le commerce et la ville : une relation à reconstruire

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le commerce et la ville : une relation à reconstruire
PÔLE DE RECHERCHE URBAINE
DES PAYS DE LA LOIRE
« le commerce et la ville : une
relation à reconstruire »
Synthèse de la rencontre du Pôle de
Recherche Urbaine des Pays de la Loire
du 31 mai 2012
Près de cinquante personnes ont participé à cette
rencontre consacrée au lien entre «commerce et
ville une relation à reconstruire» qui a été traité par
le regard croisé de deux chercheurs géographes,
d’un représentant de CCI et d’un investisseur.
Jean Soumagne, Professeur de géographie et
d’aménagement urbain à l’université d’Angers a
proposé une approche historico-géographique de la
relation ville-commerce, est revenu sur les grandes
étapes dont elle a fait l’objet et a donné à voir
les différentes problématiques à l’œuvre selon les
territoires et échelles considérés. Philippe Auregan,
Directeur «Développement des territoires» de la CCI
de Maine et Loire a développé une lecture économique
de l’activité commerciale en rendant compte des
principales tendances observées et enjeux pour les
territoires. Frédéric Bottone, en tant que directeur
du développement du groupe Klépierre SEGECE
Grand Ouest a donné son point de vue d’investisseur
quant aux choix d’implantations des commerces et
aux partenariats constitués avec les collectivités.
Pour conclure, Arnaud Gasnier, Maitre de conférence
de géographie et aménagement à l’université du
Maine a traité des enjeux et leviers existants pour
une réconciliation du lien entre commerces et villes
selon les territoires considérés.
CETE de l’Ouest - Département Villes et Territoires Octobre 2012
Commerce
et territoire urbain
:
2
de l’évolution à la révolution
Jean SOUMAGNE,
Professeur de géographie et d’aménagement urbain à l’université d’Angers
La relation ville-commerce est ambiguë tant les
deux interagissent entre eux. Le commerce a
ainsi longtemps été considéré par les géographes
comme une activité induite par la population,
la taille des villes, le pouvoir d’achat des
ménages... Cette perception a cependant évolué
avec l’apparition des grandes surfaces, qui ont
contribué à installer l’idée que le commerce
pouvait également induire de l’urbanisation,
voire même que le tissu commercial constituait
en lui même du tissu urbain.
Trois étapes de la relation ville-commerce
Jean Soumagne distingue trois étapes de la
relation ville-commerce :
- le commerce générateur de l’urbain
- le commerce accompagnateur de l’urbain
- la révolution commerciale avec les hyper et
supermarchés
Le commerce générateur de l’urbain
Historiquement, le développement des villes a
suivi celui de leurs fonctions commerciales. Au
Moyen Âge, les villes de foires se sont par exemple
développées proportionnellement à l’intensité
des trafics régionaux et internationaux au sein de
bassins de chalandise plus ou moins importants.
A côté des villes de foires internationales comme
en Flandres, en Champagne ou dans la vallée du
Rhône existaient également des villes de foires
régionales qui irriguaient les campagnes de la
France «des terroirs», mais aussi des villes et
marchés locaux-régionaux, assurant à la fois
une complémentarité entre ville et campagne
et entre terroirs distincts. Ces fonctions
commerciales ont d’ailleurs laissé en héritage
des halles, champs de foires... présentant
aujourd’hui un grand intérêt patrimonial pour
les petits centres urbains.
Le commerce accompagnateur de l’urbain
Puis, afin de capter les clientèles et les flux,
le commerce a peu à peu accompagné le
développement urbain, comme en témoigne la
prolifération des boutiques le long des rues et en
pied d’immeubles (construction de la deuxième
moitié du XIXè siècle). Sont également apparues
à cette époque les premières opérations
d’urbanisme liées uniquement à la fonction
commerciale, comme les «passages» et grands
magasins, essentiellement à Paris et dans
quelques villes moyennes cependant.
En dehors de ces opérations, se sont surtout
CETE de l’Ouest - Département Villes et Territoires développées des implantations au coup par
coup, spontanées et peu organisées, suivant le
rythme de développement de la ville (XIXè et
début XXè siècles). Plus tard quelques efforts
ont permis d’encadrer – timidement – les
implantations de centres commerciaux dans les
grands ensembles.
