Préparation au mariage I. – Le mariage : un sacrement

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Préparation au mariage I. – Le mariage : un sacrement
Préparation au mariage
Samedi 23 octobre 2010 – Liesse Notre-Dame
I. – Le mariage : un sacrement
On dit, à la manière d’une boutade, que « les sacrements font l’Église » tout autant que
l’Église « fait les sacrements ». C’est une manière très approximative de rendre compte
d’un profond mystère. Il est sans doute utile, voire nécessaire au préalable de nous accorder sur la notion même de sacrement. Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, cette première étape semble indispensable.
1. Qu’est-ce qu’un sacrement ?
Essayons d’être simple et direct. Un sacrement, c’est un signe de la présence, de l’irruption de Dieu dans nos vies. « Le sacrement permet de faire l’expérience de Dieu » (Théo, p. 582a ;
cf. Théo [2009], p. 1074). Ou, comme l’exprime saint Augustin (354-430) avec bonheur, un
sacrement est un « signe sacré », un « signe visible d’une réalité invisible » (cité par Michèle
CLAVIER, Les sacrements, p. 24).
Bien sûr, on peut aussi faire l’expérience de Dieu sans recourir aux sacrements (enfn, on
peut toujours essayer !). Mais le sacrement vient en quelque sorte rendre visible l’action et
la présence de Dieu dans nos vies, dans chacune de nos vies, dans notre vie chrétienne
dans son ensemble, c’est-à-dire dans l’Église. Et surtout, le sacrement vient éclairer, donner
sens à notre vie humaine et chrétienne. Il nous met en relation avec Dieu, pourrait-on dire,
et quasi toujours dans une dimension communautaire, même si les apparences peuvent
quelquefois être trompeuses.
2. Quel est le sens du mot « sacrement » ?
Le mot « sacrement » vient du latin sacramentum. En latin, c’est un terme juridique qui
désigne « la caution que deux personnes qui entraient en procès allaient déposer devant les dieux.
Le perdant laissait cette caution au temple, et ce sacramentum était consacré aux dieux. Par analogie, le sacramentum est devenu aussi le serment qui accompagnait le dépôt. » (cf. Théo [2009], p.
1075c).
Dans le vocabulaire militaire, il signife le serment prêté devant quelqu’un, l’engagement en quelque sorte. Ce qui fait que, de manière plus large, il indique le serment en général. Enfn, dans le vocabulaire chrétien, ce mot latin traduit le mot grec
, chose
secrète ou mystérieuse, cérémonie religieuse secrète, d’où le sens général en français de
« mystère », qui implique d’une certaine manière une « initiation ».
La convergence des ces différentes signifcations éclaire déjà beaucoup le sens profond
de ce mot « sacrement ». Certes, on y aperçoit la racine « sacré ». Mais la richesse ainsi dégagée permet de pointer deux notions fondamentales par rapport à ce mot « sacrement » :
a) il indique quelque chose qui s’apparente au registre biblique de l’Alliance, si l’on
considère l’aspect « serment ». En effet, un serment implique deux parties en présence ;
b) la source grecque renvoie, quant à elle, à la notion d’« initiation », que nous allons retrouver dans les « sacrements de l’initiation » chrétienne. Initier, c’est pénétrer déjà
dans un mystère et non partager des petits secrets pour déchiffrer des énigmes.
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Le sacrement du mariage
Pour aller un tout petit peu plus loin, un sacrement nous permet de découvrir une présence mystérieuse qui s’offre à nous. Le raccourci est rapide, mais aussi précis que possible.
3. En quoi « consiste » un sacrement ou « que veut-il nous dire » ?
Partant de ce que nous venons d’acquérir, nous pouvons affrmer aussi que le sacrement
est un « mémorial ». Il faut expliquer le sens de ce mot. Un « mémorial » dans la Bible désigne par exemple une stèle, qui commémore un événement du passé qui intervient dans le
présent et ouvre un avenir (cf. la stèle dressée par Jacob : Gn 28, 18). On peut citer aussi le
Mémorial de Blaise Pascal (cf. annexe).
Le petit refrain que nous chantons après chaque consécration, appelé « anamnèse » par
les spécialistes est un exemple éloquent de ce qu’est le « mémorial » : « Nous rappelons ta
mort, Seigneur Jésus ; nous célébrons ta Résurrection ; nous attendons ta venue dans la gloire. »
Les autres modulations sur le même thème aboutissent à un résultat semblable, sinon
équivalent.
Un sacrement présente toujours deux aspects : l’un extérieur et visible (sacramentum pour
les latins, « symbole » pour les grecs) ; l’autre invisible, qui est l’action de Dieu, le don de
la grâce (cf. Michèle CLAVIER, Les sacrements, p. 24)
4. Pourquoi sept sacrements ?
C’est avec lenteur que l’Église catholique a
défni le nombre de sacrements. On a admis, de
manière défnitive [au sens plein de ce terme : « à
titre de défnition »] qu’il y en a sept aux alentours du XVIe siècle, et pour être plus précis depuis la septième session (3 mars 1547) du concile
de Trente (1545-1563)1. À vrai dire, deux sacrements sont tout de suite apparus comme fondamentaux : le Baptême et l’Eucharistie. Au Moyen
Âge, certains affrmaient qu’il y en avait deux ou
trois autres ou, au contraire, beaucoup plus. S.
