xtrait - LA VOIE DES ANGES
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Frédéric Frédéric BIZIOU BIZIOU LA VOIE DES ANGES - LES CHEMINS D’ARCADIE - ROMAN Pour mes enfants… Le bonheur a toujours été là... Il m’a tout simplement fallu sortir de l’obscurité pour le vivre ! LES CHEMINS D’ARCADIE La lumière est la voie, le passé est le chemin 1 – Quelle heure est-il, me demande ma femme en se retournant vers moi ? Je tourne légèrement la tête pour regarder le réveil. – Il est presque minuit. – Tu ne crois pas que tu devrais éteindre ta tablette et penser à dormir ? – Encore une minute, j’ai bientôt fini. Je ne vois plus les heures passer. Surfer sur le net est quasiment devenu un réflexe. Surtout depuis que je me suis offert cette tablette Apple. M'informer, découvrir et comparer est devenu ma nouvelle lubie. En témoignent mes recherches sur les dernières découvertes concernant les pyramides. C’est incroyable. Tout ce qui était dit officiellement jusqu’ici sur leur raison d’être commence aujourd’hui à être 4 LA VOIE DES ANGES remis en question. Ces temples funéraires seraient en fait des instruments cosmologiques qui pourraient nous révéler bien des secrets sur notre histoire. C’est à la fois intrigant et excitant. Les recherches que j’entreprends en témoignent. D’ailleurs, elles m’obnubilent. Cela au point de m'amener à douter de tout ce que j’ai appris jusqu’à maintenant. C’est un réflexe nouveau pour moi ; moi qui ai toujours eu l’habitude d’accepter toutes les vérités officiellement établies dans les livres ou même les informations véhiculées au quotidien dans les médias… Mais je n’en suis pas rassuré pour autant. Cela a même pour effet de me déstabiliser jusqu’à m’amener à m’éloigner de la réalité qu’on nous impose et donc de ma propre vie. Car il me devient de plus en plus difficile de la gérer, et encore plus de la construire, dans un monde que je redécouvre, et qui trop souvent me révolte jusqu’à m’en dégoûter… Aurore se lève. – Où vas-tu ? – Aux toilettes ! – S’il te plaît, pendant que t’y es, peux-tu me 5 LES CHEMINS D’ARCADIE ramener un verre d’eau ? – Tiens ! me fait-elle en revenant dans la chambre. Des deux bras Aurore me tend un gros paquet blanc sur lequel elle a posé mon verre d’eau. Il est entouré d’un petit ruban rouge et noir. – Qu’est-ce que c’est ? – Joyeux anniversaire mon chéri ! – Mon anniversaire. Voyons Aurore, c’est demain. – On est déjà demain…Ne cherche pas, j’étais impatiente. – Je vois ça, lui fais-je en esquissant un léger rictus. Je prends le paquet. Large et épais, il est un peu lourd. Je m’empresse de boire mon verre d’eau. – Qu’est-ce que c’est ? Elle ne me répond pas, mais se contente de me regarder en me souriant. Je déchire l’emballage. C’est un vieux livre. Sa couverture est de couleur verte tirant du foncé au clair, et son titre est écrit dans un alphabet étrange gravé en lettres d’or. Sur chaque coin 6 LA VOIE DES ANGES sont également inscrits des triangles, à l’endroit ou à l’envers, barrés d’un trait horizontal pour deux d’entre eux. Je reconnais aussitôt les symboles anciens des quatre éléments que sont l’eau, la terre, le feu et l’air. Enfin sous le titre, au centre de la couverture, la représentation de l'homme de Vitruve se superpose à la tête décapitée d’un dragon. – Etrange ce livre ! Où l’as-tu trouvé ? – Je suis tombée dessus par hasard chez un vieil antiquaire. Je prends le temps d’en regarder la couverture avec attention avant de l'ouvrir à la première page. S’y trouve une lettre manuscrite. Elle est écrite dans le même alphabet que le titre du livre. Je prends également le temps de tourner plusieurs pages. Chaque mot m’est incompréhensible. – Il t’a fourni une notice avec ? lui dis-je, toujours avec le même rictus. – Malheureusement non. Mais te connaissant, tu vas certainement trouver une solution à ce problème. Après un quart d'heure à en feuilleter quelques pages, je décide enfin d’éteindre ma 7 LES CHEMINS D’ARCADIE lampe de chevet. « …Europe1, bonjour. Nous sommes le dimanche 02 septembre. Il est 7h00, et le Journal nous est