La version Browning : rentrée studieuse au Poche
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La version Browning : rentrée studieuse au Poche
Les animaux fantastiques de Véronique Vella Delphine et Marinette sont de retour. Après Le Loup et son succès, la sociétaire Véronique Vella se plonge à nouveau dans Les Contes du chat perché de Marcel Aymé. Une pièce qui mêle théâtre, musique et chanson. Lieu : Studio-Théâtre Comédie Française Dates : jusqu’au 8 janvier Mise en scène : Véronique Vella Avec : Véronique Vella, Michel Favory, Cécile Brune, Alain Lenglet, Jérôme Pouly, Elsa Lepoivre, Stéphane Varupenne, Elliot Jenicot Belle histoire d’amitié Ambiance chaleureuse au Studio-Théâtre. Dans un décor champêtre, Delphine (Véronique Vella) et Marinette (Elsa Lepoivre) vont cacher un Cerf (Elliot Jenicot) poursuivi dans la forêt par une meute de chiens. Avec l’aide du chien Pataud (Jérôme Pouly), le cerf réussit à éviter le pire. L’animal sauvage accepte de vivre chez les deux petites filles, au détriment de sa liberté mais au profit d’une vie paisible. Participant aux tâches quotidiennes de la ferme, le cerf se lie d’amitié avec un boeuf d’humeur toujours joyeuse (Stéphane Varupenne) et devient petit à petit un membre de la famille. « Marcel Aymé est un auteur profond et touchant, qui présente de nombreuses grilles de lecture. » « Avec Raphaëlle Saudinos, nous avons eu envie d’aller voir ce que deviennent Delphine et Marinette une fois qu’elles ont vu le loup » précise Véronique Vella qui avait déjà mis en scène Le Loup de Marcel Aymé en 2009. C’est un texte qui parle de liberté et aborde avec subtilité et philosophie la question du choix. Choisir de vivre en sécurité ou d’être libre et en danger ? Choisir, est-ce finalement renoncer ? (La pièce se veut simple mais soulève des questionnements dignes du bac de philo). Le cerf fait le choix d’être en sécurité chez Delphine et Marinette, mais cet animal sauvage a soif de liberté, quitte à y laisser sa vie. Le cerf et le chien raconte aussi une belle histoire d’amitié, entre un cerf et un boeuf que tout oppose. Respect de la différence, acceptation de l’autre et tolérance sont les mots qui nous viennent à l’esprit en voyant les deux compères rire et chanter sous la lune. C’est aussi et enfin un texte qui évoque la mort avec justesse. Une mise en scène pétillante Véronique Vella nous offre un charmant spectacle à mi-chemin entre le conte et la comédie musicale. C’est une mise en scène dynamique et pétillante, un décor aux couleurs d’une ferme familiale et d’une forêt mystérieuse. Les animaux prennent vie sur scène : Elliot Jenicot est exceptionnel en cerf élégant avec une pointe d’arrogance et Jérôme Pouly excellent en chien justicier. Stéphane Varupenne fait rire toute la salle dans son rôle de boeuf joyeux, bon-vivant et naïf. Véronique Vella et Elsa Lepoivre nous transportent en enfance avec leurs salopettes bleus et leurs coiffures enfantines. C’est une pièce qui se déguste comme un bonbon acidulé. Au fur et à mesure de cette heure de fantaisie, on va de surprise en surprise, de rires en chansons. Le cerf et le chien plaira aux familles et aux enfants. D’ailleurs, à l’entrée du Studio-Théâtre, un petit carnet jaune sur la pièce regorge de jeux et d’anecdotes pour les plus jeunes. Ce public que Véronique Vella refuse d’appeler « les spectateurs de demain » car ce sont aussi ceux d’aujourd’hui, pourront prendre part au spectacle et même s’identifier aux personnages en répondant à un petit quizz « es-tu plutôt cerf, chien ou boeuf ? ». Un spectacle qui fait du bien, et on en sort heureux, sourire aux lèvres, de 7 à… plus de 77 ans. A voir jusqu’au 8 janvier au Studio-Théâtre. La Peur de Zweig : un tourbillon d’angoisse au Théâtre Michel La Peur est une nouvelle de Stefan Zweig publiée dans les années 20. Irène, trentenaire bourgeoise mariée trompe son mari qui la délaisse. Très vite, Irène croise une jeune femme, la soi-disant femme de son amant, qui la poursuit et la fait chanter. Irène vit dans l’angoisse que son mari découvre sa