La chirurgie de l`oreille moyenne
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La chirurgie de l`oreille moyenne
Recherche RobOtol La chirurgie de l’oreille moyenne bientôt aux mains des robots ? L’unité de chirurgie otologique mini-invasive robotisée, dirigée par le Pr Olivier Sterkers, a mis au point un outil d’aide aux chirurgiens ORL pour les opérations de l’oreille moyenne, RobOtol. Offrant différents avantages aux spécialistes, ce robot est prêt à entrer dans Inserm votre quotidien chirurgical. H ébergée sur le site Xavier Bichat de l’UFR de médecine de l’université Paris Diderot (Paris), l’unité de chirurgie otologique mini-invasive robotisée (UMR-S 867 Inserm/ Paris Diderot) travaille depuis presque six ans sur RobOtol. Ce projet a fait l’objet du travail de thèse de Mathieu Miroir, actuellement chercheur contractuel Inserm au sein de cette structure. Cette thèse a été dirigée par Jérôme Szewczyk (Laboratoire de Robotique de Paris, Université Pierre et Marie Curie) et financée par la société Collin dans le cadre d’une bourse Cifre. Chercheurs, ingénieurs et hospitalo-universitaires 32 travaillant sur trois domaines de compétence complémentaires se sont réunis pour mettre en place le nouvel outil d’aide au chirurgien ORL : des chirurgiens – pour définir les besoins et tester le robot –, des mécaniciens/ roboticiens – qui conçoivent le projet – et des informaticiens – afin de programmer les logiciels de commande. Ce robot a été conçu pour réaliser un défi : améliorer les résultats déjà très bons de la chirurgie de l’oreille moyenne. « Le Pr Olivier Sterkers [directeur du laboratoire] est parti du principe que la chirurgie otologique est une chirurgie fonctionnelle, aujourd’hui de plus en plus exigente en termes de résultats, explique le Dr Evelyne Ferrary, chercheur dans l’unité. Mais les résultats sont encore très dépendants des circonstances opératoires et de l’expertise de l’opérateur. » L’objectif était donc de développer un outil robotisé pour, d’une part, améliorer la précision de la gestuelle et réduire les risques chirurgicaux, et d’autre part, assurer un apprentissage plus rapide aux chirurgiens. Précision, visibilité et sécurité : les avantages du robot Technologie spécifique optimisée pour la chirurgie de l’oreille moyenne, RobOtol a été conçu en premier lieu pour réaliser la pose de piston dans le cadre de la chirurgie de l’otospongiose : « C’est le geste qui varie le moins d’un patient à l’autre, rapporte le Dr Yann Nguyen, chirurgien ORL et chercheur au sein de l’équipe, mais Audio infos n° 179 l Janvier 2013 F.B. Recherche RobOtol « offre une plus grande précision du geste ainsi qu’une meilleure visibilité du champ opératoire », se félicite le Dr Evelyne Ferrary, chercheur au laboratoire de chirurgie otologique mini-invasive robotisée (UMR-S 867 Inserm - Paris Diderot). dont le résultat fonctionnel dépend de la précision du geste du chirurgien. » L’outil robotisé est aussi adapté à la pose de prothèses ossiculaires partielles ou totales en cas de malformations ou de maladies de la chaîne ossiculaire. Pour ce qui est des implants cochléaires, « ce robot n’est pas conçu pour les réaliser, mais il pourra, à terme, effectuer ce genre d’opération, avance Yann Nguyen. Il faut au préalable développer de nouveaux outils tels que des instruments de préhension afin de rendre possible un maximum d’étapes de cette chirurgie. » « Cet outil offre une plus grande précision du geste ainsi qu’une meilleure visibilité du champ opératoire, souligne le Dr Ferrary. Les doigts de l’opérateur ne sont plus dans son champ de vision, et le chirurgien bénéficie d’un meilleur accès aux structures à opérer. L’opération est plus confortable, le positionnement des prothèses est amélioré. » Les mouvements des outils n’étant plus limités par ceux du poignet de l’opérateur, le robot peut effectuer des rotations complètes. « On peut même imaginer réaliser une opération autrement, avec des gestes nouveaux, ajoute la scientifique. Mais cela requiert la création de nouveaux outils, des instruments