La révolution commerciale avec les hypers et
supermarchés
Ces évolutions ont précédé une véritable
révolution, terme qui souligne un basculement
vers un phénomène fait d’initiatives privées
réalisant la synthèse entre un modèle nordaméricain et des innovations nationales. Sont
alors apparues de nouvelles formes (les grandes
surfaces en périphérie) issues d’un nouveau
modèle commercial, qui s’est développé de
manière massive et très rapide, du fait de la
vitalité de l’initiative privée, de son attrait pour
les élus, et de son adéquation aux nouvelles
pratiques de consommation et modes de vie. Ce
modèle, à travers ses hypers et supermarchés,
ses zones commerciales en entrées de ville
grosses consommatrices d’espaces et au bâti de
faible qualité, a dès lors laissé des marques très
profondes dans le paysage, d’autant qu’il n’a
été que peu régulé malgré de nombreuses lois
d’urbanisme commercial (cette accumulation
législative témoignant de lois mal appliquées
ou inefficaces).
De fait, la France ne comptait qu’un seul
hypermarché en 1963 (à Sainte-Geneviève-desBois) et une dizaine en 1970. Mais leur nombre
explose entre 1970 et 1975 si bien qu’au milieu
des années 70, toutes les villes moyennes
disposent d’un ou plusieurs hypermarchés.
Depuis, la montée en puissance a été continue
et la taille moyenne des magasins n’a cessé
d’augmenter.
La «distribution» dans l’armature urbaine :
50 ans de modernisation
Si tous les territoires sont concernés par cette
croissance de la grande distribution, on peut
toutefois observer des disparités selon les
échelles de territoire quant à la répartition de
cette offre commerciale, notamment entre les
grandes villes, villes moyennes et petites villes.
Les grandes
réhaussement
villes
:
renforcement
et
Dans les grandes villes, on constate depuis 50
ans le renforcement de l’appareil commercial
Octobre 2012
à travers un processus de diversification des
commerces et des types de produits vendus,
mais également à travers une certaine
spécialisation des commerces, en nombre
d’établissements, en m², et parfois en standing
(cf. le commerce de luxe notamment). A cela, il
faut ajouter une remarquable «périphérisation»
multipolaire et l’importance qu’ont prise les
enseignes intégrées, associées ou franchisées
dans les grandes villes, lesquelles constituent
dorénavant des marqueurs puissants du niveau
supérieur de l’armature commerciale (comme
IKEA par exemple).
Les villes moyennes : une remise à niveau
rapide
Dans les villes moyennes ou intermédiaires (dont
les seuils vont de 30 000 à 200 000 habitants)
et particulièrement dans les villes de province,
on a également observé une montée générale
en gamme. Si certaines villes ont connu des
crises d’adaptation («choc de la modernité») et
ont pâti de la fermeture de vieux établissements
commerciaux, elles ont quasiment toutes connu
un fort développement des grandes enseignes
nationales voire internationales (type H&M,
Zara...). Ces villes ont également souvent
profité d’opérations d’urbanisme (ZAC, création
de voies piétonnes, réhabilitation de centresvilles), qui ont été un levier pour développer le
commerce.
Dans ces villes (et particulièrement dans les
communes suburbaines), les commerces ont
beaucoup façonné l’espace et les paysages, si
bien que l’on a pu parler de la «France moche»
pour qualifier ces entrées de villes, qui, par la
pauvreté du bâti et de l’intégration paysagère
des constructions qu’elles hébergent, font
apparaître le visage du nouveau commerce
et les problèmes qu’il génère (notamment en
termes de développement durable).
Les petites villes longtemps à la traîne
Les petites villes, quant à elles, sont
longtemps restées à la traîne, avec des
structures marchandes traditionnelles et dont
l’offre commerciale a longtemps échappé à
la modernisation malgré l’implantation de
quelques magasins type «Monoprix». Les
grandes surfaces ont donc fait, dans ces villes,
une irruption plus tardive, mais leur implantation
s’est faite de manière très rapide, à la fois pour
ce qui concerne les hypers et supermarchés,
mais également pour les grandes surfaces
spécialisées (dans le jardinage, l’équipement de
la maison...). Ces évolutions se sont largement
réalisées aux dépens du tissu commercial rural,
qui rencontre aujourd’hui des difficultés à muter
ou à rebondir.