présenté par… » J’appuie sur le bouton du réveil digital avant d’entendre les nouvelles du matin que je devine mauvaises. Je me sens barbouillé. Je m’étire en baillant. La tête sur l’oreiller je regarde Aurore qui, sur ma gauche, dort profondément. Paisiblement elle sourit à ses rêves. Je la regarde un instant et je l’envie. Je m’assois sur le bord du lit. Mécaniquement mes pieds trouvent mes pantoufles soigneusement rangées. Je reste un long moment assis sur le bord du lit, le temps de me remettre de cette succession de rêves étranges et troublants que je viens de faire ; ces mêmes rêves qui m’ont valu pendant un temps des séances chez un médecin hypnotiseur. Puis je me lève, et je me rends dans la salle de bain. Une heure plus tard, je me retrouve sur les hauteurs de Luminy, site classé des Calanques de Marseille. Depuis plusieurs mois déjà j’ai 8 LA VOIE DES ANGES pris l’habitude d’y venir courir tous les dimanches matin en compagnie de Maxime, mon collègue de travail et ami, avec qui je partage la plus grande partie de mon temps. Courir tous les dimanches nous permet tous les deux de faire le point sur tous les événements de la semaine, et d’évacuer tout le stress et l’agressivité accumulés. C’est pour nous l’occasion de refaire le plein d’énergie. Ce matin il fait beau. Maxime est déjà arrivé. Il est à demi allongé sur l’herbe un peu jaunie qui borde l’entrée de l’école d’architecture, et m’attend tout en s’étirant les ischios. – Joyeux Anniversaire… Joyeux Anniversaire… Joyeux Anniversaire mon potoooo… Joyeux Anniversaire… me chante-til, après s’être rapidement levé et allé vers moi en me tendant les bras. – Merci mon ami ! Il me fait aussitôt l’accolade. – 33 ans, l’âge du Christ ! Alors, ça fait quoi ? – Tu sais, je n’ai qu’un jour de plus qu’hier ! – T’as trouvé ça tout seul ? T’es vachement 9 LES CHEMINS D’ARCADIE pragmatique ce matin, me lance-t-il, un brin moqueur. – Eh oui, il y a des jours comme ça ! – Tu m’as l’air motivé, toi, ça fait peur. Qu’est-ce qui t’arrive ? – J’ai encore mal dormi. – Ce sont tes cauchemars, c’est ça ? – Oui, toujours les mêmes… – Tu en as parlé à Aurore, cette fois ? – Je ne veux plus l’embêter avec ça. – Pourquoi ? – Je te l’ai déjà dit. Elle va encore me prendre la tête et me demander de retourner voir son hypnotiseur ! – Pourtant, ce serait certainement une bonne chose à faire… – Je n’en suis pas certain. Entre temps nous avons commencé à trottiner. D’habitude nous restons ensemble une dizaine de minutes avant d’aller chacun à notre rythme. Mais aujourd’hui je souhaite prendre le temps. Au bout d’un quart d’heure nous parvenons au niveau de l’observatoire. De là, nous voyons au loin la mer. Elle est belle et bleue. Elle semble infinie, sans horizon ou 10 LA VOIE DES ANGES presque, comme si elle s’évadait dans le ciel. Le paysage semble figé. On dirait presque une aquarelle qu’accompagnent les odeurs entremêlées de résine et d’aiguilles de pin brûlées par le soleil qui recouvrent le sol. C’est étrange, c’est bien la première fois que je prends le temps d’admirer le paysage, sa faune et sa flore pendant qu’à mon tour j’interroge Maxime sur sa soirée bien arrosée de la veille dans un des pubs du Vieux Port. – Je ne vais pas te donner de leçons, lui disje, mais boire, vivre des aventures d’un soir… Jusqu’où vont t’amener ces virées ? – Chacun de nous a sa façon d’exorciser son mal-être ! Et puis, ce n’est pas si grave. C’est un choix que j’assume. – Excuse-moi ! Après tout, tu as raison. C’est peut-être également ce que je devrais faire. – Tu oublies Aurore. D’ailleurs, tu es plus à envier qu’à plaindre. – Tu le crois vraiment ? Dis-moi, as-tu déjà eu l’impression de perdre pied ? – De quoi parles-tu ? – Tu sais, je me sens un peu perdu. 