CULTURE Montreux sauvé par le gong
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CULTURE Montreux sauvé par le gong
24heures | Samedi-dimanche 14-15 juillet 2012 25 CULTURE Attali tient la baguette L’économiste et écrivain dirigera le Sinfonietta au St Prex Classics. Rencontre Les achats de billets de dernière minute permettent à la 46e édition du festival de s’achever sur un bilan «heureux», malgré une météo maussade François Barras Paris F rançois Mitterrand disait de Jacques Attali qu’il avait cent idées par jour. «Il suffit de saisir la bonne», précisait le président français, dont l’économiste et écrivain fut le conseiller spécial de 1981 à 1991. Heureusement pour le festival St Prex Classics, Attali, 68 ans, n’a pas laissé échapper son idée de devenir chef d’orchestre. Le samedi 1er septembre, il dirigera le Sinfonietta de Lausanne dans le Concerto pour 2 violons en ré mineur, de Bach, et les ouvertures de Don Juan et du Mariage de Figaro, de Mozart. Darius Rochebin assurera l’animation de ce concert, doublé d’une conférence sur les liens entre musique et économie. Dans son loft parisien, le conseiller des princes, parfois faiseur de roi – il recruta François Hollande à l’Elysée, en 1981 – dévoile sa face musicale. François Barras H Comment vous retrouve-t-on chef d’orchestre au St Prex Classics? Un journaliste m’a demandé ce que je n’avais pas fait. J’ai dit: «Chef d’orchestre.» Le lendemain, Patrick Souillot, le patron de l’Orchestre symphonique de Grenoble, me proposait de prendre des cours. Ça n’a pas marché au début parce que je m’engueulais avec mon prof. J’en ai trouvé un second formidable, François Xavier Roth, qui m’a enseigné l’harmonie, la direction, la gestuelle. Ensuite, j’ai dirigé l’Orchestre symphonique de Grenoble, puis celui de Cologne. Je me réjouis de jouer à Saint-Prex. Après quoi j’irai à Jérusalem et à Shangai. Inauguré en 1989, l’Opéra Bastille voulait faire découvrir la musique classique aux catégories populaires. N’est-ce pas une utopie? Pas du tout. Patrick Souillot monte tous les ans à Grenoble un opéra dont les décors, les costumes, les figurants sont assurés par des gens des quartiers. Il fait jouer ça au Zénith et réunit plus de 10 000 personnes. Excusez-moi, mais ce sont souvent les journalistes qui refusent de promouvoir les genres les moins populaires au prétexte que le grand public ne suivra pas. C’est sous-estimer l’appétit du peuple pour la musique de qualité, comme les politiques sous-estiment la maturité de l’électeur. Eux-mêmes n’écoutent pas que de l’opéra: Nicolas Sarkozy avait reçu un iPod préchargé avec du Didier Barbelivien et du Michel Sardou… Aucun président de la République n’aimait la musique. De Gaulle – comme Chirac – n’appréciait que les marches militaires, et Pompidou la peinture. Mitterrand n’avait pas d’oreille. Sarkozy? Vous l’avez résumé vous-même. Je n’ai connu aucun homme politique qui aille à l’opéra. Pourquoi? Je ne sais pas. J’y vais le plus souvent possible, j’y vois peu d’hommes politiques, sauf quand il est chic de se montrer. Pouvoir et musique ont longtemps fait bon ménage, pourtant: les religieux commandaient les messes, les bourgeois les symphonies. Mais VC6 Contrôle qualité CLAUDE GASSIAN Est-ce un plaisir ou un challenge? Surtout un challenge. Je suis un pianiste tout à fait amateur qui a toujours rêvé d’être chef d’orchestre. Il s’agit là de la chose la plus difficile que j’ai eu à faire, et de loin. Je sais lire et j’entends assez bien la musique. J’ai aussi une très bonne mémoire visuelle, ce qui me permet de diriger deux heures sans partition. Mais je ne suis pas adroit de mes mains. Avec Mitterrand, vous avez été l’acteur d’une politique culturelle tentant de réconcilier musique et peuple. Quel bilan en tirez-vous? Je salue chaque année le succès de la Fête de la musique, lancée en 1982. On oublie souvent que le plus important dans la musique n’est pas d’en écouter, c’est d’en faire. Montreux sauvé par le gong Jacques Attali chez lui, à Neuilly. «Je suis un pianiste amateur qui a toujours rêvé d’être chef d’orchestre.» aujourd’hui, on achète plutôt des œuvres d’art pour montrer sa richesse. Auteur d’une biographie de Karl Marx, considérez-vous la musique comme un facteur d’émancipation ou comme une marchandise? Tout facteur d’émancipation peut être transformé en marchandise qui avale et pervertit les élans. En 1977, j’ai écrit Bruits, essai sur l’économie politique de la musique, où je montre que la musique n’est autre que des bruits mis en ordre. Et donc une métaphore de la société, dont le rôle est d’ordonner la violence. C’est vrai, la musique adoucit les mœurs. Elle est la démonstration que les bruits peuvent faire du sens, et que la société humaine est possible. Vous avez écrit que la musique était une preuve de Dieu... Quand on dirige le Double concerto pour violons, de