CETE de l’Ouest - Département Villes et Territoires A l’échelle nationale, les évolutions qu’ont connu
ces différents espaces ont donc représenté des
modifications très fortes, sans toutefois que
les cartes des zones de chalandises soient très
profondément modifiées.
Des déséquilibres intra-urbains liés au
développement de la multipolarité et à la
compétition interpolaire
Les évolutions mentionnées précédemment ont
abouti à un fait nouveau : le commerce ne se situe
plus seulement dans les centres historiques ;
la multipolarité de la fonction commerciale est
maintenant clairement inscrite dans le paysage,
et conduit à une concurrence entre pôles. La
primauté «centrale» du commerce est donc
remise en cause, la perte d’attractivité des
centres-villes (par ailleurs souvent confrontés
à un phénomène de concentration de leur offre
commerciale sur quelques rues piétonnes)
s’expliquant en partie par les problèmes
d’accessibilité qu’ils connaissent.
Concernant les commerces eux-mêmes, les
évolutions ont été marquées par une perte de
poids des indépendants au profit de la franchise
et par l’apparition de nouvelles locomotives
pour dynamiser les cœurs de villes, autour du
triptyque commerces-loisirs-culture. Se pose la
question de l’image commerciale du centre, la
standardisation risquant d’affaiblir l’attraction
de certains consommateurs.
Les banlieues quant à elles, se retrouvent dans
des situations assez hétéroclites, avec la crise
de certains centres commerciaux dans les
grands ensembles, et ce malgré des politiques
publiques très actives pour renouveler et rendre
de nouveau attractifs ces noyaux commerciaux.
Mais se pose la question de la fonction à donner
à ces équipements fragiles, entre offre de
proximité et éléments d’attraction au sein d’une
zone de chalandise plus vaste.
Les nouveaux pôles urbains et commerciaux
enfin, constituent quant à eux le vase
d’expansion du commerce moderne. Bénéficiant
souvent d’une très bonne accessibilité et de
réserves foncières importantes, ils accueillent
de nouvelles implantations résidentielles qui
constituent autant de nouvelles clientèles,
sans véritable encadrement par les documents
d’urbanisme stratégique. On observe donc
une surenchère entre communes, qui conduit
à une prolifération (et une concurrence)
d’implantations nouvelles, souvent trop banales
et peu économes sur le plan foncier, autour des
rocades.
Octobre 2012
3
Territoires et crise commerciale
Certains espaces affrontent donc aujourd’hui
une crise commerciale parfois brutale, et
ressentie douloureusement.
C’est le cas tout d’abord des territoires en
reconversion, autour des hypercentres, des
vieux faubourgs, des centres commerciaux
des grands ensembles, des entrées de villes à
réaménager... touchés à des degrés divers (et
pas partout).
C’est le cas également des petits centres en
difficulté, qui pâtissent de la concurrence de pôles
plus importants, d’une évasion commerciale
liée à une clientèle devenue hyper-mobile, mais
aussi de l’abandon de certains cœurs historiques
à la population vieillissante, du vieillissement
structurel et du non renouvellement de leur offre
commerciale... Des actions inspirées de recettes
efficaces ailleurs ont bien été entreprises et
ont permis de freiner le déclin de ces espaces
(opérations cœurs de ville, réhabilitation du bâti
et du patrimoine, piétonnisation des rues...)
mais elles n’ont toutefois pas été suffisantes :
sont apparus des déserts commerciaux à
Aménagements
l’intérieur même de petites villes, même si des
équipements commerciaux plus «modernes»
ont pu s’installer en périphérie. On notera
toutefois quelques exceptions notables, comme
les petites villes littorales, de montagne ou à
vocation touristique, ou encore certains petits
bourgs périurbains.