Thomas d’Aquin distinguait entre les sacrements
majeurs et les sacrements mineurs. Il justifait
l’existence des sacrements en les rattachant aux
grandes étapes de la vie (naissance, baptême,
passage à l’âge adulte, confrmation, mariage,
etc.) et il est vrai que, si Dieu rejoint l’homme, il
le lui signife aux moments signifcatifs de sa vie
(cf. Théo [2009], p. 1074a).
Si l’Eucharistie peut se situer au cœur de ce
dispositif, c’est le Baptême qui en est en quelque
sorte la « source » et le principe. Les autres sacrements ne font que déployer la grâce baptismale,
peut-on dire.
Sept : un nombre sacré
Le chiffre sept est chargé d’un haut
symbolisme dans la Bible. Symbole
d’harmonie et de plénitude, son caractère sacré a pu dériver de l’observation
astronomique. Dans la tradition hébraïque comme dans la tradition chrétienne,
il s’applique à des séries complètes : les
sept jours de la semaine, les sept dons
du Saint-Esprit, etc. Il est symbole de la
totalité, additionnant le chiffre de Dieu
(3) et celui de l’homme (4). La reconnaissance des sept sacrements signif ie
ainsi la plénitude de la proposition du
salut.
Michèle CLAVIER, Les sacrements, p. 17
Quelques corrections méritent d’être apportées
à cette note de Michèle Clavier. Le chiffre sept est
celui de la perfection. En ce sens, le premier récit
de la Création indique que le septième jour est
béni par Dieu et consacré au Seigneur (cf. Gn 2,
2-3). Ce n’est donc pas, comme elle l’affrme, « le
symbole de la totalité » ou de « la plénitude »,
qui appartient au nombre douze. Si on s’en tient
au registre de la perfection, du sacré, voilà qui
semble plus éclairant par rapport aux sept sacrements : ils sont, ensemble, le signe de l’irruption
de la perfection de Dieu dans nos vies imparfaites,
de son infni dans notre « fnitude ».
1 Concile de Trente, décret sur les sacrements (3 mars 1547), canon 1 ; Denzinger 1601.
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Le sacrement du mariage
5. Un sacrement présente toujours une dimension ecclésiale
Cinq expressions sont mises en lumière dans le Catéchisme de l’Église Catholique (édition
défnitive, 1997) : les sacrements du Christ, les sacrements de l’Église, les sacrements de la
foi, les sacrements du salut et les sacrements de la vie éternelle (1114-1130). Voici comment
sont présentés les « sacrements de l’Église » :
[1117] Par l’Esprit qui la conduit « dans la vérité tout entière » (Jn 16, 13), l’Église a
reconnu peu à peu ce trésor reçu du Christ et en a précisé la « dispensation », comme elle
l’a fait pour le canon des saintes Écritures et la doctrine de la foi, en fdèle intendante des
mystères de Dieu (cf. Mt 13, 52 ; 1 Co 4, 1). Ainsi, l’Église a discerné au cours des siècles
que, parmi ses célébrations liturgiques il y en a sept qui sont, au sens propre du terme, des
sacrements institués par le Seigneur
[1118] Les sacrements sont « de l’Église » en ce double sens qu’ils sont « par elle » et
« pour elle ». Ils sont « par l’Église » car celle-ci est le sacrement de l’action du Christ opérant en elle grâce à la mission de l’Esprit Saint. Et ils sont « pour l’Église », ils sont ces
« sacrements qui font l’Église » (S. Augustin, La Cité de Dieu, 22, 17 ; cf. S. Thomas
d’Aquin, Somme théologique, 3, 64, 2, ad 3), puisqu’ils manifestent et communiquent
aux hommes, surtout dans l’Eucharistie, le Mystère de la Communion du Dieu Amour, Un
en trois Personnes.
[1119] Formant avec le Christ-Tête « comme une unique personne mystique » (Pie
XII, encyclique Mystici Corporis), l’Église agit dans les sacrements comme « communauté sacerdotale », « organiquement structurée » (LG 11) : par le Baptême et la Confrmation, le peuple sacerdotal est rendu apte à célébrer la liturgie ; d’autre part, certains fdèles,
« revêtus d’un Ordre sacré, sont établis au nom du Christ pour paître l’Église par la
parole et la grâce de Dieu » (LG 11).