liaison. Lieu : Théâtre Michel Dates : jusqu’au 31 décembre Mise en scène : Elodie Menant Avec : Hélène DEGY, Aliocha ITOVICH, Ophélie MARSAUD Jeu machiavélique Avec la Peur, Zweig nous transporte au début du XXème siècle, au coeur de l’histoire d’Irène (Hélène Degy) et de son mari Fritz (Aliocha Itovitch), jeunes bourgeois qui semblent filer le parfait amour. Lui est avocat et passe ses journées sur de grosses affaires. Elle, d’appar ence heureuse et comblée, entretient malgré tout une liaison avec un éminent musicien, Edouard, dans le but de combler la solitude dont elle est victime. C’est un mercredi, alors qu’elle sort de chez son amant, qu’Irène croise le diable : une femme, Elsa (Ophélie Marsaud), qui la menace de tout raconter à Fritz. Sa seule solution pour sauver son couple : coopérer avec Elsa et accepter toutes ses demandes (essentiellement de l’argent). Terrassée par la peur, Irène accepte de rentrer dans ce jeu machiavélique. « La pièce décortique la chute lente et incontournable d’un couple dont la communication échoue, aspiré par la spirale infernale et angoissante du mensonge » On est rapidement transporté par cette histoire d’une descente aux enfers. Mensonge, manipulation, trahison : la nouvelle de Zweig est bien plus qu’un simple adultère. Il nous plonge dans l’analyse psychologique de trois personnages : une Irène rongée par la peur et le remord, un Fritz manipulateur et une Elsa mystérieuse et perverse. Un univers hitchcockien Dans sa mise en scène, Elodie Menant raconte s’être inspirée de l’univers Hitchcockien. C’est une pièce dans laquelle la tension va crescendo, entraînant le spectateur dans le tourbillon des tourmentes d’Irène. Le décor lui, est mouvant et se transforme à mesure que les personnages dévoilent leurs multiples facettes. Dans une ambiance totalement années 50, les comédiens sont bluffants. Particulièrement Hélène Degy qui incarne le rôle d’Irène à la perfection, jusqu’à l’interprétation de la psychose. Question fatidique : doit-elle avouer ou faire perdurer son mensonge ? Peut-on vivre avec des remords ou mieux vaut-il mourir avec eux ? Irène devra faire un choix : chuter en choisissant la vérité ou survivre avec ses mensonges. C’est une pièce psychologique dans laquelle le suspense reste palpable, les scènes s’enchaînent et font monter une tension dans la salle jusqu’à la scène finale, coup de théâtre pour ceux qui ne connaissaient pas le texte de Zweig. Un spectacle sombre et machiavélique qui vaut le détour. Au coeur de l’enquête avec le lieutenant Columbo Revivez une enquête du lieutenant Columbo sur la scène du théâtre Michel et un moment inédit: le premier épisode de la série à succès, appelé à l’origine « Prescription Murder ». Lieu : Théâtre Michel De : Richard Levinson et William Link Mise en scène : Didier Caron en collaboration avec Delphine Piard Avec : Martin Lamotte, Pierre Azema, Karine Belly, Stéphane Boutet Un brin de nostalgie On le connaît plus communément sous les traits de Peter Falk, qui jouait le lieutenant Columbo dans la série américaine du même nom. Pourtant, et peu de gens le savent, le célèbre enquêteur au cigare et au trench coat était au départ inspiré d’une pièce de théâtre. Au Théâtre Michel, la soirée est pleine de réminiscences : qui n’a pas en tête ce personnage mythique et ses célèbres répliques ? « L’idée de retrouver Columbo sur scène, c’est un peu comme retrouver un personnage familier (…). Un brin de nostalgie berce ce projet » précise le metteur en scène Didier Caron. « C’est bizarre, mais il y a encore un petit détail qui me tracasse… » Dans cet épisode, le premier d’une longue série, le lieutenant Columbo (Martin Lamotte) doit résoudre, comme toujours, une sale affaire. Le psychiatre Rey Flemming (Pierre Azéma), très reconnu dans sa profession, assassine sa femme dans le but de vivre avec sa maîtresse, une célèbre actrice (Karine Belly). Cette dernière se fait passer pour la défunte femme du médecin afin de ne pas éveiller les soupçons, et ainsi offrir un alibi à son amant. Mais le lieutenant Columbo, comme