Bach, on comprend bien ce que signifie «venir du ciel». Vous avez lancé le programme européen Eurêka, qui a participé à l’élaboration de la technologie MP3. Très compressé, ce son digital est généralement honni des mélomanes. Qu’en pense le chef d’orchestre? Les sons des premiers grammophones étaient également catastrophiques. Le format MP3 est une étape vers plus de qualité, mais rien ne remplacera l’écoute d’un vrai concert. Deux orchestres dédiés à la jeunesse U Eclairage L’an dernier, le St Prex Classics avait accueilli pour la première fois un orchestre, la Camerata Armin Jordan, formation de chambre créée en hommage au chef d’orchestre disparu en 2006. Le 23 août, la 7e édition du festival double la mise orchestrale en réinvitant la Camerata pour le concert d’ouverture avec les jeunes talents, et passe même au symphonique en conviant le Sinfonietta de Lausanne pour servir d’écrin à Jacques Attali. Ces deux phalanges aux profils fort différents ont pourtant un point commun qui les rattache à la vocation du St Prex Classics: la jeunesse. Fondée en 2008 par Benoît Willmann, clarinettiste à l’OSR, la Camerata Armin Jordan est certes formée de musiciens de cet orchestre, mais aussi d’étudiants méritants du Conservatoire de Genève, dans le but de préserver l’esprit de camaraderie cher à Armin Jordan. De son côté, le Sinfonietta de Lausanne est le pionnier des orchestres destinés aux jeunes musiciens professionnels. Animé depuis trente ans par son fondateur, Jean-Marc Grob, il sert de tremplin pour les instrumentistes diplômés et n’a jamais failli à sa tâche de défricheur, de talents comme de répertoires inédits. Matthieu Chenal Saint-Prex, Vieux Bourg du je 23 août au di 2 septembre Camerata Armin Jordan, dir. Benoît Willmann: je 23 août (20 h 45), Sinfonietta de Lausanne, dir. Jacques Attali: sa 1er septembre (20 h 45), Rens: 021 806 30 45 Loc: TicketCorner www.stprexclassics.com ier, au Centre de Congrès, le secrétaire général Mathieu Jaton a achevé la conférence de clôture du Montreux Jazz Festival en remerciant le directeur, Claude Nobs, pour «ses improvisations, son petit grain de folie». Le compliment nouait la gerbe de deux semaines de concerts, qui s’achèvent ce soir sur un bilan «très heureux», selon Mathieu Jaton. Derrière le mot gentil – et sincère – pointait sans doute un inconscient «ouf!» de soulagement et de fatigue, tant les «improvisations» auront rendu freestyle l’organisation de ce dernier week-end. Soirée prestige de l’édition 2012, la fiesta disco d’hier, avec Nile Rodgers, de Chic, en maître de cérémonie, a dû être étoffée afin de donner un coup de fouet à la billetterie. Mercredi, Claude Nobs annonçait ainsi la venue de Patrick Juvet, démentie jeudi et reconfirmée hier après-midi! Au bout du compte, les «très grosses ventes» de dernière minute – «Un phénomène nouveau», selon Mathieu Jaton – furent une heureuse surprise, qui devrait permettre au MJF d’équilibrer ses comptes. «L’objectif budgétaire est en phase d’être atteint.» Le chiffre d’affaires des stands de boissons et de nourriture devrait également être satisfaisant, malgré une météo «pas facile». Dans sa chemise aux motifs lippus des Rolling Stones, Claude Nobs s’est réjoui d’une édition «parmi les plus sympathiques, avec une ambiance et une convivialité que je n’ai pas vécues souvent». En référence indirecte aux bagarres de rue de l’an dernier, il a souligné «une ambiance paisible, autant avec les musiciens qu’avec le public». L’édition achevée a vu défiler les concerts de Bob Dylan, Hugh Laurie, Gilberto Gil, Van Morrison, etc. Interrogé sur la présence du sponsor Socar (la Société des pétroles d’Azerbaïdjan), critiqué par Amnesty International, Claude Nobs a répondu avec virulence à l’article paru dans Le Matin Dimanche: «On (ndlr: Claude Nobs et l’avocat Xavier Oberson) ne va pas se laisser faire. Il y aura une suite. Il n’y a aucune honte à travailler avec Socar. Nous continuons.» Le boss du MJF rappelle que la société vient de conclure aussi un accord avec Migros. «Les dirigeants de Socar sont conscients qu’il y a eu des excès.» En attendant l’édition 2013, les responsables du MJF se préparent à une échéance courte: mardi, le Montreux Jazz Café de Londres, 250 m2 dans le magasin Harrods, ouvrira ses portes avant une inauguration officielle le 13 septembre. Les franchises du festival s’exporteront au fil des douze prochains mois à Kawasaki, au Japon, à Recife, au Brésil, et au Royal Opera House, à Londres. Suivez les festivals de l’été sur notre blog cendrillon.24heures.ch Ce soir au festival Auditorium Stravinski: Lilabungalow, Herbert Grönemeyer (dès 20 h) Miles Davis Hall: Kimbra, Emeli Sandé, Janelle Monáe (dès 20 h 30) Jazz Café: Asbjørn, Giana Factory, Bon Homme, Teed (dès 22 h) Rens.: 021 966 44 44 Loc: TicketCorner ou caisses, dès 16 h www.montreuxjazzfestival.com