A la rencontre des Pygmées Baka

Transcription

A la rencontre des Pygmées Baka
II nn ffoo -- A
A cctt ii oo nn
Cameroun
A la rencontre des Pygmées Baka
Patrice BIGOMBE LOGO est directeur du CERAD1 et assure le suivi de
notre programme de soutien aux Pygmées Bagyéli..
Né en 1967, il a grandi dans la région forestière de l’est du Cameroun où
s’est développée la production des cultures de rente.
Durant les grandes vacances il rejoignait sa tante en forêt. Il nous raconte
comment, un jour il rencontre les Pygmées Baka…
©Cerad
Ikewan : Dans quelles circonstances as-tu
rencontré les Pygmées?
Patrice Bigombe Logo : Je rencontre pour la première fois les Pygmées dans la forêt de Ndankuimb,
dans le district Maka-Bebend, arrondissement
d’Abong-Mbang. Mes parents s’étant séparés, ma
mère est revenue vivre chez ses parents à Djoum. Sa
grande-sœur, mariée à Kouna Daniel, un patriarche
de Ndankuimb, lui demande de la rejoindre dans son
foyer et de vivre avec elle. Ma défunte mère accepte
et elle nous amène
avec elle. Les populations
de
Ndankuimb
ont
deux villages : un
sur la route administrative et un
autre en pleine
forêt, où elles réalisent de grandes
exploitations agricoles et des produits de rente
(cacao et café).
Pendant les grandes
vacances,
nous
Patrice (au centre de l’image) entouré des Bagyéli intéressés
rejoignions donc
au programme d’élevage lors d’un atelier
ma tante et son
mari en forêt pour diverses activités champêtres et
cynégétiques.
Note :
1 Centre de recherche et
d’action pour le
développement durable
en Afrique Centrale
C’est au cours de l’un de ces séjours qu’un soir, je
découvre les Pygmées Baka. Un petit groupe de trois
personnes est venu rencontrer le mari de ma tante
pour une opération de troc : du tabac local, du sel,
des habits usés, des allumettes sont échangés contre
du gibier (porc-épic), du miel et une promesse d’un
temps de travail dans les plantations de ma tante. A
la fin de l’échange, les pygmées Baka reprennent le
chemin de la forêt. D’autres fois, ils apportaient du
gibier (porcs-épics, pangolins et autres) pour obtenir,
en retour, du sel, du tabac et des vêtements. Cette
rencontre-là m’a marqué.
Au début des années 90, je suis appelé, comme mes
autres camarades étudiants à la faculté de droit et des
sciences économiques de l’Université de Yaoundé, à
rédiger un mémoire. Sur les conseils d’un ami et aîné
académique, je prends la décision d’étudier le pouvoir dans les sociétés pygmées Baka du HautNyong. Je fais donc partie du groupe restreint de
chercheurs qui ont porté la question pygmée dans le
champ universitaire. Par la suite, je vais travailler,
IKEWAN n°68 • avril - mai - juin 2008
12
comme chercheur et coordinateur du projet autopromotion des Pygmées dans leur environnement
(APE) de 1994 à 1996 dans la région de Lolodorf,
Bipindi et Kribi. Mon rapport avec les Pygmées, tout
d’abord scientifique, est devenu progressivement
humain, dans le sens où je partage certaines difficultés qu’ils éprouvent à développer des dynamiques
propres de survie dans le monde d’aujourd’hui et à
être reconnus par les Etats et les autres populations
forestières, tel qu’ils sont et à se projeter dans le
monde.
On dit que les Bantu exploitent les Pygmées.
Est-ce vrai?
Oui, il est vrai que, d’un certain point de vue, les
Bantu, dont je fais partie moi-même, exploitent les
pygmées, en particulier, leur force de travail, leur
immense connaissance de la forêt et leur tradithérapie. Mais, il faut savoir que cette relation, inégale et
largement déficitaire dans certains cas pour les pygmées, se révèle parfois profitable pour eux. J’ai l’habitude de dire qu’elles sont ambivalentes et, donc,
faites d’amour et de répulsion, de guerre et de paix,
de domination et de collaboration, de complémentarité et de ruse. Tout dépend du contexte et des enjeux
en présence. L’organisation des Pygmées en associations de promotion de leurs droits, contribue, progressivement, à améliorer la nature de ces relations
même si beaucoup reste à faire.
Tu as vécu chez les Pygmées, avec eux, dans
leur milieu ?
Quel est le fruit de cette expérience ?
A l’Est du Cameroun pour mon mémoire de maîtrise, j’ai passé trois mois à sillonner les hameaux
Baka. A Lolodorf, comme chercheur, j’ai aussi passé
quelques mois chez les Bakola-Bagyéli. Il m’arrivait
de m’installer dans un hameau en forêt, pendant
deux à trois semaines, sans interruption. Depuis deux
ans, tout en vivant à Yaoundé où je rédige ma thèse
de doctorat. j’ai poursuivi et étendu mes recherches
auprès des pygmées Aka en RCA, Baaka, Babongo,
Bangombe et Mbendzele au Congo-Brazzaville.