11 LES CHEMINS D’ARCADIE – Comment ça ? – Je ne sais plus où j’en suis. – Tu parles du boulot ? – Oui, mais pas que ça. Plus le temps passe, et moins je crois en moi et en l’avenir. J’ai l’impression de ne pas être à ma place dans la vie que je mène. – Ce sont là tous les symptômes d’une dépression. Tu ne crois pas ? – Arrête, je suis sérieux. – Ecoute ! Tu n’es vraiment pas à plaindre. Tu vis avec une femme que tu aimes, et vous êtes confortablement installés dans la vie. Ok, vous n’avez pas encore d’enfant, mais ça va venir... – C’est une chance qu’on n’en ait pas encore. D’ailleurs, rien ne me dit que je ferai un bon père… – Mais que t’arrive-t-il ? Tu commences vraiment à m’inquiéter. – Dis-moi, tu as foi en quoi toi ? – Pourquoi cette question ? – Rien dans tout ce que je vois n’a de valeur à mes yeux. Hormis l’amour que j’ai pour ma femme. 12 LA VOIE DES ANGES – Oh là, l’espace d’une seconde j’ai eu peur. L’amour, mon ami, c’est l’essentiel ! – Oui, mais imagine que je ne sois plus avec elle. Tu sais, je n’ai rien d’autre qu’elle. – Pourquoi, ça ne va pas entre vous ? – Non, ce n’est pas ça. Tu sais, j’ai l’impression que je peux tout perdre à tout moment. D’ailleurs, plus j’y pense, et plus je me dis que ma vie ne m’appartient pas. – « Ta vie ne t’appartient pas ». Tu sais, mon ami, plus je t’écoute et plus je me dis que tu devrais aller consulter. – Arrête un peu ! – Non, c’est sérieux. Et tu ne serais pas le premier. Regarde-moi, par exemple. Après ma séparation avec Claire… – Oui, je sais. – Sérieux, Martin. Tu devrais vraiment aller consulter un psy. – Je ne sais pas… Allez, chacun à son rythme ! Sur ce j’accélère l’allure. Comme d’habitude je lâche mon ami au pied d’une côte. – Martin, tu déconnes. Reviens, c’est important, on n’a pas fini de parler… 13 LES CHEMINS D’ARCADIE – Tout à l’heure ! On en parlera tout à l’heure. La course est comme une fuite. J’en suis conscient. Mais pour l’heure je ne suis pas en mesure de parler de tout ça. Je n’aurais pas dû aborder le sujet. Vraiment, il y a des moments où je me trouve stupide… La côte mène à un petit sentier taillé dans la rocaille et la garrigue. Le soleil de cette fin d’été est encore chaud. Il caresse mon visage. Des perles de sueur coulent sur mon front et inondent mon tee-shirt. C’est agréable. A cet instant j’ai l’impression de ne faire qu’un avec mon corps. Au moins une chose que je peux encore maîtriser… J’accélère. Je me sens bien, en pleine forme. Ma course est à l’image de ma vie, à la fois tumultueuse et enivrante, régulière et saccadée. Du sentier, je passe ensuite dans un petit sous-bois avant de me lancer dans un pierrier. Je le dévale comme un fou. Je saute, je rebondis comme un cabri. J’en arrive même à me faire peur. Mais je maîtrise mes sauts. Du moins, jusqu’au moment où un rocher se dérobe sous mes pieds. Je glisse, je tombe. 14 LA VOIE DES ANGES J’essaie de me retenir à quelque chose, à une pierre. En vain, ma chute n’en finit pas. Je me sens avalé par l’abîme, par le néant. Puis le choc. Ma face s’écrase lourdement sur le sol. J’entends mes os se briser, mon crâne exploser. Je ne sens plus mon corps. J’ouvre les yeux. Un bruit sourd, une sorte de bourdonnement résonne dans ma tête. Je me relève complément ensuqué. Je me touche, je me regarde. Ma tête, mes bras, mes jambes. Apparemment je n’ai rien, aucune égratignure. Ouf ! Par miracle j’en ressors uniquement avec une grosse frayeur. Je reprends mes esprits avant de réaliser que je suis tombé dans un trou, une sorte d’aven assez profond. D’où je suis, je devine au-dessus de moi la lumière du jour se refléter sur la roche blanche des parois. Comment suis-je arrivé jusque-là ? Il faut que je remonte. Je commence aussitôt à escalader la paroi qui se dresse devant moi. La roche est humide. Merde ! Il m’est impossible de l’escalader. J’essaie encore et encore. Mais en vain. L’espoir de remonter m’abandonne de plus en plus au rythme de mes assauts, d’autant plus que je risque à chaque 15 LES CHEMINS D’ARCADIE fois de me rompre le cou. Je me mets alors à crier de tout mon souffle. Maxime devrait m’entendre. Je l’appelle à l’aide pour qu’il puisse me sortir de ma bêtise. Oui, ma bêtise ! Car je me sens stupide de m’être risqué à jouer les aventuriers sans en avoir plus tôt évalué les risques. Stupide, mais plus malheureux encore de me sentir si impuissant. Pourquoi ? Pourquoi