Désespérance des espérances
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Désespérance des espérances
LUOBER Désespérance des espérances Poésie Luober © 2013 – Tous droits réservés – Philippe REBOUL ISBN : 978-1-291-40120-2 2 Préface La poésie, paraît-il, tombe en désuétude. Notre monde est trop pressé, trop écrasé par tant de fausses certitudes pour prendre le temps de s'y arrêter et de la lire vraiment. Le mot « arrêt » a ici tout son sens, tout son poids ou devrais-je dire toute sa légèreté car, en poésie, l’arrêt sur image s’accorde parfaitement avec les magnifiques vers de Lamartine : « Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices. Des plus beaux de nos jours ! ». Certains voient dans la poésie quelque chose de futile, voire de parfaitement inutile. Bien au contraire, je dirai à qui veut bien l'entendre qu'elle nous donne une vision onirique et nouvelle du monde tel que les magiciens des mots, les poètes le perçoivent, le ressentent et l'expriment ensuite avec leurs émotions empreintes d’une magie verbale qui entrecroise formes, couleurs et ombres de la vie. J'adhère donc davantage à ce qu'en écrivait Victor Hugo en 1822 dans la préface des Odes : "Au reste, le domaine de la poésie est illimité. Sous le monde réel, il existe un monde idéal, qui se montre resplendissant à l’œil de ceux que des méditations graves ont accoutumés à voir dans les choses plus que les choses." J'ai rassemblé dans ce recueil intitulé "Désespérance des espérances", des morceaux de vie et de ressentis couchés çà et là sur des cahiers sans âge durant ces trente dernières années. Luober 3 Luober 4 Désespérance des espérances Tant va la plume au vent Prendre la plume, c'est violer l'oie, S’imaginer en puissant ou hors-la-loi Ecrire, devenir provocateur sublime, Agitateur d'idées, taquiner la rime. Se défaire de la gangue du matériel, Contempler sans cesse un nouveau ciel. Cracher des mots à la face du monde, Mots d'amour, de haine ou de fronde. Auto-lever les limites de la décence, Et ne pas avoir peur de la démence. Couvrir le papier virginal de ses choix Ou de peur qu'il ne prenne un peu froid, Le remplir d'utopie et de "je t'aime", Et faire abstraction totale du système. S'élever en martyr ou défenseur sublime, Interpréter, analyser, atteindre des cimes Et le lendemain être retombé tout en bas, Devoir recommencer et tout remettre à plat. Se battre pour cette vérité inatteignable, Sans jamais comprendre la morale de la fable. Rendre compte du monde ou bien à l'inverse, Prendre le contrepied et franchir la herse, Renverser les idées reçues de la narration, Construire des univers et des civilisations. Casser tous les préjugés, toutes les censures, Se complaire dans l'immoral ou dans l'ordure. Etre à la fois abstrait, absurde ou immonde, Croire encore que l'on peut changer le monde. Pris dans le paradoxe du "Misanthrope humaniste", Se rêver en justicier, en tyran ou en anarchiste, Et changer chaque jour, héros retournant sa veste, Les idées et les mots portant en eux tout le reste. Croire enfin, plus que les traces de pas ou de sang, Que celles laissées par l'encre franchiront le temps Et porteront dans leur sens profond et intrinsèque Les rêves de l'humanité rangés dans des bibliothèques. 5 Luober Louis Janmot – Le vol de l’âme 6 Luober – Désespérance des espérances Le vol de l'âme Le jour où mon âme s'envolera, Seras-tu là tout près de moi Ou serais-je seul ce jour-là, Et seulement livré à ma foi ? Devrais-je affronter l'inconnu Mon corps froid à moitié nu, Rangé près de ces inconnus, Icare qui bien seul a chu ? On s'est aimé chers amis terriens Et ces humeurs sont-elles en vain ? On s'est même haï pour certains, Refusant les préceptes du divin. Apport de l'esprit des poètes Images de nos matins de fêtes. Maintenant que ma chair pourrie Je me sens bien loin et démuni. Baignée de sueurs et d'effroi, Linceul et suaire de ma joie, Je pars alors vers le firmament Écoutant l'appel retentissant. De cette vie, je ferais une pause. Danse avec la mort, poème et prose. J'écris, compose et me décompose Servant le dessein, la grande cause. 