La fraude carrousel TVA - Ordre des Experts
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La fraude carrousel TVA - Ordre des Experts
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme DROIT FISCAL La fraude carrousel TVA Par Didier URY, Rapporteur public auprès du Tribunal administratif de Toulon Le 19ème rapport du Conseil des impôts (2001) décrit les fraudes en matière de TVA, et notamment la fraude dite “carrousel TVA“ (p. 219) qui s’est considérablement développée au point de susciter des réflexions sur la refonte du système de TVA intracommunautaire et une politique très ferme de détection et de lutte contre les fraudeurs, contrebalancée par une démarche du fisc vis-à-vis des contribuables de bonne foi pour les aider à se prémunir des risques de porosité avec des délinquants fiscaux. Une fraude à la TVA déductible Le principe consiste à créer des droits à déduction fictifs, par l’intermédiaire de sociétés éphémères ou “taxis“, impliquant plusieurs entreprises d’une même chaîne commerciale, généralement établies dans au moins deux États membres de l’Union européenne. Cette fraude consiste à obtenir la déduction ou le remboursement de la TVA afférente à une livraison de biens alors que celle-ci n’a pas été reversée, de façon abusive, au Trésor par le fournisseur. (Voir schéma de base ci-dessous). Une entreprise A située dans un État membre, autre que la France, vend des marchandises à une entreprise B, établie en France (il s’agit d’une livraison intracommunautaire exonérée dans l’autre État membre qui donne lieu en France à auto liquidation 1). L’entreprise B revend les marchandises à l’un de ses clients C, également établi en France. La taxe est facturée à C mais n’est ni déclarée, ni acquittée par B. Le client C exerce son droit à déduction et le cas échéant, demande le remboursement de la taxe qui lui a été facturée par B et revend les marchandises éventuellement à l’entreprise A, en exonération de TVA (livraison intracommunautaire) ou à un autre client établi en France. En pratique, plusieurs entreprises écrans peuvent s’intercaler entre les entreprises B et C, afin de masquer leurs relations. La fraude repose sur le non-reversement à l’État de la TVA par celui qui l’a collectée (entreprise B) et qui dans la majorité des cas disparaît, rendant difficile ou impossible le recouvrement de cette taxe, alors que le client (entreprise C) la déduit ou en demande le remboursement. Modalités de la déduction L’article 262 ter-I-1° al. 2 du CGI prévoit que l’exonération ne s’applique pas lorsqu’il est démontré que le fournisseur savait ou ne pouvait ignorer que le destinataire présumé de l’expédition ou du transport n’avait pas d’activité réelle. La TVA afférente à une livraison de biens ne peut faire l’objet d’aucune déduction lorsqu’il est démontré que l’acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison (CGI, art. 272-3). L’assujetti en faveur duquel a été effectuée une livraison de biens et qui savait ou ne pouvait ignorer que tout ou partie de la TVA due sur cette livraison ou sur toute livraison antérieure des mêmes biens ne serait pas reversée de manière frauduleuse, est solidairement tenu, avec la personne redevable, d’acquitter cette taxe (CGI, art. 283-4 bis). La jurisprudence du Conseil d’État 2 précise que si un assujetti à la TVA disposant de justificatifs de l’expédition des biens à destination d’un autre Etat Entreprise A « le fournisseur » [Effectue des opérations exonérées (LIC)] LIC exo LIC exo membre et du numéro d’identification à la TVA de l’acquéreur établi dans l’autre Etat membre doit être présumé avoir effectué une livraison intracommunautaire exonérée, cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l’administration fiscale puisse établir que la livraison en cause n’a pas eu lieu, en faisant notamment valoir que des livraisons répétées et portant sur des montants importants ont eu pour destinataire présumé des personnes dépourvues d’activité réelle. La Cour de justice des Communautés européennes, a, quant à elle, considéré que le droit à déduction peut être remis en cause s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que l’acquéreur savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA 3. Le droit à exonération de cet assujetti ne peut être remis en cause que s’il est établi, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu’il savait ou aurait pu savoir, en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu’il effectuait le conduisait à participer à une fraude fiscale. Toutefois, aucune disposition n’impose à un assujetti de consulter la base de données des numéros