cette impression de subir continuellement ma vie, et surtout d’avoir le sentiment de ne jamais être à la hauteur ? C’est insupportable. Cela me fait penser à Aurore qui ne cesse de me dire de me réveiller, de me prendre en main et de vivre au présent pour affronter ma vie avec courage et détermination. Et que dire également de mon père qui, quant à lui, s’est toujours plu à me faire la morale en me parlant comme à un enfant. J’ai surtout le sentiment de ne pas être compris. Je suis même convaincu que je suis beaucoup plus éveillé que la plupart de tous ceux qui ne cherchent qu’à avoir un pouvoir sur la vie d’autrui et, en l’occurrence, sur la mienne. Ce ressenti est très fort. Il m’habite et gouverne mes pensées. Et ça me pèse, à l’image de ce que je vis là, 16 LA VOIE DES ANGES maintenant, dans cet aven... Mais que suis-je en train de faire ? Je me perds dans mes songes pour, peut-être, éviter d’en venir à l’évidence : je suis coincé dans ce trou, et seule une aide extérieure pourra me permettre de sortir de là. Je me raisonne. Je pense à Maxime. Il cherchera sûrement à savoir où je suis et appellera les secours. Je n’ai donc qu’à attendre ici, bien malgré moi… 17 LES CHEMINS D’ARCADIE 2 Je m’assois et, adossé à la paroi, je ne tarde pas à m’endormir. Jusqu’au moment où je suis réveillé par un bruit diffus. Qu’est-ce que c’est ? Porté par l’écho, il semble provenir des profondeurs de la Terre. Puis plus rien. Silence total. Je ne suis pas rassuré. J’ai le souffle court, et j’en ai même mal au foie. Je tends l’oreille, et je regarde autour de moi. C’est étrange. Malgré l’obscurité, j’y vois désormais presque comme en plein jour. Je me relève, et je fais quelques pas. Au fond du trou se trouve une sorte de passage derrière lequel je devine le néant. Qu’est-ce que je fais ? Le mieux serait peut-être de rester ici à attendre les secours. A moins d’emprunter ce passage pour chercher une issue… J’hésite. Lorsque, de nouveau, j’entends le même bruit. Cette fois-ci je reconnais plus distinctement une voix. C’est un homme qui appelle. Seraient-ce les secours ? Oui, certainement ! Je me hâte donc. Je 18 LA VOIE DES ANGES m’engouffre dans ce passage tout en appelant à mon tour : – « Hey oh, par ici, je suis là ! » Le passage mène à un tunnel creusé dans la roche. Des cristaux de sel en tapissent les parois. Il descend légèrement. Je continue d’appeler tout en pressant le pas. Aïe ! Je manque de peu de me tordre la cheville. Je ralentis le pas... Au bout d’une cinquantaine de mètres environ, je devine, au loin, une lueur. Ce doit être la sortie. Dieu soit loué, je suis sorti d’affaire… Mais je me trompe. Ce tunnel débouche en fait sur le haut d’une immense cavité dont la profondeur me donne le vertige. Je tends la tête. Très loin, en contre-bas, je devine un torrent de lave. Sa couleur rougeorangée illumine les parois jusqu’à la voûte qui me domine. Devant moi se présente un escalier. Il précède un pont étroit, visiblement construit de la main de l’homme. Il mène à plusieurs tunnels, de l’autre côté de la caverne. Merde ! Qui a bien pu construire ça ? C’est certainement une ancienne mine ! J’appelle de nouveau : – Hey oh ! Il y a quelqu’un ? 19 LES CHEMINS D’ARCADIE – Ah enfin, vous voilà ! me fait aussitôt un homme, dont je vois au loin la silhouette sortir d’un des tunnels. Ouf, ils m’ont retrouvé ! Mais mon soulagement est de courte durée au premier regard que je lui porte. Car, vêtu d’un bermuda, d’un polo rouge, et de sandales de plage aux pieds, cet homme n’a rien d’un secouriste, mais plutôt d’un touriste pour le moins égaré tout comme moi. Nous avançons l’un vers l’autre. – Ah, quel soulagement ! me dit-il. Je commençais à désespérer en pensant que je ne sortirais jamais d’ici. – Pourquoi, vous êtes perdu ? – Oui, et ça fait un moment que je cherche à sortir de là. Mais, par chance, je vous ai trouvé ! – Vous vous trompez. Je rencontre le même problème que vous ! – Vous plaisantez ! – Malheureusement non ! – Comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ? – Je suis tombé accidentellement