capacité polyvalente et technologie de pointe

Transcription

capacité polyvalente et technologie de pointe
par le brigadier -général Steven Irwin
Une grande partie de ce que le planificateur de la défense voudrait
savoir est impossible à connaître […] Le défi consiste à faire une
planification intelligente en dépit d’une masse d’incertitudes1.
Colin S. Gray
Il faut que le Canada se prépare à l’incertitude puisque les
tendances contradictoires de l’après-guerre froide (la
mondialisation et la fragmentation, la paix et les conflits, la
prospérité et la pauvreté) continueront à s’entrechoquer durant
le nouveau siècle2.
Scot Robertson
L
es avancées continues et considérables qu’a connues la
technologie militaire sont susceptibles de poser un défi
majeur aux Forces canadiennes (FC) dans leur aptitude à
conserver des capacités polyvalentes. Les ÉtatsUnis investissent énormément dans les technologies
de pointe, et il existe des indications claires selon lesquelles la
viabilité des coalitions futures se trouvera menacée si les alliés
des Américains n’investissent pas dans des systèmes leur
permettant de fonctionner avec les forces américaines. Les
alliés européens du Canada se sont lancés dans la
spécialisation4, et il est possible que le Canada suive aussi cette
voie, peut-être dans le cadre de l’OTAN4. Cette approche
restreindrait les investissements à des rôles et capacités
militaires spécifiques et se révélerait, vraisemblablement, plus
Hiver 2001-2002
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Revue militaire canadienne
abordable. Toutefois, un examen plus étendu des questions de
sécurité de l’avenir justifierait-il le bien fondé d’une telle
politique de spécialisation des rôles pour les FC?
LA TECHNOLOGIE ET LA NATURE
CHANGEANTE DES CONFLITS DE L’AVENIR
L
a guerre du Golfe et, dans une certaine mesure, la campagne
aérienne au-dessus du Kosovo ont fait la preuve que les
technologies de pointe ont apporté des changements très importants
dans la manière dont la guerre est menée. Les détecteurs du
renseignement, les données de navigation de précision et les outils
de communication ont fourni aux commandants des données
situationnelles sans précédent. Cette connaissance de la situation,
associée à des armes à guidage de précision, s’est montrée d’une
efficacité dévastatrice5. De nombreux commentateurs soutiennent
que l’on vit, ou que l’on est sur le point de vivre, une révolution
dans les affaires militaires (RAM). Les analystes ont décrit cette
dite RAM de bien des manières différentes. Selon un premier point
de vue, elle impliquerait des attaques d’une extrême précision à des
distances de sécurité, des services de commandement, de contrôle
et de renseignement améliorés, une guerre de l’information, et une
économie de vies humaines6. Un deuxième point de vue décrit la
RAM comme une précision dans les frappes et dans la façon de les
faire, une supériorité sur le plan de l’information et des manœuvres,
Le brigadier-général Steven Irwin travaille au Quartier général de la
Défense nationale.
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LA RÉVOLUTION DANS LES AFFAIRES MILITAIRES
CAPACITÉ POLYVALENTE ET
TECHNOLOGIE DE POINTE
Photo de spaceimaging.com
et une utilisation efficace de l’espace7. Un troisième point de vue
dit que la RAM est le fruit du développement conjoint de trois
éléments : une technologie qui donne un pouvoir d’action (le
quoi), une doctrine qui rationalise l’emploi de cette technologie (le
pourquoi), et la création d’organisations qui utilisent cette
de munitions de précision sont capables de frapper tout ce
qu’elles peuvent voir. Ces systèmes d’armement sont en train
d’être jumelés à des détecteurs de manière à leur permettre de
visualiser quasiment n’importe quelle cible à atteindre, et de les
viser à partir d’un endroit plus éloigné qu’auparavant. La
puissance est toujours le facteur déterminant le succès, mais
les grandes forces mécanisées étendues qui s’appuient sur
les chars d’assaut deviennent de simples cibles pour des
forces plus petites dotées d’une connaissance des données
situationnelles et d’une puissance de destruction accrues. Le
temps et l’espace sont comprimés par le rythme accéléré du
mouvement, et les forces de combat sont maintenant à
même de voir le champ de bataille de façon détaillée sans
exposer les plateformes d’armements ou les soldats aux
moindres risques11. Ce point de vue suppose cependant que
la menace proviendra de forces massées, ainsi qu’on l’a vu
pendant la guerre du Golfe et, dans une moindre mesure,
pendant la campagne du Kosovo.
Certains analystes sont convaincus qu’il y aura une
seconde RAM, ou tout au moins un second volet à la RAM
contemporaine, qu’entraîneront les sciences biologiques, les
techniques de fabrication avancées, les appareils
microélectromécaniques et le traitement de l’information et
qui aura pour résultat la création d’appareils biomécaniques
hybrides à usage militaire. Si des appareils miniaturisés
étaient à même de détecter, de traiter l’information, de se
déplacer et de communiquer, ils pourraient alors fournir un
réseau très serré de détecteurs sur le champ de bataille.
Certains prédisent la création de petits robots, hauts de
quelques centimètres, qu’on éparpillerait dans l’espace de
combat afin de fournir une surveillance continue en temps
réel. D’autres prévoient le développement d’une « poussière
de surveillance », un nuage de détecteurs microscopiques
aériens qui pourraient recueillir et transmettre des données
pendant des périodes étendues au-dessus de vastes zones.