[1120] Le ministère ordonné ou sacerdoce ministériel (LG 10) est au service du sacerdoce
baptismal. Il garantit que, dans les sacrements, c’est bien le Christ qui agit par l’Esprit
Saint pour l’Église. La mission de salut confée par le Père à son Fils incarné est confée aux
Apôtres et par eux à leurs successeurs : ils reçoivent l’Esprit de Jésus pour agir en son nom
et en sa personne (cf. Jn 20, 21-23 ; Lc 24, 47 ; Mt 28, 18-20). Ainsi, le ministre ordonné est
le lien sacramentel qui relie l’action liturgique à ce qu’ont dit et fait les Apôtres, et, par eux,
à ce qu’a dit et fait le Christ, source et fondement des sacrements.
[1121] Les trois sacrements du Baptême, de la Confrmation et de l’Ordre confèrent, en
plus de la grâce, un caractère sacramentel ou « sceau » par lequel le chrétien participe au
sacerdoce du Christ et fait partie de l’Église selon des états et des fonctions diverses. Cette
confguration au Christ et à l’Église, réalisé par l’Esprit, est indélébile (Concile de Trente :
Denzinger 1609), elle demeure pour toujours dans le chrétien comme disposition positive
pour la grâce, comme promesse et garantie de la protection divine et comme vocation au
culte divin et au service de l’Église. Ces sacrements ne peuvent donc jamais être réitérés.
Comme l’observe Michèle CLAVIER, pendant longtemps on a considéré que les sacrements
(comme la foi) étaient une « affaire privée qui se déroulait entre Dieu et le croyant, et ne regardait qu’eux » (Les sacrements, p. 26). « Le concile Vatican II, poursuit-elle, a beaucoup contribué
à redonner aux chrétiens le sens de l’Église. Il a tenu à rappeler que “les actions liturgiques ne sont
pas des actions privées, mais des célébrations de l’Église”. Il a par ailleurs invité à préférer, pour les
sacrements, la célébration commune plutôt que la célébration individuelle, dans la mesure du
possible « (ibid.).
Relevons au passage que le baptême marque l’« incorporation » du nouveau baptisé à
l’Église, Corps du Christ. Le baptême étant la « source » de tous les sacrements, on ne peut
que déduire cette dimension « ecclésiale » de tous les sacrements, sans exception aucune.
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Le sacrement du mariage
6. L’Église, « sacrement du salut »
La dimension ou la perspective « ecclésiale » des sacrements prend elle-même racine
dans la « sacramentalité » même de l’Église. Le concile Vatican II défnit d’emblée l’Église en
ces termes :
Le Christ est la lumière des peuples ; réuni dans l’Esprit Saint, le saint Concile souhaite
donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Évangile, ré pandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église (cf.
Mc 16, 15). L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la
fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain,
elle se propose de mettre dans une plus vive lumière, pour ses fdèles et pour le monde entier,
en se rattachant à l’enseignement des précédents Conciles, sa propre nature et sa mission
universelle. À ce devoir qui est celui de l’Église, les conditions présentes ajoutent une nouvelle urgence : il faut que tous les hommes, désormais plus étroitement unis entre eux par les
liens sociaux, techniques, culturels, réalisent également leur pleine unité dans le Christ.
(Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, n. 1)
Plus loin, la Constitution dogmatique sur l’Église reprend ce thème en le présentant sous
un angle différent :
Le Christ élevé de terre a tiré à lui tous les hommes (cf. Jn 12, 32 grec) ; ressuscité des
morts (cf. Rm 6, 9), il a envoyé sur ses Apôtres son Esprit de vie et par lui a constitué son
Corps, qui est l’Église, comme le sacrement universel du salut ; assis à la droite du Père,
il exerce continuellement son action dans le monde pour conduire les hommes vers l’Église,
se les unir par elle plus étroitement et leur faire part de sa vie glorieuse en leur donnant
pour nourriture son propre Corps et son Sang. La nouvelle condition promise et espérée a
déjà reçu dans le Christ son premier commencement ; l’envoi du Saint-Esprit lui a donné
son élan et par lui elle se continue dans l’Église où la foi nous instruit sur la signifcation
même de notre vie temporelle, dès lors que nous menons à bonne fn, avec l’espérance des
biens futurs, la tâche qui nous a été confée par le Père et que nous faisons ainsi notre salut
(cf. Ph 2, 12).
(Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, n. 48)
Le concile Vatican II aurait-il donc ajouté un huitième sacrement que nous ignorerions
jusqu’à présent ? Notons deux aspects essentiels dans ces deux passages du texte majeur
qu’est la Constitution dogmatique sur l’Église :
1. la référence primordiale est toujours le Christ, car c’est en lui que s’enracine l’Église de
manière vitale et « existentielle », si l’on peut dire ;
2. la défnition du mot « sacrement » présentée par le n. 1 de Lumen Gentium mérite d’être
soulignée : « c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité
de tout le genre humain ». Ce résumé éclaire bien la notion de « sacrement » appliquée à
l’Église, certes, mais aussi par rapport aux sept sacrements de l’Église. Il faut aussi remarquer le parallélisme entre « union intime avec Dieu » et « unité de tout le genre humain ». L’un ne va pas sans l’autre. Le sacrement est à la fois « intime » et personnel,
mais aussi collectif ou « commun ».