motorisés et dotés de plusieurs degrés de liberté, qui n’existent pas encore. » ration, sans pour autant le remplacer. « Le système est conçu pour être manipulé par le chirurgien. Il ne bénéficie d’aucune automatisation, explique le Dr Nguyen. Cela permet notamment de faciliter le passage au bloc opératoire. » Cet outil doit être le plus intuitif possible pour pouvoir être utilisé par le plus grand nombre de spécialistes, idéalement sans période d’apprentissage, pour une prise en main immédiate. L’équipe travaille donc actuellement sur l’ergonomie de RobOtol, de la prise en main au système de déplacement pour l’amener au bloc opératoire. Jusqu’à présent, RobOtol n’a été testé que sur des pièces anatomiques. « Nous n’avons pas encore essayé cette technologie en conditions réelles, détaille le Dr Nguyen. Or il faut prendre en compte l’installation du robot avec la tête entière et le corps du patient, puis trouver sa place parmi le personnel et les autres machines utilisées au bloc opératoire. Une fois le système complet – le deuxième bras est en cours de montage –, nous procéderons aux tests sur des cadavres entiers pour intégrer ces paramètres. » La technologie pourrait alors évoluer vers sa forme préindustrielle et effectuer ses premiers essais sur des patients dans l’année à venir. L’industrialisation et la commercialisation de RobOtol sont prises en charge par la société Collin, partenaire industriel du laboratoire pour ce projet. Actuellement, le robot peut fonctionner avec deux systèmes de commande, une souris tridimensionnelle (la « space mouse ») ou une interface haptique munie d’un stylet (Phantom Omni). Des tests comparatifs seront effectués avec les chirurgiens de l’équipe puis avec une population élargie pour choisir l’interface la plus adaptée aux opérations. Une adaptation innovante à base de structures déjà existantes Si aucune technologie spécifique n’a été créée pour concevoir RobOtol, le projet parisien allie des structures déjà existantes (moteurs, articulations, etc.) pour constituer « RobOtol va devenir un outil indispensable à l’otologiste particulièrement utile dans les moments critiques de l’intervention », avance le Dr Yann Nguyen, chirurgien ORL. L’oreille moyenne est une structure fine dont la chirurgie nécessite des gestes d’une extrême dextérité. Avec la descente progressive, inframillimétrique et lente, permise par le robot, ces gestes d’experts pourraient être aisément et rapidement effectués par des chirurgiens plus novices. « Durant l’opération, l’oreille interne subit des impacts qui peuvent être délétères pour son fonctionnement. Le meilleur contrôle de la trajectoire des outils permis par le robot diminue les contacts entre l’outil et la chaîne ossiculaire, et donc les traumatismes de cette structure », ajoute le Dr Yann Nguyen. Suppression des tremblements, diminution de la fatigue, amélioration de la précision : RobOtol limite les traumatismes liés aux gestes chirurgicaux. Il aide le chirurgien lors de l’opé- Audio infos n° 179 l Janvier 2013 F.B. Un système « conçu pour être manipulé par le chirurgien » 33 Recherche RobOtol >> MMS 2.0, un robot allemand dédié à l’oreille, déjà testé sur des patients Si RobOtol est une grande avancée dans le domaine de la chirurgie de l’oreille moyenne, il est le deuxième robot du genre en Europe. Une équipe allemande a mis au point MMS 2.0*, une technologie dédiée aux opérations de l’oreille, déjà testée et validée avec succès sur des patients. Récemment, vingt patients ont subi une tympanoplastie de type III avec une pose de prothèse de remplacement ossiculaire. Si les chirurgiens l’ayant expérimenté attendent encore des améliorations techniques du robot, cet essai clinique de développer un outil semblable existe dans d’autres pays. Cela montre que F.B. fait ressortir les potentiels d’un tel outil. « Je suis satisfaite de voir que l’idée En manipulant le robot, les doigts de l’opérateur ne sont plus dans son champ de vision, et le chirurgien bénéficie d’un meilleur accès aux structures à opérer. L’opération