Certains auteurs à l’imagination fertile prédisent une « guerre
de soldats-fourmis » où le champ de bataille serait dominé
Prise par le satellite Ikonos, cette photo de la partie inférieure de Manhattan à New York
par des millions de petites machines reliées les unes aux
montre le site de l’attaque terroriste du 11 septembre. Prise le 15 septembre, la photo
autres, capables de reconnaître l’adversaire et de rendre de
a une résolution d’un mètre et est un exemple de l’imagerie commerciale que peuvent
vastes zones infranchissables aux troupes ennemies ou à des
utiliser les commandants et leur personnel pour la reconnaissance et le ciblage.
forces conventionnelles. Si un adversaire tentait de pénétrer
technologie en accord avec la doctrine (le comment)8. Le point de dans ces zones, il serait immédiatement éliminé12. Le
vue qu’adopte cet article (il en existe en effet bien d’autres) soutient développement de cette technologie, aussi intéressante soit-il à
pour sa part que la RAM s’appuie sur la notion selon laquelle envisager, prendra des décennies.
l’aptitude à rassembler, analyser, diffuser et agir sur l’information
Que l’on soit en présence d’une RAM ou pas, il n’en demeure
est le trait dominant de la guerre, ce qui a pour résultat de créer une
force à même de détecter et de neutraliser un ennemi qui en est pas moins que l’environnement technologique d’aujourd’hui se
encore à mobiliser ses ressources et à élaborer un plan d’action9. développera dans l’avenir aussi loin sinon plus loin que nous ne
Ces points de vue, décrits essentiellement par des analystes saurions l’imaginer. Évidemment un tel environnement changera
américains, présentent la RAM comme une façon d’atteindre à la aussi en profondeur et de façon étendue la nature de la guerre, et
transparence sur le champ de bataille par une connaissance en nous donnera une efficacité militaire sans cesse améliorée. Grâce
temps réel des données situationnelles, ce qui a pour résultat une à ces nouvelles technologies, nous bénéficierons très nettement de
prise de décision rapide et des attaques de précision à distance de nouvelles capacités. Mais, qu’apporteront-elles à nos adversaires
sécurité d’une grande puissance de destruction. L’espace de combat éventuels, et quelles pourraient être leurs réactions à des capacités
correspondra à un système de systèmes qui seront eux-mêmes en technologiquement avancées qu’ils sont incapables d’égaler?
interaction dans un champ de bataille informatisé10.
Saddam Hussein, dans un avenir relativement proche, aura à sa
disposition davantage d’armes de destruction redoutables, y
La signification principale de ces avancées technologiques compris les armes de destruction massive, ce qui nous rendra
n’est pas qu’elles augmentent de beaucoup les capacités des infiniment plus vulnérables. Non seulement nos troupes au sol se
forces en présence mais, plutôt, qu’elles déplacent de façon trouveront-elles de plus en plus exposées, mais nos navires et nos
radicale les sources de l’efficacité militaire. L’efficacité de forces avions, qui étaient encore relativement peu exposés au danger
et de puissances de feu massives cède le pas à une information qui pendant la guerre du Golfe, deviendront des cibles faciles pour des
permet de réduire cette masse tout en augmentant l’efficacité. missiles toujours plus destructeurs, toujours plus précis et toujours
Depuis la guerre du Golfe, on a démontré que des forces équipées plus faciles d’accès à n’importe quel régime qui pourrait se les
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Revue militaire canadienne
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Hiver 2001-2002
Le boom technologique contemporain se développe en
grande partie sous la poussée de l’industrie et du commerce, et
il n’est pas mené par le secteur militaire, comme c’était le cas
naguère. Mêmes les pays pauvres vont avoir très facilement
accès à des technologies commerciales fort perfectionnées et
dotées d’une grande puissance de destruction, mais ils les
emploieront en fonction de « normes archaïques »13. Ces
guerriers jouiront de l’excellente connaissance des données
situationnelles que leur donneront la transmission par télécopie,
Internet, les téléphones cellulaires, l’imagerie par satellite
commercial et les médias en direct. Ils posséderont des missiles
sol-sol plus destructeurs, des mortiers à plus grande portée et
plus précis et des fusils de tireur d’élite, des mines antihélicoptère et des systèmes de ciblage utilisant les systèmes
mondiaux de localisation disponibles dans le commerce14.
Comme on l’a vu au Vietnam, en Afghanistan et en
Somalie, en dépit du rôle important que peut jouer la
technologie, elle n’est pas nécessairement le facteur déterminant
du succès. Des forces aux technologies limitées finiront par
trouver des façons de contrer nos forces, quelle qu’en soit la
supériorité technologique15. Les forces technologiquement
moins développées jaugeront nos faiblesses et appliqueront des
stratégies éprouvées qu’appellera une situation particulière. Il est
impératif que nous utilisions des systèmes d’armement basés sur
des technologies de pointe afin de maintenir notre avance sur des
adversaires éventuels; mais il faut, en même temps, apporter des
changements à notre doctrine afin de pouvoir répondre à des
contre-mesures qui ne feraient pas appel à une haute technologie.
Le fait que nos adversaires pourraient obtenir de nouvelles
armes de haute technologie et la réponse tactique qu’ils donneront
à notre supériorité technologique, ne sont pas les seules menaces
qui pèsent sur nous. La composante informationnelle des
nouvelles technologies peut nous donner d’immenses avantages
en nous permettant d’entrer dans les cycles de décision de nos
adversaires, mais il y a des risques importants pour nous. Tout
dépend de notre maîtrise du cyberespace auquel peut aussi avoir
accès quiconque a un minimum de fonds. Il
se peut que nos systèmes soient très
vulnérables aux perturbations ou aux
dommages physiques16. L’usage d’impulsions
électroniques non-nucléaires pourrait créer
beaucoup plus de perturbations dans le cas
d’une force reposant sur des systèmes de
contrôle et de commandement de pointe que
dans le cas d’une force ne reposant pas autant
sur la haute technologie. Bien que cela ne
constitue pas un argument contre l’utilisation
de systèmes d’armement de haute
technologie, cela indique qu’une certaine
prudence et une prise de conscience de leurs
avantages et de leurs limites s’imposent.
Les nouveaux systèmes d’armement de
pointe touchent à tout l’éventail des
conflits. Au sujet de la nature des conflits de
l’avenir, Roman Jakubow déclare : « Il est
utile de dissiper le mythe selon lequel les
technologies développées pour une guerre
Hiver 2001-2002
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de haute intensité et celles conçues pour des conflits de faible
intensité s’excluent les unes les autres. Au contraire, de
nombreuses percées en technologie militaire sont pertinentes
pour la conduite efficace des opérations de soutien à la paix17. »
Les technologies de pointe permettent d’avoir dans les combats
au sol des forces plus petites, plus rapidement déployables et
plus souples. Les véhicules de plus petite taille et plus légers qui
fournissent une protection importante et peuvent être armés de
munitions de précision destructrices, sont de mise dans des
opérations de soutien de la paix où les soldats font face à des
routes et des infrastructures de mauvaise qualité ou inexistantes,
et où ils doivent travailler dans un environnement changeant et
dangereux18. Ces forces tireraient grand avantage des
améliorations de la connaissance des données situationnelles. On
pourrait équiper les soldats de systèmes mondiaux de
localisation, de systèmes vidéo ou de télécommunication vocale
interactive en temps réel reliés à des véhicules aériens télépilotés
(VAT). Leurs supérieurs seraient alors à même d’identifier
exactement la position d’un allié ou d’un ennemi, de voir
l’espace de combat à partir de nombreuses positions favorables
et de riposter en conséquence19. Les convois, sujets aux
embuscades, pourraient tirer partie de VAT qui iraient en
reconnaissance et les avertiraient d’un problème quelconque.