à son habitude, n’est pas aussi dupe qu’il en a l’air… Ambiance seventies Dans l’exercice périlleux de « succéder » au charismatique et regretté Peter Falk, Martin Lamotte est épatant. Sans être dans l’imitation, il interprète avec brio le rôle du lieutenant tant apprécié des (télé)spectateurs. On retrouve bien sûr tous les traits de caractères bien marqués du personnage : ses phrases hors contexte pour dérouter son suspect, ses allusions à sa femme ou à son basset dit « Le Chien », ses hésitations insistantes ou même son timbre de voix et ses mimiques. Mais Martin Lamotte en fait un personnage bien à lui au gré d’une délicieuse interprétation. On peut en dire autant de tous les comédiens : Pierre Azéma en assassin machiavélique, de Karine Belly en maîtresse ingénue et de Stéphane Boutet, le catho bien-pensant. Dans ce thriller comique, il n’y a pas une seule erreur de casting. La mise en scène de Didier Caron est millimétrée : sur une musique originale (celle du générique de la série) et dans un décor ambiance seventies, le spectateur est en immersion dans l’univers Columbo. Avec Columbo : Meutres sous prescription, on retourne en enfance et on redécouvre l’authenticité de ce personnage qui a bercé une génération toute entière. Une pièce populaire qui n’a pas pris une ride. Gutenberg : le musical barré et endiablé ! Sam et Max, deux jeunes rêveurs idéalistes, cherchent un producteur pour le spectacle épique qu’ils viennent d’écrire : GUTENBERG ! Le musical. Maladroits et géniaux, ils vous offrent, presque malgré eux, une véritable performance jouant une vingtaine de personnages, accompagnés d’un pianiste et de plein de casquettes, chacune symbolisant un personnage. Il suffisait d’y penser. Lieu : Sentier des Halles Dates : jusqu’au 27 novembre 2016 Avec : Philippe d’Avilla, Sébastien Valter, Sébastien Ménard Mise en scène : Nicolas Guilleminot La comédie musicale pour les Nuls C’est une comédie musicale pas comme les autres. Dans la salle confinée du sentier des halles, on ne sait d’abord pas à quoi s’attendre. Devant nous, des comédiens et surtout… des casquettes. Et à côté, un pianiste à l’air blasé. « Bonjour, je suis Sam, j’ai écrit cette comédie musicale, et voici Max mon meilleur ami, qui a composé les musiques ». Les deux personnages sont hésitants, gaffeurs, semblent inspirés par un tome de « la comédie musicale pour les Nuls ». Les deux compères ont suivi à la lettre la recette de la comédie musicale : trouver un héros historique, le mettre en musique et en faire une belle histoire. Et pour cette histoire, ils ont choisi Gutenberg. Leur rêve ? Impressionner un jour un producteur et jouer sur la scène du célèbre Mogador. Hilarants et déjantés. Très vite, Sam et Max nous embarquent dans leur univers complètement barré. De casquette en casquette, ils incarnent tous les personnages d’une comédie musicale digne de Broadway. Déjantés, les deux comédiens sont impressionnants. C’est une mise en abyme intelligente et surtout délirante : cette comédie musicale burlesque reprend tous les codes (bons ou mauvais) du musical à succès. Des personnages larmoyants, des chansons entraînantes aux paroles insignifiantes (une chanson sur les biscuits, par exemple !) ou encore une histoire d’amour impossible. Gad Elmaleh n’aurait pas mieux imité les méchants et les gentils dans cette loufoquerie. « Un mélange insolite des Monty Python, de South Park et de Mel Brooks » Nicolas Guilleminot Au-delà d’une caricature de la comédie musicale mainstream, Gutenberg est aussi le récit d’une passion et du rêve de deux jeunes auteurs-compositeurs. Sans décor ni costumes, Sam, Max et leur pianiste sèment le bonheur auprès de leur public. Ils réalisent une performance incroyable, mêlant l’humour à des tours de passe-passe (de casquette en casquette) vertigineux. Bref, c’est une comédie musicale qui fait du bien, et qui même si elle ne joue pas (encore) à Mogador, est à ne pas louper ! Sur la pièce… GUTENBERG! The musical voit le jour en 2006. Il est présenté à Londres puis au prestigieux New-York Musical Theatre