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Les enquêtes internes à
Revenu Québec
Pierre Gagné, directeur de la Vérification interne, des enquêtes et de l’évaluation
Georges Beaudry, coordonnateur du Service des enquêtes internes
Josée Bouffard, enquêteuse analyste
Revenu Québec
Cet article ne peut constituer une opinion de l’IVIQ et n’engage que ses auteurs.
Toute organisation peut être confrontée à une situation qui nécessite la réalisation d’une enquête
interne suite à des manquements, par son personnel, au code déontologique. Au sein de l’appareil
gouvernemental, on retrouve peu de services d’enquêtes internes et cette fonction demeure
méconnue. Le présent texte présente le Service des enquêtes internes de la Direction de la
vérification interne, des enquêtes et de l’évaluation de Revenu Québec sous l’angle de son
mandat, de ses champs d’intervention et du déroulement d’une enquête.
Mandat
Le Service des enquêtes internes est une entité indépendante et objective dont la raison d’être est
d’assurer la crédibilité et l’intégrité de Revenu Québec. Il vise, par une approche systématique et
disciplinée d’enquête, à protéger les renseignements de nature confidentielle, à prévenir et
détecter toutes dérogations à l’éthique au sein de l’ensemble du personnel.
Pour réaliser sa mission, il intervient dans les champs d’activités suivants : conflits d’intérêts,
non-respect de la confidentialité, manquements aux règles d’éthique et aux règles
administratives, vols de biens du gouvernement, fraude, malversation, mauvaise utilisation du
courriel, de l’Internet et abus de confiance. De plus, il vérifie, en vertu de l’article 5 de la Loi sur
le ministère du Revenu, si la personne à embaucher a des antécédents judiciaires à son actif. Il
agit également à titre de conseiller auprès des autorités dans l’ensemble de ses champs
d’intervention et leur fournit les recommandations permettant de corriger les situations
préjudiciables à Revenu Québec.
Vérification interne versus enquêtes internes
Dans la majorité des ministères et organismes gouvernementaux, la fonction d’enquêtes internes
est souvent assurée par le vérificateur interne, à défaut d’avoir un Service d’enquêtes internes.
Lorsqu’un tel service existe, une distinction claire des rôles doit être définie. À cet égard, le
vérificateur interne est un acteur important pour détecter tout manquement ou fraude. Toutefois,
l’expertise pour procéder à une enquête n’est pas toujours évidente et exige une démarche
structurée et objective.
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Revenu Québec
Lors de ses différents travaux de vérification et d’analyse, le vérificateur peut déceler des cas de
fraude ou tout autre manquement. Il réfère alors ces cas au Service des enquêtes internes qui
procède à l’enquête appropriée. De même, lors de ses enquêtes portant sur différents
manquements non soumis par la vérification interne, l’enquêteur peut déceler des faiblesses du
contrôle interne ou d’un processus. Il réfère ces cas au Service de vérification interne pour qu’il
initie un mandat.
Sources des enquêtes internes
En plus des constats du Service de la vérification interne, le Service des enquêtes internes
intervient suite à :
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des plaintes de contribuables;
des dénonciations anonymes;
des demandes de gestionnaires;
des routines informatisées de détection portant sur la confidentialité des renseignements;
des pertes de biens.
Historiquement, la majorité des dossiers d’enquête étaient initiés à la suite de plaintes. Toutefois
en 1999-2000, suite aux recommandations du Comité d’examen sur la gestion des
renseignements confidentiels au ministère du Revenu (comité tripartite) et de la Commission
d’enquête sur des allégations relatives à la divulgation de renseignements fiscaux et de nature
confidentielle (rapport Moisan), la Direction de la vérification interne, des enquêtes et de
l’évaluation a développé des routines de détection informatisées desquelles originent maintenant
la plupart des dossiers d’enquête.
Champs d’intervention
Les activités du Service des enquêtes internes couvrent les quatre domaines suivants :
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les vérifications pré-emploi et d’accès;
les activités de détection et de prévention;
les demandes d’accès à l’information eu égard à la consultation de renseignements
confidentiels;
les enquêtes internes.
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Les vérifications pré-emploi et d’accès
Systématiquement, des vérifications pré-emploi sont effectuées auprès des personnes qui sont
susceptibles d’occuper un emploi à l’Agence, que ce soit à titre régulier, occasionnel ou
contractuel ou comme représentantes du Vérificateur général et du Contrôleur des finances.