Les munitions de précision et une meilleure connaissance des
données situationnelles permettraient donc des frappes rapides et
très précises qui cibleraient les objectifs tout en éliminant les
dommages connexes20. Les soldats, même lorsqu’ils sont en petits
groupes physiquement séparés de leurs unités, bénéficieraient
instantanément de l’accès à cette puissance de feu. Ce serait non
seulement leur donner une plus grande protection, mais convaincre
les belligérants qu’attaquer ne serait-ce qu’un seul soldat aurait
pour conséquence une réponse immédiate et dévastatrice.
La protection accrue du personnel de nos forces se
trouverait aussi améliorée par les technologies de pointe. Bien
que la connaissance des données situationnelles soit un des
facteurs qui contribuent le plus à la protection des forces, la
technologie de pointe promet bien davantage. On peut fournir
aux soldats des armures ultra-légères et des véhicules pouvant
résister aux mines. On est aussi en train de mettre au point des
systèmes qui localisent automatiquement les tireurs isolés et qui
ripostent automatiquement à leurs tirs. Les lasers et les armes à
LA RÉVOLUTION DANS LES AFFAIRES MILITAIRES
payer à un coût assez peu élevé. Il nous faudra donc maintenir une
avance suffisante afin de répondre par des contre-mesures à des
systèmes d’armement qui auront été nos technologies de pointe
quelques années plus tôt.
Le Predator, un véhicule aérien télépiloté, qu‘on a utilisé avec succès au Kosovo pour la reconnaissance
et le ciblage, est un exemple de la vaste gamme de véhicules aériens télépilotés qu’on développe
présentement pour recueillir, presque en temps réel, de l’information au sujet de la zone de combat.
Revue militaire canadienne
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P h o t o d u M D N p r i s e a v e c u n a p p a r e i l p h o t o d e c o m b a t J 5 PA p a r l e c p l c B r i a n Wa l s h , I S D 0 1 - 9 3 7 9
pulsations électromagnétiques directionnelles peuvent détruire
les missiles sol-sol, sol-air et sol-mer21. On n’a pas utilisé les
hélicopters Apache au Kosovo parce qu’ils étaient vulnérables au
tir de missiles portables par des combattants; cette vulnérabilité
pourrait bientôt être éliminée22.
L’arrivée rapide de nouvelles technologies va changer la
nature même des conflits de l’avenir, et ce changement se
poursuivra loin dans notre siècle. Une politique de modernisation
continue des forces armées est donc nécessaire. Il faut que les FC
épousent les nouvelles technologies car elles sont applicables à
l’ensemble de nos capacités militaires et à travers l’éventail des
Un membre des Royal Canadian Dragoons en train d’ajuster le système de
un point d’observation en Macédoine en septembre 2001.
conflits. Il est cependant impératif d’aborder les technologies de
pointe avec une certaine prudence car elles ont une vulnérabilité
inhérente; et, ainsi que l’histoire nous l’a montré à plusieurs
reprises, des adversaires à la technologie rudimentaire sont à
même de battre des forces militaires dotées d’une technologie de
pointe. Le changement est nécessaire à travers toute la gamme de
nos capacités militaires afin d’inclure non seulement les nouveaux
systèmes d’armement mais aussi de nouvelles conceptions
opérationnelles, de nouvelles structures organisationnelles, une
nouvelle doctrine et un nouveau type de formation.
d’adoption des nouvelles technologies, mais le rythme
relativement décalé de leur adoption par les États-Unis et par leurs
alliés. La réaction initiale des alliés des Américains, mis devant la
tâche imposante d’un changement d’envergure en l’absence de
menace directe, fut de proposer que les États-Unis modèrent leur
ardeur pour les nouvelles technologies et se concentrent plutôt à
maintenir l’interopérabilité avec leurs partenaires. Les alliés
soutinrent que, si les États-Unis ne choisissaient pas cette
approche, il serait de plus en plus difficile pour les Américains de
trouver des partenaires pouvant participer à des opérations
combinées lorsqu’ils voudraient former des coalitions. Cela
n’empêcha pas les Américains de poursuivre leur quête de
nouvelles technologies; bien au contraire,
elle s’est accélérée. Les États-Unis ont
reconnu dans leur Quadrennial Defence
Review de 1997 que les Européens ne
fourniraient pas de forces d’envergure
dans un conflit régional important en
dehors du territoire européen et ils
entretiennent donc les forces nécessaires à
défendre seuls des intérêts qu’ils partagent
pourtant avec les Européens23. Si les ÉtatsUnis ralentissaient de fait leur adoption de
nouvelles technologies, ce ne serait pas à
cause de préoccupations à l’égard de
l’interopérabilité avec leurs alliés.
Le défi auquel le Canada et d’autres
alliés des Américains sont contraints de
faire face consiste à rester à niveau avec
les États-Unis en dépit de l’absence de
volonté nationale d’augmenter les
dépenses en défense. Personne ne peut
avec un tant soit peu d’exactitude estimer
surveillance Coyote en
le coût des technologies de pointe. Une
telle estimation n’aurait d’ailleurs aucune
utilité puisque le problème n’est pas tant le coût absolu de la
modernisation que l’harmonisation du rythme de cette
modernisation avec celui des États-Unis. Il faut tenir compte de
deux facteurs lorsqu’on envisage l’investissement nécessaire :
d’abord les économies intrinsèques susceptibles de découler de
l’adoption de technologies de pointe et, deuxièmement,
l’investissement qu’on s’attend des États-Unis dans les
technologies de pointe.
ien que la guerre du Golfe et la campagne aérienne au-dessus
du Kosovo aient mis en lumière les avantages virtuels des
technologies de pointe, elles ont aussi provoqué de l’inquiétude au
sujet de l’écart technologique qui s’accentuait entre les États-Unis
et leurs alliés. La question cruciale n’est pas le niveau absolu
Les plus grands bénéfices qu’apportent les technologies de
pointe se réalisent sans doute lorsqu’elles sont combinées à des
changements radicaux dans la doctrine militaire, dans les
concepts opérationnels et dans les structures organisationnelles.