7 Luober Bruegel – Le triomphe de la Mort 8 Luober – Désespérance des espérances La vie de château De l'autre côté des douves, je sais bien que l'on trouve, La plus belle des princesses et de nombreuses richesses. Mais ici, dans le pauv'village, il n'y a que la peste et la rage. Mais ici-bas, dans le bourbier, on n'est pas prêt de s'en tirer. Il paraît que là-haut au château, tous les jours, il y a du gâteau. On mange dans de la vaisselle. On sent bon sous les aisselles. Mais ici, dans la contrée, au purin on est parfumé. Mais ici, dans nos taudis, cela sent la mort et le pourri. On nous met Dieu en paravent et on a tous quinze enfants. Mais pour les nourrir demain, il n'y a qu'un quignon de pain. Mais, de l'autre côté du rempart, on dit qu'il y a saucisse et lard. Et dans les vergers du châtelain de quoi enfin assouvir sa faim. Il faudra bien qu'un jour cela cesse que l'on arrête toute cette détresse. On nous prélève encore l'impôt alors que l'on a que la peau sur les os. Beaucoup d'enfants de notre France finiront comme gibier de potence Car ils voudraient tous bien exister et au château pouvoir rentrer. Faire danser la marquise et puis manger à leur guise. Il n'y a pas qu'au paradis que l'on voudrait une meilleur vie. 9 Luober 10 Luober – Désespérance des espérances A la place du doute Vision tragique de ce qu'est ton destin, Personne ne t'assiste ou te tend la main. Le doute s'installe, le doute t'étreint, Tu te crois responsable de ce qui ne va pas bien. Alors tu réalises que tu es bien seul Et tu lâches prise, ton âme est en deuil. Tu ne crois plus en rien, ne tiens plus à rien, Même pas à cette vie de chien. Tu redoutes chaque matin chagrin Pour savoir ce que te réserves demain. A la place du doute, il y a cette femme Debout sur ta route, et renaît la flamme. A la place du doute, il y a cet enfant Qui ouvre ta route, ce nouvel élan. Et là, tu peux croire que c'est ton destin, Merveilleuse histoire, construire demain. Le doute se dissipe, le doute s'éteint Et tu te sens capable de tendre la main. 11 Luober 12 Luober – Désespérance des espérances Incertitude Je suis ton rêve de demain. Celui qui était si malsain. Caché au creux du chemin. Je suis la peur du lendemain. Je suis le froid du petit matin. Je suis l'effroi et l'incertain. Pourtant visage d'ange ou de malin, J'essuie ta larme de ma main. Pourtant tout au bord du ravin, Je veux croire encore à demain. 13 Luober 14 Luober – Désespérance des espérances Rêves tropicaux Dans une forêt tropicale où mon âme s’était perdue, tout au bord d’un rêve moite où je m’étais étendu. A l’ombre de l’ombre des arbres qui font de l’ombre, Balayant à coup de machette mes pensées les plus sombres, Je rêvais de ton corps au pays des plantes carnivores, Te traquer dans la grand forêt, bête d’amour apeurée. Le réveil est parfois difficile au cœur de la grande ville. Les immeubles sont aussi hauts que les arbres de ce rêve écolo. Les immeubles sont aussi hauts, mais ma ville, ce n’est pas Rio. Je ne connais que les plantes en pot, le béton et puis le métro. Heureusement, il y a toi, petite fleur qui égaye ma zone Et je t’aime quand même, avec ou sans Amazone. Mais un jour, je partirai vers le Brésil et ses forêts Avec moi, je t’emmènerai vivre en aventurier. Avec moi, je t’emmènerai sur une pirogue improvisée. Nous serons les rois de la forêt, finis HLM et télé. Puis je m’en fous de crever là-bas entre Belém et Brasilia. Mourir au pied d’un Hévéa, plutôt qu’à Trifouillis-les-Oies. Dans l’enfer vert, la chlorophylle est dans l’air. Laisse-moi t’emmener ma belle plante sucrée. Dans l’enfer vert, c’est un autre univers. Viens voir l’inconnu avec ton joli petit cul. Dans l’enfer vert, je suis chasseur et toi panthère. Sentir tes griffes acérées, faire l’amour contre un bananier. 15