En guise de conclusion, Jean Soumagne insiste
donc sur une situation en demie-teinte, avec
toutefois des petites villes connaissant des
situations de décrochage non négligeable. Il
rappelle également que les liens entre ville
et commerce renvoient aux questions de
l’urbanisme et de l’urbanité dans leurs différents
aspects :
- fonctionnel au travers de la dynamique
économique
- morphologique, paysager
- social au travers de la population commerçante
mais aussi de la population générale.
Le commerce, sédentaire et non sédentaire,
dans la Cité nécessite donc une prise en compte
globale aux côtés de toute la palette des services
publics et privés.
commerciaux en milieu urbain
:
les tendances
Philippe AUREGAN,
Directeur «Développement des territoires» à la CCI de Maine et Loire
Philippe Aurégan débute son propos en indiquant
que selon lui, la situation des commerces est à
l’image des politiques urbaines sur un territoire.
Il y a donc un lien évident entre évolution de la
ville et évolutions des commerces.
Par ailleurs, il rappelle que le commerce est
avant tout une activité économique, avec des
personnes qui en vivent. Il souligne également
que ces professionnels ont bien souvent une très
forte capacité d’adaptation face aux évolutions
sociétales et aux règles qui leur sont imposées
(notamment par les collectivités territoriales à
travers leurs documents d’urbanisme). Il indique
enfin que le commerce connaît effectivement
une révolution, en passant d’une régulation par
le marché et la concurrence à une régulation
par l’urbanisme et l’aménagement.
Les commerces
d’adaptation
:
une
forte
capacité
La CCI du Maine et Loire a mis en place un
observatoire du commerce depuis 10 ans qui lui
permet de faire quelques constats sur l’évolution
du commerce. Ainsi, dans la dernière décennie,
le nombre de points de vente a augmenté, dans
le département, à l’image de la population et
CETE de l’Ouest - Département Villes et Territoires de la consommation. Les surfaces de ventes
(en m²) ont quant à elles connu une croissance
de presque 50% en 10 ans, nettement plus
forte que celle de la consommation. Les raisons
avancées : le renforcement et l’élargissement
(diversification)
de
l’offre
ou
encore
l’augmentation du confort d’achat (Philippe
Auregan souligne notamment que l’un des
enjeux est de redonner du plaisir à l’acte d’achat
au travers de produits plus qualitatifs car il
semblerait que les consommateurs notamment
jeunes prennent moins de plaisir à acheter).
Sur l’évolution actuelle du commerce en Maine
et Loire, Philippe Aurégan se déclare plutôt
optimiste. Plus d’un tiers des commerces sont
installés depuis 5 ans, les chiffres d’affaires
sont en augmentation et l’activité commerciale
génère de l’emploi. Bien sûr, certains équilibres
entre grands et petits commerces sont encore
à trouver par endroits, mais globalement, la
régulation se fait (notamment sur le nombre des
points de vente et la forme des commerces).
Philippe Aurégan souligne néanmoins quelques
transformations importantes avec la forte baisse
d’activité des petits commerces alimentaires,
et la forte croissance dans le secteur hygièneOctobre 2012
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santé. Une autre évolution marquante est
le développement considérable des grandes
surfaces spécialisées. Cette augmentation
de la taille des points de vente concerne
avant tout les secteurs de l’équipement de la
maison ou de la personne, mais nettement
moins certains secteurs (santé, parfumerie...)
où la dimension «services» occupe encore
une place prépondérante. Ces évolutions
traduisent bien sûr une évolution des modes
de vie, des valeurs et centres d’intérêts des
consommateurs (développement du service à
la personne et évolution du rapport au corps) ;
elles montrent également que le commerce
sait s’adapter et trouver des solutions face aux
évolutions sociétales. Philippe Aurégan évoque
à cet effet l’impact des nouvelles technologies
sur l’activité commerciale, en soulignant
néanmoins que, dans ce domaine, les mutations
à venir dans les 10 prochaines années seront
vraisemblablement plus importantes que celles
connues sur la dernière décennie. Il conclut
en rappelant qu’il y a des personnes derrière
l’activité commerciale et que le commerçant
vit sur une zone de chalandise qui n’est pas
forcément extensible : les adaptations sont
donc pour lui une nécessité absolue !