Une recherche est réalisée au système statutaire provincial et des Services judiciaires pénaux afin
de voir si des infractions ont été commises en vertu d’une loi fiscale au Québec ou au Canada, du
Code criminel, de la Loi sur les stupéfiants et de la Loi sur les aliments et drogues.
Une vérification de même type a aussi lieu sur toute personne qui doit accéder aux locaux de
l’Agence pour y effectuer un travail (entretien de l’immeuble, agents de sécurité, contractuels,
déménageurs, etc.). Il s’agit alors d’une vérification d’accès.
Les activités de détection et de prévention
Suite à des indices de risque, des routines de détection-prévention sont développées afin de
déceler les manquements à la confidentialité et la fraude. De concert avec le Service de la
vérification interne, le Service des enquêtes internes met à profit l’expérience des vérificateurs et
des enquêteurs afin de déceler les risques lors de leur vérification ou enquête. Par la suite, les
routines sont créées et font l’objet d’une planification annuelle.
Les demandes d’accès à l’information eu égard à la consultation de renseignements confidentiels
En vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des
renseignements personnels, des demandes d’accès à l’information reçues à la Direction générale
de la législation, des enquêtes et du registraire des entreprises portant sur la consultation de
renseignements confidentiels, sont transmises au Service des enquêtes internes. Ce dernier doit
alors identifier, à partir des données de journalisation toutes les transactions informatiques
effectuées dans le dossier du demandeur ainsi que les personnes qui ont accédé à son dossier.
Les enquêtes internes
Les enquêtes constituent l’essentiel des opérations du Service. Elles portent sur les pertes de
biens que subit Revenu Québec soit à l’interne, par des membres de l’agence ou par effraction,
soit à l’externe par des vols de matériel. Elles concernent aussi et principalement les
manquements déontologiques suivants :
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les manquements à la confidentialité;
le travail à l’extérieur non autorisé;
l’utilisation non autorisée des biens de l’Agence :
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o Internet;
o courrier électronique;
o équipement informatique;
o téléphone;
les pots de vin;
l’abus de pouvoir;
la fraude interne.
Déroulement d’une enquête interne
Une enquête interne nécessite la réalisation de diverses étapes à savoir :
1. Entretien avec le plaignant
Dans le cas où la source d’une enquête interne provient d’une plainte, l’enquêteur entre en
contact avec le plaignant. Ce contact peut être un entretien téléphonique, mais la rencontre
est privilégiée. Le but de l’entretien est d’obtenir le plus d’éléments possible (événement,
personne(s) impliquée(s), preuves documentaires, …) pour déterminer le(s) type(s) de
manquement(s) déontologique(s) concerné(s) et pour démarrer l’enquête. En tout moment de
l’enquête, l’obtention de précisions supplémentaires du plaignant peut s’avérer nécessaire à
la confection de la preuve.
2. Prise de connaissance documentaire
À cette étape, il s’agit de prendre connaissance des lois, règlements, politiques, directives et
règles d’éthique relatifs au type d’enquête initiée.
3. Élaboration du plan de travail
L’enquêteur rédige un plan de travail en vue de déterminer les diverses activités requises
pour mener à bien l’enquête. Ces activités concernent les demandes d’extraction, les
recherches, les rencontres de témoins, de personnes ressources et du mis en cause (personne
sur laquelle porte l’enquête) ainsi que la rédaction de rapports.
4. Demandes d’extraction
L’enquêteur adresse des demandes d’extraction de données liées aux activités du mis en
cause, en vue d’en faire l’analyse. Selon la nature du dossier, diverses extractions peuvent
être nécessaires. Ces dernières proviennent des sources suivantes :
• système de contrôle des transactions informatiques aux systèmes fiscaux et sociaux de
Revenu Québec;
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système de contrôle des accès à Internet;
système de contrôle des appels téléphoniques;
système de contrôle des accès pour le télétravail;
système de contrôle des accès aux aires de travail;
espaces disques sur le réseau local et sur le poste de travail;
boîte de courriels.
À cause de l’expectative de vie privée au bureau, la vigilance est de mise lorsqu’il s’agit de
recourir aux renseignements contenus dans les espaces disques et dans les boîtes de courriels.
Bien qu’il existe des jurisprudences en faveur des employeurs, l’enquêteur doit se
questionner sur la pertinence et la nécessité d’analyser ce type de données.