dans un aven. 20 LA VOIE DES ANGES – Et vous n’avez pas pu remonter ? – J’ai essayé. Mais c’est impossible. – Et c’est loin d’ici ? – Non ! Pas très loin. – Conduisez-moi ! Je pourrais essayer. J’aurai peut-être plus de chance que vous. – Avec vos sandales ? – Je n’en ai pas besoin pour grimper. – On peut toujours essayer ! Nous retournons sur mes pas. Mais avant même d’atteindre l’entrée du tunnel, nous sommes saisis par un bruit de tonnerre. L’instant d’après, un gros nuage de poussière sort du tunnel. Nous comprenons très vite qu’un éboulement vient de se produire. – Je pense que cela ne va pas être possible, s’inquiète aussitôt mon compagnon d’infortune. Ce n’est pas possible, on est perdu ! – Ça pourrait être pire. Rassurez-vous qu’on soit toujours en vie. – On peut peut-être passer. Attendons quand même pour voir. – Moi, je ne prendrai pas le risque. C’est trop dangereux. 21 LES CHEMINS D’ARCADIE – Trop dangereux ! Mais par où voulez-vous qu’on passe ? Nous nous regardons de nouveau, dépités. – …Et vous, lui dis-je. Comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ? – Ce serait trop long à raconter. De toute façon, je ne peux pas revenir en arrière. – On n’a plus qu’à prendre un de ces tunnels, et prier que ça mène quelque part. Prenons celui-là ! Le bras tendu, je lui montre l’un des tunnels qui se trouve de l’autre côté du pont. – Pourquoi celui-là ? – Pourquoi pas ? De toute façon, nous n’avons pas le choix. Il faut trouver le moyen de sortir d’ici ! – Après tout... Nous nous hâtons donc. – Dites-moi, lui demandé-je. Comment vous appelez-vous ? – Pierre. – Moi, c’est Martin. Nous pénétrons dans le tunnel. Ce tunnel débouche sur une autre cavité. S’y 22 LA VOIE DES ANGES trouve encore un escalier. Il est long et sinueux. D’où nous nous trouvons, nous pouvons voir qu’il comprend plusieurs sections raccordées les unes aux autres par des petits ponts étroits. Chacun d’eux est bordé de chaque côté par un abîme ténébreux. Nous nous regardons de nouveau. Devonsnous encore descendre au risque de nous éloigner de la surface ? – Que faisons-nous, me demande Pierre ? – Voyons où ça mène. Si c’est un cul-de-sac, nous n’aurons qu’à remonter et prendre un autre tunnel. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Il faut vraiment trouver le moyen de sortir d’ici. Nous poursuivons. La descente me parait interminable, si bien que j’en viens à compter une à une les quelques centaines marches de la sixième section, et quelques dizaines de la septième. Lorsque j’entends de nouveau des semblants de voix. Là encore, on dirait des appels. – Vous entendez ça, demandé-je à mon compagnon ? – Entendre quoi ? 23 LES CHEMINS D’ARCADIE – Cette voix. J’ai eu l’impression qu’on appelait. – Non ! Je n’ai rien entendu. Nous nous arrêtons de marcher, et nous tendons l’oreille. Mais rien. Aucun bruit. Nous restons là quelques secondes à écouter le silence. – Vous êtes certain d’avoir entendu appeler ? – Oui, presque certain… Continuons ! De toute façon, si il y eu un bruit, ça ne peut provenir que d’en bas. – Jusqu’où allons-nous encore descendre ? Les marches continuent de défiler. C’est étrange. Au fil de notre descente, je me sens de plus en plus désorienté. Bientôt, aucun de mes sens ne s’y retrouve. J’ai l’impression d’évoluer dans un univers ouaté. C’est comme si je rêvais, même si ce que je suis en train de vivre me paraît bien réel. Nous atteignons enfin la dernière marche. Elle précède un long couloir. Nous continuons d’avancer, lorsque j’entends de nouveau une voix qui semble sortir des ténèbres : « Ce n’est pas possible. Je vais mourir ici ! » – Pierre ! Vous avez entendu ça ? 