7. À la « source » et au cœur des sacrements :
le Mystère de Dieu, la Révélation en Jésus Christ
Puisque nous remontons aux sources des sacrements de l’Église, ce que nous venons
d’évoquer nous conduit à la source première (et fondamentale) des sacrements et de l’Église : le Mystère de Dieu, tel qu’il est révélé en Jésus Christ. En ce sens, les « sacrements de
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Le sacrement du mariage
l’Église » sont donc tout à la fois les « sacrements de la foi » ou les « sacrements du salut »,
pour reprendre les expressions que nous avons relevées dans le Catéchisme de l’Église Catholique. Comme le remarquait saint Augustin au Ve siècle, « il n’y a pas d’autre sacrement que
Jésus Christ » (cité par M. CLAVIER, p. 8). En vivant les sacrements, lors de leur célébration
liturgique mais aussi au fl des jours de notre vie, nous puisons à cette source inépuisable
qu’est Dieu lui-même.
Cela peut nous rappeler l’entretien de Jésus avec la Samaritaine au puits de Jacob, tel
que le rapporte l’évangile selon saint Jean : « Seigneur, tu n’as même pas un seau, et le puits
est profond ; d’où la tiens-tu donc, cette eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui
nous a donné le puits et qui, lui-même, y a bu ainsi que ses fls et ses bêtes ? » Jésus lui répond :
« Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai
n’aura plus jamais soif ; au contraire, l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante
en vie éternelle » (Jn 4, 11-14). Sources de notre vie de foi, les sacrements prennent euxmêmes leur source en Jésus Christ. Et la symbolique de l’eau indique ici avec assez de netteté le baptême.
Dans une merveilleuse pédagogie, en présentant aux fdèles sept sacrements différents,
l’Église leur indique qu’ils ne sauraient manquer de vivres dans leur traversée ici-bas. Ellemême « sacrement », elle nourrit sans cesse ses enfants aux sources vives du salut.
BIBLIOGRAPHIE
Michèle CLAVIER, Les sacrements, éditions du Signe, Strasbourg, 2005, 64 p., ill.
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Le sacrement du mariage
II – Le mariage, « sous le signe de l’Alliance »
1. Sous le signe de l’Alliance et du don
Pour ce second entretien, nous avons retenu un thème majeur. Il est sans doute indis pensable en effet d’affrmer qu’au cœur de notre foi chrétienne et de la Tradition biblique,
il y a une notion fondamentale qui semble avoir été parfois négligée avec une dextérité
hors pair. Je veux évoquer la notion d’Alliance. Elle se trouve non seulement au cœur de la
Tradition de l’Ancien Testament, mais elle gouverne aussi celle du Nouveau Testament.
D’ailleurs, c’est un abus de langage que de parler ainsi. L’idée de « testament » renvoie à
une notion peu agréable : le décès d’un être cher et la succession qu’il faut assumer. Ce
n’est pas faux, mais c’est une approximation dont nous devrions nous méfer. La réalité
que recouvrent les expressions Ancien et Nouveau Testament serait mieux restituée si on se
décidait à parler d’Ancienne et de Nouvelle Alliance. Et pour beaucoup, cela permettrait de
comprendre de l’intérieur certaines expressions liturgiques un peu bizarres, comme celle
de la consécration du vin lors de la célébration de l’Eucharistie : « Prenez et buvez-en tous,
car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour
vous et pour la multitude en rémission des péchés. »
Les « sacrements de l’Église » sont aussi les « sacrements de l’Alliance ». Ou, pour essayer de
le dire mieux et de façon plus simple, ils nous permettent de découvrir sans cesse en quoi
consiste cette Alliance entre le Seigneur et l’humanité. Mais il faut de prime abord nous
mettre d’accord sur la notion même d’Alliance. Dans un sens on ne peut plus courant et banal, il faut rapprocher ce terme du mot « lien ». S’allier, c’est unir les forces de deux parties
différentes en vue d’un objectif commun. Ce terme « alliance » a souvent une connotation
militaire. Par exemple, l’OTAN, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, est une alliance militaire. On a aussi usé et abusé de ce terme avec les troupes de différents pays qui
ont volé au secours de l’Irak de Saddam Hussein. Mais une alliance peut aussi présenter
des aspects pacifques. Par exemple, quand on veut créer un tunnel sous le Mont-Blanc ou
sous la Manche, il est préférable de se mettre d’accord au préalable sur les objectifs et les
moyens mis en œuvre pour atteindre les dits objectifs (ne pas creuser en dépit du bon sens
chacun de son côté pour fnir par ne pas se rencontrer à l’arrivée !).