Cette approche comporte des économies intrinsèques. Des
plateformes moins nombreuses, polyvalentes et de personnel
plus petit produiront pourtant des effets plus importants, et les
structures militaires traditionnelles en seront réduites. Dans le
cas de l’armée de terre, la distinction entre l’artillerie, les
blindés et l’infanterie s’estompera en faveur de plateformes
capables de cibler des objectifs terrestres depuis une distance de
quelque centaines de mètres jusqu’à peut-être cinquante
kilomètres, et ces plateformes pourront aussi atteindre des
hélicoptères et des cibles aériennes rapides. Au fur et à mesure
que les forces deviendront plus petites, elles seront plus faciles
à déplacer et à soutenir. La structure des forces sera plus petite
et l’infrastructure nécessaire pour soutenir cette structure des
forces s’en trouvera réduite d’autant. Les sommes économisées
sur le nombre des plateformes et sur celui des effectifs, sur le
soutien aux infrastructures et sur le soutien logistique pourront
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Revue militaire canadienne
Étant donné que le Canada a besoin d’en arriver à une
capacité de combat polyvalente dans un monde fort incertain,
et étant donné que les FC devraient adopter les technologies de
pointe à travers toute la gamme des conflits, bien qu’avec une
certaine prudence, quels sont les défis qui guettent les FC?
L’élément clé dans les rôles de sécurité mondiale et collective
que joue le Canada réside dans sa capacité à fonctionner
efficacement au sein d’une coalition. À ce propos, trois
problèmes majeurs méritent qu’on s’y arrête : les moyens de
se payer la technologie, l’interopérabilité et la spécialisation.
LES MOYENS DE SE PAYER LA TECHNOLOGIE
B
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Hiver 2001-2002
Les États-Unis ont l’intention d’investir quelque 60
milliards de dollars annuellement en nouveaux équipements pendant les prochaines
années, soit environ 21 p. 100
de leur budget de défense26. Cet
argent doit servir à financer à la
fois les nouvelles technologies
de pointe et les systèmes
existants pour de nombreuses
années. De plus, les États-Unis
ont d’autres dépenses que n’ont
pas leurs alliés. Il faudra bientôt
financé le système national de
défense antimissiles (NMD) et
d’autres aspects de la défense du
Hiver 2001-2002
●
Les États-Unis doivent faire beaucoup plus
d’investissements en défense que leurs alliés et il leur
faudra plusieurs décennies pour s’en acquitter; ils ont aussi
des exigences budgétaires que leurs alliés n’ont pas. Étant
donné leur stock d’équipements plus réduit et des exigences
en défense moins nombreuses, et en tirant parti des
économies que leur permettront de faire les technologies de
pointe, il se peut bien que le Canada et d’autres alliés se
trouvent capables de moderniser leurs forces à un rythme
comparable à celui des États-Unis pour un coût relativement
plus faible.
L’INTEROPÉRABILITÉ
L
e maintien de l’interopérabilité au sein des coalitions ou des
alliances constitue le deuxième défi important que les
nouvelles technologies militaires posent aux Forces canadiennes.
Les FC n’ont jamais entrepris seules des opérations à l’extérieur
du territoire canadien, et cela n’est guère plus probable dans
l’avenir. Par conséquent, il faut que les FC entretiennent leur
aptitude à travailler de pair avec les forces militaires d’autres
nations. Moins structurées que les alliances, les coalitions sont
« des forces composées de certains éléments militaires de
nations qui ont conclu une alliance temporaire dans un but
spécifique »29. Historiquement, on a créé des coalitions afin de
fournir une puissance militaire suffisante pour servir de moyen de
dissuasion à des agressions, pour y résister ou pour en faire une.
Aujourd’hui, on crée généralement des coalitions pour légitimer
l’utilisation de la force, pour avoir accès au territoire d’autres
Photo du MDN par le cpl Kimberly Plickett, DK01-037-03a
L’adoption de nouvelles technologies apporte de grands
défis, surtout pour les États-Unis. Les changements radicaux
en conduite de la guerre qui vont de pair avec elles auront pour
résultat un déclin perceptible de l’utilité de nombreux systèmes
d’armement existants qui, probablement, resteront en service
pendant quelque temps. Les États-Unis, bardés de l’assortiment d’armements le plus imposant que l’on connaisse, ont le
plus à perdre. Le résultat, dans une certaine mesure au moins,
a été d’adopter de nouvelles technologies afin d’améliorer les
capacités présentes, sans tirer le meilleur parti des technologies
de pointe et sans récolter les économies qu’entraînerait une
structure de force plus petite24. Avec la responsabilité qu’ont
les États-Unis de protéger la sécurité mondiale, ce pays se
sent obligé de maintenir en usage les « vieux » systèmes
jusqu’à ce que les technologies de pointe soient adoptées de
façon générale. Ainsi, le financement des vieux systèmes gruge
celui des systèmes de pointe; et il faudra encore pendant
quelque temps entretenir ces vieux systèmes. Le général Eric
Shinseki, chef d’état-major de l’armée américaine, s’est lancé
dans une « transformation de l’armée américaine » et a investi
massivement dans le développement de nouvelles technologies
afin de réaliser ce qu’il appelle son « objectif pour la force ».