24 LA VOIE DES ANGES – Cette fois-ci, oui ! Nous nous arrêtons et écoutons de nouveau. C’est bien la voix d’un homme. Il marmonne et se plaint. Cette lamentation n’est pas portée par l’écho. Il doit être tout proche. Nous pressons de nouveau le pas, et ne tardons pas à déboucher sur une cavité dont l’une des parois est habillée d’une immense porte sculptée dans la roche. Au pas de cette porte, agenouillé au sol, et s’épuisant à taper des poings contre la roche, nous voyons alors cet homme. – Hey oh, l’ami ! lui fais-je aussitôt en le voyant. Vous n’êtes plus seul. L’homme se retourne. La sueur au front, il est blême de désespoir. – Oh, mes amis ! fait-il en se relevant. Quelle épreuve ! – Vous n’êtes plus seul maintenant, lui dis-je de nouveau. – Vous êtes mes sauveurs ! – Ne parlez pas trop vite ! – Nous sommes également perdus, lui précise Pierre. – Vous aussi, perdus ! Mais comment est-ce possible ? 25 LES CHEMINS D’ARCADIE – Peu importe. C’est un fait ! Et puis, vous n’êtes désormais plus seul. Nous sommes trois maintenant. Nous pouvons nous épauler pour trouver le moyen de sortir d’ici. – Si vous le dites. L’homme se rapproche de nous. Il doit bien avoir la cinquantaine passée. – …Je m’appelle Edouard ! – Moi, c’est Pierre. – Et moi, Martin. Nous nous regardons tous les trois. Que faire maintenant ? Cette porte est scellée, et il nous est impossible d’aller plus loin. – Je crois qu’il ne nous reste plus qu’à remonter ! fait Pierre, en faisant la moue. L’idée de remonter une à une les milliers de marches qui nous attendent a pour effet immédiat de me décourager… Malgré tout, je suis mes compagnons d’infortune qui, déjà, se sont engagés dans le couloir. Lorsque tout à coup nous entendons un long grincement sourd. Nous nous retournons en sursaut – et presqu’en panique – et constatons que l’immense porte de pierre vient de s’ouvrir. Accompagné d’un souffle chaud, un filet de lumière vive et 26 LA VOIE DES ANGES blanche apparaît aussitôt. Se dessine également la silhouette d’un petit être. C’est un enfant qui, silencieusement, nous regarde. Tous les trois surpris, nous restons là quelques secondes, figés sur place. – D’où il sort, celui-là ? fait Pierre. – De toute évidence, de là ! lui dis-je, en montrant d’un mouvement de tête l’immense porte qui vient de s’ouvrir. – Mais comment est-ce possible, s’inquiète Edouard ? – Aucune idée… En tout cas, je ne sais pas pour vous, mais moi, ça ne me dis rien de remonter. Sur ce j’avance vers l’enfant. – Qu’est-ce que tu fais là, mon bonhomme ? lui demandé-je d’une voix douce et pleine d’attention. – Je suis venu te chercher ! – Me chercher ? – Qu’est-ce que ça veut dire, s’énerve Pierre ? – Tu es venu avec quelqu’un, lui demande Edouard ? – Viens avec moi ! me dit l’enfant. 27 LES CHEMINS D’ARCADIE Ce dernier me prend aussitôt la main, et me tire en direction de la lumière. Edouard et Pierre nous suivent. La lumière est intense. Nous sommes totalement éblouis. Au bout de quelques secondes, la lumière se tamise légèrement. Et là, incroyable ! Nous nous retrouvons sur la piste d’un colisée. Tout autour, dans les gradins, une foule imposante nous surplombe. Elle est silencieuse et, apparemment, attentive au moindre de nos mouvements. – Qu’est-ce que c’est que ça, fait Pierre ? C’est du délire ! – Comment est-ce possible, surenchérit Edouard ? Je suis impressionné. Je sens tous ces regards peser sur moi, tout comme ce silence que, d’ailleurs, je trouve intimidant ; un silence qu’une voix sortie de nulle part interrompt : – Bienvenue au temple d’Abéona ! J’ai la peur au ventre. D’où vient cette voix ? Je scrute les gradins. – Qui êtes-vous, demande Edouard ? – Nous sommes tes propres concitoyens ! 28 LA VOIE DES ANGES – Nos concitoyens ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? – Qu’est-ce que vous voulez ? demande Pierre, à son tour. – Te guider dans ton initiation ! – Mais c’est quoi ce délire ? fait Pierre, que je sens de plus de plus crispé. – Restons prudents, lui conseille Edouard. Et attendons de voir ce qui va se passer. – Je veux bien. Mais nous ne savons même pas où nous sommes, ni même, et surtout, à qui nous avons à faire. – Edouard à raison, lui dis-je. Restons prudents. – Sois attentif, reprend la voix. Ecoute et observe le monde qui t’entoure ! C’est invraisemblable. Qu’est-ce que je suis en train de vivre ? Je regarde de nouveau tout autour de moi. Hormis mes deux compagnons, rien dans tout ce que je vois n’a de sens ; ni même la