les vertus de la femme. Notre réflexion nous a conduit à voir quel était
le statut de la femme de l’époque des Yi et sur quelles valeurs étaient fondées
l’éducation des filles. Avant de fermer les deux chapitres de notre travail - études sur
la piété filiale et sur l’éducation des filles de l’époque de la dynastie des Yi -, il
semble bon de rappeler la corrélation entre la piété filiale et les valeurs de la femme
de cette époque en guise de conclusion de ceux-ci.
Entre la piété filiale et les valeurs de la femme de l’époque des Yi, quelle
corrélation y avait-il ? Que signifiait la piété filiale chez les femmes traditionnelles ?
Existait-il une autre manière de pratiquer la piété filiale pour les femmes par rapport
aux hommes ? Quand on tient compte de la philosophie confucéenne, reposant sur
l’inégalité entre hommes et femmes, même si la piété filiale est la racine de toutes les
vertus et concerne tout homme, elle était bien loin d’être appliquée de manière
égalitaire aux deux sexes. D’après les ouvrages destinés à l’éducation des filles et
des femmes que nous avons précédemment consultés, ils montrent clairement que
le « To : Tao : le chemin » de la femme était bien différent de celui de l’homme.
Premièrement, la femme appartient à l’homme (d’abord à son père, ensuite à son
mari et enfin à son fils ). C’est pourquoi, deuxièmement, le sort d’une femme dépend
de sa belle-famille ; toutes les éducations qu’elle recevait n’avaient pour but que
d’être « une mère avisée et bonne épouse ». Enfin, après le mariage, la naissance
d’un enfant mâle ainsi que le maintien de la chasteté étaient les plus grands devoirs
qu’elle se devait de faire. Faute de quoi, elle pouvait être répudiée au nom des « sept
pêchés de l’épouse ».
La femme ne pouvait donc pratiquer la piété filiale qu’en se soumettant aux
normes sociales établies par les hommes confucéens. Aussi, contrairement aux
hommes, chez qui « pratiquer le Tao et par conséquent devenir l'homme de bien » à
travers les études et le métier, était leur « vocation », il était impossible de voir des
femmes, instruites, ou ayant une belle carrière professionnelle dont le but avait été
de réaliser la piété filiale. La société coréenne a-t-elle connu un changement au
cours des siècles ?
Dans le chapitre suivant, nous aborderons la question de
l’éducation des filles d’aujourd’hui autour des questions suivantes :
- Que reste-t-il des valeurs traditionnelles ?
- Quelles nouvelles valeurs sont apparues ?
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La femme coréenne selon la tradition
- Ces nouvelles valeurs permettent-elles à la femme de s’épanouir ?
- La piété filiale est-elle compatible avec ces nouvelles valeurs ?
Sunmi KIM