5. Recherches d’informations
Des recherches d’informations sont requises en vue d’une part, de connaître les situations
personnelle et professionnelle du mis en cause et d’autre part, de colliger des éléments de
preuve à l’égard du dossier d’enquête. L’enquêteur utilise diverses sources telles que les
systèmes informatiques de Revenu Québec, de la Société québécoise d’information juridique
et de la Société d’assurance automobile du Québec, le dossier de l’employé conservé à la
Direction générale des ressources humaines, les municipalités, les greffes civil et pénal des
Palais de justice, le bureau de la publicité des droits, le bureau du surintendant des faillites,
les bibliothèques publiques, Internet et l’aire de travail du mis en cause.
6. Rencontre de témoins et de personnes ressources
L’enquêteur a recours à des témoins ainsi qu’à des personnes ressources pour mener à bien
son dossier. Après les avoir identifiés, il prépare ses entretiens à l’aide d’un plan d’entrevue
afin de s’assurer de couvrir tous les éléments. Lorsqu’il s’agit d’un témoin, la rencontre
demeure le moyen privilégié à un entretien téléphonique.
Le témoin est la personne qui a connaissance de faits probants reliés à l’enquête. Comme il
représente un pivot de la preuve, il peut être appelé à témoigner pour la partie patronale.
Ainsi, sa crédibilité doit être évaluée par l’enquêteur et ses dires doivent parfois être
corroborés par d’autres sources. L’entrevue avec le témoin consiste essentiellement à obtenir
sa connaissance des événements et son implication dans les faits. Une déclaration écrite du
témoin se veut une pièce importante à joindre au rapport d’enquête.
La personne ressource est un individu spécialisé dans un domaine en lien avec l’enquête;
qu’il s’agisse d’un processus de travail, d’un système informatique ou d’un aspect légal.
L’enquêteur détermine les sujets qui nécessitent une vulgarisation en vue de bien les
comprendre. Il identifie par la suite les personnes susceptibles de l’aider. Il peut s’agir du
supérieur immédiat du mis en cause, d’un employé expert, des pilotes de systèmes
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informatiques, des avocats du Contentieux ou d’un représentant des relations
professionnelles.
7. Rencontre du mis en cause
Compte tenu de l’importance de la rencontre du mis en cause, cette dernière doit être
préparée à l’aide d’un plan d’entrevue structuré. L’enquêteur élabore des tableaux
analytiques qui lui serviront lors de la rencontre en vue de faire la démonstration de la
preuve. Les objectifs de la rencontre sont de trois ordres : donner l’opportunité au mis en
cause de donner sa version des faits; de recueillir des éléments nouveaux et d’obtenir des
aveux.
Lorsqu’il est prêt à s’entretenir avec le mis en cause, l’enquêteur le convoque par téléphone.
Il se présente et explique les motifs de son appel et de la convocation, ainsi que la possibilité
d’obtenir des conseils avant l’entretien, auprès d’un délégué syndical ou d’un représentant de
son association, le cas échéant. Il fixe le lieu, la date et l’heure de tenue de l’entrevue. La
rencontre se déroule aux bureaux du Service des enquêtes internes à Québec ou à Montréal.
Elle peut avoir lieu ailleurs lorsque le lieu de travail du mis en cause se situe dans une région
éloignée. Dans ce cas, l’endroit à privilégier doit se retrouver dans la région éloignée et à
l’extérieur de l’édifice de Revenu Québec afin d’assurer la confidentialité.
L’entrevue comporte plusieurs étapes :
7.1
Présentation de l’enquêteur et du coordonnateur du Service des enquêtes internes
L’enquêteur se présente ainsi que le coordonnateur du Service des enquêtes internes. Ce
dernier accompagne toujours l’enquêteur au moment de la rencontre du mis en cause.
7.2
Présentation du Service des enquêtes internes
L’enquêteur situe le Service au niveau organisationnel et il explique son mandat.
7.3
Explication du but de la rencontre
L’enquêteur explique la ou les raison(s) de la rencontre liée(s) au(x) manquement(s)
déontologique(s).
7.4
Explication du déroulement de l’entrevue
Le mis en cause est informé du rôle de l’enquêteur ainsi que de celui du coordonnateur.
L’enquêteur pose les questions et le coordonnateur prend des notes sur des éléments
importants discutés en cours d’entrevue. L’enregistrement de l’entretien est privilégié.
Dans ce cas, l’enquêteur doit le signifier.