présence de ce petit garçon à qui je viens de lâcher la main. Pourtant, tout cela me semble bien réel. Est-ce un rêve, un délire ou la réalité ? Je n’ai aucun moyen de le savoir… 29 LES CHEMINS D’ARCADIE 3 Un silence pesant envahit les lieux. Ce silence a tout d’inquiétant, d’autant plus que, toujours sans un bruit, les milliers de personnes installées dans les gradins se mettent debout en même temps. Toutes, sans exception, s’inclinent pour nous saluer, avant de relever la tête et de pointer du doigt une grande porte qui se trouve de l’autre côté du colisée. – C’est très protocolaire, souligne l’un de mes compagnons. – C’est carrément du délire ! s’inquiète l’autre. – Allez, reprend la voix, puisses-tu t’éveiller en cheminant ! Je me sens peu à peu comme hypnotisé, transporté par quelque chose que je ne peux définir. Etrangement, une sensation de bienêtre m’absorbe... D’un geste de la main, le petit garçon nous 30 LA VOIE DES ANGES invite à le suivre. Nous avançons donc vers les gradins, en direction de la seconde porte. C’est un porche imposant, paré de chaque côté de deux magnifiques statues. Hautes d’environ trois mètres, ces dernières ont les bras croisés sur le torse. Elles portent chacune autour du cou un médaillon qui luit d’un éclat intense. Sur ces médaillons sont dessinés, pour l’une des statues, un dragon chevauché par un enfant, et, pour l’autre, un caducée. Ces médaillons ont quelque chose d’envoûtant, presque hypnotique... Une fois sortis du colisée, nous nous retrouvons dans un étrange tunnel. Son sol est entièrement recouvert d’une nappe de fumée d’où émane une légère lueur verdâtre. Ce tunnel est immatériel. C’est une sorte de vortex horizontal dans lequel nous marchons à hauteur de l’axe. C’est irréelle tant c’est impressionnant. Tout le vortex tourne autour de nous. Se dégage de ses parois des éclairs vifs et blancs. Le tout est accompagné d’un tonnerre sourd et lointain qui semble provenir d’un horizon qui parait, quant à lui, infini. Tout est à la fois grandiose et bluffant… – Mais qu’est-ce que c’est que ce délire, 31 LES CHEMINS D’ARCADIE s’écrit de nouveau Pierre ? – Sois attentif ! retentit de nouveau la voix qui nous a accueillis. Je ressens aussitôt une force intérieure commander mon corps. Elle m’oblige à avancer. Qu’est-ce qui m’arrive ? Cette situation est irréelle. Je suis à présent inquiet. D’autant plus que le temps qui s’écoule me sépare de plus en plus de ma vie, de ma femme et de mon quotidien ; un quotidien qu’au fil des années je suis parvenu à organiser autour de repères rassurants, malgré tout. Tout cela n’a aucun sens ! D’ailleurs, comme pour renforcer davantage mon inquiétude, les lieux dans lesquels nous évoluons s’assombrissent tout à coup. Les éclairs vifs et blancs disparaissent soudainement pour laisser place à un noir total. De ce noir absolu jaillissent ensuite des milliards de particules lumineuses. M’apparaît alors une carte céleste. Elle est vivante et colorée. J’y reconnais la Terre, notre Terre si belle et si bleue. J’y devine également le visage d’un homme. Il rayonne de mille éclats. A travers son regard je vois la naissance de l’humanité, des civilisations et de la pensée humaine. M’apparaît enfin toute mon 32 LA VOIE DES ANGES existence. De ma naissance à ma chute dans le trou, en passant par mon enfance, mon adolescence et ma vie d’adulte, je revois toute ma vie. En un éclair, j’ai l’impression de revivre tous mes moments de bonheurs, mais également mes angoisses et mes doutes. Quelle sensation étrange. Mais tout va très vite. Car à peine ai-je le temps d’encaisser, que je me retrouve dans un autre univers. C’est un vaste désert sans horizon. Le ciel qui le domine est à demi teinté de longs filaments lumineux. Là, m’apparaît une vision qui témoigne de l’histoire d’un homme dans lequel je me reconnais physiquement. Mais sa vie n’est pas la mienne. Du moins, je ne la reconnais pas. Car cet homme ne semble pas vivre dans un monde construit de repères fixes et réels. Son monde n’est que libido, révoltes, agressivité et souffrances ; interdits et pensées de mort... Cet homme entretient son malaise en se nourrissant de la souffrance qui l’habite. Quelle effroyable sensation. Ma raison ne s’y retrouve plus. Elle m’abandonne comme par instinct, comme pour me protéger d’un univers aliénant dans lequel 33 LES CHEMINS D’ARCADIE la rationalité n’a pas sa place. Je suis troublé, perdu. Je n’en peux plus. Il faut que je comprenne. J’en ressens le besoin à tout prix, sans quoi je crains de devenir fou. Je m’arrête de marcher, et je regarde tout autour de moi. – Que t’arrive-t-il, me demande la voix ? – Qu’est-ce que tout ça veut dire ? Ditesmoi ! – Toutes les réponses à tes questions sont en toi, me dit-elle. Interroge-toi, et, surtout, lâche prise sur cette vie que tu crois contrôler, sans quoi tu ne feras que subir celui qui se cache en toi. – Tu parles d’une réponse ! se lamente Pierre. Ce dernier est tout pâle. Les bras raidis le long du corps et les poings serrés, sa bouche est grande ouverte, et ses yeux sont gros comme des calots de porcelaine. – Vous avez compris ce qu’elle a voulu dire, me demande Edouard ? – Ça m’a tout l’air d’être de la psychologie. – Moi, j’en ai assez ! s’insurge désormais Pierre, en explosant. Tout ça, c’est du délire ! – Mon ami, lui dis-je. Ça ne sert à rien de 34 LA VOIE DES ANGES vous emporter. – Ah oui ! Et comment voulez-vous que je réagisse ? – Il faut rester concentré. Il y a certainement une explication rationnelle à ce qui nous arrive ! – Vous croyez que c’est facile ! me dit Edouard, à son tour. Il n’y a rien de rationnel dans tout ce qui nous arrive. Imaginez ! Je viens de me voir insulté et sali par mes proches. Je les entends encore me traiter de faux-cul sans honneur, prêt à vendre père et mère pour se mettre en avant et s’assurer une vie sans problème. C’est incompréhensible. Tout le monde sait très bien que je fais tout pour le bien de chacun… Ce que l’on peut éventuellement me reprocher, est d’être parfois un peu trop prudent, et rien de plus. – Ah bon ? fait Pierre. Moi, j’y ai vu toute autre chose. Ma femme me menaçait de me quitter, si je ne parvenais pas à plus de sérénité dans ma vie. Elle me reprochait de renfermer trop de colère et de frustration en moi. Vraiment, ça n’a aucune raison d’être. Ma femme m’aime pour ce que je suis, et notre couple est sans faille. 35 LES CHEMINS D’ARCADIE – C’est une histoire à dormir debout ! insiste Edouard. – Plutôt dire que c’est inacceptable ! – Restez calme, dis-je à Pierre. – Comment voulez-vous que je reste calme ? Regarder tout ça ! Ça n’a aucun sens ! Et ce môme ! Qu’est-ce qu’il fait là ? Le petit garçon a les yeux qui sourient. Il est calme, et nous regarde presque amusé. Je m’accroupis pour me mettre à son niveau. – Dis-moi, mon bonhomme. C’est quoi ton petit nom ? – Je m’appelle Martin. – Tiens donc ? dis-je, étonné. Et comment t’es-tu retrouvé ici ? – Je suis là pour te ramener chez nous. – Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il raconte ? s’étonne Pierre, presque en s’étranglant. – Explique-toi, mon garçon ! lui demandé-je, tout en regardant Pierre du coin de l’œil. – Si tu ne te libères pas d’eux, je ne pourrai pas te ramener ! me dit-il. – De qui parles-tu ? – De ceux qui sont dans ta tête ! me répondil, en regardant en même temps Pierre et 36 LA VOIE DES ANGES Edouard. – De quoi parle-t-il ? se demande Edouard, à son tour. – Abandonne cette peur et cette colère qui t’empêchent de t’épanouir, et qui ne te permettent pas de voir le monde tel qu’il est en réalité, me fait aussitôt la voix. Je me relève, et je regarde dans le vide, au hasard. – Quelle peur, et quelle colère ? De quoi parlez-vous ? – Libère-toi d’eux, et tu t’éveilleras ! Le petit garçon me reprend la main. Je le regarde. À l’image des lieux, ses expressions semblent à présent renfermer un grand mystère, quelque chose qu’il m’est impossible de définir. – Allez, me dit-il. Tu dois continuer ! – Un conseil, messieurs ! nous dit Edouard. Trouvons vite un moyen de sortir de là avant de tomber fous ! Mais à cet instant un nouveau décor nous apparaît… 37