SA246_36-39 - Spectra Analyse

Transcription

SA246_36-39 - Spectra Analyse
TECHNOLOGIE APPLIQUÉE
Richard Ortega*
Imagerie des éléments chimiques.
Analyse par faisceau d’ions et
rayonnement synchrotron X
RÉSUMÉ
Microanalyse
y
Les techniques d’analyse par faisceau d’ions et rayonnement synchrotron X permettent
l’imagerie des éléments chimiques à l’échelle micro- et maintenant nanoscopique. Ces
méthodes ont bénéficié des progrès récents en matière de focalisation des faisceaux d’ions, et
de focalisation du rayonnement synchrotron de haute énergie (rayons X). L’imagerie quantitative
des distributions des éléments chimiques, et de leurs états d’oxydation, est à présent réalisable
avec une résolution spatiale compatible avec l’analyse de structures sub-cellulaires, comme
illustré par la spéciation des états d’oxydation du chrome dans des cellules humaines, ou
encore la caractérisation microchimique en géologie, comme pour l’étude de la distribution de
l’uranium dans des spéléothèmes recristallisés.
MOTS-CLÉS
Imagerie chimique, microsonde, faisceau d’ions, rayonnement synchrotron, fluorescence X,
absorption de rayons-X, spéciation, états d’oxydation.
Chemical elements imaging. Ion beam and synchrotron radiation X-ray
analysis
SUMMARY
Ion beam and X-ray synchrotron radiation analysis allow the imaging of chemical elements at the micro- and
now, nano-scopic level. These methods have been recently improved due to the development of new focalisation
devices for ion beam and high energy synchrotron radiation (X-rays). The quantitative imaging of chemical element
distributions, and their oxidation states, can be obtained with a spatial resolution compatible with the analysis of
subcellular structures, as illustrated by the speciation analysis of chromium oxidation states in human cells, or the
microchemical characterization in geology, as for the study of uranium distribution in recrystallised speleothems.
KEYWORDS
Chemical imaging, microprobe, ion beam, synchrotron radiation, X-ray fluorescence, X-ray absorption, speciation
analysis, oxidation state.
I – Introduction
L’imagerie des éléments chimiques peut être obtenue à l’échelle microscopique par différentes
méthodes (Tableau I) basées sur :
(1) l’analyse du rayonnement X induit par faisceaux d’électrons, d’ions, ou de rayonnement
synchrotron ;
(2) l’analyse par spectrométrie de masse : SIMS
(Secondary Ion Mass Spectrometry), LA-ICPMS (Laser Ablation Inductively Coupled Mass
Spectrometry) ; ou (3) l’analyse spectrofluorométrique : microscopie de fluorophores spécifiques de certains éléments chimiques.
Ces techniques présentent des caractéristiques
complémentaires. La microsonde faisceau d’ions
*Laboratoire de Chimie Nucléaire Analytique Bio-environnementale - UMR 5084, CNRS – Université Bordeaux 1
BP 120 Chemin du Solarium – 33175 Gradignan
Tél : 05 57 12 09 07 – Fax : 05 57 12 09 00 – E-Mail : [email protected] – http://www.u-bordeaux1.fr/cnab/GICCS
36
SPECTRA ANALYSE n° 246 • Novembre 2005
Technologie appliquée
Imagerie des éléments chimiques. Analyse par faisceau d’ions et rayonnement synchrotron X
NOTE
Cet article
a fait l’objet d’une
conférence
au colloque
Spectr’Atom
2005 qui s’est
tenu à Pau du
6 au 8 avril
2005.
est totalement quantitative, et la microsonde
rayonnement synchrotron permet la spéciation
des états d’oxydation. Toutes deux se caractérisent par la possibilité d’analyser des échantillons
épais, donc pratiquement sans étape de préparation. Elles sont employées pour des études variées (1, 2, 3) en biologie cellulaire, géochimie,
archéologie, micro-électronique, etc.
II – La microsonde faisceau d’ions
1. Principe
Tableau I
Principales techniques
d’analyse pour l’imagerie,
la quantification, et la
spéciation des éléments
chimiques à l’échelle
microscopique.
Très schématiquement, la microsonde faisceau
d’ions est constituée d’un accélérateur de particules, qui produit des faisceaux de protons, ou de
particules α, de quelques MeV d’énergie, et d’un
système de focalisation par lentilles électromagnétiques qui permet d’obtenir un faisceau d’environ 1
μm pour la plupart des dispositifs existants, ou de
200 à 300 nm, pour quelques installations récentes. L’échantillon est placé sous vide dans le plan
focal de la lentille électromagnétique, perpendiculairement au faisceau incident, les détecteurs
de rayonnement X, pour l’analyse PIXE (Particle
de dans son caractère totalement quantitatif. La répartition quantitative des éléments dans les échantillons est obtenue en combinant l’analyse PIXE et
l’analyse des particules rétrodiffusées (RBS). La
technique PIXE, de sensibilité 10-15g, donne accès à la mesure de la masse des éléments chimiques de Z>10, par unité de surface (μg/cm2). La
méthode RBS permet de déterminer la masse des
éléments de Z>1 (matrice), également par unité de
surface (g/cm2). La mise en œuvre simultanée des
techniques PIXE et RBS permet de normaliser la
quantité d’éléments traces obtenue en PIXE par la
masse de la matrice obtenue en RBS, pour donner
la concentration locale des éléments chimiques
exprimée en (μg/g).