est plus confortable et le positionnement des prothèses amélioré. l’objectif n’est pas complètement “loufoque”, et qu’il répond à un réel besoin », commente Evelyne Ferrary. S’ils se destinent aux mêmes objectifs de chirurgie de l’oreille moyenne, RobOtol et MMS 2.0 ne disposent pas des mêmes caractéristiques techniques. Le robot allemand, par exemple, est dénué de mouvements de rotation, ce qui lui offre moins de degrés de liberté que RobOtol. *Strauss G et al. Clinical use of a micromanipulator system: Preliminary clinical experience in middle ear surgery. HNO. 2012. F.B. Le robot peut fonctionner actuellement avec deux systèmes de commande, une souris tridimensionnelle (à gauche) ou une interface haptique munie d’un stylet (à droite). 34 un assemblage innovant. Le système est conçu pour être utilisé avec deux bras – comme les deux mains du chirurgien – qui porteront différents instruments : des outils simples, passifs (mécaniques, sans degré de liberté), des outils actifs (comme des pinces), voire une nouvelle génération d’outils intelligents à développer qui seraient dotés de capteurs électroniques et de systèmes de navigation. « Pour le moment, nous nous concentrons sur un set complet d’outils passifs utilisés au bloc, développe Yann Nguyen. Nous aimerions que les spécialistes apprennent à utiliser le robot avec ces premiers outils pour les améliorer par la suite, en fonction de leur utilisation et de leurs besoins. » L’équipe est en train de développer un système de pinces qui sera utilisé prochainement. Par la suite, les chercheurs envisageront de nouveaux outils et de nouveaux mouvements qui pourront être couplés au robot afin de faciliter le travail des chirurgiens, en leur donnant par exemple des informations supplémentaires. Une communication entre les deux bras doit également être mise au point afin d’éviter les collisions. L’une des principales limites actuelles est que RobOtol n’est pas doté de retour d’effort tactile. En d’autres termes, lorsque le robot touche quelque chose, le chirurgien qui le manipule ne le ressent pas. « Ne pas ressentir un retour lors du contact avec le robot avec une structure opérée n’est pas obligatoirement un handicap car les efforts mis en jeu sont tellement faibles que l’opération repose davantage sur la vision que sur la sensation du toucher », explique le chercheur. Mais une telle option est en cours d’étude. Pour ne pas retarder l’entrée de RobOtol au bloc opératoire, elle sera ajoutée dans un second temps au modèle actuel. De grandes évolutions possibles à terme RobOtol n’est pas encore couplé à un système de navigation assistée. Actuellement, le contrôle visuel du chirurgien est direct, mais « l’idée est que le robot puisse porter des optiques ; dans certains services, le microscope est déjà remplacé par des optiques angulés pour mieux observer l’oreille moyenne et ses recoins, explique Yann Nguyen. Pour l’heure, ces outils restent difficiles à utiliser, et le robot, avec sa précision, garantirait un avantage certain. » Pour améliorer ce nouvel outil et augmenter sa précision, l’équipe fourmille d’idées : elle envisage notamment de modifier le facteur d’échelle existant entre la commande et le robot. « La chirurgie de l’oreille moyenne nécessite des gestes millimétriques, mais il est évidemment plus simple de travailler à l’échelle du centimètre, précise le Dr Nguyen. Grâce à une interface hommemachine, on peut choisir le gain des déplacements entre la commande et le robot : un mouvement de commande d’un centimètre pourrait être converti en un mouvement d’un millimètre dans le robot. » L’imagerie du patient pourra également être utilisée pour concevoir une représentation virtuelle complète de la structure à opérer et des séances très courtes pourront être automatisées. « RobOtol va devenir un outil indispensable à l’otologiste, particulièrement utile dans les moments critiques de l’intervention. Son utilisation permettra de limiter les risques chirugicaux », s’enthousiasme le chirurgien. Florence Bozec Audio infos n° 179 l Janvier 2013