Festival, où il reçoit trois prix dont celui du meilleur livret de comédie musicale. Après plusieurs saisons dans le Off-Broadway, une quarantaine de villes des États-Unis accueillent les casquettes de Sam et Max. Après le Canada, la Finlande, l’Australie et la Corée du Sud, c’est au tour de l’hexagone de découvrir pour la première fois l’histoire véritablement fausse de l’inventeur de l’imprimerie. Adaptée par Baptiste Delval, produite par Laurent Giordanengo et mise en scène par Nicolas Guilleminot, la version française a été créée en mai 2015 à l’Aktéon Théâtre avant d’afficher complet au Théâtre des Brunes durant le Off d’Avignon la même année. Après quelques dates de tournée, nos héros chercheront le producteur fictif de leurs rêves de septembre à décembre 2016 au Sentier des Halles. En fin d’année, le musical comptabilisera plus de soixante dix représentations en France. Naturellement belle : une mise en beauté fraîche et musicale Dans un monde superficiel et standardisé, deux employés travaillent pour une agence dont l’objectif est d’embellir à tout prix » La Star », la rendre naturellement belle. Alors que tout les oppose, ils se voient confier une mission spéciale dont dépend leur avenir… Lieu : Studio Hébertot Dates : à partir du 10 septembre De et avec : Rachel Pignot et Raphaël Callandreau Big Brother est sur la scène La comédie était déjà un succès au festival Off d’Avignon depuis 2014. Au Studio Hébertot à Paris, l’ambiance et les rires sont également au rendez-vous. Naturellement Belle est une comédie semi-musicale (qui alterne saynètes parlées et chantées) sur la dictature de l’entreprise et de la beauté. Deux personnages vont devoir faire équipe dans un challenge lancé par leur entreprise : faire augmenter considérablement la courbe de beauté de la Star dont leur agence s’occupe. Au centre de l’histoire, un homme, une femme et une voix. On ne connaîtra pas les noms des deux employés, histoire d’accentuer la rigueur de cette entreprise désincarnée. La voix personnifie la dictature du management : une voix qui rappelle les bonnes et mauvaises pratiques de ses salariés, enlève des points sur leur carte de « légitimité professionnelle ». Big Brother est sur scène : la jeune femme elle, est menacée d’être licenciée si sa prochaine mission n’est pas une réussite. Quant à l’homme sans nom, caricature de l’élève modèle coincé mais non sans humour, il va devoir se confronter au travail en équipe pour ne pas risquer de perdre ses points. Le moindre retard, le moindre mot de travers peut coûter cher. « Cette pièce s’inscrit dans une dynamique de théâtre musical où l’on retrouve les influences de la chanson et du jazz, le tout saupoudré de duos drôles et tendres, aux couleurs des films de Jacques Demy » Naturellement Belle dénonce aussi les diktats de la beauté. Dans cette agence caricaturale, il convient d’embellir la Star par tous les moyens. Mais qu’estce que la beauté ? Est-elle liée au bonheur personnel ? N’est-elle qu’une question de physique ? Être beau, est-ce forcément être heureux ? (des questions dignes du bac de philo…) Madame et Monsieur vont s’embarquer dans une quête de la beauté ultime, confronter leurs idées et brainstormer avec beaucoup, beaucoup d’humour. Lui avouera même avoir été victime de sa beauté, jusqu’à faire une « chirurgie inesthétique » pour qu’on l’aime pour autre chose que pour ses courbes parfaites. Tic-Tac, l’horloge tourne, et la voix les presse pour trouver la recette du charme éternel. Une pièce tout en légèreté Rachel Pignot et Raphaël Callandreau sont survoltés. Dans ce décor aux couleurs pastels et à l’ambiance sixties, leurs chansons entraînantes et acidulées nous transportent. C’est une pièce qui fait du bien, et qui parvient tout en légèreté à aborder avec autant d’humour que d’intelligence des sujets complètement d’actualité. C’est une pièce émouvante, aussi, on s’attache rapidement à ces personnages un peu marginaux : à la naïveté et la candeur de Madame maladresses, et au caractère bougon de Monsieur ex-canon de beauté au coeur tendre. En