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7.5
Mise en garde
Une mise en garde est lue par l’enquêteur afin de faire connaître au mis en cause ses
droits, lorsqu’il s’agit d’une enquête sur des consultations illicites de renseignements
fiscaux pouvant aboutir à des poursuites pénales, en vertu des articles 71.3.1, 71.3.2 et
71.3.3 de la Loi sur le ministère du Revenu ou pour tous manquements susceptibles
d’être sanctionnés au criminel. Après la lecture, l’enquêteur doit s’assurer que le mis en
cause en a bien compris la teneur et s’informer s’il désire consulter un avocat.
7.6
Interrogatoire
Les enquêteurs internes de Revenu Québec sont formés à une technique d’interrogatoire
enseignée par l’École nationale de police du Québec. Cette technique comporte
différentes phases reflétées dans le plan d’entrevue.
7.7
Déclaration
La déclaration concerne les aveux écrits du mis en cause. Elle doit être volontaire et
assermentée, si le mis en cause y consent. La déclaration est annexée au rapport
d’enquête.
7.8
Fin de l’entrevue
Le mis en cause est informé des suites de la rencontre à savoir, la production de
rapports d’enquêtes administratif et pénal, selon le cas, le processus de décision pour
l’application d’une mesure administrative ou disciplinaire ainsi que sur celui pour les
poursuites pénales. Les droits de contestation du mis en cause sont également
expliqués.
8. Validations post-entrevue
Afin de vérifier les déclarations du mis en cause, l’enquêteur peut faire des contrevérifications sous diverses formes telles que des appels téléphoniques à des impliqués, une
analyse plus approfondie de transactions, l’obtention de nouveaux documents, etc.
9. Rédaction des rapports
Les rapports écrits par l’enquêteur peuvent être au nombre de trois : le rapport d’enquête
produit pour l’application de mesures administrative ou disciplinaire, celui pour intenter des
poursuites pénales et le rapport de recommandations administratives. Pour soutenir les
affirmations des rapports d’enquête, des annexes y sont généralement attachées.
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Le rapport d’enquête pour des fins administratives met en évidence les manquements
déontologiques. Celui écrit pour des fins pénales doit présenter les infractions commises ainsi
que les amendes suggérées. Quant au rapport de recommandations administratives, il fait état
de toutes les faiblesses de contrôle systémique ou interne constatées lors de l’enquête.
Le rapport d’enquête administratif est transmis au sous-ministre adjoint ou directeur général
concerné ainsi qu’au gestionnaire sous l’autorité immédiate du sous-ministre adjoint ou
directeur général (directeur régional ou directeur) ainsi qu’à la Direction du conseil et du
soutien à la gestion. Cette dernière conseille les gestionnaires sur la mesure à prendre envers
le mis en cause. Le rapport d’enquête pénal est soumis à la Direction du contentieux du
Revenu pour l’émission des constats d’infraction et l’enclenchement des poursuites, s’il y a
lieu. Le rapport de recommandations administratives peut être adressé à la direction
concernée par le manque de contrôle ou au Service de vérification interne, s’il s’avère qu’une
vérification approfondie du problème doit être effectuée.
10. Témoignage aux tribunaux d’arbitrage ou pénal
Lorsqu’un grief est déposé suite à une mesure prise en considération des fautes reprochées
lors d’une enquête, il peut y avoir audition au tribunal d’arbitrage. De même, si des constats
d’infraction sont émis et que le mis en cause enregistre un plaidoyer de non-culpabilité, la
cause peut être entendue à la Cour du Québec, Chambre pénale.
L’enquêteur, étant celui qui a recueilli la preuve, est généralement appelé à témoigner. Les
enquêteurs de Revenu Québec sont formés sur les techniques de témoignage à la Cour. En
vue de se préparer, l’enquêteur relit son rapport d’enquête ainsi que les notes au dossier
d’enquête. Il rencontre également le procureur qui représente Revenu Québec.
Conclusion
L’enquête interne est un secteur d’activités en expansion. Les organismes gouvernementaux
prennent de plus en plus conscience du rôle que peuvent jouer les enquêtes internes pour assurer
leur crédibilité et leur intégrité auprès de la population. La quantité d’employés, la nature des
renseignements traités ainsi que l’orientation retenue en regard de la détection de manquements
déontologiques dicteront la façon d’organiser les enquêtes internes : fonction assumée par les
vérificateurs internes ou par des enquêteurs internes. Peu importe le choix retenu, le personnel
impliqué doit être formé puisque la réalisation d’une enquête interne nécessite l’application
d’une approche systémique et disciplinée.
Finalement, soulignons que Revenu Québec offre des services partagés en matière d’enquête
interne.
Info-VI, mai 2009
8/8