2. Exemple: microchimie de l’uranium dans
les spéléothèmes recristallisés
Les spéléothèmes, ou concrétions de grottes, sont
constitués en majorité de carbonate de calcium
cristallisé sous forme de calcite ou d’aragonite.
Des traces d’uranium sont toujours présentes et
permettent la datation des spéléothèmes par la
méthode 238U / 230Th. La datation de multiples
concrétions du gouffre de la Pierre-St-Martin a ré-
Techniques d’imagerie des Limite de
éléments chimiques
détection
Résolution
spatiale
Sélectivité
Quantification
Profondeur
d’analyse
Microsonde électronique
EDS (X-ray Energy Dispersive
Spectrometry)
100 à 1000 μg/g
0,5 μm
Multiélémentaire (Z≥6)
Semi-quantitative
0,1 à 1 μm
EELS (Electron Energy Loss
Spectroscopy)
1000 μg/g
1 nm
Multiélémentaire (Z≥6)
Formes chimiques
Semi-quantitative
< 50 nm
Microsonde faisceau d’ions
1 à 10 μg/g
0,2 - 2 μm
Multiélémentaire (tous Z)
Quantitative
10 à 100 μm
Microsonde rayonnement
synchrotron XRF
< 0,1 μg/g
0,1 - 2 μm
Multiélémentaire (Z≥6)
Semi-quantitative
> 100 μm
XAS (X-ray Absorption
Spectroscopy)
100 μg/g
1 μm
Formes chimiques
Laser Ablation Inductively
Coupled Plasma Mass
Spectrometry (LA-ICP-MS)
0,001 μg/g
5 – 15 μm
Multiélémentaire Isotopes
Semi-quantitative
200 μm
Secondary Ion Mass
Spectrometry (SIMS)
0,001 μg/g
0,05 μm
Multiélémentaire Isotopes
Semi-quantitative
0,1 μm
Micro Spectrofluorométrie
0,01 μg/g
1 μm
Fluorophores (Na, Mg, K,
Ca ...)
Quantitative
Cellule
Induced X-ray Emission), et de particules rétrodiffusées pour l’analyse RBS (Rutherford Backscattering Spectrometry) sont généralement placés à
45°, de part et d’autre de l’échantillon. Le faisceau
est balayé en continu durant l’analyse afin de réaliser la cartographie des éléments chimiques.
Le point fort de la microsonde faisceau d’ions rési-
> 100 μm
vélé des teneurs anormalement fortes d’uranium,
en particulier dans les échantillons provenant
de la partie intermédiaire d’une galerie nommée
Aranzadi. L’analyse par microsonde faisceau d’ions
a confirmé la présence de concentrations élevées
d’uranium dans les concrétions de cette galerie (4).
Les analyses microchimiques montrent de plus
SPECTRA ANALYSE n° 246 • Novembre 2005
37
TECHNOLOGIE APPLIQUÉE
Figure 1
que les concentrations les plus importantes correspondent à des phases minérales d’aragonite : de
60 à 350 μg/g d’U, contre seulement 10 à 20 μg/g
dans la calcite (figure 1). Ces analyses microchimiques ont également mis en évidence la présence de
teneurs élevées en Sr, localisé préférentiellement
dans l’aragonite ; entre 4 et 7 mg/g contre 0,3 à
0,8 mg/g dans la calcite. Le Zn est plutôt localisé
dans la calcite.
Cette étude met l’accent sur l’instabilité de l’uranium dans les carbonates de calcium naturels. Elle
montre un processus de redistribution de l’uranium suite à des phénomènes de recristallisation
de l’aragonite en calcite, ce qui explique des datations 238U / 230Th erronées dans les échantillons
recristallisés (4).
III – La microsonde rayonnement
synchrotron X
1. Principe
La microsonde rayonnement synchrotron X est
schématiquement constituée d’un faisceau incident de rayonnement X produit par une source de
lumière synchrotron, et d’un système optique de
focalisation des rayons X. Quatre types d’éléments
optiques peuvent être employés pour la focalisation de rayons X durs (6-30 keV) : des lentilles
diffractives (dites lentilles de Fresnel), des lentilles
réfractives composées, des miroirs de focalisation
de type Kirkpatrick-Baez (KB) et des fibres capillaires. La résolution spatiale varie entre 100 nm et
quelques micromètres en fonction de l’énergie du
rayonnement incident et des caractéristiques des
optiques de focalisation. Le développement de ces
optiques a permis l’implantation de microsondes
rayonnement X sur la plupart des installations
synchrotron dans le monde (3).
La fluorescence X induite par rayonnement synchrotron (SXRF, Synchrotron Radiation X-ray
Fluorescence) est une méthode d’analyse non
destructive parfaitement adaptée à la caractérisation qualitative et quantitative d’éléments
chimiques en faible teneur (sensibilité 10-17 g).