bref, un spectacle séduisant et pétillant, à voir en famille ! Edmond : Alexis Michalik fait encore des merveilles Décembre 1897, Paris. Edmond Rostand n’a pas encore trente ans mais déjà deux enfants et beaucoup d’angoisses. Il n’a rien écrit depuis deux ans. En désespoir de cause, il propose au grand Constant Coquelin une pièce nouvelle, une comédie héroïque, en vers, pour les fêtes. Lieu : Théâtre du Palais Royal Dates : à partir du 15 septembre Auteur et metteur en scène : Alexis Michalik Avec : Guillaume Sentou, Anna Mihalcea, Christian Mulot, Christine Bonnard, JeanMichel Martial, Kévin Garnichat, Nicolas Lumbreras, Pierre Benezit, Pierre Forest Régis Vallee, Stéphanie Caillol, Valérie Vogt Dans les coulisses d’un chef d’oeuvre Il était tant attendu, le retour d’Alexis Michalik sur les scènes parisiennes. Après avoir été primé de deux Molières pour Le Porteur d’Histoire et pour le Cercle des Illusionnistes, on se demandait comment le prodigieux Michalik allait bien pouvoir faire mieux. Le conteur d’histoire préféré des théâtrophiles a brillamment réussi son coup avec Edmond, une pièce originale qui raconte la genèse de Cyrano de Bergerac. Une sublime mise en abîme et un plongeon dans les coulisses de l’écriture d’un chef d’oeuvre de la littérature. « Pardonnez-moi, mon ami, de vous avoir entraîné dans cette désastreuse aventure » Edmond Rostand à Constant Coquelin, le 27 décembre 1897. Edmond Rostand (merveilleusement interprété par Guillaume Sentou) a seulement 29 ans, en 1897, lorsqu’il entreprend l’écriture de Cyrano de Bergerac. Rostand ne connaît pas la gloire, sa dernière pièce, La Princesse Lointaine, est loin d’avoir conquis le public malgré le soutien sans faille de Sarah-Bernhardt (Valérie Vogt). Pendant ce temps, les boulevards de Feydeau et Courteline font fureur : Le Dindon fait salle comble. Presque par miracle, Constant Coquelin (Pierre Forest), alors directeur du Théâtre de la Porte Saint-Martin, commande à Edmond Rostand une pièce qui devra absolument être un succès. L’auteur n’a pas le choix, il doit conquérir son public au risque de finir dans le registre des auteurs inconnus. En un temps record, quelques semaines, il doit écrire une pièce en trois actes (Cyrano en fera en fait cinq). Personne n’y croit, mais Edmond a de l’inspiration : ce sera une histoire d’amour héroïque, bien sûr en vers, et dont l’Histoire se souviendra. Susciter l’imagination, provoquer l’illusion Dans le théâtre d’Alexis Michalik, il n’y a pas de têtes d’affiche, et le casting n’en est que meilleur. Comme à son habitude, l’auteur et metteur en scène donne à ses comédiens de multiples rôles (excepté Guillaume Sentou qui n’a « que » le rôle d’Edmond Rostand et Pierre Forest celui de Coquelin). Ce jeu de jonglage entre les rôles est bluffant : d’une scène à l’autre, Courteline (Régis Vallée) devient le fils Coquelin, Feydeau (Nicolas Lumbreras) devient Tchekhov ou Maurice Ravel. Et on n’y voit que du feu. C’est là toute la magie des textes et mises en scène d’Alexis Michalik : susciter l’imagination, provoquer l’illusion. Les douze comédiens sont excellents, la pièce avance avec un rythme soutenu, sans jamais perdre ses spectateurs, et toujours avec humour. Le 27 décembre 1897, la première de Cyrano de Bergerac au Théâtre de la Porte SaintMartin est un triomphe : pas moins de 40 rappels. Au théâtre du Palais Royal en septembre 2016, c’est une standing ovation pour Edmond, et une envie certainement partagée par tout le public : celle de relire Cyrano de Bergerac. Pari réussi, Mister Michalik. Teaser de la pièce Politiquement correct : la romance au goût amer de Salomé Lelouch 23 avril 2017. Coup de tonnerre pour les uns : l’extrême droite est au second tour de l’élection présidentielle. Coup de foudre pour les autres : Mado et Alexandre se sont rencontrés une heure avant les résultats. Ils ont parlé de tout sauf de politique. Mado a toujours voté à gauche. Elle ignore qu’elle vient de tomber amoureuse d’un militant d’extrême droite… Lieu : Théâtre de la Pépinière Ecriture et mise en