Accompagner les collectivités dans leurs
politiques d’urbanisme commercial
La présence des commerces dans les territoires
reste une préoccupation forte des collectivités
car ils sont reconnus comme un facteur de
vitalité et de création d’emplois. Le commerce
n’est donc plus considéré comme un élément
isolé mais comme une fonction urbaine parmi
d’autres et qui implique la responsabilité des
collectivités pour favoriser sa compétitivité.
Pour autant, faire entrer le commerce dans le
champ de l’urbanisme est un changement de
pratique important. La CCI, a fortiori depuis
qu’elle n’a plus de rôle décisionnaire dans les
autorisations d’implantations commerciales,
s’est repositionnée sur un rôle de conseil
amont aux collectivités en ce sens. Elle est de
fait très souvent sollicitée par les collectivités
locales cherchant à redynamiser leurs fonctions
commerciales ou créer des centralités, même si
les questions posées varient suivant les échelles
territoriales :
· les grandes villes et métropoles s’interrogent
sur la manière de se repositionner vis- à-vis
d’un environnement commercial perçu comme
de plus en plus concurrentiel : ce sont des
questions d’attractivité et de rayonnement
qui se posent ;
· les pôles secondaires et chefs-lieux de
cantons se caractérisent par l’existence
CETE de l’Ouest - Département Villes et Territoires d’anciennes fonctions commerciales à côté
d’autres fonctions (médicales par exemple) :
ce sont plus des enjeux de préservation de
certains commerces pour continuer à exister
qui s’expriment ;
· dans le périurbain, il s’agit de doper l’appareil
traditionnel commercial à l’heure où les
hypermarchés sont moins en vogue ;
· dans le secteur rural, il s’agit surtout de
maintenir la fonction commerciale plus que le
commerce avec des enjeux de proximité.
Dans tous les cas, indique Philippe Aurégan
ces réflexions sur le commerce se sont en
fait transformées en réflexions urbaines (quel
centre-ville voulons-nous ? comment aménager
le centre pour permettre aux commerces
d’y vivre ?), soulignant les destins liés des
commerces et de l’urbain.
Sur les leviers à disposition pour agir, Philippe
Aurégan rappelle que les acteurs du commerce
sont prêts à s’adapter, mais que la question
relève d’une co-responsabilité avec ceux qui
réfléchissent les aménagements. Les réponses
à apporter ne peuvent donc être que concertées
avec les professionnels en place et les habitants,
et il faut évoluer dans la conception des centresvilles «musées», peu fonctionnels, englués
dans des problèmes d’accessibilité, et qui ne
permettent pas de faire vivre les commerces.
Pour éviter certains déséquilibres territoriaux, il
plaide enfin pour l’élaboration d’une prospective
du commerce pour contribuer à anticiper et
réguler les implantations commerciales.
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Stratégies
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des investisseurs et modes de production des espaces de commerces
Frédéric BOTTONE,
Directeur de Développement de Klépierre SEGECE Grand ouest
Frédéric Bottone introduit son propos en
rappelant que le groupe Klépierre SEGECE
figure parmi les plus gros opérateurs à l’échelle
de l’Europe : propriété de Simon Property (72
milliards de $ d’actifs à travers le monde),
Klépierre y détient près de 400 centres
commerciaux (pour une valeur d’actifs de 15
milliards €).
Frédéric Bottone poursuit en indiquant que
les modes d’intervention des investisseurs
diffèrent fortement selon que les villes font
plus ou moins de 100 000 habitants. Cette
différence de traitement s’explique par le fait
que, dans les plus grandes villes, le commerce
est en plein ébullition, et que les générateurs
de trafic, qui évoluent par ailleurs très vite, y
sont très différents.
Il attire également l’attention sur la difficulté de
faire des opérations en centre-ville (complexité
liée à la disponibilité du foncier, aux contraintes
architecturales...) d’où la longueur des opérations
de ce type (jusqu’à 17 ans pour une opération
sur Boulogne par exemple) et les très nombreux
échecs (beaucoup d’opérations de centre-ville
de 20 000 m² notamment). Il indique ainsi
qu’il n’y pas, pour ces opérations, de recette
toute faite, qui marcherait indifféremment dans
toutes les villes : il insiste donc sur la nécessité
d’une intervention en «dentelle».