d’identification à la TVA. Ainsi, un assujetti qui ne dispose pas d’éléments lui permettant de soupçonner l’existence d’une fraude, ne peut voir son droit à exonération remis en cause au seul motif qu’il n’a pas procédé à cette consultation 4. Le juge de l’impôt se fonde sur les faits de l’espèce pour apprécier si cette preuve est apportée. Mise en œuvre de la fraude Carrousel La fraude carrousel est mise en œuvre par des organisations spécialisées de type mafieux qui y voient un moyen aisé d’obtenir frauduleusement des recettes, grâce aux remboursements de crédits de taxe fictifs, sans s’exposer aux dispositifs mis en œuvre par les autorités publiques pour lutter contre la grande délinquance. Une entreprise honnête peut être impliquée malgré elle dans un schéma carrouseliste, dès lors qu’elle a acquis des biens à l’intérieur d’un tel circuit, intéressée qu’elle était Etat membre de l’UE Entreprise B « le défaillant » [Reçoit la TVA de C mais ne la reverse pas] France Entreprise C « le déducteur » [Déduit la TVA ou demande le remboursement du crédit] Poursuite des opérations commerciales jusqu’au consommateur final 1. Voir JP Riquet, “La TVA intracommunautaire“, RFC n° 486, avril 2015, p. 34 2. CE 27 juillet 2005, n° 273619 et 273620. 3. CJCE 6 juillet 2006, aff. C-439/04 et C-440/04 Revue Française de Comptabilité // N°491 Octobre 2015 // 3 Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme DROIT FISCAL par le prix bas des produits proposés, et pour cause, ils sont de fait, hors taxes. Les entreprises mafieuses sont éphémères et acquièrent en franchise de taxe dans le cadre d’acquisitions intracommunautaires, des produits revendus à la société avec facturation de la TVA qu’elles ne reversent pas au Trésor. Le paiement de leurs factures est souvent réalisé au moyen de chèques de banque, ce qui facilite l’anonymat des transactions. Ces entreprises sont soumises au régime simplifié (RSI) qui leur permet de déclarer la TVA en fin de période taxable, et de déposer avant cette échéance des demandes de remboursement de crédit de taxe, ce qui leur évite le risque d’un contrôle fiscal, puisque celui-ci ne peut intervenir qu’après la date légale de dépôt des chiffres d’affaires et des résultats. Moyens de lutte contre la fraude carrousel Pour contrer ce verrou juridique, la loi de finances rectificative pour 2007 a créé une procédure de flagrance fiscale pour agir contre ces entreprises éphémères qui organisent leur insolvabilité (LPF, art. L 16-0 BA). La mise en œuvre de la flagrance fiscale permet à la DGFIP d’opérer des saisies conservatoires avant l’échéance déclarative, pour anticiper les difficultés de recouvrement. Le champ de la flagrance fiscale a été étendu dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009 afin de sécuriser les créances issues du contrôle fiscal des trafics illicites (CGI, art. 1649 quater 0 B bis). En outre, les délais de reprise de l’administration ont été allongés à dix ans, pour répondre à la difficulté de détecter et de réprimer certaines fraudes par la loi de finances rectificative pour 2008. Le délai de droit commun est de trois ans. Lorsque le fisc conteste les opérations qui ont donné lieu à récupération de la taxe opérée au titre d’achats réalisés par la société auprès de ses fournisseurs, le motif est tiré de ce que le contribuable en cause ne pouvait pas ignorer que ses fournisseurs participaient à un circuit de fraude en réseau et qu’il avait ainsi bénéficié de la déduction de la TVA grevant les factures de complaisance émises par ces sociétés, alors que la TVA n’a jamais été reversée au Trésor par ces sociétés. Dans de telles circonstances, l’entreprise honnête peut être sérieusement mise en cause puisque le service ne distingue pas le bon grain de l’ivraie, au sein d’un circuit de facturation frauduleux de type carrousel. Chaque opérateur d’un réseau frauduleux ne bénéficie pas de l’exonération de la livraison intracommunautaire, son droit à 4. CE, 25 février 2011, n° 312290. 