scène: Salomé Lelouch Avec : Rachel Arditi, Ludivine de Chastenet, Thibaut de Montalembert, Bertrand Combe, Arnaud Pfieiffer Brève de comptoir Mado aime Alexandre, Alexandre aime Mado. Mais Mado est une bobo de la gauche bienpensante et Alexandre un militant du Front national, lui-même membre de l’équipe de campagne de sa candidate. Sur le papier, le scénario ressemble à un plus ou moins bon feuilleton télévisé. La programmation habituelle du théâtre de la Pépinière aurait pu laisser croire que cette pièce sortirait des sentiers battus. Et quel dommage de la part de Salomé Lelouch d’avoir succombé au cliché « Roméo et Juliette », dans une pièce qui aurait pu être une réussite, quelques mois avant les prochaines présidentielles. Résultat, c’est une histoire sans fond et sans fin, une histoire d’amour assez creuse et dans laquelle le débat politique est presque dérangeant, tant il frôle la brève de comptoir (mais d’ailleurs, n’était-ce pas l’effet escompté puisque toute la pièce se passe dans un bar… ?). Alexandre cache à Mado ses sensibilités politiques, jusqu’à ce qu’elle le découvre par elle-même et se pose la question : puis-je aimer quelqu’un à l’encontre de mes convictions ? Bref, du Roméo et Juliette. Le moment n’est pas désagréable car les comédiens sont bons, voire très bons. Ludivine de Chastenet (NDLR : que j’avais déjà adoré dans la comédie Sous les jupes) est excellente en gaucho-révolutionnaire et fait tout de même bien rire le public dans son débat contre un extrémiste borné et totalement cliché. Car heureusement, si le personnage d’Alexandre est tellement lissé qu’il en paraît agréable, celui de son meilleur ami, magistralement interprété par Bertrand Combe, arbore bien tous les traits du fasciste au discours abject. En définitive, Politiquement correct a tout d’une comédie romantique mais rien d’une pièce à caractère politique. A part la fin, trop dramatique pour être vraie. Une fin inadaptée à l’intégralité de la pièce, qui reste très légère. Cette pièce plaira donc à ceux qui veulent se détendre devant une histoire d’amour plus ou moins à l’eau de rose, mais moins aux amoureux de débats politiques. La version Browning : rentrée studieuse au Poche-Montparnasse À la fin des années 1940, un soir de juillet veille des résultats scolaires, le jeune Taplow est convoqué par le professeur Crocker-Harris, figure même de l’institution rigoriste des public schools britanniques. Il doit à contrecœur rattraper un cours de version grecque, décisif pour son passage en classe supérieure Lieu : Théâtre de Poche Dates : à partir du 1er septembre D’après Terence Rattigan mis en scène par Patrice Kerbrat Avec : Jean-Pierre BOUVIER, Marie BUNEL, Benjamin BOYER, Pauline DEVINAT, Philippe ETESSE, Nikola KRMINAC, Thomas SAGOLS, Le reflet d’un siècle Dans le décor sévère d’une public school britannique, le jeune Taplow rend visite à son professeur de lettres classiques, monsieur Crocker-Harris. Nous sommes peu de temps avant la fin de l’année scolaire et l’élève voudrait savoir si oui ou non, il passe en classe supérieure. Chose difficile face à ce professeur d’une froideur extrême, réputé pour être le « Himmler de l’école » et ironiquement appelé « Croquignolle » par ses élèves. En attendant son professeur, Taplow l’imite non sans mépris, devant un autre professeur qui se trouve être, en plus, l’un des multiples amants de sa femme Millie. Trop rigide, trop coincé, Crocker-Harris semble laisser à ses élèves un goût amer. Derrière ce ballet de collègues, d’épouse, de collégiens et de mesquinerie, s’ouvre un gouffre; c’est l’énigme de ce gouffre que je me propose d’explorer – Patrice Kerbrat, metteur en scène. Si l’histoire écrite par Terence Rattigan peut paraître anecdotique, elle est le reflet d’un siècle durant lequel l’Angleterre a vu s’opposer les mutations sociales d’après-guerre aux traditions britanniques bien ancrées. Les public schools, écoles privées réservées à une petite élite et dans une desquelles se déroule l’intrigue de la pièce, font partie intégrante de l’Angleterre traditionnelle. On