L’objectif visé est fondamentalement scientifique. Il
s’y ajoute l’objectif de développement, mais une
dynamique “inculturée” de développement, c’est-àdire, un développement pensé à partir des repères des
Pygmées eux-mêmes et pour eux. Les approches
anciennes de développement ont conduit à l’assimilation et au déracinement des Pygmées. Il faut totalement renverser les perspectives, en les responsabilisant. On ne pourra pas faire le développement de ce
II nn ffoo -- A
A cctt ii oo nn
Cameroun
peuple sans lui ou contre lui. Les fruits de ces expériences sont en train d’être valorisés par l’élaboration
d’un programme de formation sur les droits des
peuples autochtones en Afrique centrale, et à mettre
en œuvre avec des partenaires intéressés des projets
de terrain tels que les jardins de case et l’élevage,
tout cela contextualisé et réapproprié par les concernés. (les Pygmées eux-mêmes)
Quelles sont les difficultés que tu rencontres ?
Ce sont les difficultés d’accès aux populations pygmées, au double plan physique et psychologique.
Pour travailler avec eux, il faut se déplacer régulièrement, faire le suivi des activités, motiver et encourager les partenaires. Au plan psychologique, il faut
investir sur la longue durée. Les programmes de
courte durée ne sont pas efficaces, tout simplement
parce que les Pygmées prennent un peu de temps
pour s’approprier les processus et leur donner un
sens lisible et compréhensible dans leurs représentations et leurs projections. Dans le même temps, ce
travail est agréable, parce qu’il s’agit d’un peuple qui
vous adopte lorsque vous êtes sincère et constructif,
Contexte
qui aime s’amuser, jouer, faire la fête quand cela est
nécessaire.
Tu effectues le suivi du projet d'ICRA Suisse
auprès des pygmées Bagyéli... Qu'est-ce que
ICRA t'apporte ? Quel est le sens de ton engagement ?
ICRA m’apporte une approche de travail qui met un
accent sur la prise en main du destin d’un peuple par
lui-même. En plus, grâce au partenariat avec ICRA,
j’ai pu participer deux fois au GTPA à Genève, rencontrer d’autres peuples autochtones du monde et
faire part des résultats et leçons apprises du projet.
C’est un partenariat sincère et fructueux. Je rêve non
seulement de la poursuite du projet en cours, mais
aussi et surtout de sa diversification. Je suis à l’aise
avec ce type de partenariat fondé sur l’estime réciproque et le respect. Les agences de coopération
gagneraient à s’inspirer de ce type de coopération
nord-sud !
Propos recueillis par
Daisy Kaeser, ICRA Suisse
Un élevage pour les Pygmées Bagyéli
Les Pygmées Bagyéli, peuple de chasseurs-cueilleurs, voient leur mode de vie traditionnel menacé par la destruction de leur environnement. La forêt qui les abrite depuis des millénaires et dont ils tirent toutes leurs ressources, subit de grands changements.
Les facteurs sont multiples : extension des populations villageoises, surexploitation du gibier pour et par les populations locales, culture sur brûlis, exploitation forestière et récemment tracé du pipe-line Tchad/Cameroun. Privés d'une partie de leurs ressources, certains Pygmées se sont semi-sédentarisés ou sédentarisés et pratiquent une agriculture vivrière. Aujourd'hui, certains d'entre eux désirent s'initier à l'élevage.
Objectifs
Le programme de soutien aux Pygmées Bagyéli vise la reconnaissance de leur culture et leur autosuffisance alimentaire, notamment
en développant de petits élevages familiaux souhaités par la population pygmée.
Programme actuel : diffuser la technique de l’élevage chez les Pygmées Bagyéli.
Le but de ce programme de soutien est de développer de petits élevages familiaux en milieu pygmée autogérés par les familles déjà
sédentarisées ou semi-sédentarisées et pratiquant un peu d’agriculture vivrière. Il vise leur autosuffisance alimentaire. Le gibier se
faisant rare, les Pygmées manquent de protéines et commencent à souffrir de malnutrition. Le choix du porc est dû à leur habitude
alimentaire. Condition : chaque famille qui reçoit des porcelets s’engage à donner à son tour un porcelet femelle à une autre famille
(essaimage).
Responsables
La commission pygmée d’ICRA Suisse (4 membres). Un membre se rend, à ses frais, aux périodes clés sur le terrain.
Partenaires
Au Cameroun : le fils de notre ami pygmée Jacques Ngoun, qui s’est beaucoup investi dans ce projet; il succède à son père appelé
à poursuivre d’autres activités et le CERAD “Centre de recherche et d’action pour le développement durable en Afrique Centrale”
Ce qui a été réalisé...
• 2001 : construction d’une porcherie modèle, afin de diffuser la technique de l’élevage.
• 2004 : des porcelets et une truie de race améliorée, qui par la suite a mis bas huit petits, ont été achetés, et élevés à la
porcherie, avec le soutien spontanée de l’association de femmes batoues “Sagesse” du village proche de la porcherie.
• 2005 - 2007 : les premiers essaimages ont été réalisés. Malheureusement durant l’année 2006, la peste porcine dissémine une
grande partie des porcs de la région. Pour renforcer cet élevage familial, deux porcelets ont été rachetés, ainsi qu’une truie, destinée à l’Association “Sagesse” en remerciement de l’aide apportée à la réalisation de ce projet.
Ce programme devrait être autosuffisant dans quelques années. Pour l’instant, il est encore nécessaire de couvrir les frais d’encadrement et du vétérinaire. Quant au responsable du projet, il touche une petite rémunération mensuelle. Le budget total
annuel se monte à environ 700 francs suisses.
Vous pouvez vous aussi parrainer ce programme (voir bon de parrainage joint à ce journal)
13
IKEWAN n°68 • avril - mai - juin 2008