Frédéric Bottone souligne ensuite que regarder
l’évolution du commerce à l’aune des seules
évolutions de m² n’a pas de sens : c’est la
Comment
qualité des m² commerciaux qu’il convient
d’appréhender, car l’impact de 5 000 m² de
surface commerciale vestimentaire (type Kiabi)
dans le centre-ville de Nantes ne sera pas du tout
le même que celui de 800 m² d’un Apple Store ou
de 150m² d’une boutique Nespresso ! Mais dans
ce domaine, Frédéric Bottone indique que ni les
collectivités ni les opérateurs ne maîtrisent les
stratégies d’implantation des enseignes (qui ne
sont jamais mieux positionnées qu’à proximité
immédiate de leurs concurrents).
Frédéric Bottone évoque ensuite le cas des
grandes villes de Province, capitales régionales.
Pour lui, la qualité de la gouvernance urbaine
y est fondamentale pour garantir le succès
de grandes opérations commerciales. Il met
également l’accent sur l’importance du cadre
législatif et réglementaire et propose même
d’aller plus loin en la matière (dépôt d’un nouveau
permis de construire pour tout changement
d’enseigne par exemple pour «assainir le
système» et mieux maîtriser le bâti). Il évoque
également l’importance que revêt la qualité de
l’offre de transports collectifs et plus largement
l’accessibilité de la zone commerciale.
Il conclut enfin en rappelant que vis-à-vis
des enseignes, les marges de manœuvre des
acteurs locaux comme celles des investisseurs
sont en réalité très limitées, mais qu’il y a un
intérêt évident à faire venir des enseignes
de grande notoriété afin d’éviter de faire des
centres commerciaux trop standards.
mieux réconcilier le commerce et la ville
système d’acteurs
:
enjeux d’aménagement et
Arnaud GASNIER,
Maître de conférence de géographie et aménagement à l’Université du Maine
Afin de réconcilier le commerce et la ville, face
à certaines dérives observées à ce jour, Arnaud
Gasnier plaide pour une meilleure régulation
de l’urbanisme commercial. Pour ce faire, il
en appelle à la responsabilité conjointe des
collectivités locales et des acteurs privés de la
production commerciale.
Des constats géographiques, politiques et
aménagistes couramment admis mais peu
réjouissants
Pour Arnaud Gasnier, il est évident que le
commerce participe de l’étalement urbain. Les
CETE de l’Ouest - Département Villes et Territoires implantations commerciales ciblent des zones
étendues et peu denses, qui, par agrégations
successives, forment parfois des corridors
économiques sur plusieurs communes urbaines,
périurbaines ou suburbaines. Cet étalement
pose bien sûr la question de l’attractivité des
communes dortoirs sous influence des grands
centres urbains que ces premières souhaitent
concurrencer. Ce phénomène explique le succès,
par exemple, des multiplexes en périphérie
d’agglomérations destinés à contribuer à la
formation de polarités commerciales et ludiques,
voire de nouvelles centralités.
Octobre 2012
Cette situation est permise par un système
de régulation assez inefficace : la très forte
croissance des surfaces commerciales ces
dernières années souligne l’incapacité des acteurs
de la production commerciale à s’auto-réguler.
D’autre part, le système politique de régulation
apparaît très permissif, comme en témoigne
le fait que 90% des projets débattus en CDAC
(commission départementale d’aménagement
commercial) sont finalement acceptés. A cet
effet, l’entrée de la sphère commerciale dans les
affaires «aménagistes» avec le DAC (Document
d’Aménagement Commercial) représente pour
Arnaud Gasnier une avancée significative, à
condition toutefois que ce document ne reste
pas une coquille vide. Il insiste ainsi sur le rôle
des élus, qui décident du devenir foncier de leur
territoire mais hésitent souvent à mobiliser les
leviers dont ils disposent et à «contraindre» par
peur du contentieux et de voir leurs territoires
entrer en récession. Mais selon Arnaud Gasnier,
l’expérience montre que les démarches
véritablement aménagistes marchent mieux
que la seule régulation, laquelle n’empêche pas
nécessairement le caractère monofonctionnel
des zones commerciales, ni ne facilite leur
accessibilité en transport en commun.