pardonne donc les quelques longueurs du début de la pièce, peut-être difficile à décrypter si l’on n’est pas connaisseur du texte de Rattigan ou de son contexte d’écriture. Une pièce psychologique Plongeon dans les entrailles d’un professeur malade et légèrement névrosé. D’une rigueur presque sans faille, Crocker-Harris laisse pourtant entrevoir les traits d’un personnage sensible, à l’écoute de ses élèves et surtout soucieux de ce qu’ils pensent de lui. Un amoureux d’Eschyle qui enseigne sa passion. Un perfectionniste sarcastique et un mari qui tolère que sa femme aille voir à droite et à gauche. On apprend à apprécier ce personnage à la rigueur anglaise, strict au premier abord mais qui peu à peu dévoile ses faiblesses et parvient à émouvoir tout son public. Jean-Pierre Bouvier réalise une performance impressionnante dans son rôle du Professeur CrockerHarris, Marie Bunel est tout aussi louable en femme machiavélique et perverse. On peut en dire autant de l’intégralité du casting, les comédiens excellent. C’est une pièce psychologique et profondément intense, dotée d’une interprétation délicieuse. Un beau moment de théâtre à l’anglaise. Fumiers – un OVNI au théâtre du Rond-Point Deux voisines se déclarent la guerre autour d’une tonne de fumier déversée dans la cour commune. Insultes, provocations : pathétique et hilarante nature humaine.. Lieu : Théâtre du Rond-Point Dates : jusqu’au 3 juillet De : Florence d’Arthuys, Manolo d’Arthuys Mise en scène et interprétation : Thomas Blanchard Avec : Flavien Gaudon,Olivier Martin-Salvan, Johanna Nizard, Christine Pignet, Julie Pilod en alternance avec Pauline Lorillard, Anne-Élodie Sorlin Personnages d’un troisième type. Au milieu, un tas de fumier. Imposant, il capte l’attention, et une ombre se balade autour, une vieille dame. De cet épisode de strip-tease, la célèbre émission de téléréalité franco-belge « qui vous déshabille », Thomas Blanchard a fait une improbable interprétation. Ici comme dans l’émission, les personnages sont sans fard. Ils vivent face à nous, sont d’un naturel déconcertant (si déconcertant que certains quitteront la salle, pas sûrs d’avoir compris la démarche artistique). Dans ce village de BriouxSaint-Juire, il y a Nicole, vieille agricultrice qui fait désormais partie du décor. Chaque jour, elle déverse sa brouette de fumier devant la porte des époux Dejousse, ses voisins parisiens fraîchement débarqués sur le territoire. Nicole les déteste et leur déclare la guerre avec son comité de soutien, une bande de « ploucs » complètement farfelus. Thomas Blanchard et son équipe partent en quête de la source belliqueuse, l’addiction au conflit, ce mystère de la folie guerrière, pathétique et hilarante nature humaine (Pierre Notte) Ces personnages d’un troisième type, auxquels s’ajoutent un journaliste de pacotille et un Maire de village à côté de la plaque, semblent tout droit sortis d’un monde parallèle, ils sont en fait juste sortis d’une émission de télé-réalité. Et au milieu, gît un tas de fumier, une « montagne magique » pour Thomas Blanchard autour de laquelle le temps s’est arrêté. OVNI théâtral. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les comédiens incarnent leurs personnages à la perfection. Mieux même, ils sont parfois en quasi-transe. Comparaison entre l’émission et la pièce : on n’y voit (presque) que du feu. Mais ici le spectateur n’est pas un téléspectateur, ce qu’il contemple ce n’est pas la réalité mais une imitation de celle-ci. Cette ambiguïté entre le réel et la fiction fait de ce spectacle un véritable OVNI théâtral. D’un pathétique incomparable, cette curieuse situation de guerre au centre de laquelle se trouve un tas de fumier, interpelle tout le public. C’est une pièce atypique, qui questionne sur la nature humaine en plus de faire rire par sa situation grotesque. « Je crois que le théâtre déshabille la réalité » précise le metteur en scène, comme l’émission strip-tease qui décrit in situ des situations d »un brut inégalable. C’est une pièce qui ne laissera personne indifférent, et qu’il