Il prévoit de choisir en 2003 les technologies que l’armée
mettra en place dès 2008-2010. Mais, même s’il n’y a pas de
retard imprévu, ce n’est pas avant 2025 ou 2030 que ces
technologies seront adoptées à travers toute l’armée25. Il faudra
donc une trentaine d’années avant que la technologie de pointe
choisie soit implantée à travers toute l’armée américaine, et le
maintien des vieux systèmes ne cessera pas de si tôt. Les
nations qui entretiennent des forces plus petites et qui n’ont pas
les responsabilités mondiales des États-Unis auront moins de
systèmes à remplacer; aussi
seront-elles peut-être capables
de prendre le risque d’abandonner plus tôt les systèmes
obsolètes.
territoire, la défense antimissile de théâtre et faire des
investissements importants dans les systèmes spatiaux. Le
NMD à lui seul va coûter selon les estimations cent milliards
de dollars27. Les dépenses américaines en défense vont-elles
augmenter malgré tout pendant une période de surplus
budgétaires? Des pressions telles que les besoins en services
médicaux pour une population vieillissante ainsi que le
soutien populaire accordé aux réductions d’impôts, font qu’il
est peu probable que la défense voie des augmentations
budgétaires marquantes au-delà des niveaux actuels; ces
pressions aboutiront même peut-être à une réductions du
budget de la défense28.
LA RÉVOLUTION DANS LES AFFAIRES MILITAIRES
servir à financer en partie les efforts de modernisation. Il s’agit
du facteur dont ne tiennent pas vraiment compte ceux et celles
qui prétendent qu’on n’a pas les moyens de se payer des
technologies de pointe. Ils voient les technologies à pointe
comme un supplément ou une amélioration à ce qui existe déjà,
et ils en concluent donc que les budgets accordés à la défense
augmenteront. Il faut au contraire élaborer les nouvelles forces
en fonction de changements importants en technologie,
doctrine, structure organisationnelle et formation, non en
ajoutant à ce qui existe déjà mais en le remplaçant.
Le système canadien de défense aérienne antichar, représenté lors d’un exercice de tir, a la capacité de
frapper aussi bien des aéronefs que des véhicules blindés avec des munitions de précision guidées au laser.
Revue militaire canadienne
57
nations et pour fournir les fonds à des opérations militaires très
coûteuses30. Bien que les États-Unis aient l’intention d’agir seuls
là où leurs intérêts vitaux sont menacés, ils forment des coalitions
dans la plupart des autres cas31. Les États-Unis et leurs alliés
principaux doivent, de concert, résoudre les questions
d’interopérabilité : négliger de le faire aurait pour résultat de les
rendre incapables de former des coalitions ou de maintenir leurs
alliances, et risquerait d’entraîner non pas l’action unilatérale des
États-Unis, mais leur inaction.
L’alliance militaire la plus solide et la plus durable au monde
est l’OTAN. Pendant cinquante ans, l’OTAN a assuré la sécurité de
la région de l’Atlantique Nord et a contribué d’une façon capitale à
gagner la guerre froide. À la suite de cette victoire, la pertinence de
l’OTAN a été mise en question. En l’absence de menace réelle pour
l’Europe, l’OTAN était-elle nécessaire? Les forces européennes
étaient et sont toujours en grande partie très peu mobiles et surtout
faites pour les missions traditionnelles de défense du territoire. Les
États-Unis, d’un autre côté, se concentrent sur la projection de leur
puissance à l’extérieur de leurs frontières afin de répondre aux
menaces dirigées contre les intérêts américains et ceux de leurs
alliés. L’OTAN aurait risqué de perdre sa pertinence si elle ne
s’était pas résolument orientée vers les missions qui exigent
une projection des forces et vers l’acquisition des effectifs que
demandent une telle projection32.
Au mois d’avril 1999, l’OTAN a dévoilé un nouveau
Concept stratégique fondé sur l’amélioration des capacités de
projection des forces en cas de réponse à une crise (les
opérations ne tombant pas sous le coup de l’article 5) tout
comme en cas de défense collective (opérations prévues par
l’article 5). Ce nouveau concept reconnaît que la possibilité
que des menaces directes visent ses membres est faible, de
même qu’il reconnaît la nécessité croissante pour l’OTAN de
projeter ses forces afin d’empêcher un conflit et de répondre
efficacement aux situations de crise33. Évidemment, l’OTAN a
joué un rôle important dans les opérations d’intervention
comme en Bosnie et au Kosovo. Pour faire face aux exigences
en force qu’imposent les opérations de réaction à une crise,
l’OTAN a lancé l’Initiative sur les capacités de défense (ICD).
Ce document affirme entre autres :
Il faut que les systèmes de commandement, de
contrôle et d’information soient mieux harmonisés
aux exigences des opérations militaires futures de
l’Alliance qui vont entraîner l’échange de volumes
d’information plus grands et à des niveaux plus bas
que par le passé […Une plus grande] attention doit
être accordée aux facteurs humains (tels que des
approches communes de la doctrine, de la formation
et des procédures opérationnelles) et à la
standardisation, ainsi qu’aux défis posés par la vitesse
accélérée du changement technologique et par le
rythme différent auquel les Alliés adoptent les
capacités de pointe34.
pourcentage d’entre elles (celles qui touchent aux ressources)
sont jugées « insatisfaisantes » ou « généralement
insatisfaisantes »36. L’acquisition de nouveaux équipements
prend des années, et il est donc probablement encore trop tôt pour
savoir si l’ICD va atteindre les objectifs fixés. Quoique les
progrès soient lents, le problème principal de la compatibilité des
systèmes C3I a été réglé. D’ici 2002, l’Alliance a l’intention
d’avoir une architecture commune pour ces systèmes de
communication, de commandement et de contrôle à laquelle les
états membres pourront rattacher leurs systèmes nationaux37. Le
succès de cette entreprise est crucial car les systèmes C3I sont
l’élément le plus important non seulement pour que les forces
puissent fonctionner efficacement les unes avec les autres, mais
aussi pour assurer que les nations soient capables de prendre des
décisions de façon autonome38. Cela implique évidemment que
toute coalition à laquelle participeront des membres de l’OTAN
devra adopter les normes de l’OTAN. Selon toute probabilité, les
coalitions circonstancielles impliquant d’autres nations, comme
celle qui se forma pour la Bosnie, se feront aussi en fonction des
normes de l’OTAN. En facilitant le règlement des problèmes
d’interopérabilité, l’OTAN permettra aux nations occidentales de
mener des opérations militaires combinées. L’OTAN rattache
ainsi la capacité militaire américaine à celle de l’Europe.