Au final, tout se passe donc comme s’il y avait
des intérêts convergents entre collectivités
et enseignes commerciales pour alimenter
un système économique peu durable. Ainsi,
d’un côté, les élus souhaitent voir s’implanter
des équipements, des emplois, se développer
le tourisme et les loisirs ; de l’autre, des
rendements du m² commercial qui stagnent
voire fléchissent, obligent les distributeurs à
multiplier les surfaces de vente pour maintenir
leur chiffre d’affaires annuel. Cela conduit alors
à une surproduction de l’offre commerciale et
à un effet de cannibalisation liée à une offre
pléthorique que rien ne semble arrêter ;
les développeurs répondant à une forte
demande d’implantations d’enseignes par la
construction de nouveaux concepts de centres
et d’ensembles commerciaux (retail parks, life
style centers). Du coup, dans les ZAC et/ou
lotissements commerciaux plus anciens, des
territoires «inquiétants» apparaissent, faits de
friches commerciales (qui peuvent représenter
jusqu’à 5 ou 7% des surfaces de certaines
zones d’activités sur Le Mans par exemple) et
de locaux vacants.
CETE de l’Ouest - Département Villes et Territoires Des éléments de renouveau à prendre en
compte
Arnaud Gasnier souligne toutefois que la vacance
commerciale représente une opportunité et un
moteur de renouvellement urbain. Jusqu’ici,
les centres anciens des villes et des secteurs
péricentraux
(Saint-Nazaire,
Bordeaux)
économiquement obsolètes ont été les premiers
sites de requalification urbaine à bénéficier de
politiques d’aménagement très volontaristes, de
nouveaux modes de production urbaine à travers
des logiques de management de projet et d’un
partenariat public – privé renouvelé. Le recours
à la contractualisation, le financement croisé
de la plupart des opérations, redistribuent les
pouvoirs, favorisent des formes de coopération
entre acteurs institutionnels et nécessitent un
travail permanent de négociation.
Aujourd’hui, des programmes de renouvellement
urbain et commercial concernent aussi les
entrées de villes et les zones d’activités
économiques (ZAE), même si les interventions
sur des secteurs parfois entièrement privés
s’avèrent plus complexes sur les plans foncier et
immobiliers. Le commerce se rapproche ainsi de
l’urbanisme et fait l’objet de nouvelles attentions
et intentions aménagistes intéressantes à
promouvoir.
Devant la complexité croissante des projets
urbains, devant la transversalité et la globalité
des actions à entreprendre, des équipes de
«management» assurent de plus en plus
souvent le pilotage technique des opérations,
le suivi des études et la coordination des
programmes et des acteurs en respectant la
stratégie décidée par les édiles politiques. De
plus, du fait des contraintes financières, de
la volonté de contenir la pression fiscale, du
renouvellement des mandats, le partenariat
public-privé est plus que jamais indispensable
aujourd’hui pour mener à bien certains projets
qui nécessitent des négociations longues avec
les propriétaires, la consultation d’aménageurs
ou de développeurs privés. Plus que de simples
opérateurs à qui l’on confiait la réalisation
matérielle du programme d’aménagement acté,
les partenaires privés sont devenus des acteurs
qui conditionnent la faisabilité, voire la réussite
du projet.
Mais force est de constater que peu de
réalisations ont été mises en œuvre à ce jour
(Pont de l’âne – Monthieu à Saint-Etienne,
Les portes du futur à Chasseneuil du Poitou,
etc.), et que de nombreuses questions restent
posées : Comment densifier ces zones ?
Comment rendre ces ZAC commerciales moins
monofonctionnelles ? Dans une période où
les budgets publics sont resserrés, comment
Octobre 2012
7
les collectivités locales peuvent-elles inciter
et accompagner des investisseurs privés
(propriétaires
fonciers
et
immobiliers,
enseignes, etc.) dans des projets de
renouvellement urbain ambitieux et coûteux ?