La Bible utilise donc cette notion pour décrire les liens qui unissent le Seigneur au peuple qu’il choisit, qu’il élit et avec qui il contracte une alliance, l’Alliance. Dans l’Ancien Testament, c’est une notion fondamentale, qui court des patriarches jusqu’à Moïse et à l’Exode et se prolonge encore avec la déportation et l’Exil à Babylone. Par l’Incarnation du Fils
de Dieu, Jésus Christ, cette Alliance se développe encore pour nous faire comprendre à
quel point Dieu vient se compromettre dans notre humanité, il se lie, il s’unit à nous.
Le sacrement du Baptême est le sacrement de l’Alliance par excellence, puisqu’il nous
unit au Père en Jésus Christ en faisant de chacun de nous un fls ou une flle de Dieu. Mais il
est aussi le sacrement de l’Alliance qui constitue l’Église comme peuple de Dieu, Corps du
Christ, Temple de l’Esprit Saint, c’est-à-dire que nous formons en quelque sorte dès maintenant et pour toujours la « famille » de Dieu, non seulement parce que chacun de nous est
uni à lui mais parce que nous sommes unis les uns aux autres comme nous sommes unis à
Dieu. Voilà pourquoi cette notion d’Alliance est essentielle et fondamentale.
Il faut aussi énoncer une autre remarque : il convient d’envisager la dynamique de l’Alliance sous le mode d’un don gratuit réciproque. En fait, la gratuité n’est pas tout à fait ré ciproque ; elle est asymétrique, car elle bénéfcie surtout à l’humanité. Lisons, par exemple,
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Le sacrement du mariage
cette déclaration divine dans le livre du Deutéronome :
« Vois : je mets devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande
aujourd’hui d’aimer le SEIGNEUR ton Dieu, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Alors, tu vivras, tu deviendras nombreux, et le SEIGNEUR ton Dieu te bénira dans le
pays où tu entres pour en prendre possession. Mais si ton cœur se détourne, si tu n’écoutes
pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir, je vous le
déclare aujourd’hui : vous disparaîtrez totalement, vous ne prolongerez pas vos jours sur la
terre où tu vas entrer pour en prendre possession en passant le Jourdain.
J’en prends à témoin aujourd’hui contre vous le ciel et la terre : c’est la vie et la mort que
j’ai mises devant vous, c’est la bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu
vives, toi et ta descendance, en aimant le SEIGNEUR ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. C’est ainsi que tu vivras et que tu prolongeras tes jours, en habitant sur la terre
que le SEIGNEUR a juré de donner à vos pères, Abraham, Isaac et Jacob. »
(Dt 30, 15-20)
En lisant cette déclaration, il est clair que l’Alliance se noue sur un enjeu de vie ou de
mort ; c’est un choix vital, en d’autres termes. Le déséquilibre apparent de l’Alliance met en
relief cette donnée de base que l’homme n’est pas Dieu, et vice versa. Cette Alliance qui
gouverne en quelque sorte l’existence même de l’Église suppose qu’elle soit rappelée, remémorée aussi souvent que possible. Parmi les sept sacrements, deux s’inscrivent tout à
fait sous ce signe de l’Alliance : le sacrement de mariage, bien sûr, mais aussi celui de l’Ordre, qui indique que le Seigneur n’abandonne jamais son Église, qu’il lui garantit tous les
moyens possibles et appropriés pour son existence propre. Il faudrait sans doute ajouter
que, dans la forme, ces deux sacrements mettent en valeur un engagement personnel et
altruiste, qui représentent autant de similitudes avec le thème de l’Alliance.
2. L’union du Christ et de l’Église
S’il y a une excellente et éloquente illustration de ce que nous venons d’affrmer, c’est
bien dans la célébration du sacrement de mariage qu’on peut la trouver. Le mariage est bel
et bien une alliance entre une femme et un homme qui décident de mettre leurs destins en
commun, pour ne plus faire qu’un. Et le signe tangible de cette alliance, ce sont ces anneaux que chacun remet à l’autre ; on appelle ce bijou une « alliance » (qui se glisse d’ailleurs à l’annulaire, « le doigt qui porte l’alliance »). Voilà pour une première approche, de
type « minimaliste ». Mais il y a plus et mieux. L’Église catholique romaine considère le
mariage comme un sacrement parce qu’il rappelle l’union du Christ et de l’Église, une union
qui est une véritable Alliance. À ce propos, un écrit de saint Paul peut beaucoup nous éclairer (et ce, d’autant mieux qu’il est proposé parmi les lectures bibliques pour la célébration
liturgique du sacrement de mariage 1). Je vous le livre.