La Politique commune de Défense et de Sécurité (PCDS)
de l’Union européenne, un projet qui n’est pas étranger à
l’OTAN et à l’ICD, a permis d’intégrer les éléments de gestion
de crise de l’Union européenne occidentale à l’Union
européenne. Lors du sommet d’Helsinki de décembre 1999, les
dirigeants de l’UE sont tombés d’accord pour créer un corps de
réaction rapide sous le contrôle direct de l’UE. Ils se sont aussi
mis d’accord pour améliorer le commandement et le contrôle,
le renseignement et pour combler les besoins cruciaux en
transport stratégique39. Quoique certaines dépenses relatives à
la PCDS puissent faire concurrence à l’ICD dans son
financement, ce projet peut susciter des progrès en ce qui
concerne l’interopérabilité. Il est aussi permis de croire que la
formation de ce corps de réaction rapide aura pour résultat de
voir diverses nations fournir des éléments différents, ce qui
équivaut à une spécialisation des capacités militaires ou à un
développement de « capacités dans des créneaux spécifiques ».
Cela se fera sous l’égide de l’UE et, dans l’ensemble, limitera
l’action militaire des nations européennes en dehors du cadre
de l’EU ou de l’OTAN.
L’ICD est en vigueur depuis seulement avril 1999, et un
examen du statut de ses réalisations montre qu’un grand
De nombreux autres efforts concernant l’interopérabilité
sont en cours. L’ICD n’est que l’un d’eux, et l’OTAN est le lieu
principal de leur réalisation. Il en existe bien d’autres, tels que
le programme des armées américaines, britanniques,
canadiennes et australiennes (ABCA), l’AUSCANUKUS et le
Conseil multinational de l’interopérabilité, pour n’en nommer
que quelques-uns. Tous réalisent des progrès et représentent un
investissement de taille. Par exemple, l’ABCA va mener un
exercice au Canada en 2002 afin de déterminer
l’interopérabilité des systèmes C3I utilisés par les quatre
armées. Ces systèmes seront reliés les uns aux autres, et les
problèmes techniques ou de procédure seront identifiés et
corrigés40. La direction de la doctrine et de la formation de
l’armée américaine a précisé trois approches menant à
l’interopérabilité : la première est d’anticiper ce que seront les
structures de commandement et de prévenir les problèmes
avant qu’une crise ne se produise; la seconde passe par la
coordination des forces et le partage de l’information sur les
sujets techniques et opérationnels; et la troisième est
l’intensification des efforts d’implication avec les alliés41.
58
Revue militaire canadienne
Cette initiative se concentre sur l’amélioration des capacités
militaires et de l’interopérabilité dans le déploiement et la
mobilité des forces, dans leur aptitude à être soutenues et dans
la logistique, dans leur aptitude à la survie et à un engagement
efficace, dans les systèmes de commandement, de contrôle, de
communication et d’information (C3I)35.
●
Hiver 2001-2002
LA SPÉCIALISATION
L
es FC ne possèdent pas en ce moment, et ne posséderont
jamais, l’éventail complet des forces nécessaires à toute
la g a m m e d e s c o n f l i t s p o s s i b l e s . U n h a u t n i v e a u
d e « spécialisation des rôles » existe déjà. Il s’applique à
travers les composantes terrestres, maritimes et aériennes des
FC. Le Canada n’est pas doté de porte-avions, de
bombardiers à longue portée ou d’équipement d’artillerie à
longue portée. De plus, la spécialisation des rôles au sein de
l’OTAN est un état de fait depuis sa création. Les États-Unis
ont fourni les armes nucléaires, une marine de haute mer et
des bombardiers stratégiques tandis que les Européens
fournissaient une grande quantité de forces terrestres afin de
défendre leur territoire, des forces aériennes pour défendre
l’espace européen et une marine côtière. Le débat en cours
porte sur une spécialisation encore plus poussée des rôles.
Selon certains, cette spécialisation sous sa forme élémentaire
voudrait que les nations dotées de forces technologiquement
moins avancées fournissent les troupes au sol tandis que les
États-Unis fourniraient les capacités en technologie de
pointe; ou bien les forces dotées des technologies les moins
avancées pourraient se concentrer sur les opérations de
soutien de la paix tandis que les forces technologiquement
plus avancées pourraient s’occuper des conflits de moyenne
et de haute intensité. Les planificateurs tant americains
qu’européens ont annoncé leur opposition à ces
approches dans le cadre de l’OTAN, car elles violent le
principe de « l’indivisibilité des risques » 43.
Ainsi qu’on l’a mentionné plus tôt, la PCDS semble
conduire les membres de l’UE vers la spécialisation des rôles.
Cela signifie qu’ils auront des problèmes très difficiles à
résoudre si l’un d’entre eux refuse de participer à une opération
particulière. Les Européens croient sans doute au principe
selon lequel ou on agit tous ensemble ou on n’agit pas du tout;
mais dépendre ainsi de ses alliés européens serait-il acceptable
pour le Canada? Certes, les FC peuvent s’attendre à participer,
ainsi qu’elles l’ont fait par le passé, à des coalitions qui
n’incluent pas les États-Unis ou un grand nombre de nos alliés
de l’OTAN. La participation canadienne au Rwanda et en
République centrafricaine n’en sont que deux exemples.
Pour le Canada, avoir des capacités polyvalentes signifient
d’avoir des forces capables de contribuer de façon importante
quel que soit le conflit dans lequel nous nous engageons. Cela
signifie que les mêmes forces peuvent prendre part à des conflits
régionaux de moyenne intensité et à des opérations de soutien de
la paix de faible intensité. Toute spécialisation des rôles qui
nécessite des forces différentes pour chaque type de conflit aura
Hiver 2001-2002
●
Revue militaire canadienne
pour conséquence des problèmes de coût, et des forces
spécialisées, incapables de prendre part à des conflits
imprévisibles qui ne manqueront pas de surgir, sont inutiles. De
plus, bien que les conflits régionaux de moyenne intensité seront
presque avec certitude placés sous la conduite des États-Unis et
impliqueront d’autres partenaires de l’OTAN, il se peut que les
opérations de soutien de la paix impliquent d’autres nations. Si
nous nous spécialisions dans certains rôles nécessitant la
participation de l’ensemble de l’OTAN afin d’avoir une force
viable, nous pourrions nous trouver limités dans notre
engagement dans certaines interventions et obligés de prendre
part à d’autres. Toute spécialisation plus poussée des rôles pour
les FC ou le développement de « capacités dans des créneaux
spécifiques » doit éviter qu’une telle situation ne se crée. Les FC
n’ont pas besoin d’être dotées de toute la gamme des capacités,
mais il faut qu’elles se donnent des capacités utilisables dans tout
type de conflits devant lesquels elles se retrouveraient ou dans
lesquels le gouvernement canadien voudrait les engager.