4 déduction de la taxe est refusé et il va être affligé de lourdes sanctions (pénalités de 40 % pour manquements délibérés, ou de 80 % pour manœuvres frauduleuses), outre l’éventuel engagement d’une procédure de solidarité de paiement, sans préjuger de l’application de sanctions pénales pour fraude fiscale ou escroquerie à la TVA. Outre la procédure de flagrance fiscale, le fisc dispose d’agents dotés de prérogatives de police judiciaire qui mettent en œuvre une procédure judiciaire d’enquête fiscale qui permet à l’administration fiscale de déposer plainte, avant le début des opérations de contrôle fiscal, en vue de faire rechercher les éléments de nature à caractériser et à sanctionner les fraudes les plus difficiles à appréhender. Sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction saisi de la plainte déposée par l’administration fiscale, l’enquête est confiée à la police fiscale. La Brigade Nationale de Répression de la Délinquance Fiscale (BNRDF) est rattachée au ministère de l’Intérieur (Division nationale d’investigations financières et fiscales de la Direction centrale de la Police judiciaire). Sur la base des informations transmises par le juge, la DGFiP conduira les contrôles fiscaux des personnes physiques ou morales impliquées dans ces fraudes. Le décloisonnement entre administrations fiscales et policières permet de lutter efficacement contre les réseaux mafieux qui investissent le champ de la fraude fiscale. Justification de l’application du régime des biens d’occasion par les revendeurs de véhicules. Pour pouvoir appliquer le régime de la marge, l’article 21 de la loi 2014-1655 du 29 décembre 2014, complété par le décret du 1er juillet 2015, impose aux revendeurs de véhicules d’occasion qui demandent la délivrance du certificat fiscal exigé pour pouvoir immatriculer en France ces véhicules, de justifier du régime de TVA appliqué par le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule lorsque le titulaire est un assujetti. A cette fin le revendeur français doit présenter aux services fiscaux une copie du certificat d’immatriculation délivré à l’étranger et une copie de la facture de vente délivrée par le titulaire de ce certificat. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la fraude à la TVA dans le négoce intracommunautaire de véhicules terrestres à moteur d’occasion (CGI art. 298 sexies A et ann. II art. 242 terdecies et quaterdecies, I-4° ). La carence dans la production des documents originaux constitue un motif de refus de délivrance du certificat fiscal. Les indices d’un fournisseur à risque Le fisc a distingué trois séries d’indices. • Indices concernant les caractéristiques du fournisseur Numéro de TVA intracommunautaire du fournisseur invalide / société de création récente, inconnue au registre du commerce et des sociétés ou en cours d’immatriculation / changements statutaires successifs, récents, non expliqués par la situation économique apparente de l’entreprise / société réalisant des opérations sans rapport ou éloignées de son activité habituelle ou de celle mentionnée dans ses statuts / absence de publication des comptes / société intervenant dans des secteurs sensibles aux fraudes à la TVA de type carrousel (secteurs des composants électroniques, de la téléphonie mobile et du matériel électroménager, hi-fi et vidéo, textile, métaux précieux, etc…) / société située à une adresse de domiciliation, en France ou à l’étranger / nombre de salariés et moyens matériels (stockage, logistique, bureaux) sans rapport avec les pratiques usuelles du secteur concerné. • Indices concernant les caractéristiques de la transaction, du contrat et de la facturation Prix de la transaction anormalement inférieur au prix du marché / numéro de téléphone sur liste rouge ou simple numéro de fax mentionné sur la facture / absence d’indication de contact commercial ou contact difficilement identifiable / démarchage par un apporteur d’affaires ou un intermédiaire pour une mise en relation avec des fournisseurs inconnus / absence de relations directes avec le gérant statutaire / libellé très succinct de la facture / importance du montant de l’acompte par rapport au montant total facturé ou absence d’acompte alors que le montant facturé est élevé / absence de délai laissé pour le règlement / absence de documents relatifs à la livraison des marchandises / vente “départ“ / circuit de facturation différent du schéma de livraison. • Indices concernant les modalités de règlement Absence de compte bancaire ou compte bancaire à l’étranger / utilisation d’une plate-forme de paiement alternatif / insistance pour un règlement en espèces ou pour un paiement très rapide / adresse du fournisseur portée sur la facture, différente de celle du destinataire du paiement (cas d’indication des coordonnées bancaires pour virements). Ainsi, dans la situation où les conventions fiscales internationales excluent expressément la possibilité de déduire l’impôt acquitté à l’étranger, l’entreprise française déficitaire supportera une double imposition, lorsqu’elle redeviendra bénéficiaire, correspondant à l’impôt payé à l’étranger qui n’aura pas donné lieu à imputation. // N°491 Octobre 2015 // Revue Française de Comptabilité
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