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GINGRAS, Anne-Marie (dir.) (2014). Genre et politique dans la presse en France et au Canada. Québec, Presses de l’Université du Québec, 196 p. Présentation de l’ouvrage Anne-Marie Gingras1 D’une décennie à l’autre, de plus en plus de femmes se hissent dans la structure du pouvoir politique en France, au Canada et dans la majorité des démocraties occidentales. Candidates à la direction des partis politiques ou aux plus hauts échelons des gouvernements, titulaires de ministères régaliens, leurs avancées se font par à-coups et en dents de scie. L’idée que leurs succès électoraux sont en partie liés à leur image, comme pour les hommes, explique qu’on s’intéresse aux différenciations genrées dans la presse. L’usage de stéréotypes sexistes constitue-t-il encore un trait marquant de la médiatisation des parcours des femmes politiques? Comment divers marqueurs identitaires comme la classe sociale, l’âge, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle jouent-ils en conjonction avec le genre? Depuis les débats sur la parité en France, comment l’idée d’un réenchantement de la politique fondé sur les qualités dites féminines s’est-elle concrétisée dans les stratégies communicationnelles des partis? Enfin, comment les femmes politiques elles-mêmes gèrent-elles leur identité face à la presse et coconstruisent-elles leur image médiatique? Voilà quelques-unes des questions à l’origine de ce livre (…) Dans la première partie, les études de cas contiennent en majorité des éléments de comparaison entre diverses figures féminines ou masculines, de manière simultanée ou diachronique, de la même famille politique ou non. Certains chapitres mettent l’accent sur le contexte politique dans lequel les femmes évoluent, pour mieux cerner les éléments ayant exercé un impact sur leur parcours politique. D’autres s’attachent davantage aux connotations, expressions et représentations sociales des femmes politiques et présentent l’éventail des stéréotypes qui structurent la médiatisation d’un parcours politique. Enfin, 1 Merci à Linda Caletta pour la révision et la correction du texte. plusieurs interrogent l’enchevêtrement de divers marqueurs identitaires, parmi lesquels le genre, l’âge, la classe sociale, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle. La lecture des contributions de cette première partie laisse penser que les stéréotypes sexistes ne s’imposent pas avec autant de force des deux côtés de l’Atlantique. Plusieurs pistes de recherche visant à expliquer cet état des choses méritent d’être explorées. Premièrement, faut-il voir dans le processus même de médiatisation de la vie politique une explication du poids différent des stéréotypes sexistes en France et au Canada? Dans l’Hexagone, les stratégies de communication des partis font une large place à la starisation des hommes et femmes politiques, comme le recours aux magazines people l’illustre, et ces derniers contribuent fortement à modeler l’image des figures publiques. Or, dans ce type de presse, les rôles sociaux de genre occupent une place privilégiée et l’attention portée aux corps est particulièrement marquée. Les femmes et les hommes politiques français qui aspirent aux plus hauts échelons du pouvoir politique semblent se plier avec une relative bonne grâce à l’étalage d’une partie de leur vie privée. La mise en valeur, voire le vedettariat des figures politiques par le biais de leur apparence physique, de leur vie amoureuse ou familiale, comme on les retrouve dans Paris-Match, n’ont pas d’équivalent au Québec et dans le reste du Canada. En effet, du côté ouest de l’Atlantique, les stratégies de conquête de l’électorat ne s’appuient pas sur les magazines populaires; la minuscule presse people, dans les rares cas où elle s’intéresse aux personnages politiques, n’exerce que peu de poids dans la construction de leur image. Deuxièmement, peut-on croire que les femmes politiques françaises auraient davantage «fait quelque chose» de leur identité genrée dans la construction de leur personnage public que les Québécoises et les Canadiennes, ce phénomène ayant même été croissant avec les débats sur la parité? A contrario, l’absence de débats sur les stratégies visant à féminiser les parlements au Québec et dans l’ensemble du Canada aurait-elle encouragé les femmes politiques