Il n’est pas nécessaire que le Canada égale les
investissements militaires américains pour se rendre utile aux
États-Unis et ainsi gagner leur respect. Les FC ne peuvent pas
se permettre d’être de grande taille et compétentes, mais elles
peuvent être de petite taille et compétentes44. Adopter de
nouvelles technologies et de nouveaux concepts doctrinaux,
qui seront applicables à tout conflit futur, constitue la meilleure
façon d’y parvenir.
CONCLUSION
L
e Canada ne redoute aucune menace directe ou immédiate,
mais ce qui se produit au-delà de nos frontières affecte
directement notre prospérité et notre environnement. Étant
donné que nous ne possédons pas la puissance nationale qu’il
faudrait pour imposer notre volonté à d’autres États, il nous
faut agir de concert avec d’autres nations qui partagent notre
vision des choses. La participation militaire à des missions
visant à stabiliser certaines régions du monde sera une
nécessité si nous voulons protéger nos intérêts et nous donner
voix au chapitre lorsque nous voudrons défendre ces intérêts
par d’autres moyens. Le futur est imprévisible et personne ne
peut prédire les conflits susceptibles de surgir dans les
décennies à venir. Il faut que les FC soient capables de
répondre en tant que partie prenante de coalitions militaires
multilatérales qui, pour la partie haut de gamme des conflits, se
trouveront probablement placées sous la conduite des ÉtatsUnis et qui incluront un grand nombre de nos partenaires de
l’OTAN, mais qui, pour les conflits de faible intensité, seront
susceptibles d’impliquer d’autres nations. Il faut que les FC
maintiennent des capacités de combat polyvalentes. Il faut que
les mêmes forces soient capables de conduire des opérations à
travers toute la gamme des conflits et quelle que soit la
situation qui se présentera.
Des progrès tangibles en technologie militaire sont en
train de changer la nature même de la conduite de la guerre de
l’avenir. Cette technologie permettra d’avoir des forces plus
petites, plus légères, plus agiles, ayant une connaissance sans
précédent des données situationnelles, capables de voir et
d’atteindre n’importe quelle cible avant d’être menacées. De
telles technologies peuvent s’appliquer à travers toute la
gamme des conflits, non seulement à des guerres régionales
entre États, mais aussi à des conflits de faible intensité comme
les opérations de soutien de la paix. Cette technologie sera
aussi disponible à nos adversaires; et, bien qu’ils ne
59
LA RÉVOLUTION DANS LES AFFAIRES MILITAIRES
L’ultime facteur à envisager, par rapport aux questions
d’interopérabilité, est qu’elles seront en fin de compte
résolues car elles s’appliquent en effet de la même manière au
sein des forces nationales et entre les nations. L’« objectif
pour la force » de l’armée américaine ne sera pas réalisé avant
2030, à en croire les estimations des Américains eux-mêmes,
et cette date s’applique à une technologie dont l’introduction
pourrait commencer aux alentours de 201042. Il est
raisonnable de s’attendre à ce que d’autres technologies soient
adoptées par les forces américaines avant 2030 et que, par
conséquent, les problèmes d’interopérabilité perdureront dans
les forces des États-Unis. Il faut que chaque nation résolve ces
problèmes, et les solutions apportées pourront être appliquées
par les autres nations.
posséderont peut-être pas des armes de dernier cri, même les
pays pauvres et les acteurs non étatiques auront des capacités
accrues que les technologies de pointe nous permettront de
mettre en échec. La technologie fournira des capacités accrues,
mais les adversaires possédant seulement des technologies
modestes trouveront des moyens de mettre nos forces en échec
quelle que soit notre supériorité technique. Il est donc impératif
que les technologies de pointe soient jumelées à de nouveaux
concepts doctrinaux. Le changement technologique n’est pas
qu’une « révolution » à court terme; il est durable et il
nécessitera un investissement pour une modernisation continue
de nos forces.
La modernisation des forces pose des défis redoutables
aux FC en ce qui concerne le maintien à un coût abordable de
l’interopérabilité avec les États-Unis et avec nos autres alliés.
Le prix de cette modernisation continue de notre force ne peut
pas être prévu de façon un tant soit peu exacte; mais, si on
l’aborde non sous le seul angle d’un accroissement des
capacités existantes mais par une métamorphose de ces
capacités, il sera peut-être possible de réaliser cette
modernisation. Cette approche promet de rendre obsolètes les
grandes forces mécanisées. Des forces plus petites, plus
légères, plus agiles, utilisant une nouvelle doctrine et reposant
sur des structures organisationnelles différentes, seront plus
efficaces que les anciennes qu’elles remplaceront. On peut
abandonner les capacités dépassées; et les économies réalisées,
entre autres, par la réduction de la structure de la force et des
infrastructures peuvent être utilisées pour financer les
nouvelles technologies.
Il faut voir dans les nouvelles technologies une
circonstance opportune pour les FC. Des forces réduites basées
sur la technologie et dotées d’une connaissance accrue des
données situationnelles et d’une puissance de destruction plus
grande peuvent obtenir des résultats plus importants sur le
champ de bataille que les forces de grande taille ne le peuvent
aujourd’hui. L’heure est venue de mettre les FC sur une
nouvelle voie, une voie qui amènera les FC à être une force
polyvalente d’une pertinence militaire plus grande que le
Canada n’en a connu depuis longtemps.
NOTES
1.
Colin S. Gray, Weapons Don’t Make War:
Policy, Strategy, and Military Technology, Lawrence,
University Press of Kansas, 1993, p. 113. [TCO]
2.