« Vous qui craignez le Christ, soumettez-vous les uns aux autres ; femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur. Car le mari est le chef de la femme, tout comme le
Christ est le chef de l’Église, lui le Sauveur de son corps. Mais, comme l’Église est soumise
au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leurs maris. Maris, aimez vos femmes
comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle ; il a voulu ainsi la rendre
sainte en la purifant avec l’eau qui lave, et cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à
lui-même, splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il a voulu son Église sainte et irréprochable. C’est ainsi que le mari doit aimer sa femme, comme son propre corps. Celui qui
aime sa femme s’aime lui-même. Jamais personne n’a pris sa propre chair en aversion ; au
contraire, on la nourrit, on l’entoure d’attention comme le Christ fait pour son Église ; ne
sommes-nous pas les membres de son corps ? C’est pourquoi l’homme quittera son père
1 Et aussi dans le livret diocésain de préparation au mariage, Sous le signe de l’Alliance, p. 14 !
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Le sacrement du mariage
et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront plus qu’une seule chair
[Gn 2, 24]. Ce mystère est grand : moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église.
« En tout cas, chacun de vous, pour sa part, doit aimer sa femme comme lui-même, et la
femme respecter son mari »
(Ep 5, 21-33)
Je comprends très bien qu’un tel texte puisse paraître « machiste » de nos jours. Mais
comme on dit qu’il ne faut pas accuser le thermomètre quand on fait de la température, il
faudrait que nous examinions de près les raisons qui peuvent provoquer quelques réactions épidermiques à la lecture de tels propos. Avec courage, je ne vous ai épargné aucun
détail. Je me demande si ce n’est pas un trait « franchouillard » : il faut que nous prenions
tout au pied de la lettre. Mais inversez les rôles dans le texte, et vous vous apercevrez qu’il
est possible aussi de le lire de cette manière. Évitons cependant les commentaires oiseux et
inappropriés. Ce que je souhaitais souligner, c’est cette phrase : « Ce mystère est grand : moi,
je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église. » De quoi Paul parle-t-il en utilisant le mot « mystère » ? (Nous pouvons restituer ce mot « mystère » par « sacrement »). Essayons de traduire
en français courant. Paul nous dit que le mariage, l’union d’une femme et d’un homme,
c’est pareil que l’union du Christ avec son Église. En termes bibliques, dans le vocabulaire
de l’Ancien Testament, nous pourrions dire que le Christ s’unit, « connaît » son Église,
comme Adam « connaît » Ève… J’évite une précision plus grande par simple pudeur. Ce
passage de la lettre aux Éphésiens est un texte fondateur pour ce qui concerne la sacramentalité du mariage : celui-ci nous rappelle que le Christ a « épousé » son Église. Ce n’est pas
une mince affaire !
D’emblée, il faut affrmer qu’avant d’être un sacrement, le mariage est une réalité humaine, conditionnée par la biologie, la survie de l’espèce. C’est une manière peu élégante
et un peu brutale pour présenter les choses, mais nous nous efforçons de remonter aux
origines. D’un point de vue anthropologique plus large, le mariage représente aussi une
expression appropriée de notre sexualité. Au-delà des aspects « physiologiques », le mariage se présente comme un acte social, et en cela tout à fait humain, puisque notre huma nité se défnit entre autres comme formant une multitude de sociétés de vie. Ce n’est que
peu à peu que l’union d’un homme et d’une femme va faire l’objet d’une bénédiction spécifque. On date cette évolution de la paix constantinienne (313). Au fur et à mesure de la
complexifcation des relations sociales et humaines, en particulier à cause des problèmes
de succession, les formalités civiles deviennent religieuses, aux alentours du IX e siècle.
Enfn, au XIIe siècle, le mariage fgure dans la liste des sept sacrements de l’Église, ce qui
sera entériné au concile de Trente (1547)1, où il est prévu que l’échange du consentement
des époux doit avoir lieu devant leur propre curé et deux témoins 2.
L’une des particularités du sacrement de mariage, c’est qu’il concerne deux personnes
au premier chef. On pourrait en déduire que sa dimension ecclésiale est tout sauf évidente.
Or, comme nous l’avons indiqué au préalable, la dimension ecclésiale de ce sacrement tient
à ce qu’il rappelle les « noces » du Christ avec son Église, les « noces » de Dieu avec l’humanité. Ce n’est sans doute pas le fruit du hasard si l’image des noces traverse toute la
Bible, Ancien et Nouveau Testament, pour donner à l’Alliance un aspect existentiel, vécu,
« expérimental », si je puis dire. La dimension sociale est donnée par l’obligation d’échanger les consentements en présence du curé et de deux témoins ; mais c’est aussi une dimension ecclésiale incontestable, même si elle peut sembler insuffsante. À travers la célébration du sacrement de mariage, il est rappelé à toute l’Église qu’elle est « l’épouse du
Christ », pour reprendre le vocabulaire paulinien.
1 Concile de Trente, décret sur les sacrements (3 mars 1547), canon 1 ; Denzinger 1601.
2 Concile de Trente, décret Tamesti (11 novembre 1563) ; Denzinger 1816.
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Le sacrement du mariage
3. La célébration du mariage
Il convient maintenant d’examiner de façon très rapide le Rituel du mariage. Comme
toute célébration, il comporte quatre étapes :
1. Rite d’ouverture ;
3. Célébration du mariage ;
2. Liturgie de la parole ;
4. Conclusion de la célébration.
Si l’Eucharistie est célébrée (ce qui devrait être la norme et tend de plus en plus à devenir une exception), la célébration de ce sacrement prend sa place de manière tout à fait na turelle dans le prolongement de la célébration du sacrement de mariage.