à tenter de neutraliser leur identité genrée pour éviter des commentaires sexistes? En effet, à l’occasion des débats sur la parité en France, l’identité est devenue pour les femmes politiques – et pour les partis – une «ressource2», les qualités dites féminines agissant comme une clé de proximité envers 2 Voir les chapitres 1 et 6. l’électorat. On associe leur arrivée dans les parlements et plus encore dans les exécutifs au renouvellement du personnel politique, voire au renouveau de la politique elle-même, et ce, dans un contexte où croît le cynisme envers les élites politiques. Les débats sur la parité en France auraient-ils encouragé les médias à interroger de manière soutenue les répercussions de la différence des sexes en politique, alors qu’au Québec et dans le reste du Canada, les stratégies pour féminiser les parlements ayant toutes échoué, cette question n’a été mise à l’agenda que de manière très épisodique? En conséquence, alors que les femmes politiques françaises coconstruiraient leur identité genrée de manière active – la campagne de Ségolène Royal en 2007 en constituant le prototype –, de l’autre côté de l’Atlantique, les femmes politiques auraient usé très minimalement de cette «ressource», voire tenté de faire oublier leur identité genrée, comme l’illustrent entre autres le recours au tailleur-pantalon sobre et la relative absence de la famille des candidates aux moments clés de leur vie politique. Troisièmement, dans l’espoir d’enrichir la recherche comparée sur les femmes en politique, en étudiant avec les mêmes grilles d’analyse les postes les plus élevés de la hiérarchie politique d’un pays à l’autre, aurait-on un peu sacrifié l’examen des différences entre régimes politiques et entre systèmes partisans? La fonction de président de la République française comporte-t-elle une dimension plus sacralisée, ou une charge symbolique plus forte que celle associée au poste de premier ministre, et a fortiori de premier ministre d’une province canadienne? De plus, comment le suffrage universel pour le chef de l’État vient-il complexifier les problèmes d’accession au pouvoir pour les femmes, comparativement aux systèmes dans lesquels la fonction suprême ne relève pas du suffrage? La fonction de chef d’État, qui est aussi chef des armées, est-elle plus difficilement accessible aux femmes? En conséquence, les catégories pour penser le genre en politique seraient-elles un peu différentes en France, au Québec et dans l’ensemble du Canada? Les contributions de la première partie pointent en direction d’une réponse positive à cette question. (…) Les chapitres de la seconde partie portent sur la médiatisation de questions qui mettent en scène des différenciations entre hommes et femmes, soit la parité dans la représentation politique en France, les femmes terroristes et les affaires de nature sexuelle auxquelles Dominique Strauss-Kahn a dû faire face. Chacun met en lumière la façon dont les logiques médiatiques opèrent, faisant valoir tant des éléments de culture politique que les enjeux qui relèvent des rapports de domination sociale et politique. Table des matières : Présentation de l’ouvrage : Anne-Marie Gingras Partie I. À la conquête du pouvoir institutionnel Chapitre 1. Fille, mère, épouse ou concubine. L’institution présidentielle française à l’épreuve des rôles genrés (2007-2012). Frédérique Matonti et Sandrine Lévêque Chapitre 2.Une femme, une ministre de la Justice. Genre et pouvoir dans les discours de la presse française. Isabelle Garcin-Marrou Chapitre 3. Marois, Boisclair et la cocaïne. Une étude des cadres des principaux rivaux de la course à la direction du Parti québécois en 2005. Anne-Marie Gingras Chapitre 4. La droite à visage féminin. Les cas des Albertaines Alison Redford et Danielle Smith. Frédéric Boily Chapitre 5. Entre réappropriation et neutralisation du genre. Le cas de Christy Clark. Ève Robidoux-Descary et Frédéric Boily Partie II. Représentations médiatiques genrées et enjeux de pouvoir Chapitre 6. La parité en débats dans la presse française 1997-2000. Virginie Julliard Chapitre 7. Victimes ou bourreaux? Étude comparée des représentations médiatiques des femmes kamikazes dans onze médias francophones et anglophones de 1985 à 2010. Aurélie Campana Chapitre 8. La presse écrite et les affaires DSK. L’enjeu public-privé. Sarah Jacob-Wagner