Scot Robertson, Military Assessment 2000,
QGDN, Direction de l’analyse de défense, 2000,
p. 3. [TCO]
3.
James P. Thomas, « The Military Challenges
of Transatlantic Coalitions », Adelphi Paper 333,
Londres, Oxford University Press, mai 2000, p. 74.
4.
David W. Read, « La révolution dans les
affaires militaires : vers une stratégie de créneaux de
spécialisation pour l’OTAN », Revue militaire
canadienne, Vol. 1, Nº 3, automne 2000, p. 15-24.
5.
James R. Baker, « Understanding the
Revolution in Military Affairs », The Officer,
Washington, mai 1997, p. 23.
6.
Steven Metz and James Kievit, Strategy and the
Revolution in Military Affairs: From Theory to Policy,
Carlisle, Strategic Studies Institute, 27 juin 1995, p. 4.
7.
Glen C. Buchan, One-and-a-Half Cheers for
the Revolution in Military Affairs, Santa Monica,
Rand, 1998, p. 3.
8.
Douglas H. Dearth et R. Thomas Gooden,
« Epilogue », dans Cyberwar: Security, Strategy, and
Conflict in the Information Age, sous la direction d’Alan
D. Campen, Douglas H. Dearth, et R. Thomas Gooden,
Fairfax, Virginia, AFCEA International Press, p. 283.
9.
Andrew Richter, « The Revolution in Military
Affairs and its Impact on Canada: The Challenges and
the Consequences », UBC Working Paper, Nº 28,
mars 1999, p. 3.
10. William A. Owens, « JROC: Harnessing the
Revolution in Military Affairs », Joint Force
Quarterly, Vol. 5, été 1994, p. 55.
11. David C. Grompert, Richard L. Kugler et
Martin C. Libicki, Mind the Gap, Washington, DC,
National Defense University Press, 1999, p. 33.
12. Lonnie D. Henley, « The RMA after Next »,
Parameters, hiver 1999/2000, p. 46.
13. Anthony Stone, « Future Imperfect », RUSI
Journal, Vol. 144, Nº 3, Londres, juin 1999, p. 54.
60
14. Robert L. Pfaltzgraff, Jr., et Richard H. Shultz,
Jr., « Future Actors in a Changing Security
Environment », dans War in the Information Age,
sous la direction de Robert L. Pfaltzgraff, Jr. et
Richard H. Shultz, Jr., Washington/Londres,
Brassey’s, 1997, p. 252-253.
15. Ibid., p. 249.
16. Campden, p. 227-230.
17. Roman Jakubow et al, Strategic Overview
1999, QGDN, Direction de l’analyse stratégique,
septembre 1999, p. 20. [TCO]
18. Elinor C. Sloan, Peace Support Operations and
the Revolution in Military Affairs: A Question of
Relevancy, QGDN, Direction de l’analyse
stratégique, décembre 1999, p. 10.
19. Pfaltzgraff, p. 261.
20. Ibid., p. 272.
21. Ibid., p. 259-261.
22. Sloan, p. 11.
23. Thomas, p. 5-62.
24. Andrew F. Krepinevich, Transforming America’s
Alliances, Washington, DC, Center for Strategic and
Budgetary Assessments, février 2000, p. ii.
25. Eric K. Shinseki, « Army Transformation: A
Historic Opportunity », Army, Vol. 50, Nº 10,
octobre 2000, p. 21.
26. US, « National Defense Budget Estimates for
FY 2001 Budget » (Green Book), Voir : tableaux 13, [en ligne à : http://www.defenselink.mil/pubs/
almanac/money/breakout.html]. Dans un budget de
291,08 milliards pour l’année budgétaire 2001, la
composante consacrée à l’acquisition de matériel est
de 60,27 milliards de dollars.
27. « An Indefensible Plan », éditorial, The
Boston Globe, 17 janvier 2001, p. A12.
28. « Levin Contends Bush Defense Review Omits
Critical Issues », Defense Daily, Vol. 209, Nº 32, 16
février 2001, p. 1. Le sénateur Levin soutient que,
avec le projet de réductions d’impôts de 1,6 billions
de dollars de Bush, il ne restera pas de fonds pour
financer les exigences en défense, y compris le NMD.
29. « US Department of Defense Dictionary of
Military Terms », Joint Doctrine, 18 mars 1999. [TCO]
30. Michael A. O’Halloran, « The Vulnerability of
Coalitions », United States Naval Institute
Proceedings, Vol. 126, Nº 9, septembre 2000, p. 62.
31. US, A National Security Strategy for a New
Century, The White House, 1998, p. 2.
32. Grompert, p. x-10.
33. « Summit Documentation », NATO Review,
Vol. 47, Nº 2, p. D7-D13.
34. Ibid., p. D16. [TCO]
35. Ibid.
36. OTAN, High Level Steering Group, Defence
Capabilities Initiative – Revision 3, Bruxelles, North
Atlantic Council, février 2000. Voir tableau 2.
37. Nichols de Chezelles, « The NATO Agenda
and International Interoperability », communication
présentée à la Conférence de RUSI intitulée
« Implications of Technological Innovation for
Coalition Operations/Interoperability », p. 6.
38. Thomas, p. 61-63.
39. Président de l’Union européenne, « Strengthening
the Common European Policy on Security and
Defence », Annexe IV, Helsinki European Council :
Presidency Conclusions, Helsinki, 10-11 décembre 1999,
en ligne à : http://www.europa.int.
40. Communiqué de presse de l’ABCA, « Digitization
Exercise Planned », Jane’s International Defence
Review, Vol. 34, janvier 2001, consulté sur le site de
l’ABCA en ligne à : http://www.cidborealis.ca/
press.htm.
41. Brian Nichiporuk, « Forecasting the Effects of
Army XXI Design Upon Multinational Force
Compatibility », Documented Briefing, Rand Arroyo
Center, 2000.
42. Shinseki, p. 21.
43. Thomas, p. 72.
44. Colin S. Gray, « The American Revolution in
Military Affairs: An Interim Assessment »,
Occasional Paper 28, Camberley , Strategic and
Combat Studies Institute, 1997, p. 52.
Revue militaire canadienne
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Hiver 2001-2002