Quelques innovations ont été introduites dans le Rituel promulgué en langue française
en 2005 (alors que l’édition latine typique a été promulguée en 1990 – on voit ainsi les efforts héroïques déployés par les traducteurs !). La meilleure de ces innovations est la mise
en relief de la place de l’Esprit Saint dans la bénédiction nuptiale qui suit désormais aussitôt la remise des alliances (sauf lorsqu’il y a célébration de l’Eucharistie, où cette bénédiction peut être reportée aussitôt après que l’on ait récité le Notre Père [l’oraison dominicale
pour faire savant]). Non seulement, la mention de l’Esprit Saint est plus explicite, mais elle
est aussi soulignée par le geste de l’imposition des mains qui accompagne cette bénédiction.
D’autres modifcations sont en revanche plus contestables, comme par exemple la formule proposée au célébrant pour inviter les futurs époux à échanger leurs consentements.
Naguère, les quatre « piliers » du mariage (liberté, indissolubilité, fdélité, fécondité) semblaient bien mis en valeur ; le vocabulaire utilisé désormais semble parfois plus édulcoré.
Jugez-en par vous-mêmes :
« Avec N… et N…, nous avons écouté la
Parole de Dieu qui a révélé tout le sens de
l’amour humain.
« Le mariage suppose que les époux s’engagent l’un envers l’autre sans y être forcés
par personne, se promettent fdélité pour toute leur vie et acceptent la responsabilité
d’époux et de parents.
« N… et N…, est-ce bien ainsi que vous
avez l’intention de vivre dans le mariage ?
« Avec N… et N…, nous avons écouté la
Parole de Dieu qui révèle la grandeur de
l’amour et du mariage.
« Le mariage suppose que les époux s’engagent l’un envers l’autre librement et sans
contrainte, qu’ils se promettent amour mutuel et respect pour toute leur vie et acceptent
la responsabilité d’époux et de parents.
« N… et N…, est-ce bien ainsi que vous
voulez vivre dans le mariage ?
(les fancés) : Oui. »
(chacun des époux séparément) : Oui. »
Il me faut revenir sur une question que je me suis contenté d’effeurer au passage : la
place de la célébration de l’Eucharistie lors de la célébration du sacrement de mariage. Audelà de cette question assez simple en apparence se posent d’autres interrogations non
moins redoutables. En bon pasteur, je vous les livre :
➢ Comment se fait-il qu’une immense majorité de fancés qui se présentent pour se
préparer au sacrement de mariage n’ont reçu en tout et pour tout qu’un seul sacrement : le Baptême (c’est encore heureux, se diront certains) ?
➢ En quoi la dimension sacramentelle est présente dans la démarche des personnes qui
souhaitent célébrer leur mariage à l’église ?
➢ Quelle est la place et le rôle de la communauté chrétienne ?
➢ Quel « service après-vente » peut-il être assuré ? Dans quelles conditions ?
Ce ne sont pas des questions théoriques. Les évêques de France se sont déjà penchés sur
ces questions. Une des esquisses de réponse vise à assurer une sorte de « catéchèse » à l’oc9
Le sacrement du mariage
casion de la préparation au sacrement de mariage (d’où l’invitation à commencer cette
préparation au moins un an avant la date prévue pour la célébration). C’est une heureuse
initiative, si elle vise entre autres à « rattraper le temps perdu ». Mais comment peut-elle
être suffsante et effcace sans qu’il y ait un minimum d’initiation chrétienne, d’intégration
en quelque sorte au sein de la communauté, de façon pragmatique et expérimentale, sans
demander au préalable de répondre de manière correcte aux questions du catéchisme ?
Le mariage en soi est un déf pour les époux. On s’aperçoit qu’il est aussi de nos jours un
déf pour l’Église, qui est invitée à célébrer de manière assez païenne des sacrements dont
la compréhension interne échappe au plus grand nombre. Au moins, nous aurons fait ce
que nous pouvons aujourd’hui !

Les sacrements de « vocation » ou de l’Alliance viennent sans cesse rappeler à l’Église
qu’elle reçoit tout de son Seigneur, pour qu’elle vive et grandisse, afn que la Bonne Nouvelle du Royaume des cieux soit annoncée à temps et à contretemps sur toute la terre. Ces
sacrements nous rappellent aussi que toute célébration sacramentelle est en soi un don de
Dieu, mais aussi qu’elle manifeste ce don de façon tangible, visible, pour que notre foi ne
défaille pas, pour que notre marche se poursuive jusqu’à la Cité céleste. Sur notre route, le
Seigneur vient sans cesse à notre secours, parce qu’il ne cesse de cheminer avec nous.