Des leviers d’action pour une réconciliation
du commerce et de la ville
Poursuivant son propos, Arnaud Gasnier propose
d’autres leviers d’action pour mieux couturer la
ville et le commerce :
- créer des réserves foncières pour une
politique
d’urbanisme
commercial
préventive,
La clé de la réussite commerciale pour maintenir
et développer de l’attractivité dans les vieux
centres-villes est d’arriver à constituer des
réserves foncières et immobilières importantes,
susceptibles d’être proposées à des enseignes
déclinant leur concept sous un format urbain
(plus contenu). La collectivité locale doit réfléchir
aux principes d’incitation, de proposition de
terrains (ou d’échanges) et d’accompagnement
des promoteurs – investisseurs dans une
démarche de partenariat et de coopération
aménagiste étroite.
- proposer des alternatives à l’accessibilité
de l’offre commerciale « tout automobile »
et assurant une meilleure connexion de ces
zones à la ville
Assurément, les perspectives de renouvellement
urbain passent par une recomposition ou
réorganisation foncière incontournable. Elles
appellent également une même recomposition
des territoires de transport (AOT), organisés
dans le cadre de syndicats mixtes.
- développer le partenariat public-privé pour
une approche globale et transversale,
La démarche partenariale ne doit pas laisser de
côté les agences de développement ni les sociétés
foncières, les entreprises de distribution et les
associations de commerçants. Ces dernières
peuvent jouer un rôle incitatif et volontariste
auprès des groupes de la distribution et de la
promotion immobilière. Dans la recomposition
de la zone commerciale des Portes du Futur
à Chasseneuil du Poitou, l’association des
commerçants a joué (et joue encore aujourd’hui)
un rôle fédérateur incontestable dans le projet
de renouvellement urbain entre les acteurs
privés et les collectivités locales (commune de
Chasseneuil et CA du Grand Poitiers). Pour que
les propriétaires privés acceptent de réhabiliter
leurs bâtiments, les directeurs de magasins
ont dû convaincre les propriétaires fonciers et
immobiliers de franchir le pas.
- apporter une plus grande attention aux
espaces publics, etc.
- mixer les fonctions (habitat, commerces,
services), rapprocher pôles d’emplois et
pôles de chalandise,
Ces pistes de réflexion montrent qu’il est possible
de traiter autrement ces zones économiques
et de s’affranchir peu à peu des effets urbains
négatifs du zonage monofonctionnel.
Les opérations de renouvellement urbain
en cours de réalisation visent à conforter les
pôles existants sans les étirer indéfiniment
(densification pour palier le risque de
dévitalisation des zones plus anciennes) et en
veillant à les diversifier fonctionnellement le
plus possible pour éviter toute spécialisation,
vecteur d’augmentation des déplacements
multipolaires.
Aussi, il n’est pas question de limiter ou de
freiner la dynamique commerciale mais de
mieux la répartir sur le territoire urbain et
suburbain vers des pôles en crise et/ou vers
des dents creuses intra-zones ou encore sur
des nœuds de transport collectif existants ou
à créer. La multipolarisation commerciale n’est
pas une hérésie sur le plan des déplacements
à condition de trouver des alternatives
à l’accessibilité du tout automobile et au
pompage centrifuge aspirant des enseignes de
centre-ville ; l’une d’elle consisterait à mixer,
rapprocher habitat et commerce. De même, sur
un plan morphologique, les rez-de-chaussée
commerciaux des boites restructurées et
assemblées pourraient supporter des étages de
logements, de bureaux et de terrains de sport.
Quelques références pour aller plus loin :
- Commerce et mobilités, sous la direction de Yves Boquet et de René-Paul Desse, Editions Universitaires
de Dijon, 2010
- Territoires du commerce et développement durable, Philippe Dugot et Mickaël Pouzenc, L’Harmattan,
2010
- Dictionnaire du commerce et de l’aménagement, sous la direction de René-Paul Desse, Anne
Fournié, Arnaud Gasnier, Nathalie Lemarchand, Alain Metton, Jean Soumagne, Presses Universitaires de
Rennes, 2008
- Commerce et ville ou commerce sans la ville, Anraud Gasnier, Presses Universitaires de Rennes,
2010
CETE de l’Ouest - Département Villes et Territoires Octobre 2012
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