faut aller voir pour sa singularité. Les Damnés : l’effroyablement belle mise en scène d’Ivo van Hove Les Damnés – d’après Visconti – mise en scène par Ivo van Hove Au Festival d’Avignon du 6 au 16 juillet 2016 puis à la Comédie Française, salle Richelieu du 24 septembre au 13 janvier 2017 Avec la Troupe de la Comédie Française : Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Clément Hervieu-Léger, Jennifer Decker, Didier Sandre, Christophe Montenez. Après 23 ans d’absence, la Comédie Française fait son retour au Festival d’Avignon avec Les Damnés, pièce mise en scène par le belge plusieurs fois primé cette année, Ivo van Hove. Un complot à la Macbeth Inspiré du film de Luchino Visconti sorti sur les écrans en 1969, Les Damnés raconte la descente aux enfers d’une famille d’industriels allemands. Le 27 février 1933, alors qu’Hitler est chancelier depuis à peine un mois, le Reichstag prend feu. Les nazis instrumentalisent l’incendie à des fins politiques. Dans le même temps, le Baron Joachim (Didier Sandre), chef de la famille von Essenbeck, propriétaire de grandes aciéries dans la Ruhr, est assassiné. Le jeune directeur des usines Herbert Thallmann (Loïc Corbery), fervent opposant au régime nazi, est accusé à tort du meurtre de Joachim et doit fuir en laissant sa femme Elisabeth (Adeline d’Hermy) et ses deux filles. Friedrich Bruckmann (Guillaume Gallienne) et sa maîtresse Sophie von Essenbeck (Elsa Lepoivre) à l’aide de son fils dégénéré Martin (Christophe Montenez), proches des S.S, vont organiser un complot à la Macbeth pour s’emparer des usines. L’industrie von Essenbeck devient rapidement une usine d’armement au service du régime nazi. S’en suit une série de massacres et de crimes au sein d’une famille entièrement détruite par le nazisme. Bain de sang Représenter l’horreur, personnifier la haine, montrer la mort. Ivo van Hove a fait fort dans cette mise en scène dérangeante des Damnés de Visconti. Dans l’enceinte de la Cour d’honneur du Palais des Papes, les gradins tremblent à l’arrivée des premiers personnages. Toute la pièce sera ainsi : dans une ambiance lugubre, terrorisante, imposante. Un sol de revêtement orange figure « l’appareil bureaucratique de l’Etat » précise Tal Yarden, responsable vidéo du spectacle. Sur fond d’images documentaires, les comédiens font revivre des épisodes clés de l’Allemagne de 1933-1934 : l’incendie du Reichstag, les autodafés allemands ou la Nuit des longs couteaux symbolisée par un épisode sanglant dans lequel Konstantin von Essenbeck (Denis Podalydès), membre de la S.A, après une beuverie démente et obscène, termine dans un bain de sang. C’est un spectacle effroyable mais criant de vérité. La mort en direct Dans cette mise en scène magistrale, Ivo van Hove fait vivre à son public la mort en direct et sur écran géant. A chaque personnage qui meurt, la cérémonie, comme un véritable rituel, se répète : les comédiens se rassemblent, raides, le regard vide. L’un s’avance vers la mort, des cercueils disposés côté cour, le visage blafard. Sur l’écran géant, le spectateur le suit jusqu’à l’agonie, pendant que la pièce reprend sur scène. C’est un schéma répétitif, évoquant la mort à la chaîne, une mort anonyme et violente. Du début à la fin tragique et puissante des Damnés, la tension est palpable. L’ambiance musicale y joue aussi pour beaucoup : du quatuor de saxophones installé auprès des cercueils, à l’utilisation du groupe de métal allemand Rammstein, la musique fait partie intégrante du spectacle. Selon ses maîtres d’oeuvre, on retrouve dans cette musique « la volonté de créer de nouveaux moyens de destruction massive ». Jusqu’à la scène finale d’une violence monstrueuse, c’est un silence complet dans la cour du Palais des Papes. Puis c’est une standing ovation pour la troupe de la Comédie Française (tous excellentissimes) et pour Ivo van Hove et son équipe. Plus que dérangeante, les Damnés laisse à son public un goût amer, mais c’est l’effet escompté. Attendons de voir comment cette mise en scène sera adaptée en salle Richelieu, à la rentrée.