Quelques repères « pratiques »…
Comment aborder les notions
d’« Alliance » et de « sacrement » avec les fiancés ?
Nous pensons bien souvent que les notions fondamentales de la foi, de la théologie ou de la Bible sont bien jolies en théorie, mais plus difficiles à faire comprendre.
Or, il s’agit moins de théories que de notions élaborées à partir d’une expérience,
d’un « vécu », comme on dit. Il convient donc de partir de l’expérience vécue pour
découvrir ces notions fondamentales.
Une des pistes qui s’ouvrent est de prendre en compte la rencontre des fiancés,
l’itinéraire effectué l’un vers l’autre, puis l’un avec l’autre. Souligner par exemple
comment nous découvrons une certaine complémentarité qui enrichit chacun et les
deux ensemble… Le mariage est une « Alliance », puisqu’il scelle, d’une certaine
manière, un pacte entre deux personnes, qui peut se traduire juridiquement par un
acte notarié (« contrat de mariage »). Le Code civil peut aussi présenter des indications précieuses (cf. le livret Sous le signe de l’Alliance, p. 12).
L’aspect sacramentel vient enrichir cette notion d’« Alliance » en lui donnant une
dimension supplémentaire : d’une certaine manière, Dieu lui-même s’engage avec
nous. Le sacrement ne saurait se résumer à une célébration liturgique ; il englobe
toute la vie, il est vécu au jour le jour. Chaque jour, nous avons à nous redire : « Je
te reçois… et je me donne à toi » (cf. Rituel R 80, p. 41). Certes, la célébration liturgique est unique, mais elle se prolonge dans la vie de chaque jour. Cet engagement
doit se renouveler tout au long de la vie… Comme il m’arrive de le faire remarquer,
c’est nous qui vieillissons, pas notre amour, dans l’absolu !
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Le sacrement du mariage
Annexe
Le « Mémorial » de Blaise Pascal*
« Peu de jours après la mort de M. Pascal [19 août 1662], écrit le P. Guerrier, un domestique de la maison s’aperçut par hasard
que dans la doublure du pourpoint de cet illustre défunt il y avait quelque chose qui paraissait plus épais que le reste, et ayant décousu
cet endroit pour voir ce que c’était, il y trouva un petit parchemin plié et écrit de la main de M. Pascal, et dans ce parchemin avec un
papier écrit de la même main : l’un était une copie fidèle de l’autre. Ces deux pièces furent aussitôt mises entre les mains de Mme Périer
qui les fit voir à plusieurs de ses amis particuliers. Tous convinrent qu’on ne pouvait pas douter que ce parchemin, écrit avec tant de
soin et avec des caractères si remarquables, ne fût une espèce de mémorial qu’il gardait très soigneusement pour conserver le souvenir
d’une chose qu’il voulait avoir toujours présente à ses yeux et à son esprit, puisque depuis huit ans il prenait soin de le coudre et de le
découdre à mesure qu’il changeait d’habits. » Le parchemin a été perdu, mais nous en possédons une « copie figurée » de la
main de Louis Périer, et nous avons encore le papier sur lequel Pascal a consigné d’une main fébrile son ravissement et
les pensées que lui inspira Dieu.
†
L’AN DE GRÂCE 1654
Lundi 23 novembre, jour de saint Clément pape et martyr et autres au martyrologe.
Veille de saint Chrysogone martyr et autres.
Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi.
FEU
Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob1,
non des Philosophes et des savants.
Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix.
Dieu de Jésus-Christ.
Deum meum et Deum vestrum2.
Ton Dieu sera mon Dieu3.
Oubli du monde et de tout hormis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Évangile.
Grandeur de l’âme humaine.
Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu4.
Joie, Joie, Joie, pleurs de joie.
Je m’en suis séparé. ------------------------------------------------------------Dereliquerunt me fontem aquæ vivæ5.
Mon Dieu, me quitterez-vous ?6 -------------------------------------Que je n’en sois séparé éternellement.
--------------------------------------------------------------------------Cette est la vie éternelle qu’ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé J.-C.7
Jésus-Christ. --------------------------------------------------------------------------------------------------Jésus-Christ. --------------------------------------------------------------------------------------------------Je m’en suis séparé. Je l’ai fui, renoncé, crucifié.
Que n’en sois jamais séparé ! --------------------------------------------------------------------Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile.
Renonciation totale et douce.
Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.
Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre.
Non obliviscar sermones tuos8. Amen.
*
1
2
3
4
5
6
7
8
Blaise PASCAL, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1954 [1980], p. 553-554.
Ex 3, 26 ; Mt 22, 32.
Jn 20, 17.
Rt 1, 16.
Jn 17, 25.
Jr 2, 13.
Cf. Mt 27, 46.
Jn 17, 3 ; 17, 6 (d’après la traduction de René Benoist).
Ps 118, 16.
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