Le haut flux et la faible divergence du rayonnement synchrotron peuvent être exploités en
réduisant la taille du faisceau à des dimensions
(sub)micrométriques pour l’imagerie à haute résolution spatiale (5). En outre, l’absorption des
38
SPECTRA ANALYSE n° 246 • Novembre 2005
photons X par un élément chimique donne lieu
aux techniques spectroscopiques EXAFS (Extended X-ray Absorption Fine Structure) et XANES (X-ray Absorption Near Edge Structure).
La spectroscopie XANES permet la caractérisation des états d’oxydation des éléments.
Cartographies
géochimiques d’une
concrétion formée de
calcite et d’aragonite,
obtenues par microsonde
faisceau d’ions (4). Le
calcium est présent sur
pratiquement toute la
surface (carbonate de
calcium), le strontium et
l’uranium sont localisés
dans l’aragonite, et le zinc
dans la calcite. Dimension
de l’image : 800 x 800
μm2.
2. Exemple : spéciation des états d’oxydation
du chrome dans des cellules humaines
Jusqu’à présent il n’existait pas de technique
d’analyse microscopique capable de déterminer
in-situ les états d’oxydation de métaux traces.
En collaboration avec le groupe de microscopie rayons-X de l’ESRF à Grenoble, ligne ID-21,
nous avons obtenu les images de la distribution
intracellulaire des valences du chrome, Cr(VI)/
Cr(III) (6).
Nous avons plus particulièrement comparé l’incorporation cellulaire de chromates soluble (Na2CrO4,
solubilité 29 mol/L), carcinogène faible, et insoluble
(PbCrO4, solubilité 2.10-13 mol/L), carcinogène fort.
L’incubation avec un chromate soluble conduit à l’accumulation uniforme du Cr uniquement sous forme
réduite y compris dans le noyau confortant l’hypothèse de l’interaction du Cr(III) avec l’ADN. Les
chromates insolubles, donnent un résultat différent.
La présence simultanée de formes oxydées dans des
vacuoles cytoplasmiques et de formes réduites dans
le noyau cellulaire (figure 2) expliquerait le fort potentiel cancérigène des chromates insolubles (6).
Figure 2
Distributions des valences
du Cr dans des cellules
humaines en culture
après exposition in vitro
avec des particules de
PbCrO4 (6). Les images
ont été obtenues avec
un faisceau de rayons
X d’énergie 5,9953 keV
pour le potassium et le
Cr(VI), et 6,03 keV pour le
Cr total. On remarque la
présence de particules de
Cr(VI) dans le cytoplasme.
Technologie appliquée
Imagerie des éléments chimiques. Analyse par faisceau d’ions et rayonnement synchrotron X
IV – Conclusion et perspectives
Les dispositifs de focalisation du rayonnement
synchrotron et des faisceaux d’ions sont en
constante amélioration. Ces dernières années
des microsondes faisceau d’ions à haute résolution spatiale, « nanosondes », ont été construites
à Melbourne, Eindhoven, Singapour, et Leipzig.
Le projet AIFIRA (Applications Interdisciplinaires des Faisceaux d’Ions en Région Aquitaine)
a permis l’achat d’un accélérateur de particules
de haute stabilité en énergie pour le développement d’une nanosonde faisceau d’ions sur le site
de Bordeaux-Gradignan (résolution attendue :
300 nm à haut flux, 100 nm à bas flux ). La ligne
d’analyse nanosonde entrera en fonction courant 2006. Le gain en résolution spatiale devrait
permettre un saut qualitatif important en particulier pour l’imagerie chimique cellulaire car la
taille de nombreux compartiments intracellulaires est inférieure au micromètre.
BIBLIOGRAPHIE
1. ORTEGA R., Chemical elements distribution in cells.
Nucl. Instrum. Meth. B, 2005, 231, 218-223.
2. LLABADOR Y., MORETTO Ph., Applications of Nuclear Microprobes in the Life Sciences. World Scientific Publishing,
Singapore, 1998.
3. SUSINI J., JOYEUX D., POLACK F., X-ray microscopy, Proceedings of the 7th international conference on X-ray microscopy, J. Physique IV, Vol. 104, 2002.
4. ORTEGA R., MAIRE R., DEVES G., QUINIF Y., High-resolution mapping of uranium and other trace elements in
recrystallized aragonite-calcite speleothems from caves
in the Pyrenees (France): implication for U-series dating.
Earth Planet. Sc. Lett., 2005, 237, 911-923.
5. ORTEGA R., BOHIC S., TUCOULOU R., SOMOGYI A., DEVES
G., Micro-chemical element imaging of yeast and human
cells using synchrotron x-ray microprobe with KirkpatrickBaez optics. Anal. Chem., 2004, 76, 309-314.
6. ORTEGA R., FAYARD B., SALOME M., DEVES G., SUSINI J.,
Chromium oxidation state imaging in mammalian cells
exposed in vitro to soluble or particulate chromate compounds. Chem. Res. Tox., 2005,18,1512-1519.
SPECTRA ANALYSE n° 246 • Novembre 2005
39